Élixir de mort

Siruu rencontra quelques péripéties durant son voyage en bateau vers le continent du matin calme, mais le jeu en valait la chandelle car il avait pu partir à la cueillette dans des bois. Celle-ci était loin d'être une simple promenade, c'était un jeu où il manipulait plus qu'il ne cueillait. En effet, dans de simples bois, il était difficile pour Siruu de trouver beaucoup d'ingrédients et il se retrouvait presque tout le temps obligé d'aller dans les petites villes et les villages environnant, commerçant avec les personnes les plus isolées, moins au courant, mais aussi les plus démunis, désespérés. Il n'avait pas la science infuse et sa soif de connaissances le forçait à ne pas demander le végétal en lui-même mais plutôt sa localisation, ne louant à très bas-coûts les services de ces paysans que lorsqu'il n'avait pas le temps de voyager aux quatre coins des territoires qu'il connaissait. Les gens trop isolées ne se rendaient pas compte de la valeur de leur travaux, et les plus démunis n'étaient pas en position de demander plus.

C'était jubilatoire pour Siruu : il avait tout un petit réseau de récolte à lui tout seul. La faille de son système était que de plus en plus de gens rejoignaient la ville, et qu'il ne restait que peu d'ermites comme lui, en autarcie des cités. Combiné au fait que certains endroits étaient difficilement atteignables, il n'avait plus de réseau, et, de toutes façons, il accumulait des ressources pour faire du déjà-vu, il voulait évoluer. Il ne savait plus quoi faire, il n'avait pas les moyens de se payer d'autres larbins et la simple idée de devoir faire des efforts et un long trajet le fatiguait. Siruu dut donc se faire à une idée : si il voulait en apprendre plus, il lui faudrait des gens spécialisées. Son honneur ne se sentait pas particulièrement blessé par cela, mais sa passion pour les poisons augmentait de jour en jour et le simple fait d'en avoir sur lui le calmait, développait-il une addiction ? Là n'était pas la question. Comment avoir un maître, un supérieur, ou du moins quelqu'un pour lui apprendre plus que les rudiments qui'il connaissait ? Il n'avait aucune maîtrise et ne faisait qu'expérimenter, et il ne voulait pas cela. Mais en même temps, il n'allait pas placarder une affiche "Cherche empoisonneur pour m'apprendre à créer un poison mortel" en pleine ville !
Siruu ne savait donc pas quoi faire. Il descendait les marches de l'auberge, remarquant qu'il s'était fait volé sa bourse et qu'il ne pouvait donc par conséquent pas régler la facture de la nuit qu'il avait passé. Il était exténué et obligé de mendier pour le compte des aubergistes afin de s’acquitter de sa dette. Après plusieurs heures d'attente, le jeune sorcier ne savait que faire. Il se doutait bien qu'il n'aurait pas la possibilité de le mettre sur son ardoise, et il ne pouvait s'échapper sous peine de se faire attraper. Et, quand il voyait Kaily amasser tant d'argent, il se demandait si il obtiendrait le même résultat en faisant pareil. Dans tout les cas, le soir était tombé, il manquait encore de l'argent et Siruu ne pouvait que dormir sur le sol, sauf si quelqu'un payait pour lui.
Quelqu'un payer pour lui ? Une chose assez irréaliste, les gens ne sont pas altruistes, elles cherchent forcément quelque chose. Siruu se mit donc à vendre des services et des babioles à la sauvette, pour pouvoir s’acquitter de sa dette et repartir. Mais il ne pouvait pas vendre des services jugés "illégaux" comme à Sceptelinost, il était donc obligé de vendre ses herbes, réactifs et onguents, à contre-cœur certes, mais il n'allait pas rester éternellement ici et devait partir.
C'est là qu'il le rencontra. Dans son malheur, Siruu fût directement sûr d'avoir été chanceux, car il reconnu un emblème : celui des Venoxir, un petit groupe de personnes appréciant l'art des venins, des potions et des poisons. Il avait auparavant entendu ce nom et pendant ces longues heures où il faisait la manche et où il eu le temps de réfléchir, trouver un membre de ce groupe devint sa priorité. Il ne savait pas si c'était bien quelqu'un ayant la même passion dévorante que lui, mais il devait l'aborder.
- Monsieur, je dois vous parler, suivez-moi je vous prie.
L'homme se retourna, montrant entièrement son visage fatigué, ses cheveux bruns et sa barbe de dix jours. Il portait un manteau rapiécé marron avec de larges poches remplies de fioles vides, un pantalon long et ample vert et des chaussures de marche châtaignes.
- Hmmm, et pour quelle raison je devrais vous suivre ? Qu'est-ce qui me dit que vous n'êtes pas un voleur ?
Siruu s'avança alors d'un pas vers cet homme, leva la tête pour le regarder dans les yeux et dit :
- J'ai simplement remarqué que vous portiez un tatouage assez intéressant, le jeune sorcier marqua une courte pause, j'ai entendu parler de votre groupe dans "L'histoire des poisons", ce livre écrit par Nelvira.
L'homme en face de lui lui fit signe de le suivre, Siruu avait réussi à interpeller son interlocuteur et une discussion plus qu'intéressante allait suivre, une discussion où Siruu allait hésiter, et se décider.

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Élixir de mort

Assis à une table, Siruu et cet homme discutaient.
- Les Venoxir se sont dispersés depuis longtemps, tes sources ne sont pas à jour. J'avoue avoir été l'un d'eux. Mais... Que me veux-tu ?
Siruu était sidéré. Les Venoxir, dispersés ? Il avait décidément passé une mauvaise journée, du moins c'est ce qu'il croyait. Mais il repris néanmoins ses esprit et annonça :
- Eh bien... Je me lance : votre profession m'intéresse. Je n'ai pas de gagne-pain et les poisons sont une passion pour moi.
L'homme semblait observer attentivement Siruu, cherchant à déceler quelque chose, mais avec son masque, le jeune sorcier n'était pas des plus convaincant.
- Il y a le loisir et le métier, tu sais. Ta passion, aussi dévorante soit-elle, n'est en aucun cas un réel motif et, de toutes façons, je ne pense pas que tu aies le talent nécessaire.
L'adepte brumeux persévérait, et, après un long débat, cet homme, qui s'était présenté sous le nom de Lurdi, accepta de lui donner un cours, et bien un seul.
- Merci. Ce n'est peut-être qu'un cours, mais j'aimerais apprendre tout ce qu'il y a à savoir sur cet art.
Siruu était passionné de poisons. C'était maladif chez lui. Mais est-ce que sa maladie se guérira ? Ou alors, est-ce qu'elle s'empirera ? Est-ce qu'il fera vraiment du poison son métier ? Il réfléchissait. Ce livre, cette recette, cette technique. Tant de choses à apprendre ! Son instructeur ne lui laissait aucun répit et il aimait ça. Siruu discuta pendant plusieurs heures d'effets, de réactifs, de techniques... Mais vint l'heure fatidique, où Lurdi devait partir, et, alors qu'il était déjà bien en retard, il paya rubis sur l'ongle les aubergistes alors qu'il n'avait aucune dette envers le jeune sorcier qui était libre de partir..
- Ne partez pas.
- Et pourquoi ?
- Je veux en apprendre plus.
- Tu n'as pas encore la technique mais si tu suis les recettes, tu pourras t'amuser.
- Vous me donnez les recettes des poisons mais vous ne me donnez pas la base de votre métier. Je veux comprendre cet art.
- Si tu veux, mais être empoisonneur ne t'apportera que des problèmes. Suis-moi.
Celui qui allait par la suite apprendre de nombreuses choses à Siruu lui indiquait un magasin, rempli de poisons, d'herbes, de recettes et de livres en tout genres. L'adepte brumeux regardait avec admiration chacun de ces produits, tel un enfant devant des jouets. Le lieu était magnifique pour lui. Lurdi et le sorcier discutèrent toute la nuit de nombreux sujets liés au poison, l'addiction de cet adepte brumeux s'aggravant, mais l'aube se lève toujours et, au petit matin les deux âmes se mirent à discuter d'un autre sujet et, après des heures de débat, le jeune sorcier se décidait : il allait faire du poison son métier.
Les jours suivant, Siruu venait à la boutique, apprenant tout les jours de nouvelles choses et expérimentant. Il est vrai que c'était plus des entraînements quotidiens qu'autre chose mais le jeune sorcier progressait en s’exerçant. C'était un travail usant, qui nécessitait que Siruu recommence plusieurs fois le même poison mais il était tellement heureux quand il réussissait que le temps ne comptait plus pour ce jeune sorcier.
Puis un beau jour, Lurdi mit Siruu au défi de créer un poison qui paralysait et tuait peu à peu sa victime. L'adepte brumeux essaya pendant des jours de créer ce poison, mais il échouait, tout en continuant à persévérer. Il se rendait dans des bibliothèques pour comprendre le mécanisme de ce fameux poison dont la recette semblait nécessiter un certaine technique. Ce n'était pas infaisable, mais c'était compliqué pour un novice tel que lui, même si Siruu n'abandonnait pas. Après une semaine de réflexion, Siruu comprit une des notions essentielles du métier, une notion que son maître ne lui avait volontairement pas appris : un catalyseur. Mettre une substance à l'effet "A" et une substance à l'effet "B" ne donnera pas tout le temps "AB". Mais, en isolant "A" de "B" avec "C", alors "C" devient ce qui lie "A" et "B", il devient le catalyseur de la potion.
Cette technique ne marchait bien sur qu'avec certains ingrédients, mais depuis ce jour, ce jeune sorcier avait considérablement appris en termes de potions mais surtout de poisons, et, même s'il n'était qu'un novice, il progressait.

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