La situation actuelle : Entre désastres et carnages, les continents frémissent et se raccrochent à d’infimes brides d’espoir pour tenir. Seuls le Continent Mystérieux et l’étrange Tælora sont épargnés par les secousses et les vagues, obligeant les habitants à fuir leur demeure pour les plaines sauvages du Temple des Esprits. Vivre près des côtes n’est plus envisageable tant les vagues, immenses et violentes, frappent inlassablement les rivages. Les Masques d’Or – créatures abominables dont le visage difforme est fait dans un alliage de métal et d’or - infestent chaque contrée, meurtriers, sanguinaires ; ils continuent leur marche impitoyable et sèment la mort. Les guerres et conflits touchent leur apogée, rendant la vie insupportable aux peuples. Les propriétaires ancestraux et légitimes des statues monstrueuses que sont les Alfars marchent sur d’autres régions dans la volonté assassine d’agrandir leur empire. De nouvelles expéditions partent pour les nouvelles terres, mieux équipées et préparées. Tælora abriterait déjà une Cité, celle érigée par les Ondins dans le plus grand secret. Peu à peu, les rumeurs se rependent et les histoires se partagent. On murmure que la Dévoreuse - responsable du chaos et du désordre – et l’Architecte – créateur des Masques d’Or – sont une seule et même personne : Vanille caël Deslyce, que l’on peine à trouver pour des explications. Les ragots veulent aussi qu’elle ait volé un artefact rare et précieux, nécessitant une intervention extérieure. Il faut des réponses, pénibles à obtenir depuis que la Cité Engloutie a fermé ses portes aux étrangers.

Une pluie battante s’effondrait sur les roches grises qui bordaient les plages au sable clair. Les côtes abruptes étaient hautes, suffisamment pour être épargnées par les vagues déchaînées et leur écume assassine. Un campement de fortune avait été installé, protégeant quelques individus en armure de l’averse. D’un regard froid, presque inexpressif, ils scrutaient le littoral et les eaux peu profondes où l’on pouvait apercevoir les ombres sombres des monstruosités qui rôdaient. Seulement, ils ne cherchaient pas à décimer les bêtes des profondeurs. Elles n’avaient aucune importance malgré leur appétit insatiable. Les créatures qu’ils envisageaient de chasser et capturer étaient plus belles, plus sensuelles et plus dangereuses. « Nous ne sommes pas en position de force. » souligna un homme d’un ton sec et pincé. « Pour avoir la moindre chance de capturer l’un de ses Vampires des Mers, il faut de l’eau salée. Si nous osons les affronter sur un navire en pleine mer, elles nous décimeront et les éventuelles informations récoltées se perdront avec nos corps dans les abîmes. Nous n’avons pas le choix. Nous devons les attirer et nos possibilités sont réduites. Certes, elles ont l’avantage du terrain et contrairement à nous, se battrons pour tuer mais nous ne sommes pas des novices. Je suis certain qu’elles ne s’attendent pas à un piège. » Démon à la peau argenté et au teint blême, Nathanaël était un homme craint tant son physique trahissait le mal qui l’habitait. Grand et musclé, il avait cet éclat malsain dans les yeux qui criait sa cruauté. « Encore faudrait-il que l’on mette en place un piège. » Le Démon acquiesça, un sourire cynique aux lèvres. Réunis autour d’une large table protégée par les tentures blanches qui ne retenaient pas la totalité des intempéries, ils se mirent à discuter. Ils étaient nombreux à avoir répondu à l’appel de Nathanaël, désireux qu’on lui prête main-forte dans sa traque. Mieux valait être plusieurs lorsqu’il s’agissait de Sirènes. Ils étaient beaucoup à porter rancune aux belles filles des eaux, depuis que se rependait la rumeur que la Dévoreuse et l’Architecte n’était autre que la délicieuse Lady Vanille caël Deslyce, Reine des Océans. D’autres bruits voulaient que des Sirènes ; celles qui portaient une broche d’or dans les cheveux, les mêmes qui coulaient les navires et noyaient les marins avec assiduité depuis le début des sombres évènements ; se soient recluses à Tælora où une Cité avait vu le jour. Nathanaël avait beaucoup de questions à poser à ses femmes et il ne devait pas être le seul. Il aurait préféré mettre la main sur la Khæleesi mais celle-ci était introuvable. L’égo démesuré, il aurait eu du mal à avouer qu’elle aurait pu le tuer sans même se fatiguer. Elle était puissante. Il fallait l’être, pour sortir un continent des eaux, déchainer les flots entiers et ravagés trois continents tout en conduisant une bande de fanatiques. Il était plus sage de se rabattre sur des proies plus faciles.  

« La première étape est de loin la plus difficile. Ces foutues créatures ne risquent pas de se montrer pour notre bon plaisir. Il nous faut les provoquer, les pousser à sortir de l’onde et rejoindre la terre ferme. Quel appât pourrait les amener à se montrer ? Nous devons faire preuve de stratégie et de doigté. Elles ne s’offusqueront pas d’un conflit ouvert mais si elles comprennent trop tôt notre but … » Nathanaël n’était pas quelqu’un de patient, d’ordinaire. Il aimait que tout lui soit servi sur un plateau d’argent, qu’il claque des doigts et qu’on lui obéisse. Pourtant, il se surprenait à élaborer une tactique parvenir à ses fins. Les Démons avaient perdu des flottes entières et d’excellents guerriers dans les affrontements. Peut-être cela jouait-il dans sa soudaine sérénité. « Dans l’hypothèse où elles sentiraient le leurre avant l’heure, je tiens à ce qu’une équipe de volontaires préparent des pièges traditionnels pour nos amies à nageoires : des filets, des harpons … des communs, des enchantés … » Il croisa les bras. « N’oubliez pas : il ne faut pas les tuer. Je les veux vivantes. Mortes, elles nous sont inutiles. Elles en savent trop pour mériter une fin rapide et nette. Faites de votre mieux pour me les ramener indemnes. J’en aimerai plusieurs. Certaines seront des ignorantes, d’autres des têtes pensantes. Peut-être même attraperons-nous un proche de la Dévoreuse. » Il désigna plusieurs points de la plage, éloignés les uns des autres. « Le reste du groupe s’éparpillera et fera en sorte de sortir les Sirènes de leur repère. » - « Mais près de l’eau il y a les monstres … » - « Alors n’allez pas patauger. »

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« Nathanaël … » commença un homme à la mine déconfite. « Oui, je sais. » répondit le Démon. « C’est une catastrophe. » articula-t-il, les doigts tremblants malgré ses poings serrés. Près d’une heure s’était écoulée sans qu’une Sirène ne fasse frémir l’onde froide des côtes. Elles ne venaient pas. Des pièges étaient prêts et les quelques sorts destinés à les attirer s’étaient évaporés il y a bien longtemps, pour ceux qui n’avaient pas échoué dès le lancement. « Les Sirènes sont des créatures terriblement intelligentes et habiles. Je crois que nous avons tendance à oublier leur essence. Beaucoup se laissent trop aisément charmer par leur apparence sensuelle. Ils ne se préoccupent pas des vieilles légendes qui content la noyade de tout un équipage, de la disparition des navires. Ces femmes sont des vipères. Le temps que l’on doute de leur aura, elles ont déjà commencé à chanter et précipité notre perte. » - « Maudites soient ces Vampires des Mers. » Nathanaël soupira, les lèvres pincées. D’un regard froid, il scruta les parages. « Eloignez-vous de l’eau ! » cria-t-il pour une énième fois. « Les imbéciles. » marmonna-t-il plus bas. « Ils ont besoin qu’on entasse d’autres corps ? » A peine dissimulés derrière un gros rocher, des dépouilles avaient été rassemblés. Les imprudents s’étaient trop approcher des vagues. Les monstres marins étaient beaucoup moins contrariants que leurs maîtresses. En un clin d’œil, ils étaient venus, avaient infesté la plage et dévoré plusieurs individus. « Que va-t-on faire, Nathanaël ? Les Sirènes ne se montreront pas. Dire qu’on se plaignait de leur présence envahissante. A présent qu’on aimerait en attraper une ou deux, elles se cachent bien. » Le Démon ne répondit pas. Il contemplait l’horizon, souriant. « Tu … Tu as un plan ? » - « Tu ne croyais tout de même pas que j’allais fonder tous mes espoirs sur une bande d’étrangers que j’aurais pris grand plaisir à exterminer dans d’autres circonstances. » - « A quoi te servent-ils ? » - « Lorsqu’il s’agit de Sirènes, mieux vaut laisser les basses besognes aux autres. » - « Tu aurais pu mettre en place tes idées depuis le début. » - « J’aurai pu. » Il prit une petite inspiration, sèche et saccadée. « J’aurai quand même préféré qu’un stratagème fonctionne. Je vais être forcé d’ouvrir les hostilités d’une manière qui déplaira à nos amies des océans. Elles s’empresseront de nous rejoindre mais seront d’autant plus déterminées à nous décimer. Je n’ai pas l’habitude de me battre sans tuer. La tâche sera rude. » Un bref silence s’installa. « Nathanaël, qu’as-tu prévu ? » Une fois n’est pas coutume, le jeune homme ne daigna pas expliciter ses projets. D’un pas conquérant, il s’éloigna de la tente d’où il observait les autres, pour rejoindre un autre abri de fortune. Les Démons qui s’y abritaient dévisagèrent le nouveau venu. « J’ai besoin d’elle. » dit-il en pointant du doigt la fillette, attachée à de longues chaînes de fer dans un coin.

L’enfant ne devait pas être âgée de plus de quatorze ans. Jolie gamine aux longs cheveux blonds et aux yeux clairs, elle était petite et mince. Nathanaël ne la regardait même pas, se contentant de la traîner sur la plage. Elle était toujours attachée. « Les tiennes ne devraient pas supporter très longtemps tes hurlements. Je suis persuadé qu’elles ne tarderont pas à te prêter main forte. » Il tira d’un coup sec sur les chaînes et la petite Ondine tomba. Elle releva brusquement la tête, feulant comme un félin, les canines allongées. Le Démon sourit. « Adorable. » Puis il la frappa, ses pouvoirs en action. « Tu aurais mieux faire de rester à la Cité Engloutie, petite idiote. » lui susurra-t-il, les mains agrippées à sa chevelure où l’on pouvait voir la petite broche en or ; et la torture continua de longues minutes. Parfois, la jeune fille lançait quelques mots. Nathanaël ne les comprenait pas, elle ne parlait que dans la langue des Sirènes. « Enfin. » souffla-t-il dans un sourire. Elles étaient là. Contrairement à ce qu’il pensait, elles n’étaient pas sorties des flots. Habillées de grandes robes de voiles blancs, elles se tenaient sur la plage, pieds nus, resplendissantes. « Les filles ! » se moqua-t-il. « Nous vous attendions. Vous êtes … si peu. » Il jubilait presque. « Ah ? » murmura simplement une jolie brune en penchant la tête sur le côté. Nathanaël les observa. Elles étaient une petite dizaine. Du moins, c’était ce qu’ils croyaient, jusqu’à ce qu’il entende de légers bruissements. Elles étaient encore une douzaine à approcher par l’autre côté tandis que des ombres glissaient sous l’eau. « Stupide Gaelyan. » ajouta-t-elle en secouant la tête d’un air faussement navré.

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Rien ne se déroulait réellement comme prévu. Les affrontements étaient plus sanglants et meurtriers que ce qui avait été envisagé. Près des rivages, soutenus par les monstres des profondeurs et sous une pluie qui n’arrangerait rien pour les soldats, les Sirènes avaient l’avantage du terrain et de la situation. Les vents ne semblaient pas s’apaiser et le ciel s’assombrissait à vue d’œil. Les rangs du Démon s’éclaircissaient un peu plus à chaque instant. Pourtant, les volontaires se battaient bien et rivalisaient d’imagination pour parvenir à isoler et capturer quelques-unes de ces femmes des mers. Seulement, dès que l’une d’entre elles se retrouvait en mauvaise posture, d’autres accouraient pour lui porter secours. C’était un cycle sans fin. De temps à autre, Nathanaël agrippait une Ondine le temps d’aboyer quelques questions, de la secouer pour obtenir des réponses qu’il n’obtenait pas, faute de temps. Souriantes, moqueuses, elles se contentaient de le dévisager en lui riant au nez. Sa nature démoniaque hurlait sa rage, son envie de sang. Il faisait tout pour la faire taire, réfréner son goût pour le meurtre. La tâche n’était pas aisée lorsque l’ennemi se plaisait à se pavaner, l’air triomphant. « Il faut changer de stratégie. » lâcha un Démon à Nathanaël, lorsqu’ils se replièrent un instant pour souffler. « Je sais. » avoua-t-il de mauvaise grâce. « On pourrait tenter de s’éloigner un peu du littoral. » - « Elles ne nous suivront pas. » - « Sauf si on en a une avec nous, comme la gamine. » - « Je t’avais prévenu que les offenser ne serait pas sans conséquence. Nous avons pris le risque et elles nous le font payer. Retenir l’une ou plusieurs d’entre elles attisera davantage leur rage. » - « C’est un peu tard pour la subtilité, je crois. Ces garces sont surentrainées et ne lâcheront plus l’affaire. » - « Elles sont trop bien organisées pour ne pas recevoir d’ordre de la part d’un supérieur. Qui mène la danse ? » Il se mit à scruter les Sirènes à la recherche d’un potentiel décisionnaire. « Elle. » Il pointa du doigt une grande blonde au teint clair et aux yeux bleus. Vêtue de blanc et de rouge, créature angélique et parfaite, elle restait en retrait des combats, les bras croisés dans le dos. « En es-tu certain ? » - « Quasiment. » - « Qu’espères-tu ? La capturer, elle ? » - « Au moins faire en sorte qu’elle ne soit plus en mesure d’organiser tranquillement notre défaite. Elle doit impérativement rester en vie. Elle dirige ces filles. C’est elle qui en sait le plus. » - « Que proposes-tu ? » Il eut un léger sourire, acide.

Nathanaël était décidé à mener ses troupes à la victoire. Il ne comptait pas battre en retraite devant les Sirènes. Il ne pourrait pas le supporter. D’un pas lourd, il courut à travers la plage pour se rapprocher de la Sirène aux cheveux blonds. « Avec moi. » ordonna-t-il à quelques personnes qui étaient proches de lui. « Elle est notre cible. Ne lui laissez aucun répit mais ne lui faites pas … trop … de mal. Il nous la faut entière. » De toute façon, il était fort à parier qu’ils n’étaient pas assez fort pour venir à bout d’elle. Ils l’auraient à l’usure, en la fatiguant. « Nous avons une télépathe parmi nous. Elle transmet mes instructions aux autres directement dans leurs pensées. » Ils savaient quel était leur rôle. Une fois qu’ils auraient la Sirène, ils devraient faire de leur mieux pour repousser les autres tandis que Nathanaël s’enfuirait avec la captive. Ce ne serait pas facile mais ils avaient une chance de réussir. La Sirène contemplait la Démon, sourcils froncés. Il pesta. « Elle a compris. Vite. » Elle cria quelque chose dans le dialecte des océans. L’eau se mit à frémir. Quelque chose arrivait. La bête était immonde, immense et improbable. Elle avait plus ou moins la forme d’un requin, à ceci près qu’elle se déplaçait à quatre pattes et ne semblait passer de terre à mer sans soucis. Elle grognait et grondait, inquiétante et menaçante, prête à en découdre avec ceux qui s’en prendraient à sa Sirène. « Maintenant ! » hurla le Démon. Il ne parvient pas à patienter plus de quelques secondes avant de bondir sur la Sirène, plaquant une main sur ses lèvres tandis qu’il tenait ses poignets de l’autre. Sans réfléchir, il courut.

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