Mitsuko marchait tant bien que mal tout en s'appuyant sur le déchu. Elle détestait avoir besoin des autres pour exister et encore plus le contact physique imposé mais dans le cas de l'homme, ça ne la dérangeait pas. Il l'aidait, simplement, et, en tant qu'aveugle et être doué d'intelligence, elle savait parfaitement qu'il ne chercherait en aucun cas à en profiter. En avait-il seulement envie ? Elle ne pensait pas et cela lui allait parfaitement. Ainsi, ils pourraient réellement regarder dans la même direction ensembles, bien que cela ne soit qu'imagé pour le coup. Elle finit par lui souffler doucement. « Vous savez, ce que l'on raconte parfois sur les individus est souvent bien au dessus de leurs prouesses véritables. Certaines personnes se sont vues confier le titre de héros alors qu'elles étaient simplement au bon endroit, au bon moment. ». Elle le força à s'arrêter, se plaçant devant lui tout en restant sous son emprise afin de ne pas tomber. Puis, après un moment, elle avança sa main qu'elle posa à plat sur son ventre. Ce n'était pas une caresse, c'était simplement une constatation. « Croyez vous que la réputation se fonde sur des faits ? Non. Ce que l'on raconte sur les hommes ne dépend que d'illusions parfaitement orchestrées. Vous ne ressemblez certes pas à un taureau prêt à foncer sur mille hommes mais votre corps est solide ce qu'il faut. En redressant les épaules, en vous parant de la bonne façon et en s'arrangeant pour que vos plus petits exploits soient enjolivés par une foule de crétins, vous pourrez avoir autant de renommé que n'importe quel souverain. ». Elle retira sa main, se plaçant de nouveau comme précédemment pour continuer à marcher à ses côtés, ses jambes tremblant dangereusement. « Mais, votre renommé, vous avez encore le temps de la construire. Il y a tant de choses que vous devez faire que le peuple parlera de vous bien avant votre montée sur le trône. Et puis, en faisant un tour d'horizon des souverains, en vous penchant attentivement sur leur cas, vous verrez qu'il n'y a guère de quoi trembler devant la plupart d'entre eux. Et même, comme je vous le disais, vous n'aurez qu'à faire en sorte qu'ils tremblent devant vous à leur tour. ». Mitsuko rit doucement. « Les gens forts foncent sur des légions entières pour se faire connaître au péril de leur vie et les gens intelligents créent l'illusion de la même chose sans bouger ne serait-ce qu'un orteil. Et puis, un homme, aussi puissant soit-il, n'en reste pas moins soumis à ses sentiments. Les plus grands titans sont faciles à mettre à genoux si l'on sait où les frapper. Alors, si je n'ai qu'un conseil à vous donner, c'est celui-ci : contrôlez vos émotions et vous contrôlerez le monde. Car insensible à ce qui fait la faiblesse de tout Mortel, nul être ne pourra vous atteindre. ». La jeune femme s'amusait à jouer avec l'eau depuis quelques temps déjà, de fines gouttelettes les suivant en ondulant doucement. « Il fut un temps où je mis le seigneur De Mallet à mes pieds, un messie des ténèbres à la puissance connue et reconnue, celui là même qui précéda les règnes d'Aya et de Koal. Ses bras faisaient sans doute cinq fois les miens et il me dépassait de trente bons centimètres. Et pourtant. Le cœur des hommes est sans doute plus fragile que celui des femmes. C'est ce que contait une légende que je lisais étant enfant, que si la nature avait fait les hommes aussi robustes, c'était pour palier à la faiblesse de leur cœur. L'histoire possède plusieurs versions ensuite. Dans l'une d'elle, les femmes sont fragiles pour émouvoir le cœur des hommes. Dans l'autre, elles sont fragiles d'apparence pour compenser la force de leur cœur. La légende ne parle malheureusement pas de rapports homosexuels. ». Un sourire énigmatique se peignit sur ses lèvres avant qu'elle ne continue. « Vous n'avez pas besoin d'être des plus robustes du moment que votre cœur et votre esprit sont solides. Ne laissez jamais qui que ce soit prendre plus d'importance que votre objectif. Car ceux qui seront contre vous pourraient profiter de votre faiblesse. ». Son regard dans le vide, elle finit par préciser. « J'ai vu bien des êtres que j'aimais mourir devant mes yeux. Mais contrôler ses émotions nous rend infaillible. ». Peut-être était-ce lâche dans un sens car en faisant ça, elle avait fui toute sa vie durant la tristesse. Mais lorsque ses ennemis avaient ôté la vie d'êtres qui leur semblaient lui être chers sans la voir ciller, ils avaient compris ô combien elle était intouchable. Et quand elle avait accepté d'oublier Naram pour pouvoir avancer toujours plus, l'Aether responsable de son oubli en avait lui-même été étonné. Ne jamais laisser personne devenir une faiblesse, jamais.

Laissant un petit silence s'installer, elle finit tout de même par répondre aux interrogations de l'homme, si tant est que cela soit une réponse. « Bien qu'alliés, je pense que nous pouvons avoir l'un pour l'autre quelques petits secrets. Demandez moi ce que vous voudrez, vous l'obtiendrez. Mais je me garde le mystère de comment je vous aurai exhaussé. ». Puis, elle se tut, tout simplement, fixant l'horizon de ses yeux verts. Le monde était à elle, elle ne le possédait pas, non, il était simplement son terrain de jeu.

« Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire seront à jamais tes esclaves soumis et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire, tu seras un Homme. »