« Cesse de faire l’enfant, Olympéa. Ne m’oblige pas à te forcer. » D’un pas lent et inquiétant, Jared s’approcha de la Vampire. Son regard était sombre et perçant et il la dévisageait, silencieux, les dents serrées. « Je ne peux pas. » murmura-t-elle tout bas, accroupie entre les hautes herbes balayées par le vent. « Il le faut. » Elle frissonna. « Je ne peux pas. » répéta-t-elle. « Tu essaies de t’en convaincre. Lâche prise. » Elle secoua la tête, nerveuse. Pourtant, ses yeux pourpres restaient vrillés sur le cerf qui pâturait tranquillement en contre-bas de leur position. Les doigts tremblants, elle se mordit la lèvre inférieure à s’en faire couler une perle de sang. « Tu es infernale. » D’un geste brusque, il agrippa ses épaules et la plaqua sur le tronc du premier arbre venu, l’empêchant de tout mouvement d’une poigne de fer. Il fit lentement glisser sa langue sur ses lèvres, avant de plonger sur sa gorge. Olympéa réagit à peine. Elle commençait à avoir l’habitude. Tout en tachant de maitriser sa respiration, elle leva légèrement la tête pour contempler les cieux étoilées et la lune, dont la pâle lueur argentée semblait lui briller d’un éclat apaisant. « Tu devras te faire à l’idée de chasser. » articula Jared en s’écarta d’un pas, l’air réprobateur. Il entailla son propre poignet avant de le coller contre la bouche de la jeune femme, qu’elle boive et étanche enfin sa soif. Malgré sa mine d’insoumise, le goût du sang la charmait, surtout le sien. Elle laissa ses doigts froids frôler le bras du Vampire, jusqu’à les accrocher, avide. Paupières closes, elle prit le temps de savourer le présent. « Suffit. » décida-t-il au bout de quelques instants, se dégageant avec facilité de la prise de la jolie demoiselle. Elle rouvrit ses yeux, redevenus d’un bleu gris clair et azuré. « Désolée. » souffla-t-elle, consciente d’avoir encore déçue. « Tu n’es qu’un nouveau-né. » Il passa sa paume sous le menton de la Vampire. « Cela fait quelques temps, déjà. Comprends que ta vie d’autrefois s’est achevée et que tu dois prendre des résolutions nouvelles. Fais-toi une raison, Princesse. » Il la dévorait presque des yeux. Cette femme lui avait toujours plu et le fait qu’elle soit la fille de l’Empereur Noir ne la rendait que plus désirable. « Je ferai de mon mieux. » Encore peinte d’innocence et de candeur, Olympéa avait tendance à tout faire pour satisfaire les deux Maîtres Vampires à qui elle appartenait désormais. « Retournons en ville. J’ose espérer que tu feras mieux demain. » Elle sourit légèrement, emboitant le pas à Jared qui se dirigeait vers la petite Cité où ils s’étaient arrêtés pour un jour ou deux, avec William et Théa. « Puis-je te demander une faveur ? » osa-t-elle demander après une longue inspiration. « Oui ? » - « J’aimerai visiter un peu la région. » - « Je n’ai pas le temps, Olympéa. » - « Ce n’est pas grave. » Il tourna lentement la tête, pour scruter les traits fins et lumineux de la jeune femme. Il hésita une seconde. Etait-il judicieux de la laisser seule ? De toute manière, elle n’avait pas la volonté de s’échapper et si le voulait, ne le pourrait pas. Les Giovanni la retrouveraient, toujours. Elle était à eux, à présent. « Bien. » Ses mains sur sa taille, il la ramena violemment contre lui. « Il faudra me remercier convenablement. » Il l’embrassa encore, d’un baiser légèrement sanglant. Il ne pouvait pas s’en empêcher.

D’une voix basse et tendre, la jeune femme chantait doucement une comptine de son enfance, longeant les chemins terreux du Rocher au Clair de Lune. Jolie poupée aux lèvres bleutées à force d’être malmenées et vêtue d’une robe blanche et ciel, elle contrastait assez dans le paysage sauvage et naturel des terres animales. De temps à autre, elle se baissait pour cueillir une grosse fleur, qu’elle glissait dans les boucles de ses longs cheveux à l’étrange couleur qui oscillait entre le céruléen et le pastel. Rêveuse et tête en l’air, elle s’intéressa à peine à la route qu’elle suivait et finit par accorder un coup d’œil surpris à la voyageuse qu’elle croisa, accompagnée de deux étranges bestioles qui s’accrochait à elle. Etonnée, elle ne dit rien, se bornant à observer cette inconnue. Elle songea même à rebrousser chemin sans demander son reste. Jared et William n’aimeraient pas ça et mieux valait éviter d’importuner des hommes tels qu’eux. Ce fut un vieil homme qui brisa le silence. Déboulant d’un bosquet, il pépiait d’impatience. « Bonsoir ! C’est merveilleux ! Alors mes douces, on est curieuse ? La Tour Inconnue est un lieu fait de secrets et de mystères ! Si ça vous tente, je peux vous faire une petite visite. Hum ? Alors ? » Olympéa pencha doucement la tête, le temps d’aviser la Tour dans son ensemble. Elle ne l’avait jamais vu d’aussi prêt. « Ne soyez pas timides ! Ca me ferait terriblement plaisir de partager mon savoir et ma passion. Gratuitement, évidemment ! La culture n’a pas de prix ! » Olympéa, mal à l’aise, croisa les bras. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas vu de personnes qui ne buvaient pas le sang des autres. Elle avait presque oublié comment se comporter normalement. Pourtant, c’était une occasion rare. Pour ces deux étrangers, elle n’était ni une Vampire ni la Princesse Noire. Elle serait qui elle voudrait.

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Olympéa était une femme de nature discrète et réservée, bien loin des évocations sulfureuses et impertinentes de celles qui vivaient à la cour ou dans les grandes places des Cités les plus prestigieuses, sur qui l’on pouvait conter mille et une histoires, des plus romantiques aux plus audacieuses, des plus surprenantes aux plus vicieuses. Héritage de cette éducation stricte et froide à laquelle elle avait eu droit à la Prison, auprès de son Empereur de père, elle était peu loquace et appréciait la solitude à sa juste valeur. Elle se contenta d’acquiescer doucement, après une légère hésitation, à la proposition du vieil homme que l’Ange accepta sans question ni condition. D’une démarche douce et légère, elle emboita le pas au guide, gratifiant sa compagne du jour d’un ravissant sourire aux notes timides lorsqu’elle la laissa passer devant elle. Ce fut sans prononcer le moindre mot qu’elle écouta le vieillard qui déblatérait la moindre de ses connaissances sur la Tour. La Vampire prenait ses explications avec réserve, persuadée qu’on ne la disait pas « Inconnue » pour rien. Malgré tout, l’escapade était plutôt agréable et certaines pièces méritaient largement le détour. Elle s’émerveillait plus de ce qu’on ne pouvait comprendre, de ce qui ne pouvait être révélé et exposé. Puis, instant fatidique que les rencontres semblaient exiger comme un passage obligé, l’Ange débuta les présentations. Elle s’appelait Nithael. Rêveuse, Olympéa médita un instant, consciente que son comportement pouvait prêter à confusion et qu’elle n’était pas forcement d’une agréable compagnie. Elle devait faire des efforts. Pour autant, elle ne tenait pas particulièrement à se présenter de manière officielle. Son prénom, plutôt original, était connu dans les hautes-sphères comme étant celui de la Princesse Noire, la fille de Lord, l’enfant offert aux Vampires, la Sorcière de sang royal devenue Buveuse de Sang. Ce fut avec un naturel déconcertant qu’elle choisit de dire sur surnom : « Chriss. Je m’appelle Chriss. » murmura-t-elle de sa jolie voix. Elle sourit, de façon plus franche et ouverte.

Le buffet, chose pourtant anodine, agaça considérablement la Vampire, qui n’avait plus le loisir de goûter aux aliments des mortels depuis sa transformation. Plus rien n’avait de saveur. Il n’y avait que le sang. « Non merci. » dit-elle simplement, repoussant avec politesse la tasse de thé fumant qu’on lui tendait. « Je sors de table. » Elle aurait pu rire de sa propre plaisanterie, mais se borna à une mine courtoise de circonstance. Assise sur sa chaise, elle ne touchait à rien. Elle finit par prendre un gâteau, l’émiettant du bout des doigts, comme pour entretenir les illusions. « J’étais aussi de passage dans la région. J’ai voulu visiter un peu. C’est tout. » L’une comme l’autre restaient vague. En même temps, qui était assez sot pour se confier sur tout et rien à de parfaits inconnus ? Ils ne se connaissaient pas. « J’avoue que j’aimerai assez ne pas m’attarder. » continua-t-elle après une petite pause. « Cet endroit ne laisse une impression indescriptible, que je ne saurai formuler avec des mots, mais qui me donne envie de m’enfuir en toute hâte. Quelque chose ne va pas. » C’était un pressentiment, comme un murmure de l’instinct. « Bah ! » murmura le guide. « Vous vous faites des idées. Je connais cette Tour comme ma poche. Vous ne risquez rien. » - « Très bien. Alors menez-moi à la sortie. J’étouffe. J’ai besoin de prendre l’air. » - « Vous m’avez l’air d’aller bien. » - « Je vous dis que j’étouffe. » Elle avait sensiblement haussé le ton. Passablement agacée, elle soupira en se laissant tomber sur le dossier de sa chaise. Ce pressentiment, encore et toujours. Ce petit rien qui lui soufflait qu’ils n’étaient pas au bout de leurs peines. La Tour Inconnue était réputée pour ses caprices. Elle n’était ni bienveillante ni malveillante. Seulement changeante. Son hospitalité pouvait devenir hostilité. En un battement de cils, le monde pouvait basculer.

Olympéa se tourna vers Nithael, dans l’espoir qu’elle soit moins bornée que le vieillard qui ne démordait pas de ses histoires. Peut-être partageait-elle le même sentiment ? Peut-être se sentait-elle à merveille aussi … « Vous … ne ressentez rien d’anormal ? Je ne pense pas être folle. A vrai dire je … » Elle souffla, continuant plus bas pour que le guide, qui s’empiffrait, ne l’entende pas. « Je n’ai pas vraiment confiance en lui. Il nous … cache quelque chose. Je crois. »

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La guerrière n’écoutait qu’à moitié, l’homme parler. Davantage occupée à observer les alentours. Dans le journal de son père, cet endroit était mis en évidence comme un lieu aléatoire et vicieux. Elle n’avait pas oublié les rares pages écrites de sa main où il parlait si vaguement des lieux et pourtant dans d’autre texte, il parlait en détail d’autres lieux. Mais il était vrai que dès qu’elle y avait mis les pieds, elle s’était sentie étrange. Une impression désagréable de se sentit observer, épier par tous les côtés sans qu’on puisse trouver la moindre cachette pour si terrer. Silencieuse, elle étudiait ce sentiment désagréable quand la jeune femme se nomma enfin. Chriss… C’était un joli nom qui allait pour une bien belle femme. Pendant un instant, Nithael posa son regard acier sur elle, neutre et presque distant. Cette jeune femme avait un quelque chose de spécial. Elle dégageait une beauté envoutante qui mit la guerrière encore plus mal à l’aise. Elle fessait bien pâle figure à ses côtés, mais l’ange n’était pas là pour un concours de beauté.

Bougeant encore un peu sur sa chaise, elle tendit l’oreille à un son qui sembla attirer son attention. Des glissements, comme de la pierre qui glissait l’une contre elle. C’était subtil et délicat, presque imperceptible si elle n’avait pas été en alerte tout ce temps. Mais même si elle écoutait, elle ne pouvait encore comprendre l’étendue de leur problème. La voix du vieillard et de la jeune femme la ramena au moment présent, lui faisant tourner la tête vers eux. Soupirant intérieurement, elle les écouta et pour une fois, elle partageait l’inconfort de la jeune femme. D’ordinaire, elle ne se laissait pas affecter par l’atmosphère de l’environnement, mais celui-ci lui semblait vicier, rampant partout sur sa peau. Tor sembla grogner légèrement, non pas envers les deux autres personnes, mais plutôt envers sa maîtresse avec qui il partageait un lien particulier. Intérieurement, il appuyait les paroles de la belle étrangère. Faelan sembla ressentit un frisson d’inconfort à son tour, délaissant la sucrerie pour revenir se perdre dans le capuchon de l’ange.

Elle-même ne sembla pas toucher à ce qui se trouvait sur la table, observant le thé et les biscuits qui lui semblaient superflus dans un tel endroit. Étaient-ils au moins vrais ? Au premier regard oui, mais l’ange devient méfiant face au vieillard qui semblait continuer à dire que tout allait très bien. L’idée du piège vient même titiller son esprit. La jeune femme, semblait réellement toucher par l’atmosphère de l’endroit. Elle semblait plus encline et sensible au tout, peut-être même avait-elle un don qui lui permettait de ressentir le mal ici-bas ? Des questions qui resteraient sans réponse, mais pour le moment, l’idée de partir frappait de plus en plus fort dans l’esprit de l’ange. Quand la jeune femme se tourna vers elle, Nithael ne put refuser de lui offrit toute son attention, cette détresse si alarmante semblait l’engloutir tout entière. Mais Chriss n’avait pas tort, quelque chose ne tournait pas rond avec le guide et il fallait qu’elles sortent. L’ange ne trouvait plus que le tout était une bonne idée.

-Rassurer-vous, vous n’êtes pas folle… J’ai l’impression constante que nous sommes épiées… Et maintenant que vous le souligner,continue-t-elle plus bas, je crois que nous partageons la même inquiétude. La guerrière finit par se soulever de sur la chaise et faire un pas dans la direction du guide puis reprit : j’aimerais également quitter. L’endroit ne sembla pas vouloir de nous et j’ai l’inquiétude que nous ne sortirons pas immédiatement d’ici… Alors lever vous et guidez nous gentiment vers la sortie. Je suis patiente, mais je n’aime pas qu’on se joue de moi… Laisse tomber froidement la Dame D’acier.
-Je… Nous n’avons à peine fait le tour… Bredouille le vieillard. Il nous reste tellement à faire… Continu-t-il pour se défendre.
-Suffit, je ne vous demande pas de vous défendre ou même de me trouver des défaites. Je vous demande de vous lever et de nous guider vers la sortie… Vos invités nos plus envie de rester ici. Termine-t-elle.

L’impression d’être piégée la frappait toujours plus. Elle se sentait comme une minuscule sourit prit dans un labyrinthe sans fin. Ce tournant vers Chriss, elle l’invita à se lever à son tour tandis qu’elle attrapait le guide pour le pousser fermement vers l’entrée.

-Mais attendez…
-Non… Personnellement, je n’aime pas cet endroit, alors faites nous sortir…
-Je… D’accord, suivez-moi…

Elles lui emboitèrent le pas, mais Nithael remarqua quelque chose de bien étrange, même s’il repartait vers la gauche, le chemin qu’ils semblaient avoir emprunté pour revenir, elle le trouvait légèrement différent. Les salles qu’ils avaient croisé tout au long du chemin ne semblaient plus être là ou même étaient différentes. Sans parler de l’homme qui lui semblait toujours plus nerveux à chacun pas qu’il faisait dans une direction. Puis brusquement, l’homme éclata :

-Je suis désolé ! Je ne connais pas l’endroit, du moins pas par cœur… J’avais tellement envie de voir les lieux que quand je vous ai vue arrivé toutes les deux que… J’ai sauté sur l’occasion, passer du temps avec deux dames ça n’arrive pas tous les jours !

Nithael resta sans voix devant de telles paroles… Elle vient poser une main sur son visage, cachant l’expression de consternation qui pouvait si lire. Elle soupira, ne laissant pas l’impulsivité du moment répliquer et retient l’image mentale de lui écraser son poing contre la figure. Il fallait trouver une solution et sortir d’ici.