Il fallait bien que ce jour arrive. Il fallait bien que le manque survienne. Ce soir, ce n’était pas la bête qui parlait, non, c’était les amers souvenirs de cette fille que j’avais temps aimé. Ses cheveux noirs, sa peau si blanche… comment oublier ses gestes si doux ? Son sourire si pur ? Mon parfait opposé. Je portais mon regard vers le ciel, à moitié caché par les grandes branches d’un arbre. Cette nuit était douloureuse, et j’étais vulnérable à toutes les folies qui pouvaient m’animer. J’étais vide, sans réelles émotions que la peine infinie qui ne cessait de revenir lorsque le soleil disparaissait. J’étais également seul lorsque je revenais chez moi, je n’entendais que le silence qui ne faisait que me poignarder davantage. Je fermais les yeux et me remémorai notre dernière nuit. Mon cœur battait si fort autrefois, que je pouvais aisément dire que j’étais en vie. À son contact, tous mes sens étaient éveillés, je sentais mon sang dans mes veines, puis il venait taper jusqu’au bout de mes doigts. Je ne me lassais jamais de la contempler, de la toucher ou de lui parler. Le rêve se brisa à la venue de ma Maîtresse, la seule qui avait le droit de disposer de moi. Tout fut si rapide, lorsqu’elle la jeta au bout de la pièce et que son crâne s’enfonça dans la pierre grise et sale de l’institut. Je rouvris les yeux en priant de ne pas me remémorer ceci, de ne garder que les bons souvenirs d’elle.

La nuit devenait de plus en plus fraiche. Des frissons parcoururent mon corps et je rehaussai ma cape autour de mes épaules. Fixant maintenant les gens qui passaient, je remarquais que ceux-ci étaient pressés par le mauvais temps qui allait venir. L’orage se fit déjà entendre au loin et quelques nuages s’éclaircirent à son bruit. La pluie n’allait pas tarder à tomber. À chaque respiration, une petite fumée dansait devant moi, il était temps de rentrer pour me réchauffer. Me levant, je commençais à marcher sans regarder personne, fixant les dalles qui défilaient sous mes pieds. Trop préoccupé par mes pensées, je bousculais une jeune femme : « Excusez-moi », lançais-je en restant presque figé à sa vue. Quelques instants passèrent avant de rebaisser la tête et de continuer ma route. Pourtant, quelques mètres plus loin, je m’arrêtai et tournai enfin la tête vers cette femme… ses cheveux noirs contrastaient avec sa peau blanche, ses lèvres si roses marquaient une bouche finement dessinée, la ressemblance avec Galadrielle, la fille d’autrefois, était troublante. Tellement que je ne pouvais décrocher mon regard, tellement que je me mis à la suivre.

Arpentant chaque coin sombre, je me mis à la regarder de loin. L’envie de lui parler était grande, mais je me retins. Que faisais-je à épiais une femme que je ne connaissais pas ? Ma main sur la pierre froide et pleine de mousse me rappela l’endroit où nous nous étions aimés. Je courais après un amour perdu bien sûr. Je me demandai un instant si elle sentait cette présence à ses côtés… et surtout que contais-je faire après cela ? La regarder de loin ne faisait que me confronter à ma propre impuissance et à mon chagrin. Allais-je aller la voir pour la séduire ? Allais-je tenter de la dévorer pour qu’elle m’appartienne et faire mon deuil ? Non, je voulais la voir vivre, la voir rire, une nouvelle fois, une dernière fois peut-être. Mes lèvres s’étirèrent, j’étais heureux de l’avoir croisé, même si la bête en moi grondait. Je ne pouvais tout bonnement pas laisser mes instincts primaires lui faire du mal, je tenterais coute que coute de me battre contre elle, et garder le contrôle.