Le verre que je tenais dans la main finit par se briser au cœur de la cheminée, l'alcool faisant prendre au feu une apparence monstrueuse un instant dans un bruit inquiétant. Elle n'était nulle part, et ce n'était pas peu dire pour moi qui ressentais la présence de Mitsuko où qu'elle se trouve sur ces terres en temps normal. J'étais fou de rage, si bien que mes conseillers avaient cessé de m'approcher. Ils attendaient que je vienne de mon plein grès parler des affaires concernant les Chamans. Sans elle, je ne pouvais m'élever en tant qu'Æther. J'étais coincé. C'était ses mots propres lors de notre dernière rencontre : elle devait revenir pour m'indiquer le chemin à suivre. Et le fait qu'elle ne se trouve à nul endroit avait le don de m'obséder cruellement. Elle ne pouvait pas disparaître, elle était trop puissante, trop forte. J'avais émis l'hypothèse qu'elle faisait exprès, qu'elle avait annihilé les liens qui existaient entre nous, seulement, elle ne l'avait jamais fait par le passé, même dans le pire des scénarios. Alors pourquoi maintenant ? Cela n'avait aucun sens. Non, cette maudite femme devait s'être mise dans une situation périlleuse. Je finis par soupirer, je devais la retrouver, coûte que coûte.

Je m'avançai pour atteindre l'une des fenêtres qui permettait au jour d'éclairer la pièce. Elle me rendait fou, et ce depuis des siècles. Finalement las, je fis un pas de côté, m'essayant dans le fauteuil qui se trouvait là. J'avais beaucoup de projets en tête, que cela concerne les tensions existant entre les Ombres et les Chamans, que cela concerne les esprits parasites ou les tribus en général. Mais il y avait une chose qui me taraudait l'esprit, moins que l'affaire Mitsuko, mais tout de même. « Cryst ? ». Un homme entra dans la pièce, acquiesçant. « Je veux un vingtaine de nos meilleurs espions et soldats sur les traces de Mitsuko Taiji Stark. Interrogez les esprits, certains doivent savoir. Mettez les à contribution. Je veux qu'elle soit trouvée sur le champs ! ». « Bien. ». Il sortit. Mes yeux se posèrent sur mon ancien habitacle, celui qui était mien avant que je ne devienne Ombre, avant que je ne devienne Chaman. J'aurai pu être Mârid, j'aurai dû l'être, pour prouver à ce prétentieux qui avait fait de moi un Génie que lui voler sa place était un jeu d'enfant. Mais l'absent ne se révélant plus, la chose perdait toute sa saveur. Naram-Sin aurait pu me tuer mais il avait fait bien pire en me transformant en Génie. Cette simple appartenance raciale était une malédiction, bien sûr, mais le monde dans lequel j'avais vécu ce qui m'avait semblé être des siècles était pire que tout. Pourtant, depuis que j'en étais sorti, il me fascinait. Il hantait mes cauchemars tout en éveillant ma curiosité à chaque fois que je pensais à lui. J'étais presque certain que mon habitacle y était lié. Seulement, je ne l'avais plus touché depuis longtemps, comme si je savais que le simple fait de le faire me replongerai dans ce monde. Je ne savais pas en sortir, c'était un fait. Je n'avais aucune idée de comment j'avais fait, si j'avais ne serait-ce fait quelque chose. Au début j'avais pensé que Naram avait mis fin à ma peine, mais il n'était plus, ou du moins, n'avait plus la capacité d'accomplir ce genre de prouesses. C'était autre chose, forcément. Mais si je me trompais ? Qu'importe. Le temps ne filait pas de la même manière là bas. Si je passais un siècle dans cet univers, quelques jours à peine se seraient écoulés ici, le temps pour mes hommes de trouver Mitsuko.

Je finis par me lever, m'approchant de mon ancien habitacle. Il était accroché au dessus de la cheminée, comme pour me rappeler cette période de ma vie. Je n'avais plus les ambitions de jadis, néanmoins, dire que j'étais bénéfique était une bonne blague. Une part sombre résidait au fond de mon cœur, même si elle s'amenuisait avec le temps. Je tendis la main vers l'objet. Je l'avais posé là sans le toucher et personne n'avait le droit de le faire. Je n'avais pas peur, j'étais prêt à y retourner. Je sentis à peine le contact avec mes doigts, la pièce autour de moi se flouta et je me retrouvai, pour mon plus grand plaisir et grand damne, dans ce monde étrange. Sauf que, visiblement, je n'étais pas seul. A moins que cela soit une épreuve, un ennemi à abattre ? Ils avaient été nombreux jadis. Et, après tout, que ferait quelqu'un d'autre que moi ici ? « Ami ou ennemi ? » demandais-je sans plus de formalité, prêt à attaquer.

Je soupirai devant cette réponse qui n'en était pas une. Fermant les yeux un moment, il me semblait que l'endroit était moins néfaste que lorsque j'y avais été plongé de force. A moins que cela ne soit que le début ? A moins qu'une fois qu'un individu avait vaincu ses propres tourments, ces derniers ne puissent plus revenir le hanter ? Je n'en savais rien, pas plus que la façon de sortir d'ici. Tout ce que je savais, c'est que cet homme, en face de moi, n'était pas une épreuve. Oh, bien entendu, je n'en avais aucune certitude véritable, mais tous ceux que j'avais dû combattre dans ce monde étrange ne s'encombraient pas de ce genre de questions. Parfois ils me parlaient, mais les énigmes n'en étaient pas vraiment puisque je connaissais les réponses au plus profond de mon cœur. A y réfléchir, j'avais toujours su comment les choses se termineraient. Peut-être que, finalement, en ce monde, nous étions notre seul bourreau, que nous étions la cause de toutes nos peines. A l'époque, j'avais tellement à me faire pardonner, tellement de choses que je regrettais, qui me rongeaient de l'intérieur. Lux In Tenebris m'avait rendu fou, maléfique au possible et, plus que tout, avait noirci mon âme, empoisonné mon esprit. L'essence même de Sorcier était un véritable fléau.

« Je ne pourrai répondre à votre question. » finis-je par dire. Et c'était la stricte vérité. Je me méfiais tout de même de cet homme, ne sachant pas s'il s'agissait d'un piège ou non. Mon calvaire en ces lieux était lointain mais je me rappelais de chaque seconde que j'y avais passé, à courir contre mes cauchemars et des chimères aux visages effrayants. N'importe quel tyran se changerait en insecte apeuré ici. « J'ai longtemps chercher la réponse et même en étant sorti une fois de ce monde, je ne la possède toujours pas. ». A chaque fois que j'avais été blessé, mes plaies s'étaient refermées, c'était tout ce que je savais. Mon corps dans la « réalité » ne gardait également aucune séquelle. Mais pouvait-on dire pour autant que tout ceci n'était qu'illusion ? « Je pense, finalement, que chacun d'entre nous à sa propre réalité. Ce que vous ressentez est votre réalité, quand bien même ce sont des illusions qui vous font souffrir. ». Je le ressentais comme ceci.

Seulement, si j'avais consenti à répondre à ma manière à sa question, lui n'en avait rien fait. Qu'importe, il ne semblait pas prêt à m'attaquer et, dans le cas où il lui prenait la folie de le faire, je saurai certainement répondre en conséquence. Je n'avais jamais battu tous les monstres de cet étrange endroit, mais j'avais toujours trouvé un moyen de leur échapper. J'étais mort plusieurs fois ici me semblait-il, dans d'atroces souffrances à chaque fois. Mais c'était le jeu de la torture psychique. On devait envoyer dans cette sorte de rêve tous les êtres détestables des Terres du Yin et du Yang. Enfin, je n'avais aucune garantie là dessus. « Par curiosité, depuis combien de temps êtes vous là ? ». J'avais des informations par rapport au temps qui passe mais je n'avais pas l'intention de dévoiler tout ce que je savais de ce lieu avant même d'en savoir plus sur mon interlocuteur. Je ne le connaissais pas, ne l'avais jamais vu. A moins que... Je n'avais jamais véritablement su si la magie, ici, était altérée ou non. Parfois, j'avais pu me défendre en utilisant mes pouvoirs. D'autres fois, j'en avais été totalement incapable. Tout ce que je savais, c'est que tout ceci était trop calme. Il ne se passait rien, juste nos deux corps face à face. Le paysage ne semblait pas vouloir inviter de monstres ou d'épreuves et ce simple fait m'inquiétait. Était-ce le calme avant la tempête ?

A l'entente des mots de l'homme, je me mis à froncer les sourcils bien malgré moi. Avril ? Mai ? Se moquait-il de moi à énoncer des choses inexistantes ? Je doutais maintenant de son existence. Était-il réellement perdu dans cet endroit ou n'était-il qu'une illusion visant à me tester ? J'étais un homme intelligent, cultivé et jamais je n'avais entendu quelqu'un mentionner ces mots pour parler du temps. Ils me semblaient aussi ridicules que l'idée qu'une Ombre puisse saigner. Mes yeux se plissèrent légèrement, comme si j'essayais de le sonder, de savoir s'il était ou si, au contraire, il n'était pas. Je n'avais aucun moyen d'en être sûr sans essayer de le tuer. Et pourtant... pourtant je devais prendre une décision : lui faire confiance – ce qui était un bien grand mot dans mon cas – ou partir de mon côté. Après tout, pourquoi devrais-je aider un homme qui semblait déjà complètement fou à énoncer des valeurs étranges ? Aider, le mot lui-même semblait dénoter complètement de ce qu'était ma personnalité. J'avais faillis détruire ce monde et j'en avais payé les conséquences ici. Lui, j'ignorai ce qu'il avait fait, mais sans doute n'était-ce pas comparable à la folie qui m'avait habité jadis, j'aurai entendu parler de lui sinon. Il me rappelait étrangement Vlad Sparrow mais j'avais tué ce chien il y avait de cela si longtemps que je peinais à retrouver le sentiment de puissance qui m'avait habité à ce moment précis. Pourtant, je me rappelais de la scène avec beaucoup de détails. Mais qu'importe, ces deux hommes n'avaient rien à voir si ce n'étaient quelques traits physionomiques semblables.

Mon interlocuteur s'approcha de moi, me posant tout un tas de questions dont je n'avais pas les réponses. « Je suis déjà venu mais je n'ai aucune certitude sur la réalité ou non de l'endroit. ». Si je m'étais retrouvé là, c'était uniquement parce que Naram-Sin m'y avait envoyé grâce à sa magie. Les Génies régnaient sur le monde des rêves et là se trouvait mon hypothèse la plus sérieuse. « Je pense que nous sommes en train de rêver, en quelque sorte. Le problème c'est qu'il s'agit de bien plus qu'un simple rêve. Je crois que si nous ne trouvons pas le moyen de nous échapper, alors il pourra durer pour l'éternité. Et quand la folie s'installe dans le rêve, elle perdure une fois la procédure de réveil enclenchée. ». Je me tus un instant avant de reprendre, tout en réfléchissant. « Voyons... La dernière fois, j'avais l'impression que des siècles s'étaient écoulés ici alors que la réalité, elle, n'avait guère avancé. Mais puisque nous parlons de rêve et de réalité, il me semble impossible de mesurer les frontières de l'un et de l'autre. ». J'avais souvent pensé que, peut-être, nous étions tous en train de rêver dans ce que nous appelions la réalité. La magie était si puissante, comment savoir ce qu'elle cachait au juste ?

La question sur mon identité me fit sourire doucement. Cet homme devait être là depuis longtemps pour ne point me connaître. L'on citait mon nom dans tous les livres d'histoire. J'avais été Empereur Noir, j'avais voulu anéantir le monde et, à présent, j'étais Suprême de l'Au Delà. Dans quelle grotte avait-il vécu ? « Qu'importe mon identité. Ici je ne suis personne. ». Je n'allais pas me formaliser de l'ignorance des gens, surtout que je n'avais pas écarté l'hypothèse qu'il n'était qu'une projection de mon esprit. Il ne semblait pas se connaître lui-même alors, comment aurait-il pu me reconnaître moi ? « Je ne sais pas qui vous êtes, à vous de trouver peut-être ? Peut-être est-ce cela la clef, celle qui vous fera sortir d'ici ? ». Je n'avais aucune idée de comment je m'étais échappé. Cela dit, il ne me semblait pas avoir perdu un jour mon identité. Peut-être... je n'avais retenu de l'endroit que la souffrance que j'y avais enduré, que les épreuves successives. D'ailleurs, le fait qu'il ne se passe rien m'étonnait fortement.

« Hum... ». Je finis par sourire. L'ombre me rappelait quelque chose. Je la voyais mais ce n'était pas elle qui m'importait véritablement. Je n'avais aucune connaissance sur sa nature. Était-elle un ennemi qu'il faudrait fuir ? Était-elle un allié ? Peut importait car je sentais que ça revenait. Cette douce amnésie qui s'était emparée de moi en sortant de cet endroit, je la comprenais à présent. Devais-je avouer la solution à cet homme ? Marcherait-elle s'il ne trouvait pas seul ? Au final, je m'en fichais un peu. Je ne le connaissais pas et ce n'était pas dans ma nature de murmurer des mots pouvant faciliter la vie d'autrui. D'un autre côté... peut-être étais-je ici pour ça ? Je n'avais pas l'intention de jouer avec le Destin, pas maintenant, pas si proche de mon objectif. « Je sais. » dis-je simplement en regardant l'aura sombre se dessiner un peu plus loin. Je n'étais pas encore prêt à énoncer ce que je connaissais. C'était encore un peu flou. J'en étais resté au stade du pressentiment mais plus le temps passait, plus cet endroit semblait vouloir me rejeter rapidement. J'étais déjà sorti d'ici, j'avais déjà résolu le casse-tête qu'il représentait. Je m'étais déjà montré digne de le rencontrer. Cela avait mis du temps. Doucement, dans mon esprit, se tissait la tapisserie de mon aventure ici. Tout ce que j'avais enduré m'avait permis de voir cet homme qui n'était autre que mon moi futur. Ezechyel. Il m'était apparu, me murmurant à l'oreille quelques paroles révélatrices quant à mon avenir. C'était sadique car il avait prévu tout ce que je vivrais jusqu'à maintenant, plus encore, mais j'avais été incapable de m'en souvenir une fois de retour à la réalité.

Quittant la silhouette qui se trouvait au loin des yeux, je reportai mon regard sur l'homme qui s'avérait être mon interlocuteur. « Peut-être est-ce vous ? ». Je l'avais demandé de façon légère mais j'étais plutôt sérieux. « Je me rappelle qu'au début, je me sentais épié. Je pensais que j'étais fou ou qu'il s'agissait d'un énième ennemi à combattre mais j'ai finis par accepter sa présence. ». Je n'arrivais pas à bien l'expliquer. Se retrouver en face de son futur avait de quoi en traumatiser plus d'un. Tout dépendait de ce qu'il advenait de nous. « Oui tout dépend... » dis-je en réfléchissant à voix haute. C'était une mauvaise manie que j'avais gardé du temps où j'étais Empereur Noir. Quoi qu'à l'époque, je parlais réellement seul ou parfois à un clone de moi-même. Je n'avais confiance en personne, pas même en mes conseillers mais c'était le lot de tous les Souverains intelligents de la race des Sorciers, le lot de tout ceux qui voulaient survivre. « Je pense que vous devez vous montrer digne de votre moi futur. Ça a été ainsi pour moi. Il est venu. Il s'est mis en face de moi et s'est mis à me raconter la suite logique de ma vie, des secrets que seul lui pouvait connaître. Il m'a demandé si, en sachant cela, je voulais retourner dans la réalité. Je lui ai dit oui et je me suis réveillé, vide de tout souvenir de notre conversation... ». Je me demandais s'il reviendrait me hanter, me raconter la suite. Je n'avais pas envie de la connaître, j'en savais déjà bien trop. Mon futur serait le néant ou l'élévation. C'était le jeu du hasard, le jeu du Destin. En toute logique, si l'on en croyait la véritable ligne du temps et sa simple présence, je ne pouvais échouer. Seulement, parfois, la ligne était brisée. Personne ne pouvait savoir. Peut-être le Sin Luxinreïs mais je n'étais même pas certain de cela. Les mystères des Ætheri avaient quelque chose d'impénétrable. « Bien. Il est temps de nous quitter. Je dois le retrouver et vous avez également à rejoindre votre vous futur. C'est ainsi que cela s'est passé pour moi. Je ne garantis pas de la même chose pour vous. Mais il pourrait bien vous apporter des réponses qui apaiseront votre esprit... avant que vous ne les oubliez une fois de retour dans la réalité... ». Je finis par tourner les talons, faisant un bref signe de la main. J'avais été bien trop gentil de lui parler des secrets de l'exile de ce monde. Cela ne me ressemblait pas.

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