Assis dans la clairière, Turik attendait. Là, au beau milieu d’une jungle hostile, bruyante, du monde sauvage et féroce, il s’était installé en tailleur, il avait fermé les yeux, et il écoutait chaque son qui parvenait à ses oreilles. La forêt était effectivement très agitée, ce jour-là. Chaque bruit arrivait à lui avec fracas, tintant, grelottant, au gré d’une légère brise qui soufflait sa fraîcheur. Il sentait ce vent lui caresser doucement la peau, secouant très faiblement sa chevelure d’ébène, et continuer sa course jusqu’à se perdre dans le feuillage des arbres proches. Chaque pore de sa peau vibrait au contact du soulèvement de l’air, chaque parcelle de sa chair se réveillait et s’imprégnait de cette énergie provenant de l’élément. En le voyant ainsi, certains auraient à tort pensé qu’il méditait. A vrai dire, ils n’auraient pas été très loin de la vérité, mais c’était un peu plus compliqué que ça. En fait, Turik appliquait un art propre à son peuple, la régénération élémentaire. Cela consistait simplement à rentrer en phase profonde avec son élément, afin d’en tirer toutes les forces, tous les bienfaits, et de pouvoir se soigner. Et plus l’Elémental était puissant, plus la force de ses soins l’était aussi.
Certains Elémentals arrivaient même à se soigner d’importantes blessures en quelques secondes.
Pour Turik, cela était un peu plus délicat. Il n’avait pas l’habitude d’utiliser ce pouvoir, et il lui fallait donc une grande concentration afin de réussir à soigner ne serait-ce que quelques égratignures.

Cela faisait plus d’une heure qu’il était assis là, les bras à demi écartés, cherchant à puiser de nouvelles forces dans le vent qu’il ressentait partout autour de lui, et partout en lui. Peu à peu, ses blessures des derniers jours guérissaient, lentement, cicatrisant au contact du souffle de Zéphyr, ne laissant que légères rougeurs en souvenir. Ce soin mérité soulagea grandement Turik, après les événements qu’il avait enduré. L’attaque d’Aeden,  le premier saut dans la Jungle Naga, son rêve qui n’en était pas un…Cela faisait beaucoup pour un début d’aventure qu’il aurait cru bien plus simple et reposante. Il ne savait plus vraiment où il en était. Cela ne faisait qu’à peine une semaine ou deux qu’il avait quitté sa cité pour partir découvrir le monde, mais déjà, les événements se bousculaient dans sa tête sans qu’il puisse les trier, les ranger convenablement et dans l’ordre. Il pensa d’ailleurs à commencer un carnet, afin de retranscrire en détail et dans l’ordre ses aventures. Un carnet est toujours utile. Ecrire est la meilleure chose qui soit. Turik aime l’écriture, il aime la lecture, il aime simplement les mots. Ils ont ce pouvoir d’emporter qui le veut là où il le désire, sans aucune barrière, sans contraintes…C’est une autre sorte de liberté. Une échappée vers des endroits réels ou imaginaires, vers des aventures folles et trépidantes…Les mots sont une utopie. Une folle utopie imaginée par les hommes pour se détacher de leur monde si imparfait.

Turik, tout en pensant, continuait de fermer les yeux. Finalement, la méditation avait du bon. Un sentiment indescriptible, un mélange de paix intérieure et de concentration, de vide et de réflexion. Là, au milieu de cette jungle foisonnante de dangers, il aurait pu facilement se faire voir, par une bête sauvage, par un bandit, par un mage mal intentionné. Mais il était confiant. Presque dans un certain état de béatitude. Rien ne pourrait l’atteindre, il l’entendrait venir. Dressant l’oreille, il s’essaya à un exercice qu’il pratiquait étant enfant, mais dont le succès n’avait jamais été au rendez-vous. Il poussa ses réflexes aussi loin qu’il le put, et mis chaque sens en alerte. Progressivement, les sons confus de la forêt lui semblèrent plus clairs. Il essaya de les isoler et de les identifier. L’état de concentration lui permis, à sa grande surprise, de réussir assez rapidement ce jeu. Il devina, à sa gauche et caché dans les arbres, un groupe d’oiseaux, gazouillants joyeusement. Turik fut enchanté d’obtenir pareil résultat en si peu de temps. Se focalisant maintenant sur sa droite, il sentit de légères vibrations dans les buissons, des frôlements lents et mesurés. Un animal se déplaçait lentement, frottant son corps sur le sol. Il crut avoir affaire à un prédateur traquant son déjeuner, mais rien ne semblait bouger plus. Aucun félin ne bondit, aucun rugissement ne perça. Il ne sut jamais, en réalité, que le frôlement était en fait dû à un serpent qui regagnait sa cache afin de se reposer.

Ses sens se reportèrent soudain derrière lui. Dans son dos, quelque chose bougeait, agitait l’air. Une masse plus importante qu’un ave ou un reptile. La chose s’approchait, et, sous son poids, fît craquer une branche morte. Le craquement était sec, brutal. Ce n’était pas un animal. Un sourire se dessina sur le visage de l’Elémental.

« - Je vous ai repéré. Je crois. J'espère. Je vais avoir l’air bête, si je parle tout seul. »

Il se retourna.

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