Perchée près des cimes des grands arbres de la Forêt, Belle balançait tranquillement ses pieds nus dans le vide. A travers les épais branchages aux feuilles colorées, elle distinguait les ouvrages et les fondations de la prochaine Cité des Déchus. Un léger sourire aux lèvres, elle contemplait les ombres qui s’afféraient. Distraite et rêveuse, elle croqua dans le fruit juteux qu’elle venait de tirer de ses poches. Avalon lui manquait, autant que la présence de ses proches dont elle aimait prendre soin. Pourtant, elle ne pouvait se résoudre à quitter les bois aux mille clochettes. Où irait-elle ? La Capitale se vidait peu à peu de ses âmes et elle ne pouvait pas même songer à l’éventualité de rejoindre les Îles tant l’idée d’approcher les Montagnes la terrifiait. Le superviseur lui avait offert de rester aussi longtemps qu’elle le souhaiterait mais elle était mal à l’aise d’être aussi inutile au chantier. La situation n’était pas vouée à s’éterniser. Il fallait qu’elle prenne une décision. Dans un soupir résolu, paupières closes, elle prit de grandes inspirations comme pour se gorger d’un courage qu’elle n’avait pas. Douce et paisible, elle rouvrit les yeux. « Qu’est-ce que … Quoi ? » bredouilla-t-elle avec maladresse, prise de vertige. Son regard s’était posé sur un ciel orangé où s’alignait une dizaine de soleils à son zénith. Elle battit des cils. Tout était terminé et le chant des oiseaux lui revint aux oreilles. Le fruit avait glissé de ses doigts pour s’écraser lamentablement plusieurs mètres en contrebas. Troublée, elle glissa plusieurs fois ses mains dans ses longs cheveux blonds, les démêlant avec hargne. « Ne résiste pas à l’impossible. Rien ne l’est. Ce que tu as vécu n’est qu’improbable. Rejoins-moi. » La voix était éthérée, fragile. Les mots avaient été susurré avec une délicatesse soignée, murmures discrets venus d’un ailleurs voilé. Belle resta immobile de longues secondes avant de déployer ses ailes pour retourner sur la terre ferme. « Tu étais donc là ! On se demandait où tu étais passée. » Le Déchu sourit, avant de reprendre plus lentement : « Est-ce que tout va bien ? Tu as le teint pâle. » Il tourna la tête pour interpeller l’un de ses amis. « Amène de l’eau pour la Fille en Porcelaine. » - « Non non, ça ira. Ne t’inquiète pas pour moi. Je vais me promener dans le coin, flâner un peu … » murmura-t-elle très vite en reculant de quelques pas, avant de s’engouffrer dans la Forêt.

Belle avançait avec prudence à travers les bois lumineux, les bras croisés et le regard égaré. La voix continuait à lui souffler quelques mots, son prénom surtout. « Tu es une élue. Viens, je souhaiterai te rencontrer. Laisse toi bercer par ma magie. » La Déchue crut entendre un craquement derrière elle. D’un mouvement brusque, elle se retourna. Il n’y avait rien. Elle fit volte-face à nouveau. Dans un frisson, elle constata qu’elle n’était plus dans la Forêt mais dans une grande pièce claire. « Enfin, te voilà. Je suis Fuzäil. » Grande et mince, elle avait une chevelure d’un bleu pâle et une élégance écrasante. Elle pencha la tête sur le côté. « Sais-tu qui je suis, Belle ?Au delà de mon nom. » L’intéressée se mordit les lèvres, frémissante. « Oui. » Elle avait entendu parler des Esprits du Temple, sans jamais avoir eu l’honneur d’en rencontrer un. « Est-ce que je suis au Temple ? » Elle avait lu les légendes et les histoires. « Oui. » - « Pourquoi ? Qu’est-ce que signifie tout ce que vous m’avez dit ? » - « Je t’ai jugé digne de recevoir mon présent. » - « Digne ? » - « Ta ligne de conduite est impressionnante, malgré les écarts auxquels tu succombes puisque le péché coule dans ton sang. » Tendue, elle ne répondit rien. « Tu es une candidate idéale à la voie du Dragon. Guidée par les Esprits de ces lieux, tu pourrais gravir les sommets. » Belle ne parvenait toujours pas à formuler une phrase cohérente. Elle avait du mal à croire à ce qu’elle vivait. « Ce n’est pas impossible, seulement improbable. » répéta-t-elle en écho aux pensées de l’Ange Noir. « Ceci est pour toi. » continua-t-elle en présentant quelque chose d’un mouvement. Belle se retourna, surprise de voir une petite table de marbre derrière elle. Posée sur la pierre froide, un spectre argenté patientait.  « Lorsque tu seras prête, reviens me voir. »

740 mots