Aller visiter la Prison des sorciers pour y revendre des herbes médicinales achetées dans une caravane des Voyageur était une bonne idée. Il l'avait su dès qu'un des nomades lui avait brièvement décrit tous les endroits où il pourrait revendre la marchandise. Quand il avait vu les hautes tours de loin à son arrivée, cela avait encore plus renforcé son enthousiasme... Avec tout ce qu'il avait pu entendre sur cet endroit soi-disant sordide, il se devait d'aller y foutre son nez au moins une fois dans sa vie non ?

Il mit un pied sur l'immense pont désert qui s'étendait devant lui, se perdant dans les ténèbres glauques des centaines de mètres plus loin. Et avec un demi-sourire impatient, il s'avança lentement, son regard bouillonnant fixé sur la pénombre devant lui et ses pas résonnant lourdement sur le sol froid. Qu'allait-il découvrir cette fois-ci qui soit capable d'assouvir son appétit et d'apaiser son obsession et son désir d'apprendre ? Ressentira-t-il ce plaisir malsain et cette fascination dévorante qu'il éprouvait face à la proximité de la mort et de la souffrance ? Aurait-il l'occasion d'assister à ce fabuleux cercle de la vie et de la mort une fois de plus ? En tant que chaman, il portait une affection toute particulière à tout ce qui était mourant, fantomatique ou spectral... Et ses dernières aventures n'avaient que renforcé cette passion fiévreuse qui le possédait depuis longtemps et qui grignotait lentement sa raison.

Traverser le pont fut une longue marche. Il faut dire qu'il prenait son temps pour se délecter de la masse en pierre qui apparaissait au fur et à mesure devant lui, remarquant à chaque pas un nouveau détail, ou une nouvelle fenêtre. L'ambiance n'était pas non plus sans lui déplaire et il sentait une certaine puissance autour de lui qui le faisait frémir. Il agrandit son sourire et entendit le vague soupir de Khaal derrière lui. Elle devait probablement être lassée des folies passagères de son Maître... Enfin bon. Ce n'est pas comme si elle n'avait pas l'habitude. La pâle lumière de la lune rendait le teint de l'esprit un peu bleuté, ses yeux brillant néanmoins d'une lueur blanchâtre. C'en était presque envoûtant. Il était heureux d'être le seul à pouvoir contempler ceci, avec tous les autres Chamans. Devaraj trouvait que les esprits étaient tous agréables à regarder, quelque soit leur ancienne nature...

Il arriva enfin devant la porte massive et se laissa inspecter, expliquant rapidement la raison de sa venue ici. On lui indiqua que le nom du sorcier qui s'occupait des réserves "médicinales" était Ra's, l'informant que ce dernier n'allait pas tarder à venir. Le chaman doutait fortement que ces gens-là s'intéressent à la médecine, ou du moins, ce n'était pas de la médecine comme on en voyait ailleurs... Il avait entendu les rumeurs. Il n'y a jamais de fumée sans feu, n'est ce pas ? L'atmosphère à l'intérieur de la Prison respirait l'insalubrité et avait un arrière-goût néfaste. Sa curiosité augmenta de plusieurs crans en conséquence, et quand on lui demanda d'attendre sagement que Ra's  arrive, il accepta avec malice avant de s'engouffrer silencieusement par une porte au hasard dés que les autres eurent le dos tourné. Direction l'escalier qui descendait. C'était toujours au sous-sol que se trouvait les choses cachées, dérobées au regard de tous.

Il avait descendu un nombre effrayant de marche quand le décor changea enfin peu à peu. Les cellules étaient remplacées par des murs gris et ternes, et les cris et plaintes laissaient place au silence. Que pouvait donc cacher ces lourds murs en pierre construit pour étouffer tous les bruits ? Étrangement, cela lui rappelait un peu la chambre de torture qu'il avait découvert au Mausolée de Seraphine... Encore un repère de sorcier, comme par hasard. Décidément, le continent dévasté regorgeait de recoin sombres et angoissants c'est ça ? Dans ce cas, il n'était vraiment pas près de s'en aller...
Devaraj s'avança toujours, se retenant de glousser d'impatience. On lui avait déjà dit d'arrêter de se comporter comme un gamin dans ce genre de situation que toute personne normalement constituée trouverait inquiétante, mais il n'y arrivait pas. Sa conscience savait que c'était pas normal, mais il avait envie de l'ignorer. De toute façon il n'y pouvait rien si ses goûts ne coïncidaient pas avec la normalité.

Il marcha encore et encore dans les couloirs, ne trouvant plus d'escaliers à descendre. Le chaman devait donc se trouver tout en bas de l'immense bâtiment. A moins qu'il n'y ai un passage secret quelque part, cachant encore d'autres niveaux... Et d'ailleurs vu l'anciennement de la Prison, c'était quasiment sûr que ce genre de chose existe. Mais pour découvrir cela, il lui faudra plus de temps, peut-être de l'aide et sûrement beaucoup de chance.
Ici, même ses vêtements en tissu rouge clair, ses mèches blondes et ses yeux bleus devenaient ternes, la couleur étant aspirée par l'ombre auteur de lui. Même Khaal devenait une forme noire, bougeant comme un fantôme derrière lui. Pour l'instant il n'y avait personne, mais peut-être que le Destin lui fera croiser quelqu'un au tournant d'un couloir ? Qui sait...

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Perdu dans les ténèbres souterraines de la Prison, Devaraj savourait pleinement le silence morbide qui y régnait, tel un roi surveillant ses sujets fantômes. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas fait une pause pour  s'échapper un peu du monde et retourner explorer des vieilles caves, comme au bon vieux temps. Il s'était clairement laissé dépasser par les événements. Les récents cataclysmes, les guerres, la tribu Alséa, l'assassinat du débile ignorant qui se faisait passer pour le Suprême de l'Au-Delà, Somnium, la nouvelle horde d'esprits fous et en proie au chagrin, Delta et ses discours... Il n'avait plus le temps de se balader au hasard des chemins comme il le faisait avant, car ses responsabilités ne faisaient qu'augmenter et sa vie de Chaman prenait clairement le dessus sur sa vie de Vagabond et de Voyageur. Il avait trop de questions sans réponse, trop de connaissances à acquérir pour pouvoir les trouver. Loin de lui l'idée de s'en plaindre, mais il s'en trouvait quand même fatigué, au et à mesure que le temps passait. Seth lui avait donné un avant goût de ce qui allait bientôt arriver, une vision rapide des prochaines années et Devaraj savait parfaitement bien que son Roi ne se trompait jamais dans ses pressentiments, ni dans ses réflexions. Cela n'allait pas être de tout repos. Avant que le Chaos revienne, il lui fallait une pause, un petit retour dans le passé quand il était encore insouciant. Perdu dans ses pensées, le chaman s'était arrêté sans même s'en rendre compte. Observant la pénombre autour de lui, il finit par humer l'air. Un grand sourire étira ses lèvres et il referma ses yeux. "Ça sent la Mort." se dit-il à lui-même. Il était maintenant bien trop habitué à l'odeur putride pour pouvoir la confondre avec une autre senteur. L'odeur d'un cadavre, qui est mort au moins depuis plusieurs jours. Une odeur si caractéristique des sacrifices de sa tribu, qu'il s'en sentit nostalgique et tomba dans des souvenirs mélancoliques.

Ce fut une brusque main sur son épaule qui le tira plutôt violemment de sa rêverie. Sursautant, Devaraj rouvrit les yeux et se retourna, frôlant la crise cardiaque et manquant de tomber sous le coup. Écarquillant les yeux, il dévisagea de haut en bas son compère. "Zane... Je m'attendais pas à te voir ici... Quoique... C'est pas très surprenant non plus d'un autre côté." bredouilla-t-il en se remettant peu à peu de ses émotions. "Tu m'as fais peur, bougre d'imbécile." Il rigola, ce qui produisit un écho des plus étranges. On aurait dit les cris d'un singe possédé par quelque esprit maléfique. "Ce que je fais ici ? Regarde ce magnifique lieu ! Je suis en vacances mon cher !" déclara-t-il, pointant du doigt les murs alentours et la pénombre. Murs qui leurs renvoyaient leurs voix déformées par l'écho. Reprenant son sérieux, Devaraj sembla se souvenir de quelque chose. "Hum non en fait je crois que je suis venu ici pour vendre des herbes à un certain Ra's. J'ai demandé à ce qu'on l'appelle quand j'ai découvert en l'attendant, un alléchant portique avec des marches qui descendaient. Tu comprend bien que je n'allais pas rester planté devant sans rien faire. Du coup il attendra que j'ai fini mon exploration, je pense. " expliqua-t-il, l'air pensif.

"Et je te signale que mon esprit et mon âme se portent très bien, contrairement à toi peut-être. Tellement bien que je suis capable de partager ma tête et mon corps avec n'importe quel autre esprit maintenant." se vanta-t-il, en pointant du doigt Khaal qui se tenait à côté, tel une statue de pierre. Il sourit. Effectivement, c'était vrai, pour le meilleur comme pour le pire. Contrairement à ses débuts houleux, il avait maintenant réellement un pied dans le monde des vivants et l'autre dans celui des morts, ce qui le rendait encore plus étrange pour un individu non connaisseur. Encore plus souvent qu'avant, il lui arrivait de passer quasiment complètement dans l'un des deux côtés, ce qui pouvait s'apparenter à de longs moments d'absence mentale ou au contraire, à des coups de sang monumentaux. On pourrait presque le croire bipolaire...

"Et toi l'Ami, tu fais ta promenade matinale ? Tu cherches des fleurs pour ton amante ?" se moqua-t-il un peu, avant de hausser les épaules. En fait, il se fichait totalement des raisons du démons. Le chaman était juste content de cette étonnante retrouvaille. "Je ne pense pas qu'on trouve un champ de pâquerettes par ici. Tu devras peut-être te contenter d'asticots..." rajouta-t-il en s'avançant vers la source de l'odeur, jusqu'à arriver devant une porte en bois, qu'il poussa légèrement. Cette dernière s'ouvrit dans un fracas peu discret, leur laisser le loisir de découvrir une scène remarquable. La pièce était faiblement éclairée par un lumignon blanc. A l'intérieur se trouvait quatre tables avec des cadavres sur chacune d'entre elle et contre les murs se tenaient des armoires chargées de bocaux et ustensiles divers. "Tu vois ? Je t'avais dis qu'on trouverait des asticots."

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"Allié, vraiment ? Ne vend pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué !" se moqua légèrement Devaraj. Après tout, ils ne connaissaient rien des réelles intentions du responsable de cette scène singulière, excepté qu'il aimait beaucoup la dissection en tout genre. Intrigué par les paroles de son ami, le chaman se rapprocha alors lui aussi pour inspecter chaque cadavre. "Hum... Ça lui aurait sûrement plu..." grommela-t-il pour lui-même, pensant à son compagnon Jiang-Li et à ses drôles de goûts médicinaux.. Du coin de l'oeil, il reconnut sans soucis un de ses congénères qui pourrissait sur un des lits et se pencha dessus en fronçant les sourcils. "Déjà que l'on est pas beaucoup alors que notre tâche est immense, si certains se sont avoir dans des pièges pareils on est pas sorti de l'auberge..." se plaignit-il d'un ton fataliste et un peu triste. Les chamans, c'était un peu sa grande famille à lui, alors il n'appréciait pas forcement qu'on touche à l'un des siens. "Même en tuant la totalité de ma race, je ne pense pas qu'un ignorant puisse saisir nos secrets." Rigolant méchamment, il mit la main sur le front de la victime tout en prononçant une rapide prière pour que son esprit soit en paix.

A peine avait-il fini qu'un nuage les aveugla et qu'une voix retentit dans le laboratoire. D’abord surpris, Devaraj finit par exploser de rire en voyant la situation. "Ce que l'on fait ? Moi, j'ai drôlement envie d'attraper ce coquin, pour commencer." Et, accessoirement, il avait aussi une petite envie de lui exploser la tête pour avoir tué un ou plusieurs autres chamans. Mais ce n'était qu'un détail. Avant de le faire, Devaraj avait bien l'intention de s'amuser correctement et de profiter en maximum de ces vacances. Alors qu'il s'apprêtait à attraper une clef au hasard, Khaal l'interrompit brusquement. "Bordel de m*rde ! " Comme ce n'était absolument pas dans les habitudes de l'ancienne alfar de se mettre à jurer en perdant son sang-froid, le chaman s'arrêta net pour regarder son esprit compagnon avec des yeux ronds. Ovales qui s'arrondirent encore plus quand il leva les yeux au plafond, suivant le regard de l'esprit. "Oh nom d'une pipe !" cria-t-il alors, sans prévenir.

En haut, près de la voûte, une centaine d'esprits qui se terraient le plus haut possible, dans la pénombre, sûrement résultat des nombreuses expériences qui avaient eut lieu ici. La plupart étaient immobiles, prostrés, recroquevillés sur eux-même, comme s'ils ne s'étaient pas encore rendu compte qu'ils étaient à nouveau libre de bouger. Voyant leur multitude et se rendant compte qu'il ne pouvait même pas espérer les compter, le chaman en perdit lui aussi tout son calme. C'était la première fois de sa vie qu'il en voyait autant ! Même sur les champs de batailles il n'y avait pas tant d'âmes désespérées. "ZANE ! Regarde ! Là-haut ! Enfin non tu peux pas voir mais..." Il fit une pause, ayant du mal à contenir son excitation et posa une main sur l'épaule de son ami. "Je peux te les faire entendre !" annonça-t-il. Et dans un geste théâtral, il utilisa sa magie pour dévoiler au monde des vivants le concert de plaintes, cris, pleurs et hurlements qui résultaient de l'amas d'esprits torturés. "Comment ai-je pu ne pas les entendre dès le début ?" Même s'il s'était concentré sur les cadavres devant eux, c'était quasiment impossible de rater un tintamarre pareil. "Je deviens sourd Zane, c'est grave  ! Ou alors je suis devenu tellement habitué à ce son que je ne l'entend plus ? Aah..." Il soupira.
Puis, tout naturellement, il essaya de communiquer avec les défunts, même si, à vue de nez, ils étaient tous fous. C'était habituel ça aussi, de rencontrer des esprits tordus. Quand on a l'éternité pour plonger dans la démence, tout devient beaucoup plus extrême, surtout quand le regret ou la vengeance viennent ronger nos pensées. Par conséquent, il y avait beaucoup plus de psychopathes chez les morts que chez les vivants.  Seulement, Devaraj avait beau s’époumoner, il n'obtenu aucun résultat. Totalement consterné par ce cuisant échec, il fronça les sourcils, observant la masse d'esprits. "Ils sont enfermés dans leur propre douleur. Je ne sais même pas s'ils ont conscience d'être mort... Les méthodes utilisées par ce sorcier ne doivent pas être comme les autres." finit-il par déclarer, un peu déçu. Il ne pouvait rien faire pour ceux-là. Même s'il était presque près à décimer la terre entière pour exhausser le vœux d'un seul esprit, si on ne lui demandait pas de l'aide il ne pouvait pas faire de miracle !

Bientôt lassé du spectacle, le chaman détourna la tête. "Revenons à nos moutons... Je te propose de nous séparer. Toi tu prend les clefs et moi... moi je passe à travers les murs ! " Il rigola, réalisant qu'il avait ici la parfaite occasion de s'entraîner à maîtriser un autre de ses pouvoirs. Un sourire au coin des lèvres, il ferma les yeux pour se concentrer. "Bon du coup, je te laisse la garde de mon corps. Enfin comme je suis quasiment certain que tu seras tenté de faire des trous dedans juste pour voir, je vais quand même prendre des précautions. " murmura-t-il, avant de retomber dans le silence. Se focalisant sur les fluxs magiques qui le parcouraient, il sépara son esprit de son corps. Ce dernier retomba brutalement par terre, soudainement vide de toute forme de vie. Devaraj quand à lui, flottait dans l'air, invisible. Il ordonna à Khaal d'occuper son corps à sa place et disparut rapidement, traversant les murs, exprimant en criant son allegresse. Cris, qui ne pouvaient pas être entendus des vivants.

Khaal soupira, puis s’exécuta docilement. Quelque part, elle était honorée et contente que le chaman lui fasse autant confiance. Le corps du chaman reprit donc vie. Elle se releva et dévisagea le démon de haut en bas. Morte ou vivante, dans son corps originel ou non, elle était toujours aussi aimable qu'une pierre tombale. Légèrement méprisante, elle s'empara de force d'un des trousseaux de clefs et tourna les talons, évitant le plus possible d'écouter ou de regarder les autres esprits au dessus-d'eux. Contrairement au chaman, elle était particulièrement sensible au désespoir de ses confrères décédés."Dépêchons-nous." articula-t-elle avec la voix du chaman, froidement.

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Quelle sensation enivrante que de pouvoir s'affranchir de toutes limites physiques ! Le chaman avait parfois hâte de mourir, pour pouvoir profiter de cette forme éthérée pour l'éternité. La connaissance devenait soudainement beaucoup plus accessible une fois débarrassé de la fatigue, de la faim, des portes fermées et des murs infranchissables. Mais malheureusement, ici l'heure n'était pas aux divagations... Son pouvoir ne lui permettait de rester ainsi que très peu de temps, pas plus de cinq minutes. De plus, même si Khaal occupait son corps, il n'était pas certain que l'alfar sache se battre si besoin et il pourrait se faire tuer sans même s'en rendre compte ! Bon, en soit ce n'était pas un drame de mourir. Aux yeux du chaman il s'agissait plutôt de descendre d'une charrette pour monter dans une autre. Mais par contre il aurait bien aimé garder son enveloppe corporelle un petit moment, au moins pour avoir le temps de "féliciter" cet ingrat sorcier pour avoir bafouer l'honneur des chamans. Traversant murs et sols au pur hasard, il chercha une quelconque trace de son ennemi, un indice, n'importe quoi qui pourrait lui en dire plus. Au bout de deux minutes, il se retrouva dans ce qui ressemblait à un cagibi rempli de citrouilles géantes. Ne comprenant pas la présence de tels végétaux dans une prison, il écarquilla les yeux. "C'est pour nourrir les cobayes... " murmura alors une voix insidieuse derrière lui. Tournant vivement les yeux, Devaraj aperçut une main qui venait de abattre sur son épaule. "AAH !" hurla-t-il, avant de se rendre compte qu'il n'était plus tangible ni visible puisqu'il était un esprit. Un peu gêné par sa soudaine débilité, le chaman se racla la gorge. "Excusez-moi. Habitude de vivant. Z'êtes qui au fait ?" demanda-t-il en se retournant. "Comment vous avez fait pour me voir ?" Rares étaient les personnes autres qu'un chaman à pouvoir communiquer avec les esprits. En plus, ce visage lui  disait vaguement quelque chose. "Moi ? Je me nomme Pipiou, aux dernières nouvelles. Oh mais j'y pense... Puisque tu peux voir les morts, tu as vu ma jolie collection personnelle ? Elle est mignonne hein ? Oh oui, avoues ! Ahahaha ! Oh ! Et au fait... Tu m'autorises à m'amuser avec ton corps ? Ton copain et ceux que j'ai tué avant, ils étaient pas très très drôle... Peut-être que tu seras plus doué qu'eux dans ce domaine ? Tu sais, j'ai du talent pour la peinture moi-aussi, je prendrais soin de décorer tes os. Non ? Tu veux pas ? Pourquoi ? Tu as peur de la mort ? Tu sais il ne faut pas... Je ne te laisserais atteindre ce processus dégradant qu'après de longues journées d'observations, tu n'as pas de soucis à te faire. La vie, la mort, à quoi ça rime ses stupidités ?!  Quand on sait faire des zombies, cela n'a plus aucune importance. Hm ? Ah. Il est parti. Décidément les chamans ont un manque de politesse tout à fait affligeant.... et une susceptibilité effrayante."

"Je suis très calme." Khaal haussa les épaules. En réalité elle était hautement agacé par la présence de ce qu'elle estimait être un abruti à ses côtés. Elle suivit plus ou moins le démon, à contre-coeur. L'important c'était de garder le corps du chaman en bonne santé finalement, peu importe le reste. Cela-dit elle ne put s'empêcher de lancer un regard accusateur à Zane quand elle vit dans quel pétrin le démon les avait mit. "Laisse-moi deviner, tu es fier de toi c'est ça ?" Elle s’apprêtait à continuer sur une lancée de reproches en tous genres, quand l'esprit de Devaraj débarqua dans la pièce. En quelques secondes, chacun avait reprit sa place. Cela n'empêcha bien sûr pas l'alfar de déverser son venin, même si le concerné ne pouvait plus l'entendre. Devaraj quand à lui, s'empara très violemment de son bâton. "Khaal !! Tu te tais et tu...tu... Oh." Ses joues s'empourprèrent. Dans sa colère, le chaman n'arrivait plus très bien à aligner ses mots. Il n'avait pas l'habitude d'être dans un tel état et c'était assez compliqué pour se contrôler. La dernière, et première fois que c'était arrivé, c'était quand un ignorant avait jeté la honte sur son roi et ça c'était terminé en sacrifice humain pour laver l'honneur des Aetheri... Enfin, ses souvenirs n'étaient pas très clairs pour le coup. "Je..." Il se força à respirer très lentement, même si ça ne le calma pas pour autant. Pourtant il savait que c'était exactement ce que cherchait son ennemi et qu'il était en train de rentrer dans son jeu, il le savait, que c'est pas bien et qu'il se faisait manipuler ! Mais c'était plus fort que lui. Il n'y avait qu'un seul endroit où il fallait appuyer pour que ça fasse mal et le sorcier l'avait parfaitement trouvé. Ce ne fut qu'après avoir ressentit une vive douleur au bras que Devaraj se rendit compte qu'ils étaient en plein combat contre une série de prisonniers. Mais comme la priorité du chaman était plus que tout d'étriper le sorcier responsable de cette scène, il décida de tous les exterminer sans attendre.

Bien sûr ce fut plus facile à dire qu'à faire. Rien que par la supériorité numérique de l'ennemi, l'entreprise se révélait déjà périlleuse. Mais qu'à cela ne tienne. Perdre un membre ou deux n'importait plus vraiment au chaman, du moment qu'il lui restait assez de vie après pour atteindre son but. Il fusionna donc avec Khaal, esquivant au plus possible et se servant de tous les coups fourbes qu'il avait pu apprendre de ses expériences passées sur les champs de batailles. Quand enfin, cet obstacle immonde fut éliminé, Devaraj souffla une demie-seconde, avant de marcher à grands pas vers le démon pour l'empoigner par le col et témoigner à son ami de ce qu'il avait vu et entendu. "Zane ! C'est PIPIOU ! Il a dit que la Mort était dégradante ! LA MORT ! Tu te rends compte un peu de... de l'insulte !?" cria-t-il alors en le secouant comme un prunier. Sa force n'était pas du tout signifiante mais il avait besoin d’extérioriser sa détresse sur quelque chose ou quelqu'un. Malgré toutes ses expériences, il n'avait encore jamais réussi à contrôler ce sentiment dévastateur qu'était la rage et qu'il trouvait au fond de lui assez effrayant. "Devaraj..." Khaal grimaça. Pour elle, c'était mauvais signe de le voir dans un état pareil. Elle se sentait impuissante et inutile, et c'était détestable. Au final, elle appréciait quand même le chaman, un peu à l'image d'une maman poule. Le voir sombrer n'était pas dans sa volonté.

"Oh. On s'amuse sans moi ? C'est cruel mon cher." Une deuxième forme bleutée traversa le mur, un joli sourire chaotique peint sur les lèvres. Le fantôme observa les alentours.  "Slanguen ! Tu nous as suivis ?!" Khaal serra les dents. Voir arriver Slanguen, qu'elle estimait être un dangereux rival et un gros danger pour le chaman était encore moins dans ses volontés. L'intéressé haussa les épaules. Son attention était surtout concentrée sur la folie qui brillait dans les yeux de son chaman et qu'il trouvait absolument fascinante. Puis il rit mentalement. Une visite dans une prison de sorciers ? Ces abrutis n'allaient quand même pas croire que lui, anciennement membre d'une des plus éminentes familles de sorciers au monde, allait rester à la maison les bras croisés ?! Certes, c'était risqué de venir ici car quelqu'un pourrait le reconnaître et démasquer son identité cachée. Mais d'un autre côté, c'était aussi l'occasion et le lieu idéal pour apprendre plus d'informations et mettre au point sa vengeance... "Retourne à Drosera l'alfar. Tu risquerais d'être blessée si tu restes ici non ? Je parle de ta santé mentale bien sûr." déclara-t-il calmement prenant bien soin de n'être entendue que par Khaal. Dans un rire tonitruant, il rejoignit le chaman. A lui la place. Seulement lui. Devaraj quant à lui, s'était un tout petit peu calmé. Il arrêta de secouer Zane en reconnaissant son deuxième esprit compagnon. "Slanguen ! Tu..." Il fit de grands gestes un peu inutiles, ne terminant pas sa phrase. Quelque part, il était heureux de le revoir ici. C'était soulageant. Slanguen était toujours là quand les choses n'allaient plus. "Tout va bien. On va le tuer et retrouver notre calme, hein ?" L'esprit sourit. Une grimace mauvaise, pleine de mensonges, pour qui savait y voir. Oui, Devaraj allait retrouver son calme. Mais avant cela, l'esprit allait se faire un plaisir de lui faire franchir un nouveau pas vers la folie, vers le déséquilibre et la fragilité mentale. Après tout, lui aussi voulait participer à cette expérimentation, car lui aussi était un sorcier.

"D'accord." Un faible sourire éclaira les lèvres du chaman. Il était toujours en colère mais il avait retrouvé un peu de lucidité. Cependant, quelque n'allait plus dans son corps cette fois-ci. Il avait certes mal à l'avant-bras à cause de leur premier combat, mais une autre sensation venait petit à petit s'insinuait en lui. "Désolé. Je me suis un peu emporté, c'est assez indigne. Cela dit je vais quand même lui arracher la tête quand nous le trouverons ! Mais par contre là je me sens un peu... bizarre." A peine avait-il finit sa phrase qu'il s'écroula par terre, inconscient. La lame qui l'avait blessé était empoisonnée.

"Hngmr..." Une sorte de grognement incompréhensible s'échappa des lèvres du chamans, qui ne réagissait pas vraiment au bon traitement qu'on lui infligeait. Fort heureusement, son envolée gracieuse vers un des murs de la Prison, et surtout l'impact du coup le sortirent suffisamment de sa torpeur pour qu'il retrouve ses esprits, ramené à la réalité par la douleur. Son premier réflexe fut de penser la tête pour dégurgiter tout ce qu'il avait dans son estomac, prit de violent spasmes. Il lui fallu plusieurs secondes pour réaliser que Zane avait disparu et que surtout que les deux murs semblaient bouger pour se rapprocher l'un de l'autre. Ne comprenant plus vraiment la situation, le chaman dut se fier à son instinct de survie, qui était... inexistant. C'était un fait, il était trop perché pour s'embêter avec des concepts étranges et inutiles comme la prudence ou encore la précaution. Etre prévoyant ? Pfft, quel intérêt de s'entraver avec de pareilles chaînes ? "Désespérant." Khaal leva les yeux au ciel, d'un air impuissant, tout simplement consternée par l'incapacité du chaman. Fronçant les sourcils, Devaraj sortit de ses pensées nébuleuses et s'adossa au mur, poussé vers l'avant. "Oh ça va hein..." grommela-t-il. "Je constate que même après toutes ces années tu es toujours aussi con pour te foutre dans des pétrins pareils, c'est tout. Je rajouterais que sans moi tu serais déjà mort une centaine de fois d'ailleurs. Bon maintenant tu te magnes !" Un rire nerveux s'échappa des lèvres du chaman. Elle avait raison, mais il ne voyait pas l’intérêt d'en faire tout un plat. Sa sagesse lui avait servi de nombreuses fois, bien que depuis qu'il avait accepté l'arrivée de Slanguen, Khaal se montrait moins agréable et plus radine en conseils. Puis pour le moment, il n'était pas apte à s'embarquer dans un débat sans fin. "Et sans toi, nos journées seraient moins mornes, surtout. Tu ne veux jamais prendre de risque." glissa Slanguen, pas vraiment perturbé par la situation. "Il y a une fenêtre la haut." remarqua-t-il enfin, comme s'il s'agissait d'un détail anodin.

"Voilà au moins une remarque utile." Le chaman n'avait plus vraiment le temps de s'enfuir par le couloir. Il ne se fit pas prier pour grimper sur le mur et se glisser par la dite fenêtre, juste à temps avant que les murs se rencontrent. Cette opération lui coûta ses dernières forces et il s'écroula comme une crêpe de l'autre côté, rejoint par les deux esprits. Le corps tout mou, il bougea quand même et se força à ramper vers l'avant, refusant de s'avouer vaincu par un simple poison. Sa main rencontra une fiole poussiéreuse, suivie d'une deuxième, suivie d'une troisième. En deux minutes, il avait rassemblé une dizaine de fioles. "Devaraj ! Tu ne pense quand m-" Le chaman enleva le bouchon de la première fiole. "Tais-toi. Tu es agaçante. J'préfère crever en buvant un truc non identifié que crever en restant passif contre un mur. Au moins c'est plus amusant." Sa vision se faisait un peu floue donc il n'arrivait pas à lire les étiquettes à moitié effacées, mais si ça se trouve il était tombé sur un antipoison ou une boisson régénérante. Et puis dans le cas contraire, il ne voyait toujours pas de raison pour ne pas essayer. Le meilleur moyen pour savoir de quoi il s'agissait, c'était de le boire. "La troisième pourrait peut-être marcher..." glissa malicieusement Slanguen, qui lui, avait observé de près les petites bouteilles. "Comment tu sais ça toi ?" Khaal était à bout. "Je suis au moins cent ans plus vieux que toi. Je connais donc cent fois plus choses, voilà qui règle le problème. Observes en silence, l'Alfar." répondit l'esprit en déviant la question. La réalité était que n'importe quel sorcier connaissait les potions de base, mais ça, il n'avait pas envie de le dévoiler. "La troisième ? Soit. Mais comme je n'aimes pas ne rien laisser au hasard, je vais aussi boire la quatrième pour voir ! " Sur ces mots, le chaman s'exécuta. Un rire caverneux s'échappa des lèvres de Slanguen. La spontanéité et l'esprit d'initiative du chaman ne cesseront jamais de l'étonner. Khaal poussa un soupir et s'éloigna, fatiguée de devoir se coltiner des imbéciles.

Le goût ne valait pas une bonne pinte de bière, mais il n'allait pas s'en plaindre. Le premier effet que ressentit Devaraj fut une forte montée de chaleur. Il se sentait un peu mieux et plus vivace. Cela lui permit de se relever et de constater au passage que la porte de la pièce était brisée en mille morceaux... Étrange. Le chaman n'avait pas récupéré toute sa forme, mais c'était suffisant pour lui permettre de sortir d'ici et pour aller botter le cul de ce sorcier ! Il récupéra son sac et sortit dans un nouveau couloir, avec toujours cette sensation de chaleur, qui finit néanmoins par se dissiper. "Devaraj... Je crois que..." Fronçant les sourcils, le chaman se retourna vers Khaal. "Quoi encore ?" A sa vue, l'alfar se plia en deux, suivie de près par Slanguen, qui était mort de rire. "Non mais regardes-toi !!" Consterné, le chaman haussa un sourcil, surprit que Khaal ait retrouvé sa bonne humeur aussi vite. "Hum ? Oui et bah qu-..." Il s'interrompit, baissant la tête pour regarder sa poitrine. "Oh." Admirant sa nouvelle belle paire de seins, le chaman blêmit en constatant qu'il était vraiment devenu une femme, même sa voix avait changé ! Il passa quelques minutes à profiter de cette nouvelle forme en s'observant sous toutes les coutures, avant de hausser les épaules. Du moment qu'il avait conservé ses pouvoirs, il se fichait bien d'être un homme ou une femme. Pour le moment, tout ce qui lui importait était de tuer une certaine personne. Le chaman s'avança dans le couloir, apercevant au loin devant une grosse masse qui bougeait.

"Oh." Le chaman, temporairement devenue femme, haussa un sourcil en voyant la Chose énorme arriver vers lui. Au lieu de s'écarter ou de s'enfuir, il resta planté en plein milieu du couloir, contemplant toujours la bête avec une vague lueur admirative dans les yeux. Sa beauté était loin d'arriver à la cheville de celle du Titan de Feu, mais il fallait avouer que le spectacle était quand même impressionnant. En vérité, son esprit était quelque peu bouleversé par cette suite d'événements un peu trop rapides et il avait du mal à réagir. Quand il vit la barre d'acier arriver il eut enfin la présence d'esprit de s'écarter, juste à temps. L'arme en question alla se planter dans un ennemi derrière lui. Fallait-il en déduire que la Chose était un allié ? Fronçant les sourcils, il tenta de se détacher de l'emprise du monstre. "Je... Zane ?" Devinant qu'il s'agissait bel et bien de son ami, le chaman étouffa un soupir consterné. "Désirable ? Humm tu n'es pas trop moche pour un monstre." jugea-t-il alors. Il se laissa porter comme une poupée, notant au passage qu'il était à moitié nu depuis qu'il avait frolé la barre d'acier. Ce fut une information qui entra dans sa tête pour en ressortir aussitôt. Les chamans n'étaient pas vraiment connus pour leur pudeur et il se fichait bien de l'état de ses vêtements. "En tout cas c'est très amusant comme moyen de transport !" remarqua-t-il en hurlant. "Et je te signales que c'est moi qui doit le tuer ! Pas toi ! Si tu n'es pas d'accord on n'a qu'à régler ça au hasard avec un pierre feuille ciseau !" cria-t-il encore avec une petite voix fluette quelque peu hystérique. "Tu m'entends Zane ?! Je te casse la gueule si tu me prend ma cible !!" Il semblerait que la potion ai aussi eut des effets sur son caractère, ou bien que la frénésie de son camarade soit contagieuse. Pendant que le chaman hurlait, il se sentit soudainement... lancé en l'air. "BORDEL !"

L'atterrissage ne fut pas des plus réussi. Il percuta le sorcier en plein fouet et les deux corps finirent leurs courses contre le mur. Néanmoins, ce fut le chaman qui réagit le premier, se sentant soudainement très... surexcité. Il fusionna avec Khaal et se rendit invisible pendant quelques secondes, avant de fondre par surprise sur le sorcier, le faisant brutalement trébucher au sol. Puis il attrapa Spectrale et fonça pour frapper. "Sale chien !" Mais leur ennemi se défendit lui aussi. Souriant pleinement le sorcier esquiva prestement tout en ouvrant un portail de téléportation pile à l'endroit où il était avant. Deux secondes plus tard, le chaman se retrouva enfermé dans une espèce de bulle rose. "Ah mais c'est quoi cette m*rde !" ragea-t-il en tapant du pied, tentant de traverser la bulle, sans effet. En prison dans une prison ! Si c'était pas un comble ça ! A travers la paroi, il pouvait apercevoir la pièce vue de haut, avec Zane transformé en monstre et ce fichu sorcier. Ce dernier lui fit un rapide clin d'oeil, avant de claquer des doigts. "Bon voyage." Comme s'il venait de déclencher un grand mécanisme magique, la bulle se mit alors à faire le tour de la pièce de façon la plus illogique possible, tournant sur elle-même et faisant des allez-retour tantôt très rapidement tantôt très lentement... de quoi donner le tournis à n'importe qui. Le chaman n'y échappa d'ailleurs pas et finit par se fâcher tout rouge. A deux doigts de s'évanouir, il concentra toute sa magie, sa force, sa colère, bref tout ce qu'il avait dans son bâton et frappa durement le sol de sa prison.

Sous le choc, la paroi se brisa, laissant tomber Devaraj au sol. Ce dernier s'en retrouva encore plus colérique, tremblant de nervosité et serrant les poings jusqu'à ce que ses doigts deviennent blancs. Cela dit, la volonté ne fait pas tout et son corps commençait à crier martyr. Entre le précédent poison, ses diverses chutes, sa blessure au bras et les effets bizarres de cette potion, il se sentait un peu tout raplaplapla. Mais comme il n'était pas du genre à abandonner, surtout quand il s'agissait de faire justice à sa race, il se releva tant bien que mal. "Pour reprendre notre discussion de tout à l'heure, je viens de me rendre compte que je n'ai pas eut le temps de te dire à quel point tes précédents congénères étaient d'une médiocrité pitoyable ? Aussi fragiles qu'une brindille d'herbe ! Ça fait pitié ahaha !" Le Sorcier lui fit son plus beau sourire pendant que le visage du chaman prenait une teinte de plus en plus blanche doublée de yeux totalement exorbités.

"Je..." Devaraj ne finit pas sa phrase. Un grand soupir d'exaspération franchit ses lèvres et il se laissa choir au sol, regardant attentivement le spectacle en face de lui. Un éclair de sagesse toucha son esprit et il se dit que c'était plus profitable pour lui de se reposer un moment pendant que Zane affaiblissait l'adversaire. Il se devait de laisser son corps faire une pause sous peine de devenir encore plus inutile qu'il ne l'était déjà. "Ton ami ne se débrouille pas si mal que ça... " murmura Slanguen de sa voix toujours aussi caverneuse. Cela dit, il trouvait le démon un peu trop intelligent à son goût, bien que l'énergumène soit aussi jeté que Devaraj, voir plus. Sa remarque fit rire le chaman. "Bah ! Tu croyais quoi ?!" Il grimaça. Rire lui faisait mal. Chaque geste engendrait une douleur piquante, comme si ses muscles refusaient de fonctionner correctement. C'était sûrement un des effets secondaires de la potion qu'il avait ingurgité, ou du précédent poison. Il soupira et se tut, regardant attentivement ce qu'il se passait autour. Dès que le sorcier montrera une quelconque ouverture ou faiblesse, le chaman comptait bien en profiter au maximum pour reprendre l'avantage. Il était hors de question qu'il reste vaincu, étalé sur le sol sans aucune dignité ! Que penseraient les Aetheri de lui s'ils le voyaient dans un état pareil ? Voilà pourquoi quand il vit le sorcier se prendre un grand coup pour atterrir juste à côté de lui, il remercia mentalement Zane pour cette excellente opportunité et se jeta sur son ennemi avec pour glorieux projet de l'étrangler de ses propres mains.

Néanmoins, son projet ne se déroula pas tout à fait comme prévu. Il fut aveuglé un instant par un éclat de lueur noire et quand il rouvrit les yeux, ils étaient, lui et le sorcier, dans un tout autre endroit. Aucune trace de Zane. Devaraj reconnu la pièce avec toutes les potions où ils étaient allés précédemment. "Si vous croyez vous en sortir aussi bien après avoir détruit la moitié de mon laboratoire, vous vous trompez fermement, manants !" Le chaman sursauta et se retourna brusquement. Le sorcier avait profité de sa surprise pour se détacher de son emprise et s'éloigner vivement. Un sourire sournois éclairait son visage désagréable à souhait. "Mais d'abord, je vais prendre le temps de te ridiculiser, toi !" Il agita bizarrement ses doigts, formant avec dextérité un motif inconnu. Une petite lueur bleue s'en échappa, puis... plus rien. Devaraj fronça les sourcils et lui lança un regard noir de reproches, de haine, de colère. La vue de ce sourire triomphant et moqueur lui insupportait plus que tout. "Tu... Je vais te chaman en chaman, espèce de chaman ! CHAMAN !" s'exclama-t-il en s'appuyant sur une table pour se relever. Oh mais attendez... Il ouvrit la bouche, surprit. "Qu'est-ce-que chaman chaman ?" Hein ? Quoi ? Qu'est-ce-qu'il venait de dire ? Pourquoi ses paroles ne coïncidaient-elles plus avec ses pensées ?! Il porta sa main à sa bouche et pointa le sorcier d'un doigt accusateur. "Toi ! Tu m'as chaman un chaman !" hurla-t-il avec sa voix de fillette hystérique. Il devint tout rouge. Un sort ! Cet enfoiré lui avait lancé un mauvais sort ! Qui d'autre aurait pu être le responsable de cette mascarade qui lui faisait remplacer la majorité de ses mots par le nom de sa chère race ?! "Je te chaman !" Qu'il soit maudit ! Lui et toute cette Prison ! Un frisson de colère le parcourut à la vue du sorcier qui se tordait de rire, quelques mètres plus loin. C'en était trop ! Encore un peu plus et il deviendrait fou furieux. A moins qu'il ne le soit pas déjà ? Il fusionna avec Slanguen et se jeta sur cet abruti de toutes ses forces, roulant à terre avec lui. Puis il se tortilla dans tous les sens et fit tout pour le garder au sol. De rage, il enfonça ses doigts dans les yeux du sorcier, lui cracha dessus, lui tira les cheveux, lui tordit le bras et essaya de l'étrangler avec un morceau de ses vêtements. Ils étaient là, en train de rouler l'un sur l'autre au sol en hurlant et grognant dans la poussière.

Plus aucun mot ne sortait de sa bouche. Il se contentait de serrer fortement ses lèvres dans un rictus haineux et fébrile. Celui qui tuera l'autre en premier aura gagné, tout simplement. Sa vision devint floue. Il ne savait plus vraiment ce qu'il se passait. Cela n'avait plus d'importance, tout ce qui comptait, c'était de le tuer, de briser ce faible cou qu'il tenait entre ses mains, de l'entendre craquer sous ses dents, de voir la vie quitter ses yeux répugnants. Il ne savait pas d'où venait cette haine étouffante et brûlante, qui s'emparait de son être tout entier pour n'en laisser qu'un homme fou de rage. Le chaman étouffa un grognement. Cette sensation était effrayante et inquiétante, mais pourtant si excitante qu'il en trembla de la tête aux pieds. On aurait pu lui enfoncer un couteau dans l'estomac qu'il ne s'en serait pas rendu compte. En transe totale, il resserra ses mains le plus possible, cognant plusieurs fois la tête du Sorcier contre le sol et se délectant à la vue du sang coulant, totalement inconscient de ce qu'il faisait. Ce ne fut que quand Zane le sépara de son ennemi, qu'il revint quelque peu à la réalité. Le visage couvert de sueur et à court de souffle, il jeta un regard au corps du Sorcier qui ne bougeait plus.

"Dans mes souvenirs, l'acte sexuel était beaucoup plus sensuel et plaisant..." grogna-t-il en se relevant. Il donna un coup de pied dans le corps inconscient du sorcier, manquant de s'écrouler lui-même par terre. "En fait chui désolé je crois qu'il est mort." déclara le chaman, avec un sourire vide de toute excuse. "Mais vous pouvez quand même découper son corps en morceau, c'est toujours amusant..." Un rire moqueur s'échappa de ses lèvres. Il cracha une dernière fois sur le cadavre en guise d'adieu et fronça les sourcils. Celui-là ne méritait pas l'honneur de connaître la Mort, c'était regrettable de l'avoir tué finalement. Il aurait du le garder pour le torturer pour la Vie. Mais malheureusement, il contrôlait encore très mal ses émotions. Il se promis silencieusement de ne plus faire la même erreur. Ce serait honteux que les Aetheri soient en colère contre lui. Il soupira et tourna les talons, jetant un coup d’œil à l'oeuvre de Zane. "C'est une bonne idée d'avoir jeter les corps. Peut-être que leurs esprits pourront ainsi chercher l'Au-Delà en paix." murmura-t-il en se penchant dangereusement vers la crevasse. Il se doutait bien que le démon n'avait absolument pas fait ça pour les esprits, mais c'était quand même une bonne nouvelle et soulagement pour le chaman.

"Partons d'ici, je crois qu'on a vu tout ce qu'il avait d'intéressant." De plus, il se sentait trop fatigué pour passer le reste de la nuit ici. Ce n'était pas tous les jours qu'on lui donnait l'occasion de vivre autant d'émotions contraires en aussi peu de temps et il n'allait pas s'en plaindre. Entre-temps, il avait retrouvé sa vraie forme et voix. Il se palpa le corps, avant d'étouffer un soupir de soulagement. "Je me préfère comme ça quand même." Le chaman ramassa ses affaires et se remit en marche, à la façon d'un vieux courbaturé. Il retrouva l'escalier de départ et commença à le monter, croisant de tant à autres des sorciers attirés par le bruit ou vaquant à leurs affaires. Le premier lui demanda ce qu'il faisait ici, ce à quoi le chaman répondit tout à fait naturellement "Oh. Je viens rendre visite à un cousin incarcéré. C'est pour lui rappeler à chaque fois que c'est moi qui ai assassiné ses parents. Je me dois d'entretenir sa folie, vous voyez..." Néanmoins, il ne traîna pas. Il avait encore des herbes à vendre et n'aimerait pas que tous les Sorciers de la Prison lui tombent dessus pour avoir "quelque peu dérangé" le sous-sol. "Je suis certain que l'on se retrouvera encore une autre fois. Je me demande lequel de nous deux aura tué le plus de gens avant que l'on se revoie." conclut-il d'un air de défi pour saluer correctement Zane. Il rigola et partit à la recherche de ce fameux Ra's pour lui vendre sa marchandise.