Le silence. Peut-être était-ce ce que Mitsuko préférait lorsqu'elle se trouvait dans les bras de l'océan, nageant gracieusement loin des civilisations. Elle ne s'était sans doute jamais sentie aussi bien qu'à présent mais sans doute était-ce dû uniquement à son statut de sirène. Créature marine, sa queue d'un blanc nacré ondulait lentement, donnant l'impulsion nécessaire à son corps afin de traverser l'antre de celui qui avait été son prince des rêves. Quelle douce ironie qu'une telle transformation se soit emparée d'elle. La déesse aurait pu retourner à la mortalité sous les traits d'une vampire, d'une humaine ou de n'importe quelle autre race, mais non. Il avait fallu que sa mutation soit l'écho de l'image qu'elle gardait de l'homme qu'elle cherchait depuis un long moment déjà, cet homme qu'elle avait jadis oublié et qui avait eu l'audace de la guider dans les bras de son époux. Cet homme avait toujours aimé l'océan et le chant des ondines qui l'habitaient. Et, à présent, l'océan était son père alors qu'elle était l'une de ces mystérieuses dames qui perdaient aussi bien les marins qu'elles volaient le cœur de ceux qui les écoutaient.

Le Destin était joueur et bien qu'elle ne le fasse pas exprès, à chaque fois qu'elle nageait seule dans l'océan, elle ne pouvait s'empêcher à penser à ses souvenirs anciens. Tournoyant au grès de l'eau, ses longs cheveux suivaient le mouvement de son corps, annihilant parfois la visibilité de son visage pour la faune marine. L'océan. Il pouvait être à la fois calme et déchaîné, bénéfique et maléfique, un allié et un ennemi. Ils se ressemblaient, tous deux. Le calme qui marquait ses traits n'avait d'égal que le déchaînement qui vivait dans ses yeux, lorsqu'on la croyait sûre alliée, elle se révélait comme étant la pire ennemie et, plus que tout, nul ne pouvait savoir si la dame était bénéfique ou maléfique. Mitsuko était telle un mirage, une femme faite de la même matière que les rêves, qui disparaissait lorsque l'on pensait enfin l'attraper et qui apparaissait lorsque l'on s'y attendait le moins. Aussi, peut-être ne le faisait-elle pas exprès, peut-être était-ce simplement le Destin qui se plaisait à jouer des tours à ceux qui devaient la côtoyer un jour.

Et, comme si ce fameux Destin avait souhaité que Nathanael la rencontre, ce fut devant lui qu'elle arriva, le rendez-vous semblant prévu alors qu'il n'était que le fruit du plus pur des hasards. La sirène s'arrêta devant la forme ombragée, s'interrogeant un instant avant de trouver la solution à cette équation étrange. L'individu en question s'était probablement suicidé et, alors que son corps coulait au fond des abysses, la transformation en créature du Royaume des Abîmes avait opéré. Ses yeux verts ne le quittèrent guère alors qu'elle s'approchait un peu plus, réduisant la distance entre eux. Qui qu'il ait été par le passé, son présent n'était en aucun cas à envier, coincé ici pour l'éternité. Oh, peut-être pas, mais avant qu'il ne puisse trouver la force nécessaire, un temps considérable s'écoulerait sans doute. Mitsuko n'était ni bonne ni mauvaise mais pour avoir été Esprit de la Mort, elle savait ô combien le statut d'ombre était difficile. Aussi, une idée lui vint en tête. En tant que déesse, elle n'aurait guère pu intervenir, guère pu changer ce que le sort avait réservé à cet homme, mais à présent qu'elle était déliée de tout engagement envers les Aetheri, elle avait le choix, le choix de modifier sa vie.

Sa voix ne tarda pas à résonner sous l'océan, telle l'écho d'un son enchanteur. Les sirènes n'étaient-elles pas, après tout, créatures charmeuses et tentatrices ? « Je peux vous aider si vous le désirez. Je ne peux guère deviner qu'elle fut votre vie avant votre transformation mais je peux vous éviter la malédiction qui pèsera sur vos épaules tout au long de votre mort. Je peux vous aider à vivre, à trouver la sortie de ce sombre tunnel dans lequel vous devez sans aucun doute être plongé. Je ne vous rendrais point votre vie d'avant mais vous pourrez de nouveau respirer, sentir, éprouver. Il me faut cependant votre accord... ». Elle sourit. « Faites mon confiance. Je suis sur le point de vous sortir de l'enfer. ».

Mitsuko finit par croiser les bras sur sa poitrine, levant un sourcil en l'air en se demandant si cet homme était réellement sérieux. N'avait-il pas conscience qu'essayer d'attaquer une sirène au beau milieu de l'océan était aussi désespéré qu'attaquer un ange en plein ciel sans posséder d'ailes ? Certes, la jeune femme était patiente mais cette même patience était relativement limitée, pour ne pas dire quasiment inexistante dans certaines situations. Ne savait-il donc pas connecter deux neurones ? Bien sûr, en vu de ses réactions, il avait sans doute été attaqué par une horde de femmes de l'océan, mais... Elle soupira. « Écoutez, si j'avais réellement voulu vous tuer, je n'aurai pas attendu que vous vous ôtiez vous-même la vie pour le faire. Vous êtes ridicule. ». Les derniers mots avaient sonné avec plus de fermeté encore que le reste de sa phrase, la jeune femme l'accablant totalement. Puis, comme pour lui démontrer à quel point son entreprise était entachée de folie, elle contrôla l'eau afin que la pression de cette dernière soit telle que la lance de l'ombre naissante lui échappe et atterrisse dans l'une de ses propres mains. Avec une petite mine qui ressemblait fortement à un « Je vous l'avais dit ! », elle attendit un instant avant de reprendre la parole.

« A vrai dire, je n'ai que faire de votre avis. Je fais bien de vous ce que je veux. C'est assez navrant de penser que vous pourriez rivaliser avec mes volontés, surtout en dessous des flots. ». Légèrement agacée, car c'était un trait qui revenait souvent chez elle quand elle essayait d'aider quelqu'un qui avait l'indécence de refuser, elle continua. « Je vous ai proposé de vous ramener à la vie et, vous, vous essayez de m'attaquer. Trouvez-vous un semblant de logique dans un tel comportement ? Vu votre situation, vous feriez mieux d'être un peu plus conciliant. ». Après tout, elle pourrait très bien choisir de rebrousser chemin et de le laisser errer dans les limbes océaniques. « Un démon des eaux... qu'est ce qu'il ne faut pas entendre. Et vous, qu'êtes-vous ? Un brouillard des océan ? ». Reprenant les termes qu'il avait employé, elle finit par lui rire au nez après un énième soupire. Néanmoins, pas qu'elle s'ennuyait, mais elle n'avait guère que cela à faire de sa journée. Aussi, elle se dit qu'il était temps de prendre une décision à sa place. Contrôlant l'eau pour qu'il se retrouve comme enfermé dans son étreinte, elle posa l'une de ses mains sur lui, récitant la formule de transformation alors qu'une lueur magique faisait son apparition. « Moi, Mitsuko Taiji Stark, ton maître, en ce jour, je te fais devenir l'un des médiateurs entre le monde des vivants et celui des morts. Je t'offre les dons qui te permettront le contrôle de ces derniers. A cet instant, tu deviens et tu resteras chaman. Par ce tatouage, tu acquiers tes pouvoirs et ton ethnie. ». Comme il était coutume, un tatouage apparut sur le corps de l'homme, faisant de lui un chaman, un vivant, un être qui ne pouvait pas respirer sous l'eau, totalement nu dans le cœur de l'océan.

La sirène aurait pu le laisser là, oh oui, elle aurait pu parier sur le fait qu'il puisse remonter à temps ou non à la surface, avant de se noyer. Mais vu la profondeur à laquelle ils étaient, le pari n'en valait pas la peine. Nul mystère n'en aurait découlé. Il se serait noyé. Aussi, elle attrapa son bras en vitesse avant de nager d'un rythme effréné jusqu'à la surface, là où il pourrait prendre une bouffée d'oxygène. Attendant qu'il reprenne ses esprits, elle lui tendit sa lance angélique avant de plonger ses yeux dans les siens. « Bien, bonne continuation. Vous m'excuserez, mais je n'ai pas le temps, et certainement pas l'envie, de vous raccompagner jusqu'à la terre ferme. Si vous avez des questions sur votre nouveau statut, vous n'aurez qu'à ouvrir un livre. Vous m'êtes désagréable et je n'ai aucune intention de vous aider davantage. Passez une excellente journée. ». Puis, sans un mot de plus, elle plongea dans les profondeurs, le laissant là, seul.

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