Curieuse, Vanille pencha délicatement la tête sur le côté. Les longues boucles rousses de sa chevelure glissait lentement le long de ses épaules nues pour rebondir avec douceur dans le vide. Ses grands yeux verts scrutaient avec une pointe de malice l'amas de pierre qui s’érigeait au loin. La Tour Inconnu n'avait pas volé son nom. Cette drôle de bâtisse aimait apparaître et disparaître au gré de ses envies. Et c'est au beau milieu du continent naturel qu'elle avait choisis de se dévoiler, de toute évidence. Il y a quelques jours à peine, la jeune femme était passée dans la région et avait pu contempler les grandes étendues sans qu'aucun tâche ne vienne encombrer sa vision. Mais aujourd'hui, elle était là. N'était-ce pas un étrange phénomène ? Hasard ou destinée, la Tour attendait avec patience des visiteurs, et Vanille comptait bien prendre un peu de son temps pour elle. D'un pas léger et aérien, elle se dirigea vers le monument sans que la moindre appréhension ne vienne ternir son esprit dérangé. « Oh là, jolie créature ! Je suis positivement enchanté de vous rencontrer.» Vanille tourna la tête pour contempler avec une certaine méfiance le vieux bougre qui lui avait adressé la parole. Assis sur un gros rocher, il souriait, faisant remonter près de ses yeux éteints ses pommettes ridées. Les cheveux blancs, une épaisse barbe sur le menton, il paraissait être un simple humain bien trop âgé pour tenir encore sur ses jambes. Vanille était prête à parier qu'il avait déjà, plus qu'un pied, une jambe et un bras dans la tombe. La mort allait le cueillir sous peu. Et si jamais elle tardait à s'occuper de lui, c'est la Fille des Enfers qui se chargeait de l'emmener dans l'au-delà. C'était son petit côté miséricordieux. Pourtant, elle sourit, illuminant sa frimousse d'ange d'un rayon sans pareil. « Comment allez-vous ?» répondit-elle simplement. Elle n'avait pas grand chose d'autres à dire à ce vieil homme. « Bien, ma douce, bien. Est-ce qu'une enfant telle que vous aimerait en savoir un peu plus sur la majestueuse Tour Inconnue ?» Il désigna avec fierté le gros tas de pierres informe. Comme gênée, les joues légèrement rosies, Vanille passa ses longs doigts pâles dans ses cheveux. « C'est que … Je n'ai pas d'argent sur moi.» Mensonge éhonté. La flamboyante demoiselle était loin d'être à la rue. Elle avait une fortune pour le moins colossale, mais dépensait rarement. Elle préférait voler, c'était tellement plus excitant. Et en tant que Reine, ce que le vieux ne pouvait savoir, elle pouvait encore moins se plaindre de sa situation financière. Le vieil homme haussa les épaules. « Ce genre de choses ne m'intéresse pas. J'aime enseigner mon savoir. Allez ma belle, suivez moi !»

Avec une agilité déconcertante pour ces vieux os, le guide improvisé sauta sur ces deux pieds. « Je me prénomme Alphonse. Quel est votre doux prénom ma belle ?» - « Sugar.» C'était le prénom mot qui lui était passé par la tête. « Oh, ces douces consonances résonnent à mes oreilles de façon acidulée. Cela vous va à ravir et accompagne de manière merveilleuse les couleurs pâles de votre robe rose.» - « Merci.» Cet homme était étrange. Mais Vanille se fichait pas mal d'Alphonse, de sa vie, ses espérances et son ennui. Elle avait une petite idée derrière la tête. Un peu de distraction ne lui ferait pas de mal. Face à son peuple et au monde, elle gardait le masque d'une femme irréprochable, d'une Reine aimante. Elle avait besoin de se défouler, de temps à autre. Tranquillement, elle suivait en quelques gracieuses enjambées le petit homme qui piétinait comme un animal perdu. Il semblait fier de pouvoir étaler sa culture à ce qu'il croyait être une petite ingénue candide et naïve facilement impressionnable. Perdue dans ses pensées, Vanille le suivit jusqu'à l'entrée de la Tour sans écouter la moindre de ses inepties. Alphonse parlait sans s'arrêter. Véritable pipelette, il alimentait la conversation pour deux, sans même se rendre compte que son interlocutrice demeurait relativement muette. Et ils entrèrent enfin dans la Tour Inconnue.

Il faisait frais, c'était plutôt agréable. Alphonse était comme un petit jeune qui découvrait à peine un lieu qu'il voulait pourtant faire visiter. D'un pas relativement rapide, il filait à travers les couloirs en déblatérant un monologue à peine compréhensible. D'une main ferme, il tenait le bras de Vanille pour l'entraîner ou bon lui semblait. Ils traversèrent des tunnels, grimpèrent et descendirent des escaliers à tout va. « Mmh, pourrions-nous ? Ne serait-il pas judicieux ?» La jeune femme commença une dizaine de phrase mais ne put en terminer une seule, Alphonse la coupait toujours. Le dément. Il ignorait ce qu'il risquait à se comporter ainsi. Vanille leva les yeux au ciel. S'il continuait ainsi, il ne ferait pas loin feu dans son monde et ferait un départ précipité de ce monde. « Vous êtes complètement fou.» finit par lâcher Vanille d'une voix acide. « Que de brutalité ma douce Sugar. Émerveillez vous plutôt de la beauté du lieu et de son histoire ! Savez vous d'ailleurs que la Tour Inconnue a été envahi il y a de ça quelques années par une horde de hiboux en furie ? Ils avaient été floué par une bande d'écureuils mal avisé qui avait cherché à rendre les tigres jaloux des hippocampes tandis que ...» Ce discours aurait presque pu arraché un sourire amusé à la jeune femme. C'était elle qu'on traitait de folle, par ces idées décalées et peu partagées. Mais si on n'était peu d'accord avec elle, on ne pouvait nier ses qualités de réflexion et la justesse de ces propos. Alphonse, lui, était tout simplement sénile et s'attardait sur des théories de complot du règne animal, où les canards, ces sales bêtes, étaient maîtres.

« On sous estime bien trop l'influence des poires sur les pommes.» soupira Vanille dans l'espoir de lancer Alphonse sur un sujet sans fin. Ainsi, elle pourrait réfléchir tranquillement sur la marche à suivre pour s'en aller de ce lieu, et si possible abandonner lâchement Alphonse à une mort lente et atroce, à moins qu'elle préfère le tuer purement et simplement. Elle hésitait encore un tantinet, pourvu que sa fin soit proche. « A quoi songer vous Sugar ?» finit par demander Alphonse en voyant qu'on ne l'écoutait guère. « A la meilleure manière de vous tuer, pardi.» - « Oh, et vous obtenez quelques résultats satisfaisants ?»  Il sembla réfléchir quelques instants. « Me tuer ?» Enfin, il avait réalisé. Il se figea, les traits tordus par l'horreur. Vanille rit, quelques délicats éclats tels des gazouillements heureux. Elle n'avait qu'une envie, éliminer cet être abjecte et inutile. « Waaaaaaaaaaaahou.» Alphonse s'était mis à courir en zigzagant comme un dément. Bras en l'air, criant à plein poumon, Vanille aurait pu le tuer les yeux fermés sans même bouger. Mais où serait le jeu ? L'intérêt était de faire durer le plaisir, que la course s'éternise. La mort du vieux dégénéré ne pourrait en être que d'autant plus jouissif. « Voyons Sugar, vous n'êtes pas sérieuse ?» Il continuait pourtant à détaler comme un lapin, preuve des doutes évidents qui pointaient dans son âme. Fou, certes, mais tout de même pourvu d'une once d’instinct de survie.  

Il respirait si fort. Vanille aurait pu l'avoir d'une main, dans le noir, et sans chercher à viser avec une extrême précision avec la pointe d'une flèche usée. Il courrait, il criait comme un fou perdu. Et la jolie Vanille, silencieuse comme une ombre et agile comme un chat, le traquait. Passe-muraille, elle n'aurait aucun mal à sortir de cette fichue tour. Elle n'était pas réellement perdue, elle n'avait qu'à foncer dans une direction sans jamais dévier. C'est ainsi qu'elle sortirait. Mais tout d'abord, elle devait épurer les environs. Traversant quelques murs, elle tâcha de couper la route à Alphonse sans que celui-ci s'en doute. Ce serait une petite surprise. Et elle surgit devant lui. Il n'eut pas même la force de hurler tant il était étonnée. Vanille souriait, son adorable bouille angélique joliment illuminé et ses grands yeux verts éclairés de malice. « Coucou toi.» - « Sugar, ce n'était tout de même pas sérieux, voyons ? Une jeune femme de ce monde ...» - « Je ne suis pas une bonne fille de la haute société. Je me moque de l'étiquette. Je me fiche de me salir les mains. Elles sont rouges du sang de mes victimes depuis bien longtemps. Et j'aime entretenir cette teinte sanglante.» Comme hésitante, elle tendit un bras en dépliant ses longs doigts pâles qu'elle approcha lentement de la gorge d'Alphonse. Il recula autant qu'il pu, mais bien vite, son dos se colla au mur. Et un cri de douleur s'échappa de ses lèvres. Mais bien vite, rien ne pu sortir. « Paume ardente.» murmura Vanille dans un souffle, comme pour expliquer au vieil homme ce qui lui arrivait. Et en effet, la peau de la jeune femme était aussi brûlante qu'un fer chauffé à blanc. « Je suis pire que l'acide.» précisa-t-elle sur un ton condescendant. Elle ne lâcha pas Alphonse. Durant de longues minutes, ils restèrent ainsi, sans bouger. Mais la vie quittait peu à peu le vieil homme. Et il finit par s'effondrer. La bouche entrouverte, les yeux exorbités et la gorge d'un rouge vif. Les lèvres de Vanille se tordirent en une charmante moue désappointée mais néanmoins craquante. Cette journée n'avait pas du tout été amusante. Elle était un tantinet déçue.

« Tu as fais tout ce que tu voulais ?» s'enquit Gabriella en voyant sa Reine revenir. Vanille haussa les épaules, sans qu'un sourire ne vienne orner ses lèvres roses. « Je me suis un peu ennuyée.» répondit-elle. « Tu as pourtant toujours maintes idées pour te divertir.» - « J'ai entrevu de ravissantes possibilités, mais elles se sont révélées décevantes. » - « Oh tu sais, il paraît qu'on a retrouvé un homme mort, à quelques kilomètres d'ici. Il était dans un sale état.» - « Réellement ?» L'innocence incarnée. « Comment est-il mort ?» - « Dur à dire. Mais il est évident que la cause n'a rien de naturel» - « Qui se charge de ce meurtre ?» - « Les Elfes. Mais ils n'ont aucune piste pour l'heure.» - « Parfait. On s'en va.» Gabriella soupira. « C'est ce que je craignais.» - « Tu n'y aies pas du tout. Si le cœur m'en dit, je te raconterais.» Les deux jeunes femmes ne mirent guère longtemps à plier bagage. Elles disparurent aussi rapidement qu'elles étaient apparues. Sur sa monture blanche, Vanille filait à vive allure. Bonne cavalière, elle n'avait aucun mal à semer Gabriella, pour le plus grand désespoir de celle-ci qui frôlait la crise cardiaque à chaque fois. Et elles retournèrent à la Cité.