Le noir était partout. Les ténèbres avaient enveloppés le corps de la vampire lors de l'attaque des masques d'or. Son esprit était le seul élément qui fonctionnait encore, car même si elle aurait souhaité ouvrir les yeux ou même crier, elle n'y arrivait pas. L'un d'entre eux avait réussi à mettre la main sur la vampire et de lui asséner des coups suffisamment violents pour qu'elle ne puisse plus s'en relever et qu'elle en tombe même inconsciente pendant plusieurs jours. Son inconscience se transforma en un coma qui perdura près de deux bonnes semaines. Dans le flux de son inconscience, Kailyn revit dans mémoire les évènements qui s'étaient produits au rocher au clair de lune. Elle voyait la forme bestiale d'Abel accourir vers elle alors qu'elle s'effondrait tranquillement sur le sol et où son ennemi allait l'abattre avec un dernier coup d'une force surhumaine. Kailyn avait été chanceuse d'avoir été secourue par l'un des béluas qui était proche d'elle à ce moment là. Elle n'était pas sur les terres des béluas simplement pour parler à celui qu'elle aimait. Non, elle avait gagné ces terres afin d'essayer de convaincre les semblables d'Abel de l'accepter parmi eux, d'essayer d'entre en communication sans qu'ils ne veuillent l'attaquer.
Enfin son corps réagit à l'appel qu'elle lui lancait depuis longtemps déjà. Elle avait maigrit depuis le temps qu'elle était dans cet état comateux. Le sang que lui avait donné Abel l'avait certainement sauvé d'une mort certaine sur les lieux où elle s'était évanouit. Kailyn ouvrit les yeux, calmement. Elle ressentit quelques élancements au creux de son visage et quelque peu dans ses muscles puisqu'elle avait été allongée depuis trop longtemps. La vampire avait eu droit à des examens médicaux et de la magie afin de guérir peu à peu ses blessures. Les fractures avaient été longues à guérir puisque les êtres magiques possédant de la guérison qui l'avaient aidé n'étaient pas les meilleurs, mais ils avaient réussis après plusieurs séances. Elle tourna légèrement la tête afin de regarder où elle se trouvait. Elle ne reconnaissait pas trop où elle était. Elle se demandait même si c'était Abel qui l'avait amené dans cet endroit ou si c'était un autre bélua se fichant des relations diplomatiques existantes entre eux et sa race.
Kilyn essaya de parler, mais un simple râlement sortit d'entre ses lèvres. Elle se râcla la gorge. Elle réussit à faire sortir du son d'entre ses lèvres afin de parler. « - Abel? Est-ce que tu es là? » La voix de la vampire n'était pas très forte, mais assez pour que quelqu'un dans la pièce puisse l'entendre. Il fallait vraiment être sourd ou pas assez concentré pour manquer ses paroles. La vampire essayait de tourner la tête afin de voir si quelqu'un se tenait dans la chambre, ce qu'elle ne réussissait toujours pas à voir. Était-il seulement là? Était-il parti? Si oui, était-il toujours dans la région? Enfin... trop de questions se mélangeaient à l'intérieur de sa tête. « - Est-ce qu'il y a quelqu'un? » demanda-t-elle de nouveau. Elle essayait vraiment d'attirer l'attention de quelqu'un. L'angoisse commençait même à la gagner. Elle ne ressentait plus beaucoup de douleur, mais elle était suffisamment faible. Elle allait bientôt devoir boire du sang si elle souhaitait se remettre rapidement sur pied.
Cela faisait des jours que Kailyn était là, allongée sur son lit, endormie. Abel l’avait ramenée à Bois-Lune après la bataille. Par chance, l’action conjointe des loups de Bois-Lune et des renforts venus de la forêt étaient venus à bout des masques d’or avant qu’ils ne puissent ravager le village, mais cela c’était fait au prix de lourdes pertes. Plusieurs béluas avaient péri, et d’autres étaient encore blessés, coincés entre la vie et la mort. Les blessures que la vampire avait subies étaient terribles, et elles auraient probablement tué la plupart des gens qu’Abel connaissait. Ce n’était que sa robustesse, et peut-être le sang qu’il lui avait donné juste avant qu’elle ne reçoive les coups de ses ennemis, qui lui avaient permis de survivre jusqu’ici. Mais personne ne savait réellement si elle était encore là. Son cœur ne battait pas, elle ne respirait pas et son corps était froid comme la pierre. De plus, cela faisait longtemps qu’elle n’avait plus réagi ni à la voix d’Abel, ni au contact de ses mains contre ses joues. Elle semblait plongée dans un profond sommeil dont elle ne voulait pas sortir. Autour du bélua, plusieurs personnes commençaient à penser qu’elle ne reviendrait jamais, qu’elle était morte et que l’acharnement d’Abel à veiller sur ce qui ressemblait de plus en plus à un cadavre ne lui apporterait rien de bon. Dans sa tristesse, Abel avait failli arracher le visage de la Lionne qui était venue lui dire de lâcher prise et de laisser Kailyn partir en paix. Ce n’était que l’intervention d’Amarel qui avait permis au bélua de ne pas commettre l’irréparable. La dryade était d’une aide précieuse pour lui. Sa présence, à la fois discrète et rassurante, lui prouvait qu’il n’était pas le seul à espérer. Chaque fois que le regard chargé de doute et d’incompréhension du bélua se tournait vers celui de son amie, il voyait dans ses yeux le même espoir qu’il aurait voulu sentir dans son cœur. Amarel changea une fois de plus les bandages qui entouraient le corps de la vampire avec l’aide d’Abel. Elle appliqua des onguents à base de plantes contre ses plaies et revigora les branches chargées de maintenir ses os en place, avant de prononcer une courte prière à Méli. Abel joint ses mots à ceux de son amie. Kailyn ne pouvait pas mourir. N’importe qui, mais pas elle.
Saphir écarta l’un des pans de tissus qui faisaient office de porte de la cabane qu’ils occupaient. Elle apportait trois bols remplis d’un liquide coloré à l’odeur agréable, mais Abel n’avait pas le cœur à manger. Cela faisait plusieurs jours qu’il n’avait rien avalé, il n’en ressentait pas le besoin, et malgré les protestations de ses amies, il laissait toujours son repas refroidir jusqu’à ce que quelqu’un se décide à le retirer pour le donner à quelqu’un qui en aurait plus l’utilité. Abel tenait la main de Kailyn dans la sienne, sentant le contact froid de sa peau sans savoir si c’était mauvais signe ou si elle avait toujours été comme cela. Elle semblait encore plus froide en ce jour. Une nouvelle fois, comme tous les soirs, le bélua demanda à ses amies de sortir quelques instants, de le laisser seul avec elle. Il prétextait l’envie de prier la Lune pour que Saphir et Amarel acceptent de quitter le chevet de la vampire, mais la dryade avait bien remarqué les entailles qui jonchaient le bras du fils de Phoebe, et elle avait bien compris ce qu’il essayait de faire. Une nouvelle fois, quand il fut sûr d’être seul, Abel fit apparaître des griffes au bout de ses doigts et lacéra sa chair à plusieurs endroits de son bras pour faire couler un filet de sang le long de sa main, qu’il plaça au-dessus de la bouche de la vampire en l’entrouvrant légèrement. Abel ne savait bien si elle était capable de le boire, mais il fallait bien qu’il essaie quelque chose pour sauver celle qu’il aimait.
Plusieurs longues minutes s’écoulèrent jusqu’à ce que les plaies d’Abel ne cessent de saigner, mais Kailyn semblait toujours profondément endormie. Ce ne fut que plusieurs heures plus tard qu’elle sembla enfin émerger. Abel, somnolent, se réveilla sans bien savoir s’il était en train de rêver à l’issue qu’il souhaitait où s’il était bien éveillé. Le bélua mit quelques instants à réaliser qu’elle lui parlait. « Kailyn ? » Abel se pencha contre elle et caressa doucement sa joue, tâchant de ne pas faire de gestes brusques, comme s’il tenait entre ses doigts quelque chose d’infiniement fragile. « Je suis là, je suis avec toi. N’essaie pas de parler, attends… Tiens, bois doucement. » Le bélua se coupa à nouveau et porta son bras jusqu’à la bouche de la vampire. Sa main libre caressait les cheveux de la créature de la nuit, ne sachant pas à quel Aether il devait ce miracle. Dans l’encadrement de la porte apparurent Amarel et Saphir, et Abel reconnu à l’extérieur le pas pressé d’Alia, sans doute attirée par l’effusion de joie qui émanait de son ami. Toutes trois laissèrent apparaître un grand sourire en voyant le visage brillant de bonheur du bélua. Celui-ci traça un croissant de lune sur le torse de celle qu’il aimait, avant de venir coller son visage contre son corps, laissant couler des larmes qu’il retenait depuis bien trop longtemps.
