]Le sourire était mauvais, carnassier et dérangeant ; un brin de vérité qui venait briser l’illusion dont les éclats persistants laissaient un doute. Qui était-elle ? Pouvait-on lui prêter la moindre confiance ? Les questions étaient vastes et les réponses, trop maigres. Les yeux grands ouverts, il fallait voir au-delà des apparences. Sirène au teint de porcelaine, elle avait été coloriée de corail, d’azur et de givre, nimbée d’une douce lueur pâle. Avec ses longs cheveux céruléens aux boucles tendres qui coulaient le long de son dos et l’éclat de malice de son regard espiègle, elle ressemblait davantage aux princesses ensorceleuses des contes d’autrefois qu’à un monstre sans nom dont l’assassinat serait un mal pour un bien. Petite créature à la ligne fine et fragile, elle avait les traits célestes des êtres purs des cieux, de ceux qu’on croyait sans peine. Pourtant, elle n’était pas quelqu’un de bien. Tombée un beau jour des cieux fendus, elle était une âme d’une autre époque, d’un autre monde où elle était destinée à devenir quelqu’un. Son nom n’était qu’un mensonge, un emprunt pour dissimuler la vérité. Cælys. Elle avait été puissante, dans son univers. Une jeune criminelle pleine d’ambitions et de rêves noirs, elle avait lentement placé les pions de son futur. Le voyage imprévu avait détruit ses projets. Elle devait se faire à une ère nouvelle, à l’histoire qu’elle avait manqué, à cette femme qu’elle aurait dû être et qui la toisait avec une pointe de mépris, condamnée à vivre dans l’ombre d’un présent flamboyant. Cælys vivait assez mal cette expérience déplaisante. Elle n’arrivait pas à s’entendre avec Vanille, qui ne l’appréciait pas davantage. Un comble, pour deux personnes censées être les mêmes. Elles étaient aussi différentes que possible. Cælys soupçonnait la Dame des Abysses de mener d’étranges expérimentations sur elle, comme pour admirer ce qu’elle aurait pu être avec une éducation différente. Cælys ne le supportait pas. D’une mine ravageuse, elle longeait les couloirs du Palais de la Cité Engloutie, vociférant tout bas. « Quoi ? » Elle se retourna de mauvaise grâce. On l’avait appelé mais il n’y avait personne aux alentours. La Sirène était cependant certaine d’avoir entendu son prénom. Elle grinça des dents, contrariée, avant de secouer la tête, prête à reprendre son chemin. « Quoi ! » répéta-t-elle avec force. Quelqu’un voulait attirer son attention, c’était évident. Dans un soupira, elle poussa la porte la plus proche. Elle s’effondra.

« Hum. » La tête endolorie par un mal dont elle ignorait tout, Cælys se redressa lentement, avec prudence et précaution. Elle sentait le sol froid sous ses paumes et son dos. Hébétée, la Sirène battit plusieurs fois des cils, le temps que ses yeux s’habituent à la pénombre. Quelques touches de clarté s’échappaient des fenêtres voilées. « Est-ce qu’il y a quelqu’un ? » murmura-t-elle en se relevant, chancelante. Du coin de l’œil, elle avait cru voir une ombre passer et filer. Les lèvres pincées, elle scruta la grande salle obscure. Comment était-elle arrivée là ? « La porte était un passage. » susurra tout bas une douce voix. Cælys tourna vivement les talons. Une femme était juste derrière elle. La jeune fille n’avait pas même ressenti sa présence, son souffle. « Qui êtes-vous ? » - « Je t’ai amené ici. » - « Ce n’est pas ce que j’ai demandé. » L’étrangère la dévisagea. « Je me doutais que j’aurai du soucis, avec toi. » - « Qu’est-ce que cela signifie ? » - « Que je t’ai choisi malgré les difficultés à venir. » - «  Mais encore ? » s’impatienta-t-elle. Avec arrogance, elle croisa les bras. « Prête-moi allégeance. Sois mon élue. Deviens le.» Cælys réfléchit. « Vous êtes Kaa, n’est-ce pas ? La Maîtresse des Âmes. » Elle avait surpris une conversation de Vanille, une fois. La Reine et l'Aether entretenaient une relation plus que conflictuel. La Déesse ne cilla pas. La Sirène soupira avec cynisme. « Vous ne vous intéressez pas à moi. » - « Crois-tu ? » - « Vous méprisez la Khæleesi et cherchez un moyen de l’atteindre, à travers moi. Vous êtes comme elle, persuadée de pouvoir me manipuler à votre guise. Vous me regardez, mais c’est elle que vous voyez, le potentiel que je renferme. Vous vous fichez complétement de moi. Car oui. Oui ! » Elle avait presque hurlé le dernier mot. « Nous sommes différentes. Nous ne sommes pas la même personne. Du tout. Alors allez … » Kaa la coupa. « Je ne peux nier t’avoir choisi pour … les qualités de ton sang. Néanmoins, tu devrais te pencher sur les bienfaits de ma proposition. Elle est alléchante, rends toi en compte. » - « Vous voulez quoi ? Que je sois votre animal de compagnie, prête à mordre quand il le faut ? » - « Simplement que tu écoutes. Non, plutôt, que tu entendes. Je saurai te rendre forte. » Cælys pencha la tête sur le côté. « Rien n’est gratuit. » - « Un jour, tu paieras le prix. » Elle s’était approchée, effleurant un instant les mains de la Sirène. Les bras de celle-ci ployèrent sous le poids de l’arme qu’elle venait de lui donner. « A présent, réveille-toi. »

Cælys ouvrit brutalement les yeux, hébétée. « Tu t’es cognée ? » se moqua Yun qui passait par là. La Sirène ne l’écoutait pas. Quel songe étrange … « Fais attention, surtout quand tu te ballades avec ce genre de jouet. » - « Hum ? » Elle était allongée sur le sol, à côté de la double hallebarde que lui avait donné Kaa.