Mon regard se fixa sur les pages du livre qu'Evi m'avait montré, fière de sa trouvaille, fière d'avoir compris un simple petit signe dans ce qui semblait être un plan entier. Cela faisait des semaines, des mois, ce qui me paraissait être une éternité, que je souhaitais dénicher pareille merveille et voilà qu'une femme, certes puissante mais pas aussi méritante que moi, avait trouvé le seul livre des terres du Yin et du Yang à parler de proportion entre le nombre de décès et le nombre d'esprits. Non, elle n'avait pu le trouver seule. Il y avait anguille sous roche et après un instant de réflexion, ma décision fut prise : aller voir la seule femme des Terres du Yin et du Yang à pouvoir posséder un tel ouvrage. Ainsi, je laissai à la Chamane le temps de mener sa petite expédition et je me réservai le droit de la rejoindre plus tard, ou même de la devancer. Après tout, à peine l'idée avait-elle germé dans sa tête qu'elle serait sans doute la première vivante à poser les pieds dans un monde encore inconnu qu'elle me quitta sans emporter son précieux ouvrage. Grossière erreur car je n'oubliais jamais rien, aucun dialecte, aucun son, aucune bribe de conversation. De ce fait, en m'intéressant un peu plus à l'ouvrage sur le trajet, je découvris des choses bien surprenantes, des choses qu'Evi n'aurait pu déceler. Mais, ceci, je le réserverai pour plus tard, quand j'aurai mis les choses au clair avec cette démone de malheur que je soupçonnais de savoir quelque chose que j'ignorai et de se faire plaisir à mon insu. Avait-elle donné ce livre à Evi afin de me narguer, de me signaler que là où je pataugeais sans cesse, elle, savait ?

Je sus que mon intuition était la bonne au moment même où j'entrai dans le manoir Taiji. Un feu de bois crépitait dans la cheminée et de derrière un lourd fauteuil en cuir, j'entendis un petit rire amusé, cruel, moqueur juste avant que la voix luxurieuse de sa maîtresse ne s'adresse à moi. « Jun... Cela faisait si longtemps. ». Des doigts fins tapotèrent lentement l'accoudoir, un par un, avant qu'elle ne se lève dans une robe rouge somptueuse. Je levai les yeux au ciel, m'approchant à grand pas pour abattre ma main sur son cou, la plaquant contre la cheminée ardente. Ses yeux dans les miens, elle savait qu'elle avait déjà gagné, son odeur trompant mes sens. Ses lèvres me parurent exquises et mon regard ne put s'empêcher de suivre la ligne de son cou emprisonné entre mes doigts jusqu'à son décolleté. Des souvenirs ardents remontèrent du néant et ma haine à son égard me fit serrer un peu plus mes doigts autour d'elle. Mais jamais elle ne m'aurait fait le plaisir de grimacer ou de pousser un gémissement. Non. Sur ses traits n'apparaissaient qu'une seule chose : elle était ma maîtresse, j'étais son esclave, que je le veuille ou non. Ma bouche s'approcha de la sienne lentement, nos souffles se mêlant dans une danse intime jusqu'à ce que je murmure. « Tu sais parfaitement que je pourrai te tuer. ». « Mais le feras-tu seulement ? Ne t'ai-je pas donné ce que tu voulais après tout ? ». L'une de ses mains vint se balader dans mes cheveux, les caressant autant qu'elles embrumaient mon esprit. J'étais idiot, je connaissais cette femme, je connaissais ses tours et je connaissais la façon de les détourner. Le problème était de savoir si j'en avais envie. Me raccrochant à quelque chose de plus intéressant, de plus prenant, quelque chose qui me perturbait aussi, je finis par lui souffler. « Mitsuko est enceinte. ». Je vis dans ses yeux qu'elle l'ignorait, ce qui me donna l'occasion de m'écarter d'elle, comme si je réfléchissais à la question. Une habile manœuvre car tant que j'étais hors de portée, elle ne pourrait m'atteindre par ses fourbes manipulations. « Son époux doit être comblée. ». « Ce n'est pas lui le père. ». Elle me fixa avant de s'approcher à son tour. « Toi... ». Je lui répondis sèchement. « Je n'ai pas dit ça. ». Je souris. La curiosité était un vilain défaut chez les Taiji et même si je le savais, je ne lui dirai jamais de qui il s'agissait. « De toute façon, je ne suis pas ici pour cela. Il y a quelque chose que j'aimerai bien savoir. Comment se fait-il que le sceau de la famille Taiji, du manoir Taiji plus précisément, est nommé comme passage direct entre le monde des vivants et le monde des morts ? ». Elle rit. « Oh je te l'aurai dit si tu n'avais pas refusé de me fournir une information de taille... ». « Je te la fournirai après que tu m'aies amené à ce que je cherche. ». Elle sourit d'un air entendu, passant devant moi, torturant mon corps de son parfum une nouvelle fois.

823

Les couloirs s'enchaînaient et, à dire vrai, même si j'avais vécu ici un nombre incalculable d'années, j'avais l'impression de ne jamais être venu en ces endroits qui se succédaient. Nous étions en sous-sol, dans une partie du manoir qui ne pouvait être visités que par les êtres répondant au doux nom de Taiji et, finalement, si je n'en étais pas un véritable, ma présence ici ne semblait poser aucun problème, comme si le manoir comprenait que je n'étais pas un étranger venu dérober les biens de sa maîtresse. Qui étais-je au juste ? La question demeurait mais je finirai par le découvrir. C'était amusant dans le fond de connaître son futur sans pour autant dire un mot de son passé. Tout commençait ici, ma vie commençait ici, mais avant ? Je fixais le dos de la Dame depuis un certain temps. Elle savait, j'en étais certain mais me le dirait-elle seulement ? « Il y a longtemps de cela, lorsque Naram-Sin est parti à la recherche de son frère, il m'a pris une curieuse lubie. Le bruit courait qu'un Royaume des Morts existerait, quelque part en ce monde. Ce n'étaient que des rumeurs, sans doute fruit des maladresses passées des Ætheri disparus à mon époque, mais j'ai voulu savoir, me renseigner... ». Elle sourit. « Cela m'a pris du temps avant de trouver. Et puis, tu sais, le manoir Taiji est vieux, construit sur un ancien monument, qui lui aussi avait pris sa source sur une ruine. La demeure regorge de mystères, de passages en tout genre... ». Elle rit. « C'est curieux, vois-tu, car nous sommes juste à côté du Royaume des Abîmes. Seulement, ce qui m'appartient aujourd'hui, car lié aux couloirs du Manoir lui-même, devait appartenir aux Ombres il y a fort longtemps, avant qu'un roi ou un Dieu décide de condamner le passage. ». Ou une femme de s'approprier le bien d'autrui. Elle se mordit la lèvre inférieure. Après tout, si les Ombres avaient été assez cruches pour la laisser faire à l'époque, sans doute par peur de représailles venant de la reine qu'elle était jadis, elle ne pouvait s'en blâmer. Aujourd'hui, le passage était méconnu de tous, du moins, c'était ce qu'elle pensait.

Nous arrivâmes dans une large sale, éclairée par une magie provenant des murs, une sorte d'huile éternelle dans laquelle flambaient des flammes orangées. Là, il y avait des livres, des livres anciens. Au hasard, j'en pris un, à la reliure étonnement luisante. « Oh, ce ne sont que de vieilles reliques mon cher... Rien de bien intéressant en comparaison de ce que je vais te montrer à présent. ».

Kage, Roi des Magiciens à l'ère de la purge salvatrice. Enfants : Kenji...

Mes yeux s'écarquillèrent lentement avant que je me rende compte que la démone ne devait jamais détenir ce livre. Bien entendu, il devait y avoir des feuilles énumérant les enfants de Misuko ici et là, mais celui-ci contenait absolument tout... tous les détails. Le père, le nom de l'enfant, les souvenirs présents dans son esprit et... son futur probable. Son futur ? L'Æther aurait-elle outrepassé certains interdits, plus que ce que je pensais ? Feuilletant de nouveau avec un air intéressé mais pas trop, je finis par faire un commentaire afin de ne pas éveiller les soupçons de la démone. « C'est amusant, il y a d'anciennes cartes des terres du Yin et du Yang... Les monuments ont bien changé depuis l'époque de ton règne... ». Et puis, il y eut ce bout de parchemin parcourant l'une des pages, sur lequel était marqué en lettres aériennes :

Naram-Sin. Is...

Is... Qu'avait-elle voulu dire ? « Enfin bref... ». Je finis par reposer le livre sur l'étagère. J'étais persuadé que si je souhaitais l'emporter avec moi, elle m'en empêcherait. La démone était maline et elle me connaissait on ne peut mieux. Je viendrais le récupérer après, lui et ce parchemin. Mitsuko... quelle découverte as-tu encore fait ? Que cherchais-tu à propos de mon double ? L'as-tu trouvé au moins ? Je finis par sourire lentement mais sûrement, me rappelant de l'époque où cette femme n'avait aucun secret pour moi.

Pendant ce temps, la démone avait ôté la protection en bois qui semblait éviter à quiconque de tomber dans le puits situé au milieu de la pièce. Seulement, si je m'attendais à découvrir un trou profond, sombre, ce fut tout autre car une sorte de magie bleue foncée semblait nager dans une eau étrange. La femme à mes côtés souriait, forte de sa connaissance, forte de ce qu'elle avait entrepris de s'approprier il y avait des siècles et des siècles de cela. « La porte vers l'Au Delà mon cher. Un Royaume dans lequel, malheureusement, je ne puis me rendre. Mais toi... oh oui, toi, Maître des Esprits, tu peux y aller, comme tu en es sorti jadis, lorsque je t'ai trouvé, si beau, tel un Dieu à la flagrance de mortel... ». J'aurai voulu l'interroger sur les propos qu'elle tenait, réellement, mais elle profita du fait que je sois près du puits pour m'y pousser sans ménagement.

845

Je me trouvais à présent dans la pièce principale de ce qui semblait être un temple, ayant pris, comme si cela était tout à fait naturel, une apparence d'esprit. Ce monde était immatériel, je le savais, je le sentais au plus profond de mon être. Mon regard se porta vers une statue étrange, mes yeux s'écarquillant lorsque je pris conscience des êtres à qui ces visages appartenaient. Là, enlacés dans une valse que des mains liées, semblant faites de pierres, rendaient éternelle, un homme et une femme regardaient le monde dans la même direction. Derrière moi, un bruit retentit, ne me détournant pourtant pas de ma contemplation. « Une représentation de l'Æther de la Mort et de celui de la Vie. Je ne saurai dire depuis combien de temps elle est ici mais, à l'origine, ce n'était pas celle-ci... A croire que le Dieu de la Mort qui a remplacé l'ancien était tellement égocentrique qu'il a effacé toute trace de l'originel de notre monde. Un homme malin sans doute, ne laissant nulle place au hasard dans son existence. ». Je le savais, pour la bonne et simple raison que, cet homme qui valsait, semblant narguer tous ceux qui poseraient son regard sur lui, l'enviant du choix de sa partenaire, c'était moi. Un moi qui ne m'appartenait pas encore. En réalité, j'avais peur de ce que le futur m'apporterait car cet Æther qui était l'un de mes possibles avait non seulement réussi à s'élever mais également su imposer son culte depuis le commencement de l'humanité, effaçant toute trace d'un autre Dieu que lui, condamnant les divins qui avaient choisi son domaine à disparaître en aspirant leur fidèles. Astucieux au possible, la pression qui reposait à présent sur mes épaules était énorme. « L'Æther de la vie ? ». Cela me laissait perplexe car si cette femme disait vrai alors cette femme était... « Oui. Tu sais, Ezechiel, j'étais ici lorsque ce monde fut créé et en tant que gardienne, l'on ne peut si facilement me berner. Je me souviens des deux versions de la création de cet univers qu'est l'Au Delà, même si l'une était sensée effacer l'autre des esprits... de celle de tout le monde, sauf du mien. La première fois ne te concerne pas mais la seconde si, toi ici accompagné de cette femme qui figure à présent sur la statue. Peut-être aurai-je dû intervenir, prévenir des Ætheri qui auraient arrêté votre folie, mais finalement, la courbe du temps jamais ne s'en est retrouvée ébranlée, comme si, finalement, là était ce que ces Terres avaient toujours voulu, ce que le Destin lui-même avait désiré. La complémentarité de vos auras était telle que je m'en souviens encore, comme si vous ne partagiez qu'un même dessein, une harmonie se dégageant de vos deux êtres. Alors oui, l'histoire, les esprits, retiennent que ces visages, ces silhouettes, comme créateurs de cet univers. ». Ezechiel, cela n'était pas la première fois que l'on m'appelait ainsi. « Nous nous sommes déjà rencontrés par le passé n'est ce pas ? ». Elle sourit, mystérieusement, répondant à une toute autre question qu'elle semblait s'être posée elle-même. « Ton futur semble prometteur mais ton passé l'était tout autant. Je te le conterai mais à la condition que tu trouves le mystère reliant les âmes sœurs. ». Elle avait disparu.

Je restai là, ne sachant comment réagir. Je savais que mon passé n'avait pas commencé lors de la création de mon être par Mitsuko, depuis guère longtemps, certes, car elle me l'avait elle-même avoué sur le chemin menant au puits qui lui-même menait à l'Au Delà. Mais du plus lointain que je me souvienne, il n'y avait qu'elle au commencement de ma vie. Seulement, depuis toujours, je sentais cette sensation étrange me parcourir. Ici, j'avais l'impression d'être chez moi, malgré le fait que jamais auparavant je n'avais souvenir d'avoir parcouru ce lieu. Avec le temps, j'avais mis ces impressions sur le compte de ma mémoire qui semblait absolue, comme si mon cerveau analysait les choses tellement rapidement que la sensation de déjà vu s'imposait d'elle-même. Mais il y avait autre chose, j'en étais à présent certain. Le mystère reliant les âmes sœurs hein ? Je ne mis pas longtemps à le trouver, mon regard ne pouvant se détacher des statues s'enlaçant dans cette danse. Peut-être avais-je un certain humour pour oser voler cette danse éternelle à mon double mais, après tout, lui avait eu l'occasion de commencer cette valse avec elle. Pourrait-il seulement la finir un jour ? Mes ailes apparaissant dans mon dos, je m'envolai afin d'atteindre le buste des deux individus statufiés, sur lequel, sur la place du cœur, deux morceaux de pierre étaient posés. Une dans chaque main, elles ne tardèrent guère à se rejoindre lorsque je les rapprochai. Une question alors s'imposa à moi, seule, effrayante : avais-je seulement réussis à réunir le cristal maître jadis ? Il ne faisait aucun doute que je tenais dans les mains l'une des pierres le composant, je les connaissais trop bien pour pouvoir l'ignorer. Mais si celle-ci était cachée ici depuis tout ce temps, comment aurai-je pu la trouver ? Un petit rire éclata à ma droite, en dessous, sur le sol. Il était là, ses cheveux bien plus longs que les miens nous différenciant. Moi le Mortel, lui l'Æther. « Il y a des mystères, malheureusement, qui ne devront jamais être résolus. Mais concernant cette pierre, l'on dit qu'elle fut créé par Sympan afin d'engendrer des enfants. Un hommage à l'Æther de la vie sans doute... ». Il rit. « Ainsi, parfois, dans l'histoire de l'humanité, le pouvoir de ce fragment du cristal maître s'est déchaîné, provoquant des grossesses étranges, intervenant sans aucune logique, la race des enfants de la femme enceinte ne lui correspondant pas, ni à elle, ni à celle de son époux si celui-ci existait. Ces enfants, création de Sympan, était voué à un Destin glorieux, à un Destin qui laisserait leur nom dans l'histoire de l'humanité, leur nom et celui de toute leur lignée. ». « Mais alors... ». « Oui mon cher, le mystère se résout, ce mystère qui veut qu'un jour, un ange et un démon naquirent d'une humaine sans que jamais père ne fut retrouvé, sans que jamais l'humaine ne dise mot sur ce dernier... ».

1046

A peine découvert, l'Au Delà allait déjà refermer ses portes. C'est ce que l'unique gardienne m'apprit chose qui ne fut qu'une parmi tant d'autres. En réalité, elle souhaitait tout me dire, à la seule condition que je convainque les étrangers de s'en aller une fois qu'elle leur aurait dit ce qui serait nécessaire, ce qu'elle devait leur révéler. J'avais donc obéis, sans poser la moindre question car je savais que la jeune femme ne me trahirait pas. Je voyais dans ses yeux qu'elle souhaitait me raconter une histoire, mon histoire. Aussi, après avoir annoncé aux esprits quel serait leur destin s'ils restaient ici et après avoir laissé Evi aux griffes d'un Ridere aux desseins destructeurs, j'étais retourné dans l'Au Delà, revenant dans le temple, devant ces statues qui valsaient, le regard fixé vers le même point. J'allais tourner les yeux vers ce dernier quand la gardienne apparut. « Nous n'avons plus beaucoup de temps mais tu devras revenir ici lorsque le chaos sera enfin annihilé. Je pense que les choses reviendront à leur place car, après tout, les terres du Yin et du Yang s'en sont toujours sorties. Néanmoins, avant de t'expliquer quel sera ton rôle, mon cher Ezechiel, je dois te parler de cet endroit, de toi. ». Elle sourit, faisant un large geste de la main dans la salle du temple. « Je pense qu'il t'a déjà rendu visite n'est-ce pas, t'annonçant ton futur comme si le chemin de ton existence ne pouvait plus être détourné. Cependant, il existe en ce monde des êtres qui apparaissent avec un objectif, un but prédéfini, une destination finale qui ne pourra jamais changer, quelle que soit les choix qu'ils prendront. Et plus ils essaieront de se débattre, plus ils s'apercevront que leurs changements de trajectoire les mènent exactement là où ils doivent être. Peut-être es-tu dans ce cas. ». Aucun doute sur la question ne persistait car j'avais conscience que la présent de cet Æther en ce temps présageait toujours que je le deviendrais. Et puisqu'il m'était apparu dans cette cacophonie qu'était devenu le monde, je pouvais continuer de croire sans problème que mon destin était scellé définitivement. Beaucoup se seraient rebellés contre lui mais j'avais l'audace de penser qu'une fois Æther, je serai maître de mon existence, enfin. « Tu es né à l'ère de l'aurore édénique mais, cela, tu le sais déjà. Ton père, Lucifer, ta mère, une femme que je ne connais pas et dont tu ne m'as jamais parlé par le passé. Bien entendu, tu as cru une grande partie de ton existence que Mitsuko Aria Taiji t'avait créé mais si elle ne sait pas que tu connais la vérité, toi, tu l'as découverte plus tôt. Seulement, il te reste une énigme, celle de ta vie entre le moment de ta naissance et celui de ta rencontre avec cette femme. Je sais que tu doutes parfois de cette réalité, que tu as l'impression qu'elle est ton premier souvenir, que tu veux y croire, comme quelque chose de stable, de rassurant. Mais tu le sais, au fond de toi, que cette vérité est ailleurs. Et encore, tu es si vieux, Ezechiel, que je ne pourrai probablement pas tout te conter. ». Oui, je le savais. Cet endroit me semblait si familier mais je ne pouvais me résoudre à penser que j'y avais déjà mis les pieds. Pourquoi ? Dans quel but ? Et, comme pour répondre à ma question : « Tu as été gardien de l'Au Delà, l'un des sept élus choisis par les divinités créatrices. C'est amusant n'est ce pas, que l'Æther de la mort originel t'ait choisi et que, des siècles plus tard, tu l'ais éliminé... Je trouve ça, poétique quelque part. Mais tu as servi à la régulation de ce royaume, jusqu'à ce que tu en sortes et que Mitsuko te garde avec elle jusqu'à ce que ta mémoire défaillisse. Malgré notre statut un peu particulier sur ces terres, elle était bien trop puissante à l'époque pour que tu te dégages de son emprise. Tu avais déjà ce physique, celui de l'homme que tu connais sous le nom de Naram-Sin. ». Mes yeux s'écarquillèrent lentement, en même temps qu'ils rencontraient le point de fixation du regard des Ætheri de la vie et de la mort. Sur l'autre versant du mur, une troisième statue se trouvait là, celle d'un homme, semblant identique à mon futur. Pourtant, je savais que cette représentation n'était pas celle de la Mort, mais celle d'autre chose. Un autre Dieu ? Naram deviendrait-il Æther dans le futur ou était-ce une plaisanterie de mauvais goût ? « L'homme qui semble disparaître avant de renaître de ses cendres du côté de ceux qu'il hait... » murmurai-je doucement. Une farce, voilà ce que c'était. « Néanmoins, je ne saurai te dire pourquoi ni comment. Mes estimations m'annoncent que tu es né bien avant Naram. ». « Peut-être est-ce lui le copieur d'apparence après tout. Cet homme adore prendre ce que je désire, ce ne serait pas si étonnant. ». Au final, je trouvais cela stimulant, comme si lui et moi faisions la course, comme si une partie de mon existence consistait à lui retirer ce qu'il voulait, à la manière dont il savait si bien le faire pour mes vœux. Peut-être était-ce lui l'homme à qui j'avais volé la cavalière ? A moins qu'il ne soit le prochain à danser avec elle ?

De retour dans le manoir Taiji, je pris le livre que j'avais laissé sur l'étagère, recroisant dans la salle de bal la maîtresse de maison. « Alors, j'attends ma réponse. ». « Effectivement, je suis le père. ». Mensonge ou vérité, je n'allais pas le révéler. Après tout, je n'étais pas fou au point de faire confiance au diable, et je n'étais pas assez gentil pour toujours obtempérer et réaliser les souhaits de mes interlocuteurs. Souriant, je tournai les talons avant de m'arrêter quelques pas plus loin. « Ah au fait, ne te fatigue pas, Mitsuko, je sais très bien que tu n'es pas à l'origine de mon existence. ».

L'Au Delà avait sombré, emportant avec lui des milliers et des milliers d'esprits qui se noyèrent dans l'océan, disparaissant à jamais sans laisser la moindre trace. Mais je savais que le phénomène, même s'il avait tué la moitié des esprits, suffirait à créer une surpopulation massive. Un jour, quand le temps serait plus clément, je devrais retourner dans cet Au Delà afin d'y exhausser les volontés de sa dernière gardienne.

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