Le repos du guerrier, période oblige pour les grands héros qui ont combattu vaillamment après une longue campagne de guerre. Oh, bien entendu, Zane n'avait rien d'un héros et avait encore moins participé à une quelconque guerre. Aussi, rien ne contraignant les moins valeureux à se détendre de temps en temps. Zane était actuellement allongé contre un mur. L'hiver venait de s'installer dans le continent du matin calme, et le moins qu'on puisse dire, c'est que les conditions climatiques n'avaient pas oublié d'escorter cette saison délicate. Pour un habitant des enfers, l'humidité de l'extérieur aurait pu l'incommoder, mais comme il était plus souvent en dehors de son habitat naturel, il était habitué à vivre de la sorte. Les rues étaient calmes, trop calmes. La plupart des résidants restaient cloîtres chez eux à cause de la neige qui tombait. D'ordinaire, le démon se postait précisément à cet endroit pour observer le tumulte habituel qui y régnait. Malheureusement, certains jours comme aujourd'hui ne lui prodiguaient pas le divertissement qu'il espérait y trouver. L'homme était là ici depuis quelques heures, l'ennui pouvait être perçu sur son visage par de multiples facettes. De plus il ne cessait de s'étirer les membres en baillant, indice fondamental de sa somnolence. Au bout d'un moment, Zane décida de se relever, se débarrassant de la neige qui avait élu domicile sur ses vêtements. Le froid se faisait davantage ressentir que plus tôt dans la journée, en outre il ressentait maintenant le besoin urgent de se désaltérer la gorge. Pour pallier à ce léger problème, il connaissait la solution idéale. Client très fidèle quand il s'agit de beuverie, une auberge se trouvait tout près d'ici ; celle de Shun et de sa femme Marianne. Ce bar avait une immense popularité dans la région, et pas seulement pour son alcool au goût raffiné, mais aussi pour les nombreuses bagarres que le bar devait essuyer.

Ces derniers jours, le combattant avait pris trop de bon temps en compagnie de ces belles femmes. La séduction était un art auquel il se prêtait régulièrement, mais depuis, son esprit combatif n'avait pas trouvé satisfaction. C'est une chose à laquelle il devrait remédier tôt ou tard, c'est pourquoi la question ne se posait même pas. De l’alcool sans donner deux ou trois coups, pas moyen que l'un puisse exister sans l'autre. De toute façon, il connaissant tellement bien le chemin que sans s'en rendre compte, le poseur de problèmes se trouvait déjà devant la porte du bâtiment. Au premier abord, pas évident de tomber dessus si on n’était pas un habitué des lieux. L'extérieur ressemblait à s'y méprendre aux vieilles bâtisses qui parsemaient la rue commerçante. À la limite, le chant des ivrognes, la musique trépidante ainsi que l'intonation des verres déposés sur les tables donnaient un semblant d'idées aux pratiques qui s'y exerçaient. Sans parler de l'enseigne, qui bien que discrète et démodé, était bien présente. Sans plus tarder, le personnage au regard noir poussa la porte. Son entrée passa inaperçue pour la plupart des clients, tandis que d'autres relevaient la tête par curiosité. L'intérieur était identique à ses souvenirs, à savoir que l'ambiance était aussi festive et endiablée que d'habitude. L'éclairage sublimait la salle, permettant en un instant de faire le tour de la pièce d'un seul battement de cils. Les danseuses interprétaient leur chorégraphie au sommet de leur estrade, tandis que le pianiste jouait ses morceaux sans se préoccuper de quoi que ce soit d'autre. L'auberge était remplie de clients assis aux nombreuses tables destinés à les accueillir, et même si l'activité principale consistait à se gaver le plus possible d'eau de vie, certains préféraient tuer le temps à jouer à des jeux d'argent. Poker, bonneteau ou encore craps, ici il valait mieux miser sur la tricherie plutôt que sur le hasard si l'on souhaitait avoir une chance. Peut être songerait-il à rejoindre une partie plus tard, pour l'instant il préférait se détendre au calme en allant s'aménager à une des tables. Par sympathie, il salua la maîtresse des lieux qui le reconnut immédiatement. Cette femme était d'une beauté affligeante, dommage qu'elle était déjà prise par Shun. Il respectait toutefois suffisamment le couple pour n'avoir jamais rien tenté à son égard.

Zane abaissa sa capuche puis s'installa à la table la plus éloignée, une qui se trouvait entre deux rambardes. Il pouvait à la fois se trouver au calme tout en observant les diverses choses qui se déroulaient autour. La vue générale respectait son loisir d'étudier l'environnement avec son œil aiguisé. Le démon leva sa main en l'air pour indiquer qu'il souhaitait passer commande, suite de quoi il croisa ses deux mains sous son menton. Après qu'il se soit désaltéré le gosier, sûrement tenterait-il de mettre un peu de piment dans l'atmosphère trop paisible à son goût. Au moment où Marianne s'approcha de lui pour lui servir sa boisson favorite, une femme pénétra à son tour dans le gîte. Il était surpris de voir une femme avec un tel physique fréquenter cette auberge. C'était déjà assez rare en règle général, mais ici c'était encore plus vrai. Il suffisait de jeter un coup d’œil pour s'en rendre compte. Elle s'était probablement égarée, dans ce cas quelqu'un devait rapidement la prévenir.

La femme qui venait de pénétrer dans le repère des hommes impatients de montrer leur virilité était diablement sexy, il pouvait aisément concéder ça chez le sexe opposé. Ce n’est pas tant sa tenue qui lui introduisait ce genre de pensées, mais davantage sa conduite qu’on homologuait de femme fatale. Les hommes en général avaient tendance à sous-estimer ce genre de tempérament explosif. Le démon n’était pas de ceux-là. Il savait reconnaitre la force d’une personne avant même d’établir un diagnostic sur son tour de poitrine. D’ailleurs, lorsque l’un des hommes vint la contrarier à sa table, le tentateur afficha un sourire imperceptible en fermant les yeux. Pauvre de lui, il n’allait pas faire long feu. Indubitablement, lorsqu’il releva ses paupières, il ne vit que la fin de l’action. Le poing de la jeune femme se devinait ancré dans le nez de l’imprudent qui se retrouva en un rien de temps affalé au sol. Le tenancier de l’auberge ordonna à quelques-uns de ses hommes de se débarrasser de lui. Shun était un inconditionnel habitué aux bagarres, cela à cause des clients de toutes sortes qu’il recevait dans son établissement. La détentrice du premier accrochage écroula ensuite son capuchon, comme pour donner à tous l’opportunité de mettre un visage sur ce fameux coup de grâce. Une chevelure de feu, c’était inestimable pour le séducteur qui avait toujours trouvé ce genre de teint particulièrement séduisant. Dans les faits, c’est toutefois sa réaction qui avait interpellé l’homme, bien plus enclin à aller à sa rencontre que si elle avait été sage et chétive. Ses yeux la scannaient de la tête aux pieds, enclenchant son mode prédateur pour se faire un avis général de ce qu’il pouvait garantir comme étant une proie de premier choix. Mais alors qu’il s’apprêtait à se lever de sa chaise pour aller la rejoindre, deux types se dressèrent devant lui en ricanant par-delà quelques grossièretés.

Zane ne broncha pas. D’un air toujours aussi dramatique et sérieux, il regarda alternativement l’un et l’autre en examinant leurs dents aussi pourries que leurs cervelles. Ils étaient crasseux. Et encore, le mot était faible. Ils représentaient tout ce que détestait le démon par-dessus tout. Les entendre parler autant que les observer était une épreuve plus douloureuse que n’importe quelle torture. Il ne comprenait pas un broc de ce qu’ils devisaient, mais il saisissait que c’était une question d’argent. De jeu d’argent peut-être. Qu’importe. L’homme ne jouait pas avec n’importe qui, et sûrement pas avec eux. Il poursuivit son intention précédente en se relevant et en attirant son verre à lui, sans leur dédier un seul mot. Toutefois, il s’attendait à ce que ces idiots lui refusent le passage. Sans perdre davantage de temps avec ces incompétents, le diable céda un coup de boule au premier, suite de quoi il s’empressa de prendre le crâne du second pour lui éclater sa tronche contre la poutre en bois qui se situait à proximité. Les deux hommes qui avaient subi son courroux quasiment au même moment s’écroulèrent sur le plancher avec ce même timbre singulier. Une note belle et rafraichissante qui le berçait bien davantage que la musique elle-même. La voie étant libre, il enjamba les corps inertes avec sa boisson intacte pour ajuster son attention sur la belle rouquine. À destination, il retourna la chaise pour prendre place et s’appuyer au dossier de celle-ci. Il termina l’absorption de son verre d’un trait, levant ce dernier en l’air pour prévenir les serveurs. « Vous avez une sacrée droite. C’est la première fois que je vois une rousse faire ça. Laissez-moi deviner. Vous êtes chargé de démembrer des enfants, d’égorger des vieux et de crever les yeux des crapules, et pour oublier ces crimes vous êtes venues vous noyer dans l’alcool. Je compatis. » Malgré son intonation posée, le rictus visible sur ses lippes tendait à dire qu’il ironisait sur sa possible présence.

Si son passé ne l’intéressait guère plus que ça, il tenterait toutefois d’en savoir plus sur elle, et pourquoi pas dans le plein feu de l’action. Au moment où le serveur vint lui reverser son liquide préféré, un corps passa à toute vitesse au travers de la pièce pour achever son envol contre le piano qui servait à l’ambiance. Zane chavira immédiatement le visage pour voir qui en avait été l’auteur. Un homme aussi gras que robuste se riait d’avoir réussi son pari à l’autre bout de la pièce. Entre eux qui avait mis hors d’état de nuire deux individus, la femme dont il ignorait toujours le nom qui en avait frappé un autre et ce dernier qui poursuivait la lancée, il semblerait qu’ils aient en quelque sorte déroulé un enchainement sans vraiment le vouloir. Au fil que le temps passait, l’alcool et l’envie de prouver qu’un tel était plus fort que l’autre prenaient le dessus. Bientôt, petits et grands se disputaient avec tout ce qui leur passait sous la main. Shun -qui était sur le point de mourir sur place- interpella Zane pour qu’il fasse cesser cette guerre. Spontanément, il porta son regard sur la demoiselle. « Ça vous dit une petite danse de la mort ? » Une invitation qui impliquait une exhibition de ses atouts. Sans attendre sa réponse, le démon poussa sa chaise en articulant ses bras de droite à gauche. Ça allait chauffer d’une seconde à l’autre.