Raaah, c'était le cinquième qui lui prenait la tête, et le sixième qui finissait dans les ordures avec la partie inférieure en moins. Qu'est-ce qu'ils avaient tous aujourd'hui à le mettre dans cette colère noire ? Voilà maintenant presque une heure qu'on cherchait à lui soutirer de l'argent, étaient donc t-ils tous ruinés à ce point dans ce quartier ? Pour une fois qu'il ne cherchait pas spécialement à foutre tout le monde en charpie, on venait à lui pour que la conclusion soit finalement la même. Décidément, il ne pouvait jamais être tranquille plus de cinq minutes, et quand les rares occasions se présentaient, il tombait sur des fous qui lui proposaient n'importe quoi en échange d'un service. C'est vrai, quoi ! Quel service valait la peine d'être fait en échange d'une râpe à fromage ? Il n'avait aucune idée d'où il se trouvait exactement, mais une chose était certaine, il ne mettrait plus jamais les pieds ici. Aujourd'hui, le démon se déambulait avec ses vêtements normaux, entendons par normaux les vêtements qu'il mettait lorsqu’il se promenait en tant qu'humain. En mode décontracté, il disposait d'habits particulièrement légers, assez larges, mais pas trop. Un long manteau mauve foncé lui parvenant jusqu'aux chevilles, détaché ouvertement, avec pour appui une chemise bleu marine embellissant son solide poitrail. Un pantalon en cuir noir bordait ses longues jambes, accompagné de chaussures de luxes aux différents tons de gris. Enfin, le démon était ornementé de plusieurs accessoires raffinés, tels que des montres, des bracelets, un collier, etc. L'homme misait plus que jamais sur son apparence de vaillant séducteur.

Alors qu'il marchait sereinement le long d'une rue voisine, Zane fut soudainement interpellé par un individu étrange aux cheveux d’albâtre. Ce dernier balbutia quelque chose d'incompréhensible pour le démon qui tendait à moitié l'oreille, peu captivé par ce que celui-ci tentait de lui raconter. Cependant, lorsqu'il employa malicieusement les termes magiques liés à l'argent, la surdité du guerrier s'estompa inopinément. Il comprenait à présent le dialecte de l'inconnu, qui lui expliqua expressément la galère dans laquelle il était. Il s'appelait Tsuji, ok c'était cool, information inutile, mais il était surtout serveur dans un restaurant très réputé. Il continuait mécaniquement son monologue en indiquant que ses artistes lui avaient posé un lapin au dernier moment. Plus la conversation progressait, plus le visage du démon se distordait sous l’appréhension d'avoir deviné ce qu'il attendait de lui. En écoutant les dernières paroles du restaurateur, Zane serra la mâchoire et lâcha son regard à terre comme s'il espérait trouver une réponse venue d'ailleurs. Jouer les clowns pouvait nuire à sa réputation si jamais il venait à connaître quelqu'un, mais au fond c'était peu probable qu'une telle chose se concrétise. Il était très éloigné de ses terres habituelles, et puis même si c'était un lieu très réputé, il demeurait une très faible probabilité pour qu'une relation vienne spécifiquement ici CE soir en particulier. Dans sa tête résonnait à répétition le mot argent, martelant son esprit comme une drogue qu'il ne pouvait bannir. Être constamment attiré par tous les péchés s'avérait très contraignant lors de telles conjonctures. Bref, avant de regretter un possible refus de sa part, Zane accepta l'offre du garçon. Après tout, ce n’était pas si dramatique, comme tout le monde il adorait passer de bons moments, faire usage de son terrible humour diabolique tout en imprégnant un lieu de sa virtuose magie. Le besoin de se détendre passait aussi par l'envie d'émerveiller les autres. En tant qu'illusionniste, il allait ravir les clients de ce restaurant. En tout cas, il allait tout faire pour.

Le serveur le guida jusqu'au restaurant. L'endroit ressemblait plus à un palace qu'à un hôtel gastronomique. Composé de trois grandes salles, toutes ayant un rôle prédéfinis, les clients qui s'y trouvaient étaient de tout âge. La lumière dynamique projetait une ambiance euphorique, inculquant du prestige à a seconde où on posait le pied à l'intérieur. Les rires amusés des uns laissaient parfois place à des applaudissements enthousiastes. La décoration à la fois sobre et soignée donnait un ton particulier à l'ensemble. Plantes venant de divers continents, tableaux hors de prix, tapis splendides. Même les meubles aux allures rustiques attribuait du charme à ce qu'un potentiel château pouvait être. Même l'odeur aromatique des fleurs sauvages incorporés aux plats était irréprochable. Les aiguilles de la pendule qui siégeait dans le fond pointaient vers un vingt heures trente, le patron lui précisant que le spectacle devait avoir lieu à vingt et une heures précises. Celui-ci déposa également une fiole sur un guéridon, lui conseillant de boire le breuvage. Elle avait le pouvoir de le rendre temporairement élastique, attraction du spectacle qui plaisait bien souvent au public d'après ses dires. Le démon s'empara donc la fiole et l'ingurgita aussitôt d'une seule gorgée. Le démon s'appliquait tellement à la tâche qu'il révélait un autre visage de sa personnalité. Ce soir, il changeait d'armes pour emprunter les accessoires de magiciens, véritablement motivé à l'idée d'offrir une représentation mémorable à ses spectateurs. D'une vive manifestation, il enfila la cape qui était dressée sur le porte-manteau, après quoi il se dirigea dans l'arrière-salle. Calfeutré par de larges rideaux occultant, le magicien pouvait d’ores et déjà entendre le vacarme que causaient les clients. Un défi d'envergure se posait là, il allait devoir dépasser ses limites pour mériter l'attention de son public. À l'instant T de son entrée, Zane émergea dans un éclair de feu noir, attirant irrémédiablement l'attention sur lui. La salle se tut d'un seul coup. « Bienvenue, chers invités de prestige. Je me présente ; Z le magnifique ! J’espère que vos cœurs sont bien accrochés et vos yeux grands ouverts, car ce soir vous allez vivre... l'extase ». Le démon agrémentait ses paroles à une chorégraphie corporelle très fluide, remuant les bras et les doigts aussi adroitement qu'un chef d'orchestre ventriloque. Son sourire ensorceleur et enjôleur illuminait la pièce de sa fraîcheur. Mais alors qu'il s’apprêtait à poursuivre son festival, une ancienne camarade intégra le public. Impossible de se tromper, il se souvenait parfaitement d'elle ; la polissonne de Callidora était là.

La présence de la jeune femme ne l’arrangeait guère. Pour des raisons qui lui étaient chères, son honneur pouvait en prendre un sacré coup si jamais elle venait à divulguer ce secret à d’autres. Mais plus sérieusement, elle n’avait pas les moyens de le mettre dans cet embarras, déjà car elle ne connaissait sûrement pas ses congénères démons, et aussi car il s’était bien gardé de lui donner de plus amples informations. D’un autre côté, s’il parvenait à retourner la situation à son avantage, il pourrait très certainement faire d’une pierre deux coups. Quoiqu’il arrive, il devait de toute façon assurer un show pour lequel il était condamné à animer pour le restant de sa soirée. Si l'introduction fracassante avait eu son petit effet, les clients étaient vite passés à autre chose, revenant à leurs occupations sans que quoi que ce soit ne puisse les distraire davantage. Zane avait été prévenu, c’est pourquoi il ne se laissa pas décourager pour si peu. À l’instar de leurs papilles qui dégustaient l’excellent repas dont ils étaient les gourmets, le numéro devait leur apporter la même émotion. Armé d’une vulgaire baguette magique en forme de cuillère, Z le magnifique comme il aimait se nommer, aiguilla son instrument diabolique en pointant une femme assise juste derrière Callidora. Pour la décrire brièvement, elle portait de longs cheveux blonds ondulés, disposant d’un chapeau qui devait coûter une fortune, et détail le plus important ; elle était très âgée. Son mari qui dînait en sa compagnie avait bien sûr le même âge. « Hé hé, vous savez ce qu’on dit dans ce restaurant ? Il paraît que les aliments sont tellement succulents qu’ils font rajeunir ». En faisant mine de déclamer une formule magique, le sorcier du jour remua sa cuillère pour faire semblant de jeter le sort. La stupeur des spectateurs se déclara à la seconde ou ils virent le vieux couple s’être métamorphosé en un beau couple dans la fleur de l'âge, très radieux. La femme était devenue svelte, grande et avait les lèvres les plus pulpeuses de la salle. Ses courbes gracieuses surclassaient à présent celle de toutes les femmes présentes autour d'elle. Quant au vieil homme, n’en parlons pas. Un mot pouvait le définir : Apollon. Quel genre de magie noire avait-il bien pu déployer pour parvenir à ce résultat ? Dans son métier, on ne divulguait jamais les secrets.

En profitant de la surprise générale, Z ne restait pas campé sur ses acquis. Il savait à peu près comment tournaient le public et la nécéssité véritable de se réinventer. Grâce au contenu de la potion qu’il avait avalé juste avant, il avait allongé ses bras élastiques à une vitesse surhumaine. Plus lestement qu’un professionnel, il bouleversa toute la perspective de l'auditoire. Pour être plus clair, il avait mélangé selon son bon vouloir toutes les chaises et toutes les tables, sélectionnant qui devait être avec qui. Par exemple, il avait disposé le compagnon de Callidora à la table d’une succube très sulfureuse. Quant à elle, il avait réussi à la mettre en compagnie d’un séduisant serveur qui lui fit comprendre sans tarder à quel point elle lui plaisait. Subtiliser ce beau collier représentant un phénix avait été un jeu d’enfant, si bien qu’il le portait désormais autour de son propre cou. La confusion qu’il avait mise en place le mit de très bonne humeur. Il enregistrait avec célérité les tours et les ustensiles mis à sa disposition, de plus il se voyait ravi de surprendre ses convives. Il avait su mettre des clients de prestige dans sa poche, et n’était pas près de s’arrêter pour si peu. « On dit aussi que c’est un met comparable à celui des dieux. Voyez plutôt ! » d’un claquement de doigts, Z libéra une furieuse énergie qui divulgua une vague de plaisirs à toutes les personnes assises. Une chaleur agréable se répandait dans la pièce à plusieurs reprises. S’il fallait la décrire, alors c’est très comparable à la sensation qu’on éprouve lorsque l’on tombe amoureux.

Et comme si ça ne suffisait pas, Z écarta élégamment les bras, les paumes braquées vers le plafond. Il rectifia la tête, son sourire ayant repris l’expression usuelle qui le caractérisait. « Vous ne trouvez pas que ce restaurant fait, comment dire... Peur ? » Les bougies se consumèrent soudainement, plongeant l’atmosphère dans un climat obscur, presque lugubre. Et puis sorti du ciel comme par enchantement, une vingtaine de chauves-souris s’effondrèrent sur le public qui criait d’horreur. Ceux qui ne tombaient pas de leurs chaises éprouvaient tout de même un certain malaise, ce qui était volontairement cherché par le magnifique. La première étape était un succès fou. Il dessina quelque chose avec son index, ce qui eut pour effet de transmuter les animaux nocturnes en de vulgaires confettis. Il avait maintenant une petite idée derrière la tête. Tapotant de ses doigts minces sur son menton, l’homme au costume mima une recherche au sein de son public. « Pour le tour suivant, j’ai besoin d’une assistante. Tenez, vous là-bas. Vous me semblez correspondre au profil » il désignait Callidora. Pas question qu’il ne profite pas de sa présence, si elle avait pensé pouvoir échappé au pire, c’était mal le connaître. En attendant qu’elle veuille bien le rejoindre sur scène, Z poussa le public à l'acclamer en frappant lui-même fermement dans les siennes. Il l’interrompit au dernier moment, alors qu’elle était à deux pas de lui. « Avant toute chose, il vous faut un nom de scène. Je vous écoute, très chère » le moins que l’on puisse dire c’est que le costume de magicien lui allait à ravir. La tenue qu’il réservait à sa partenaire était plus... Exotique.

Dorénavant sur scène, l'humour ravageur de la nouvelle magicienne semblait convenir à l'assistance. Son tempérament désinvolte était une valeur ajoutée que Z aurait été idiot de ne pas exploiter. Ses taquineries mal avisées avaient pour seul résultat d'amuser le sorcier, qui quoiqu'il arrive, demeurait le maître de cérémonie. Et par maître, il entendait diriger le scénario de son récital comme il l’entendait. Peut-être avait-il alors été trop impétueux de croire que la très chère Ly le laisserait penser ainsi. Promptement, oscillant sans de réelles raisons, le démon trébucha sur les plaques de l'estrade. Armée d'un fouet, la vile magicienne venait de commettre un acte qu'elle pourrait bien regretter dans les instants à venir. Il avait beau rire en concert avec les autres, il préparait sa vengeance dans un coin de sa tête. Il avait mille et une façons de demander réparation, mais si elle voulait s'amuser, elle n'allait pas être déçue. Zane se redressa doucement en prenant appui sur une perche de magicien qu'il avait trouvé en tâtonnant le sol. Elle était parvenue à s'approprier la salle en quelques secondes, magistrale pour une amatrice. Afin de ne pas égarer l'attention de l'auditoire, le démon prenait un malin plaisir à jouer le jeu en attendant le moment fatidique. « Je tâcherais de ne plus vous décevoir, très chère. J'admets avoir perdu cette bataille » déclarait-il en enlaçant son bras autour du coup de la brune comme si elle était inopinément devenue sa meilleure amie. Il prit ensuite gracieusement sa main avant de la faire valser à l'autre bout de l'estrade, au plus près du rebord. « Mais je ne vous ai pas fait monter pour ça. J'ai besoin de votre physique, non de votre humour » il donna un coup tranché avec son pied sur une planche qui déclencha directement un mécanisme secret. Le son de l'engrenage avait l'air particulièrement long à se déclencher, jusqu'à ce que callidora se retrouve pieds et poings liés par des menottes de fer, rituellement employées dans la torture. Vissé au mur, le manipulateur avait volontairement enrayé tout mouvement lui permettant de se défaire de leurs emprises. Elle pouvait certes se mouvoir librement, mais pas assez pour faire tout et n'importe quoi. En l’occurrence, se servir de son fouet lui était dorénavant impossible. Elle avait même lâché son précieux outil dans la panique. Zane le ramassa alors, contemplant l'objet en le caressant de ses doigts filiformes. L'arme lui paraissait conceptuelle pour ce qu'il escomptait en faire. Un sourire narquois se traçant indolemment sur son visage.


Il se mit en face de la jeune femme tout en tortillant le fouet autour de ses mains. « Pas de panique princesse, je ne compte pas te flageller. Même si tu le mérites, ce n'est pas l'ambiance que je veux » en d'autres circonstances, il n'aurait effectivement pas hésité à le faire. La déontologie l’empêchait cependant de toucher à un seul de ses cheveux, et puis comme il venait si bien de le souligner, l'ambiance ne se prêtait pas à une pratique si sournoise. Sans tarder davantage, Zane tira d'un coup sec sur le pendentif qu'il portait à l'entour du cou, rompant rudement la chaîne du bijou. Il n'y avait pas prêté attention, mais maintenant qu'il le tenait au creux de sa main, il devait valoir une certaine fortune. Peu importe. L'homme propulsa le collier en hauteur au travers de la pièce, en attendant qu'il rejoigne le centre, puis d'un essor émérite, il frappa l'air avec le fouet. Difficile de dire s’il avait touché la cible ou non. Étant donné qu'il ne maîtrisait pas l'armement, c'était peu probable de l'atteindre sans un coup de chance. Mais ce qui importait outre mesure ce mime, c'était de faire croire qu'il avait effectivement touché le phénix, qui s'embrasa de mille feux en prenant la forme identique du collier, carbonisant également l'objet de punition. Cela dura près de dix secondes avant de s'éteindre en laissant à la place du précieux bien ; un œuf. Zane s'empressa de le récupérer en le faisant ainsi léviter vers lui. Le magnifique était curieux de voir le minois de son assistante, qui jusqu'alors portait ce nom uniquement par principe. Elle l'assistait bel et bien, mais pas de son plein gré. Il se retournant en fermant les paupières, sachant que l'idée de ne pas pouvoir lui exprimer son ressentie par sa seule forme de langage actuelle ne pouvait que l'excéder plus qu'elle ne l'était sûrement. Il manipula ensuite aveuglément un drap qu'il venait de saisir à sa droite. Il plaça ce dernier comme un rempart entre lui et elle, rouvrit les yeux pour finalement la recouvrir intégralement du voile. « Au revoir, Ly » lui rétorquait-il non sans émettre une once d'assouvissement dans sa voix. Manœuvrant un petit objet cubique qu'il avait trouvé dans l'entassement de matériel, son maniement engendra un système qui la fit instantanément se volatiliser. Ce tour était vieux comme le monde, mais Dieu qu'il était agréable de l'accomplir par soi-même. Arrachant la tapisserie à pleine griffe, tout le monde put découvrir les menottes maintenant libérées de tout support. Zane ricana pour amener le public à saluer son tour. « Il me faut la remplacer. Que diriez-vous d'un homme cette fois-ci ? Tiens. Tu étais avec elle n'est-ce pas ? Alors, monte je te prie. » Il avait bien sûr désigné Syveth, le compagnon de Callidora. Il jugeait la patience de ce dernier moins accru que sa compagne, et c'est justement ce qu'il comptait inspecter. Par contre, il n'avait aucune d'idée de l'endroit où celle-ci avait pu atterrir. Il avait employé ce tour sans en connaître tous les aspects. Par conséquent, elle pouvait revenir dans une heure comme dans une minute. Il ne pouvait pas non plus tout prévoir.

Désopilant, palpitant, extraordinairement plaisant. La saveur exquise qu'il éprouvait ne venait pas du goût, mais de cette intarissable volonté d'aller toujours plus loin dans la démence extrême. Depuis le début de son solo, la cruelle vérité est que Zane ne savait pas du tout ce qu'il faisait. Évidemment, de par ses connaissances variées, il comprenait spontanément le fonctionnement de plusieurs outils. Mais en dehors de ça, il se délectait d'une totale improvisation. Un artiste devait savoir faire preuve d'un sens inné de la répartie pour être compétent, et jusqu'ici, il n'était pas mécontent de ses manipulations hasardeuses. Il savait néanmoins qu'il prenait un risque considérable quand il appela Syveth à monter sur scène. Pas pour une question d'hostilité ou de force, car le démon était sans aucun doute plus terrible que lui à tous les niveaux, mais sur les réactions de ce dernier. Autant il connaissait à peu près le caractère de son ancienne partenaire, autant là il s'agissait d'une entière découverte. Le magnifique attendait inlassablement la venue de l'hôte d'honneur afin de défier sa patience. Autant dire qu'il n'en possédait quasiment pas vis-à-vis du sabre qu'il venait d'extraire, enflammé par la fougue de son désir ardent de le découper en deux. Une proposition de duel ? Ce type ne devait pas avoir toute sa tête pour se frotter au génie de la torture. Sous ses traits de gentil magicien moqueur, Zane pouvait paraître si charmant qu'on avait tendance à oublier sa véritable nature. Ce n'est pas pour rien s'il excellait en comédie autant qu'en stratégie. Ainsi, le loup enragé qui s’apprêtait à bondir sur la brebis fut soudainement interrompu par un effluve familier. En reniflant l’atmosphère deux à trois fois, il comprit que quelque chose brûlait. Sa cape prenait feu ! Le temps qu'il mit pour se débarrasser du tissu donna le signal à ce satané bonhomme pour se saisir de lui. Pire que toutes les attaques qu'on pouvait lui faire, voilà que Syveth se mit à incarner une danse qu'on retrouvait dans les bals d'impératrices. L'affront était périlleux pour ne pas dire suicidaire, la force du démon étant incomparable à celle du petit homme. Toutefois, il parvenait à le faire valser plus longuement que prévu. Les flammes qui jaillissaient dans l'air révélaient la présence de Callidora qui avait dû faire son grand retour. Elle devait néanmoins prendre conscience de la menace auquel se prêtait son compagnon, sinon elle n'aurait jamais échangé sa place avec lui aussi prestement. Ingénieuse la petite. Elle avait agi juste à temps, sans quoi l'humoriste de dernière minute aurait perdu plusieurs membres sans s'en rendre compte, ce qui aurait été dommage il faut bien le dire.


Le sorcier se trouvait désormais dans les bras de la magicienne. Il se hâta de reculer d'un pas, repoussant la jeune femme d'un viril savoir-faire. Évidement, il affectionnait le corps de la vicieuse bien plus que celui de Sylveth, il n'y avait pas photo. Seulement, les yeux des spectateurs rivés vers lui l’empêchaient de se consacrer à autre chose qu'au spectacle qu'il avait promis. L'heure tournait vite, trop vite même. La fin de la représentation touchait malheureusement à sa fin, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'était amusé comme un diablotin. Il avait de la chance de vivre éternellement, cela lui évasait tellement de routes différentes sur le chemin de la distraction. Hélas, chaque chose à une fin, et là encore il devait faire ses adieux au public, et une nouvelle fois à sa chère partenaire d'un soir. Choisissant de croire que c'était la dernière fois qu'ils se voyaient, Zane devait offrir un final digne de ce nom. Un démon doit tout oser, spécialement le démon qui n'avait aucune limite autre que son imagination. Il gomma toute la phase précédente de sa mémoire, préférant unifier tout son savoir théâtrale dans le dernier acte de ses prouesses magiques. Après cette soirée, on parlerait de lui comme le dieu de la comédie drolatique concilié au virtuose de la fascination. Son rictus légendaire tonifia de nouveau son beau visage d'ange, si on pouvait le décrire ainsi. D'un claquement vibratile de ses semelles sur le gradin, Le magnifique repris avec une incroyable dextérité la main de Callidora. Une musique rythmé se lança. « Tu veux danser ma belle ? Tu ne vas pas être déçue ». Son bras tendu, il fit virevolter la demoiselle au loin avant de la reconquérir au bout de la piste, la hissant dans les airs par un porté que seuls de rares élus pouvaient pratiquer. Zane remuait ses hanches avec une telle technique qu'il était bon de se poser la question de savoir s'il n'utilisait pas l'un de ses nombreux sorts tordus. Mais ce n'était pas le cas. « Endiabler » ne tenait pas son étymologie du hasard. Par des figures incroyablement bien interprétés, le public émettait des « oooh » et des « aaah » à chacune de ses prouesses. Le danseur maniait la pointe de ses pieds à la perfection. Il était le maître, elle était son esclave du dancefloor, dans le sens ou elle ne pouvait plus le stopper. Il interrompit la valse du diable après plusieurs minutes de pétulance.

Là où aucun homme basique n'aurait pu tenir la cadence, le ténébreux était à peine essoufflé. La posture dans laquelle il s'était arrêté permettait aux spectateurs d'avoir une vue incroyable sur le décolleté de la belle, cambré en arrière. « Appelons ça le bal des enfers. » Même lorsque l'on savait la bête imprévisible, il arrivait à surprendre à la moindre de ses apparitions. Là aussi, il désirait marquer le coup. Tandis qu'il supportait la tête de Callidora avec ses doigts effilés, Zane se s'inclina brusquement en avant dans le but d'agglutiner ses lèvres aux siennes. Il procura ce baiser improvisé en pliant les paupières, comme s'il souhaitait se rappeler cette journée par un fait plus marquant que les précédents. Court, mais intense, il décolla son emprise avant d'éprouver les besoins déchainés de la luxure. Certainement fourbe et cruel à bien des égards, Z savait au moins à quel moment il devait se reprendre pour résister à ses péchés. Il se retira ensuite de l'estrade en altérant légèrement la réalité pour apparaître instantanément aux côtés de Syveth. « Le baiser de la mort mon ami, c'est toujours plus agréable que de danser avec un homme ». Zane s'approcha de la sortie du restaurant puis se tourna vers son assisstance, leur dédiant une révérence digne de la fonction artistique qu'il avait apporté. Il adressa un clin d’œil à Callidora. « Un magicien ne quitte jamais la scène sans le clou du spectacle ». Il frappa dans ses mains à deux reprises successives. Egal à lui-même, cela enclencha deux choses à la fois. Premièrement, son corps s'effaçait lentement dans un nuage de fumée, à commencer par sa partie inférieure. La deuxième et non des moindres, c'est la tenue qu'avait offert Zane à la jeune femme. Elle se décomposa d'un seul coup dans un éclat de lumière jaillissant. L’œil unique et malicieux du démon disparut à l'instant même où le public pu découvrir la princesse dans son plus simple appareil. Z avait été magnifique, du début à la fin.