C’est en marchant à travers les vertes contrées des Terres d’Émeraudes bordant ma ville natale, que je le réalisai : j’avais besoin de reprendre contact avec la Nature. Toute ma vie, j’avais honoré cette facette du cosmos, je l’avais vénérée et adorée, tenté de la comprendre pour mieux la servir. Toutefois, je n’avais jamais réellement ressenti ce que la Nature représentait jusqu’à aujourd’hui. Je ne m’étais jamais sentie aussi perdue dans l’immensité, je ne m’étais jamais rendue compte de façon aussi vivide de la petitesse de ma personne, de l’infime place que j’occupais dans l’Univers. J’avais toujours été habituée à côtoyer la nature, oui. Ayant été élevée à Maëlith, je n’avais pas réellement eu d’autre choix. Mais la version de la nature avec laquelle j’avais grandi était une version polie, une version diluée de ce qu’était réellement le monde naturel. On avait choisi de garder pour nous tous ses aspects jugés beaux et laissé de côté ceux qui étaient moins esthétiques. Cela semblait tout naturel, pour moi, jeune Orine habituée à ne voir uniquement les plus belles choses en ce monde. C’est pieds nus dans la campagne verdoyante, les orteils s’enfonçant dans la terre sale et respirant à pleins poumons l’odeur propre à ce lieu que m’amenait le vent, que je me rendis compte à quel point mon peuple et moi-même avions tort. Comment choisir d’adorer un unique aspect de ce qui semble sans fin? Comment trier et décider que certaines parties de ce Tout n’étaient pas dignes de notre attention, de notre servilité et de nos offrandes?  C’est cette Nature ci que je choisissais d’adorer; indomptable, vaste, impossible à comprendre et imposant le respect. Rude, crue, fourmillant de vie, prête à la reprendre à tout moment.

Sous le crépuscule, chaque étoile était visible dans la vaste peinture céleste qui s’élevait au-dessus de moi. Un fort vent secouait mes cheveux et me faisait chanceler parfois, alors que je continuais d’avancer, le bas de mon kimono blanc désormais taché par la terre boueuse qu’il frôlait. Tant pis! J’en ferai faire un autre, ou bien je remplacerai sa doublure en coton. Enfin, l’esthétique n’était pas une priorité pour moi en ce moment, une première, d’ailleurs. J’étais seule, je n’avais personne à impressionner. Tout semblait aller pour moi; mes dix-sept ans étaient une promesse de liberté en eux-mêmes, mais en plus, j’avais été choisie par l’ordre des Geishas en tant que Riya. Bientôt, j’allais commencer les cours et commencer un apprentissage poussé afin de devenir une œuvre d’art vivante, une égérie de beauté et de grâce. Envahie par l’émotion, je décidai de continuer de m’enfoncer plus loin dans ces vastes contrées. Ma présence ici, près de Maëlith, l’endroit où j’avais grandi, était symbolique en quelque sorte. Je disais au revoir à mon enfance pour faire face à ma vie de femme. Peut-être m’établirai-je un jour à Orihime, avec un maître, ou bien peut-être explorerai-je les différents continents à ses côtés. Pour l’instant, cependant, esseulée dans les Terres d’Émeraude, les talons enfoncés dans la terre meuble, les bras enroulés autour de mon corps, je pensais.

HRP:

Je fus interrompue dans ma rêverie par une voix grave, trop grave pour être l’une de mes consoeurs.

« Mademoiselle.»

Je me retournai vivement, mon mouvement combiné à celui de vent faisant en sorte que mes cheveux cachent mon visage. L’homme se tenait très proche, trop proche, et avait murmuré ses mots d’une voix de velours. J’étais très surprise et un peu haletante, car je n’avais pas du tout anticipé le fait que je n’étais peut-être pas seule au milieu de la campagne verdoyante. L’homme avait parlé tout bas, mais les quelques syllabes qu’il avait prononcées résonnaient dans mon esprit tant j’avais été choquée de les entendre. L’homme semblait très pâle, sa peau scintillant paresseusement sous le clair de lune. Je fus cependant captivée par ses yeux, d’une couleur ocre que je n’avais jamais eu l’occasion d’observer auparavant. Son apparence semblait si pure, sa voix si douce, que je crus être témoin d’une apparition.

Une apparition? Ce fût cette pensée qui me mit sur mes gardes. Je devrais me méfier, plutôt que d’être fascinée par l’homme qui venait me troubler; après tout, ne venais-je pas de conquérir un mal qui avait terrorisé mon peuple il y a peu de temps? Cette apparition soudaine, car je n’avais pas entendu les pas de l’homme s’approcher, ni même pressenti sa présence à mes côtés, pouvait-elle être celle d’un autre esprit qui me voulait du tort? De plus, j’étais assez nerveuse de voir un homme de si près. Il ne m’avait jamais été donné d’observer une personne du sexe opposé qui n’était pas Orine d’aussi près. Quoi qu’il en soit, apparition ou non, je ne voulais pas sembler malpolie envers l’homme qui s’était déjà introduit à moi. Me rappelant les leçons de conversation que j’avais reçues lors de mon éducation, je replaçai mes cheveux derrière mes oreilles, puis esquissai une vague inclination de tête à l’intention de l’inconnu qui se tenait toujours devant moi. S’il était bel et bien composé de chair et d’os, je ne voulais pas sembler rustre; s’il était un spectre ou quelconque apparition maléfique… Je m’en occuperai plus tard.

«Bonsoir.»

J’esquissai un sourire en sa direction, tentant de ne pas croiser son regard qui avait sur moi l’effet d’un aimant.

«Quel joli paysage, n’est-ce pas? Le clair de lune est sublime, ici. »

Je tentais d’engager la conversation, établissant ainsi que je n’avais aucune mauvaise intention. Ma voix était douce, quoi que légèrement tremblante, et on pouvait percevoir la pointe d'un sourire à travers mes mots. Orine et bientôt Geisha (si tout se passait bien), je me devais d’être une as en conversation, lorsqu’il s’agissait de divertir les hommes et d’obtenir des informations sans les demander ouvertement. J’espérais que l’homme allait me répondre en se présentant et en m’expliquant les raisons qui l’avaient amené à visiter un lieu si rapproché du havre de paix qui m’avait abrité lors de mon enfance. Toujours légèrement nerveuse de me retrouver si près d’un homme, je triturai anxieusement avec mon obi immaculé, désormais consciente d’avoir irrémédiablement sali le bas de mon kimono. Je n’étais pas énervée d’avoir été interrompue dans mes pensées, car elles commençaient à devenir trop moroses et à me polluer l’esprit. Espérons que l’étranger n’allait pas me faire regretter d’être venue me balader au crépuscule.

L’homme fit un commentaire sur le fait que, malgré la magnifique vue qui s’offrait à quiconque embrassait du regard les Terres d’Émeraude, s’aventurer seule n’était pas toujours sans danger.

«En effet, mais chaque rose a ses épines. Pour en sentir le parfum, il faut être préparé à s’entailler le doigt. » lui répondis-je, toujours légèrement haletante, car je me remettais du choc qu’il m’avait causé.

Bien sûr, ces contrées pouvaient être dangereuses, mais j’avais passé toute ma vie ici, à courir et me rouler sur l’herbe verdoyante. Je n’avais pas peur de m’y enfoncer, car je savais Mère Nature bonne envers mon peuple et cruelle envers ceux s’aventurant sur nos terres le cœur empli de mauvaises intentions. Lorsque j’étais plus jeune, Mère m’avertissait souvent de me méfier de ceux qui médisaient sur la Nature, car leurs mots n’étaient que le reflet de leurs agissements et de la pureté de leur cœur. S’ils louangeaient la magnifique campagne, s’inclinaient devant les étoiles, vénéraient les hautes branches du saule, alors Dame Nature avait été bonne envers eux, ne lui montrant que ses bons aspects; si Dame Nature considérait cette personne digne de confiance, alors nous devions nous ranger à son bon jugement. L’étranger n’avait pas tort, donc, en affirmant que se promener seule sous la voûte étoilée pouvait être dangereux. Je ne me sentais cependant pas concernée par ces sages avertissements.

J’allais communiquer ces pensées à mon interlocuteur lorsque, subitement, il se pencha et me baisa la main. Ses lèvres étaient douces sur ma peau, et mes paumes devinrent moites instantanément. Peu habituée à ce genre de convenances, sans toutefois être surprise ou décontenancée, je souriais déjà lorsque ses yeux se plongèrent dans les miens. Nos visages étaient à quelques centimètres l’un de l’autre et mon cœur battait la chamade. Je devais me calmer! J’allais rencontrer beaucoup d’autres hommes dans ma vie. Alors je devais cesser ces enfantillages et grandir, un peu! Ressais-toi, Aina, m’intimai-je silencieusement.

« Je suis Yuen, pardonnez-moi de ne pas m'être présenté. »

«Enchantée, Yuen. Je me prénomme Aina.»

Il me tenait toujours la main, ses yeux dorés fouillant les miens. Je n’avais vu cette couleur que dans les lourds brocarts portés par mes aînées au cours de cérémonies, ou dans d’anciennes gravures du centre d’apprentissage. Cette nuance de jaune, tirant sur l’orangé, était réminiscente de l’éclat du soleil et semblait prendre vie sous la lumière étincelante du clair de lune. Si les yeux sont le miroir de l’âme, ceux de Yuen annonçaient un esprit bienveillant et lumineux.

«Je suis venu ici pour le plaisir des yeux…»

Un bon début.


«…Mais aussi beau que soit le paysage, il ne nourrit pas mon estomac ni ne me protège des colères de la nature. Pourriez-vous me dire où trouver ce lieu ?»

Jeune, oui, fascinée par l’homme et par ses yeux, oui. Mais stupide, loin de là. L’homme cherchait une entrée vers Maëlith, c’était certain. Ses intentions? Je n’en avais aucune idée, mais j’étais automatiquement méfiante lorsqu’un étranger tentait de pénétrer dans la ville cachée. De plus, s’il avait mentionné les «colères de la nature»… Peut-être ses yeux étaient-ils mensongers, de simples atours créés pour leurrer ses proies vers la lumière afin de mieux les dévorer.

«Et si cela ne vous dérange pas, je me perd facilement. Avoir quelqu'un pour me guider serait d'une grande aide.»

Quelle stratégie aborder?
Je ne pouvais pas le ramener à Maëlith, même si ses intentions étaient pures. Peut-être me trompais-je totalement. Peut-être était-il un homme bon qui cherchait à mieux communier avec la nature. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, je ne pouvais lui montrer le lieu où se trouvait la cité Orine. Les raisons étaient à mes yeux évidentes. S’il était fourbe, je ne voulais pas qu’il cause du tort à mon peuple; s’il était inoffensif, je ne pouvais tout de même pas lui révéler l’emplacement de la ville dissimulée, par crainte qu’il révèle son emplacement et les charmes qui la protègent à une personne mal intentionnée. Par contre, la possibilité qu’il dise la vérité me tourmentait. Comment pouvais-je même considérer l’idée de laisser le malheureux seul, au beau milieu de terres qui lui étaient inconnues? Je devais l’aider à trouver un endroit où manger ainsi que se reposer, puis me retirer. Oui, c’est cela! La meilleure solution, le choix éthique. C’était la bonne chose à faire, décidai-je.

«Stenfek», murmurai-je, «Stenfek est la ville la plus près d’ici.»

Je reculai de quelques pas, toujours légèrement empourprée. J’haussai le ton inconsciemment.

«Je peux vous y mener, si vous le souhaitez. J’y connais une auberge qui est très généreuse dans ses portions de nourriture. De quoi être plein pendant toute une semaine!»

Je détestais la nourriture de cette auberge, d’ailleurs. Elle était grasse et peu raffinée. Habituée aux saveurs subtiles, délicates, coquettes, j’évitais d’y manger, où même de m’y rendre. Je l’avais pourtant suggérée à Yuen, car c’était la seule assez éloignée de Maëlith afin d'être certaine qu'il ne me suive pas lorsque je rentrerai. Ambivalente à son sujet quelques instants auparavant, j’avais soudainement envie de prendre la route à ses côtés et, enthousiaste, je me penchai légèrement vers l’avant, les bras derrière le dos, tout sourire.

«Il est vrai que je commençais un peu à m’ennuyer, ici,» mentis-je. «De plus, le clair de lune semble parfait pour une balade.»

«Je serais ravi de vous avoir comme guide, Mademoiselle. Je ferai en sorte de vous renvoyer la pareille aussitôt que possible; n'hésitez pas à me demander un service si je peux vous aider. »

«Je n’y manquerai pas,» répliquai-je avec un petit sourire, m’avançant légèrement vers la droite, invitant Yuen à me suivre afin de se mettre en marche. Je ne savais pas réellement l’endroit exact où se trouvait l’entrée de Stenfek, n’y ayant été que peu de fois dans ma vie, mais j’avais une idée de l’emplacement de la ville par rapport à Maëlith. C’est donc calmement et sans empressement que l’étrange homme et moi-même nous mirent en marche vers le territoire Réprouvé. Mis à part les quelques couinements animaux qui provenaient de la forêt ainsi que le frôlement de nos pieds sur la terre meuble, notre marche fut silencieuse et sereine. Yuen avançait plus rapidement que moi et se retournait souvent pour s’assurer que j’étais toujours derrière lui. Je faisais attention à la façon dont je marchais. Ma mère m’avait souvent rappelé que le mouvement du bas du kimono d’une femme doit évoquer le doux clapotis des vagues qui viennent mourir sur la côte. Je progressais donc en faisant de petits pas, la tête droite, tentant de paraître digne et gracieuse. Enfin, je n’étais pas très pressée. J’aurais cependant probablement dû l’être, vu l’état de faim et de fatigue dans lequel mon accompagnateur avait dit se trouver. Cependant, un peu égoïstement, je l’admets, je choisis la parure à l’efficacité, et ralentis donc la marche en faveur de mouvements plus doux, plus esthétiques.

Le silence ne me perturbait pas. Au contraire, il me permettait d’observer mon partenaire de marche de façon plus poussée, n’ayant plus besoin de lui jeter des coups d’œil à la dérobée maintenant qu’il me faisait dos et me précédait de quelques pas. Bien à mon aise de pouvoir l’étudier sans paraître malpolie, je laissai mes yeux s’attarder sur lui. Ses cheveux d’une étrange couleur verte émettaient un halo sous la lumière du crépuscule. Son physique était très curieux : des yeux mordores, des cheveux verts… Un sourire étrange, chaleureux mais décontenançant à la fois. Lorsqu’il m’avait souri, j’avais eu l’impression de faire face à un carnassier, dévoilant ses dents pour ne faire de moi qu’une bouchée. Ni très grand, ni très petit, il n’était pas ce que je pouvais qualifier d’imposant. Si ça n’avait été de sa peau diaphane ainsi que de la curieuse combinaison effectuée par ses cheveux et ses yeux, il aurait eu un physique tout à fait banal…si ça n’avait pas été de sa mystérieuse aura. J’aurais dû me méfier de cet homme, mais me voilà, marchant à ses côtés sous le couvert de la nuit, me dirigeant vers une cité qui m’était peu familière. J’étais consciente qu’il était stupide de placer une confiance naïve envers cet étrange homme, lui donner trop de pouvoir sur ma personne, mais il exerçait une force d’esprit indéniable contre laquelle je ne pouvais rien. La lueur des étoiles éclairant chaque pas, la voûte céleste me souriait. Je me sentais stupidement en sécurité.

Stupidement.

Le silence fut rompu par l’écho lointain de sabots martelant le sol. De graves voix d’hommes se faisaient entendre, résonnant dans la vaste campagne. Je voulus faire un signe à Yuen de se pousser rapidement de leur chemin, ayant peur que les cavaliers et leurs montures ne nous foncent dessus, mais je n’en n’eus pas le temps. En l’écart de quelques secondes, précédés par un large nuage de poussière, apparurent deux hommes montés sur de superbes chevaux alezans. Leurs selles et montures indiquaient la richesse et, croyant avoir affaire à des nobles, je m’inclinai respectueusement. Ne pipant mots, l’un d’eux descendit prestement de sa monture, lui flanquant un coup au flan par ce que je supposai être de la maladresse. Il s’approcha de moi d’un pas vif, approchant sa main de sa ceinture et, d’instinct, je reculai. Son geste ne m’avait pas inspiré confiance et à vue de nez, Yuen avait eu le même pressentiment, puisqu’il s’était posté entre l’inconnu et moi, le repoussant d’une main.

«Ne me touche pas, occupe-toi tes affaires.»

Sa voix, autoritaire et menaçante, me fit frissonner. Je pus apercevoir son partenaire, toujours sur son cheval, plus aisément. Moi qui les avait pris pour des nobles! Leurs montures et attelages étaient peut-être luxueux, oui, mais leurs multiples hématomes ainsi que leurs dents manquantes étaient plutôt antonymes de la beauté et de la prestance que dégageait l’habituelle noblesse. Je fronçai le nez, dégoûtée. Que ces rustres nous voulaient-ils donc?

«Je veux cette femme! Elle va se vendre à prix d'or si elle est bien ce que je pense. C'est notre terrain de chasse. Déguerpis ! »

Non!

Prise de panique, mon regard passa rapidement de l’homme qui venait de parler à celui toujours monté sur sa selle, qui exposait désormais un sourire ne dissimulant pas ses intentions macabres. La gorge sèche, je ne savais quoi faire. Mon seul instinct fut de me retourner et de tenter de courir vers le centre des terres, mais mon encombrant kimono me ralentissant considérablement, l’homme en selle n’eut aucune difficulté à me rattraper, une fois descendu de sa monture. Il m’attrapa par les cheveux et je sentis sur ma nuque son haleine putride.

«Tout doux, tout doux petite Orine», sourit-il, «tu dois rester en bon état pour qu’on tire le plus possible de toi.»

Ne cessant de me débattre, je lui flanquai un coup de coude dans les tripes. Probablement plus surpris que en mal, car je n’avais pas pu frapper si fort que cela, il me lâcha pendant une seconde, ce qui fût assez pour que je me remette à courir en direction de Yuen, qui avait mis l’acolyte de mon agresseur sur le sol. Se rendant compte que Yuen était plus puissant qu’ils avaient estimé, les deux truands se remirent en selle et partirent au galop. Le souffle court, toujours en état de panique, je m’accrochai au bras droit de Yuen afin de ne pas tomber sur le sol.

«Vous n’avez rien?»

Je secouai la tête. Le truand m’avait attrapé vivement par le bras et tiré mes cheveux, mais je devrais m’en tirer avec un bleu.

«Nous devrions vite nous rendre à l'endroit convenu, je ne pense pas qu'ils vont en rester là. »

«J’ai peur.» chuchotai-je d’une voix tremblante, après un moment de silence. «On m’a bien dit… Que des gens en voulaient à mon peuple… Qu’on allait essayer de me prendre. Mais je ne pensais pas que…»

Je secouai la tête, n’achevant pas ma pensée.

«Vous avez raison, nous ne devrions pas tarder.»

Ma mère m’avait déjà raconté des histoires de temps oubliés, où les femmes Orines devaient cacher ce qu’elles étaient de peur d’être réduites en esclavage. Notre peuple ayant la réputation d’être d’un naturel soumis et obéissant, il était logique que certains aient l’idée de faire de nous des esclaves, des domestiques, ou simplement de nous utiliser afin de satisfaire leurs perverses pulsions. Je ne pensais tout simplement pas que une histoire de ce genre allait m’arriver, n’ayant pris les avertissements de Mère que comme une simple histoire destinée à m’empêcher de m’aventurer loin de la sécurité que représentait Maëlith. Enfin, je n’avais plus à me soucier d’être en danger en présence de Yuen, désormais. Il m’avait sauvée des griffes de gens me voulant du tort, alors qu’il aurait très bien pu me livrer au duo. Avait-il compris ce que j'étais? Si oui, il avait agit admirablement.

Je levai la tête vers lui et le remerciai du bout des lèvres. Toujours sur le coup de l’émotion, je gloussai légèrement. «J'ai une dette envers vous, Yuen.»

Je me détournai.

«Stenfek est toujours à quelques lieues.»

Toujours légèrement frissonnante, je me remis en marche.