Les forêts du continent naturel défilaient à une vitesse folle devant les yeux du bélua. Il avait laissé son totem prendre le contrôle de son corps pour lui donner plus de vitesse qu’il n’aurait jamais pu atteindre sous forme humaine. Il ne contrôlait plus ses mouvements, ou du moins ne cherchait plus à le faire, faisant confiance à son totem pour trouver les meilleurs chemins, les meilleurs appuis. C’était encore lui qui savait se servir au mieux de ces pattes puissantes qu’il obtenait lorsqu’il se transformait.
Abel aurait voulu revenir à Dhitys. Amarel lui avait écrit, lui expliquant la situation là-bas et l’informant qu’elle se dirigeait vers le Nord suite à l’attaque des Rideres. Il devait impérativement la rejoindre, puis rejoindre la terre des siens pour constater l’étendue des dégâts et se rendre utile. Il aurait voulu pouvoir voler, pouvoir parcourir des centaines de kilomètres en quelques heures, mais malheureusement ce n’était pas le cas, et il devait se contenter de lire les lettres d’Amarel pour savoir ce qu’il se passait au rocher au clair de lune. Khôr avait pu les porter, Kailyn, Saphir et lui pendant quelques minutes, mais les entraves magiques qui semblaient peser sur chaque être ne l’épargnaient pas et le bélua doutait de sa capacité à les transporter sur de longues distances pour l’instant. Ils avaient donc dû se retourner vers des moyens de transport plus conventionnels pour rallier le continent naturel.

Malgré toute sa hâte à regagner les terres de son peuple, les gardiens de Phoebe avaient envoyé des instructions particulières à tous ceux qui seraient à proximité d’Earudien. La cité a été rasée, et les survivants ont fui vers le territoire des anges déchus, ce qui inquiète un petit peu les béluas qui ont toujours entretenu de bonnes relations avec le peuple des forêts. Abel comprenait d’autant plus que la situation était préoccupante lorsque l’on savait que les déchus n’étaient pas forcément les êtres les plus recommandables de ces terres. Certains étaient animés d’une colère constante, d’autres étaient dévorés par l’orgueil et bien peu d’entre eux ne pouvaient contrôler leurs pêchés pour revenir sur le chemin de la rédemption. A certains niveaux, ils étaient pires que les démons, et de la part d’Abel cela prouvait bien à quel point il pouvait les détester. Les seuls déchus qu’il lui avait été donné de rencontrer s’étaient avérés étranges, parfois même dangereux. Il en avait gardé une certaine animosité et une méfiance qui venait détériorer la froide neutralité que son peuple entretenait avec eux.

Mais ce qui l’amenait ici n’était pas sa rivalité avec les déchus et leurs pêchés, mais plutôt la peur que ses alliés elfiques ne se trouvent en mauvaise posture, dispersés et affaiblis. Les béluas qui ne pouvaient rallier Dhitys à temps devaient donc se rendre dans la forêt aux mille clochettes pour prêter assistance aux elfes, les aider à bâtir des campements et à trouver les vivres et les matériaux dont ils avaient besoin pour se relever après une telle catastrophe.

Abel était parti devant, étant donné qu’il était le seul à être à l’aise avec les déplacements en forêt, et avait laissé Kailyn se charger de Saphir avec l’aide de Khôr. Il n’y avait qu’à espérer que la magie ne continuerait pas à faiblir, sans quoi le majestueux dragon se retrouverait bloqué au sol tout comme eux…
Le bélua leva les yeux vers le ciel, cherchant à apercevoir le dragon, mais dans sa course folle il ne pouvait voir que les branches et les feuilles de la canopée, espérant qu’il ne s’était pas laissé distancer car, aussi rapide qu’il pouvait être, il était tout de même impossible d’atteindre la vitesse d’un dragon en vol.
Abel repris peu à peu forme humaine alors qu’il venait d’entendre du bruit non loin de l’endroit où il se trouvait. Il ne tarda pas à découvrir une clairière immense dans laquelle s’étaient réunis plusieurs dizaines d’elfes, fuyant sans doute les ruines d’Earudien. Le bélua s’approcha lentement, ayant du mal à en croire ses yeux. Quelques tentes de fortune, des lits de camp installés à même le sol, et ce même désespoir présent sur chaque visage. Abel espérait du fond du cœur que la situation était meilleure parmi les siens, mais pour l’heure il était grand temps de se préoccuper de ces gens-là. Levant une nouvelle fois les yeux pour essayer d’apparaître Khôr, Abel se mit en quête du responsable de ses gens, même si la notion de hiérarchie devait paraître bien secondaire dans ces moments de doute et d’incompréhension.