La panthère essayait de contrôler sa respiration. Le totem félin était aux abois, comme s’il s’attendait à voir Takaïsha lui sauter dessus à chaque instant. Il était parfois difficile de faire entendre raison à sa part animale, mais Abel tentait de la calmer du mieux qu’il le pouvait, de lui faire comprendre que les autres béluas ici présents n’étaient pas censés être une menace pour lui. Les règles de cette compétition n’excluaient pas de voler les colliers des autres chasseurs, ce que certains tenteraient peut-être de faire, mais à peine était-il entré dans la forêt qu’il s’était interdit d’utiliser de tels stratagèmes. Même si le but était ici de ramener au grand Totem du loup le plus de colliers possibles, la déesse avait dans doute les yeux rivés sur ses fils, qui cherchaient à lui prouver lequel d’entre eux était le meilleur chasseur. Pas le plus fourbe ou le plus lâche, mais bien le plus fort, le plus agile et le plus persévérant. Il était donc hors de question de voler le fruit de la chasse d’un autre bélua. Mais alors que la panthère à plaques commençaient à entendre raison, la bélua qu’il venait d’aider contre les pumas l’avertit de la présence d’un danger. Abel fit volte-face presque sans y penser, et alors que la panthère faisait quelques pas en arrière pour s’éloigner de l’ours imposant qui se tenait devant lui, il entendit le son caractéristique de la corde de l’arc d’Amarel qui se tentait. La dryade pointait une flèche droit vers la tête de l’animal, mais Abel s’ébroua légèrement pour déséquilibrer son amie, juste assez pour lui permettre de lui parler.
« Attends ! »
La dryade, qui avait rapidement repris ses appuis, avait à nouveau bandé son arc, mais elle attendait à présent de savoir ce qu’Abel avait en tête, sans pour autant quitter la créature des yeux.
« C’est un bélua. »
Amarel y regarda à deux fois, et elle remarqua effectivement que l’ours ne portait pas de collier. Cependant, elle était loin d’être assez douée pour reconnaître un animal d’un bélua transformé. Heureusement que son ami l’avait prévenue à temps, sans quoi elle aurait pu être à l’origine du premier « accident » de cette édition du concours…

Tandis que la panthère à plaques dévisageait l’ours, tâchant de deviner ses intentions, Amarel n’était pas réellement rassurée par la révélation du bélua. Car si l’animal était un des leurs, il ne semblait pas amical pour autant, bien au contraire, et l’aplomb menaçant qu’il prenait en avançant vers eux n’annonçait rien de bon. L’ours applatissait machinalement les buissons, brisait les branches qui se situaient entre lui et les autres béluas, dans un rituel étrange sans doute destiné à leur montrer sa puissance, et il fallait dire que c’était plutôt efficace. Abel n’avait sans doute jamais vu d’ours aussi grand, et les rares confrontations qu’il avait été obligé d’avoir avec les représentants de cette race réveillaient en lui des souvenirs désagréables, responsables de certaines des cicatrices qui parsemaient son corps. Son esprit animal semblait aussi s’en souvenir, car à chaque fois que l’ours faisait un pas, la panthère en faisait un aussi dans la direction opposée, refusant de le laisser s’approcher à une distance où il risquerait de les charger. Bientôt, Abel arriva près de l’arbre de Takaïsha, qui venait de voir un corbeau surgir derrière elle. Le bélua ne l’avait même pas entendu arriver, mais à présent qu’il le savait, quelques oiseaux noirs s’étaient bel et bien posés autour d’eux. Cela faisait certainement quelques instants que le bélua les observait… Sans doute savait-il donc à quel danger ils étaient exposés, et effectivement, Abel recula pour l’entendre conseiller à Takaïsha de changer de cachette au plus vite. Un conseil sage étant donné la situation dans laquelle ils se trouvaient…

Mais alors que l’ours avançait de plus en plus, un grand lion noir apparut devant eux, faisant face à l’ours. Abel observa la créature, s’attendant à voir apparaître un bélua lion dans les environs, mais il était plus probable qu’il s’agisse en réalité d’un animal lié à l’un d’entre eux. Takaïsha l’appela alors par son nom, confirmant ce qu’il pensait. La panthère à plaques et la dryade observèrent le nouvel arrivant, sans pour autant s’approcher. Arrivé à la hauteur des autres béluas, Abel se tourna vers eux.
« Vous devriez en profiter pour vous éloigner. Cet ours n’a pas l’air très commode… »
Les yeux perçants de la panthère se reportèrent alors sur l’objet de toutes leurs craintes, élevant sa voix un petit peu plus.
« Nous sommes béluas, en chasse sur ces terres tout comme toi… Reste où tu es. Cette forêt est assez grande pour nous tous… »
Abel sentit les mains d’Amarel se crisper sur son arc, tandis que l’ours ne semblait pas se préoccuper des paroles du bélua pour l’instant.