Yun était venue me voir en début de matinée. Sa présence pour le moins désagréable ne présageait rien de bon. Cette étrange femme dont personne ne savait rien était l'âme damnée de ma mère. Elle se vouait corps et âme à la cruelle Dame des Abysses. Garde du corps et messagère personnelle à la fois, elle remplissait la majorité des tâches ingrates qui déplaisaient à la Reine, ou qu'elle jugeait de moindre importance pour s'en charger personnellement. « Que me vaut ta visite, corbeau ?» soufflais-je de mauvaise grâce alors qu'elle approchait de moi. Elle laissa un sourire mesquin étirer ses lèvres pâles. Comme ma chère et tendre mère, elle avait la fâcheuse tendance à se vêtir de façon légère, mettant en avant ses formes scandaleuses. Cela me gênait, je finis par détourner les yeux. Et Yun rit, assez sèchement. « Tu me portes toujours autant dans ton cœur, vipère.» répondit la jeune femme à la peau halée. D'un geste élégant et savamment mis en scène, elle tira de je ne sais où un papier fermé et scellé par le sceau royal de la Dame. « Les têtes couronnées ont une mission pour toi. » - « Je n'en crois mot. Je suis persuadée que le Roi Nastaé n'a rien à voir dans cette missive. Pourquoi ne pas dire directement que ma mère attend quelque chose de mon humble personne ?» - « Crois ce qui te plaira.» Yun grinça légèrement des dents. Elle n'aimait pas qu'on manque de respect à la femme qu'elle adulait tant. Elle enchaîna tout de même : « J'ai cru comprendre que tu étais une envoyée officielle, et non officieuse. Alors tâche de faire bonne figure, c'est le Royaume Ondin que tu vas représenter.» Ma gorge se serra. Est-ce que cette garce qui me servait de mère avait décidé qu'il était temps pour moi de faire mes preuves ? C'est presque honteuse que je me rendis compte que je ne voulais pas la décevoir. Avec dédain, Yun envoya valser la lettre que j'attrapais au vol, pour l'ouvrir avec empressement, les doigts tremblants. Au moins, l'autre ne m'avait pas mentis. C'était une mission officielle.

«

A l'attention de la Princesse Nausicaa Deslyce.
De Sa Majesté la Dame des Abysses Vanille Deslyce.

Dans l'intention de vous voir confier de plus grandes responsabilités, au nom de la Royauté, voici un ordre de mission à remplir scrupuleusement. Si vous aspirez à gagner la fusion avec votre perle, il en va de soit que l'échec ne saurait être toléré. Vous êtes donc cordialement en charge d'une congrégation d'Orines venues en visite à la Cité Engloutie. Veillez à ce que nos convives ne manquent de rien et qu'elles soient satisfaites de leur voyage qui est capitale dans l'entente entre nos deux peuples. Les relations ne sont pas au beau fixe entre les deux deux Reines qui, officieusement, ne semblent pas s'entendre. Vous vous devez donc d'être irréprochable pour mieux manipuler les Orines qui se présenteront à vous pour calmer les tensions.»

Je hochais brièvement la tête, saisissant sans mal les enjeux de cette petite visite. J'avais déjà entendu parler ma mère, à Gabriel ou ses proches, de ses relations avec la Vénus. Elles ne s'appréciaient vraiment pas. J'avais cru comprendre que la souveraine ondine était sur le point de démasqué Vanille. Elle savait. Cette pensée fit naître un léger sourire cynique sur mes lèvres. Cette idée me plaisait. Malgré tout, je me devais de faire tout mon possible pour satisfaire la Reine, d'autant plus que le Roi n'avait pas à en pâtir des mauvaises relations de sa collègue. Alors je suivis sans broncher les instructions rédigées au dos de la main délicate de ma mère et brûlait le papier sans ménagement. Les yeux dans le vide, l'esprit absent, je contemplais les brides de phrases s'embraser lentement dans le feu de la cheminée. Puis je tournais les talons pour me préparer. Car si ma mère me dégradait, j'étais la Princesse de la Cité Engloutie. Et je devais faire honneur aux miens. Alors je me dirigeais d'un pas vif vers ma modeste chambre, la plus éloignée possible des appartements privés royaux tout en demeurant dans l'aile royal, bien que je devais avoir les quartiers les moins pompeux et les plus petits.

Doucement, j'ouvris ma penderie. Parmi ma garde-robe habituelle trônait dans une housse blanche une tenue princière. Dans un soupire, je l'ouvris à moitié pour parcourir du bout des doigts les broderies. C'était magnifique. Un travail somptueux. Mais j'avais toujours fuis la mode ondine. Je devais pourtant m'y faire. Et c'est sans sourire que j'enfilais le costume traditionnel. Je me trouvais plutôt jolie dedans. Le bleu m'allait très bien au teint, et les tissus étaient agréables à porter, d'une finesse incroyable. Mais par tous les Aetheri, que c'était court ! C'était une robe ouverte de toute part. J'avais le dos nu, et on voyait la majeur parti de mon ventre. Le bas s'achevait bien trop tôt. Le tout était rehaussé de perles et de voiles. J'enfilais des petites chaussures plates et quelques accessoires avant de regarder l'heure. Il était grand temps que je me presse. Je claquais la porte avant de filer à travers les couloirs du Palais et sortir dans les rues.

Trois jolies jeunes femmes arrivaient. Curieuses, elles scrutaient les environs. D'un pas léger et aérien, j'allais à leur rencontre. « Bonjour et bienvenue à la Cité Engloutie. Je suis la Princesse Nausicaa. Ravie de pouvoir enfin vous rencontrer. » Doucement, je m'inclinais en avant. Parmi mes trois convives, il y avait deux blondes et une brune. C'est une Orine aux cheveux clairs et aux yeux gris qui s'avança, après m'avoir saluer d'une légère révérence à leur tour. « Nous sommes enchantées d'être arrivées. Je suis la représentante de Maëlith et des Terres d’Émeraude, Lisabella. Et voici la représentante de la Cité des Mirages, Ceïra, et celle de la Forêt Enchanteresse et d'Orihime, Phillipa. » Les trois Orines étaient d'une politesse exquise. Elles m'expliquèrent brièvement que les Muses et la Reine n'avaient pu se libérer, et qu'à défaut, une Orine de chaque région avait fait le déplacement pour veiller aux intérêts du peuple. Je n'en cru pas un mot, persuadée que la belle Lily-Lune Araé avait préféré décliner l'invitation de ma mère, et je ne pouvais que lui donner raison, et qu'elle avait incité ses conseillères à en faire de même. Si Vanille prévoyait de faire du mal aux Orines importantes, ces trois-là ne représentaient rien de bien excitants. La Vénus avait compris comment fonctionnait ma mère, de toute évidence.

« Voici la Place de Symbor, qui est la principale de la Cité Ondine.» Les Orines laissèrent leur regard vagabonder sur le paysage idyllique, tout de même bien loin de ce qu'elles devaient connaître. Le plus étonnant devait être la lumière. Douce lueur bleutée. La foule grouillait, pleine d'entrain. « C'est le lieu de vie par excellence.» précisais-je. « Un peu plus loin au sud, c'est le Palais que vous apercevez. Le grand bâtiment du nord est le Parlement.» - « Ah oui. Votre monarchie est basée sur un conseil d'élus.» - « Tout à fait. En haut de la pyramide se trouve le Roi et la Reine, puis les Muses et ensuite le Parlement. Leusr rôles sont distincts.» - « De quoi se charge le Parlement ?» - « Ils votent ce qu'on leur propose et s'occupent de la vie de la Cité.» Les Orines hochèrent la tête, pensive. « La bulle qui entoure la ville..» commença une autre, hésitante, sans trouver ces mots. J’enchaînais. « C'est de la vieille magie, qui s'entretient avec celle du peuple ondin, des puissants et de l'Océan. N'ayez crainte, la bulle est loin d'être fragile, elle est d'une résistance incroyable.»

Je leur fis le tour des environs. Elles s'attardèrent dans le Parlement, écoutant durant de longues minutes les débats pourtant stériles des parlementaires qui ne s'accordaient pas sur un point. Puis vint le moment que je redoutais un peu, la visite du Palais. Elles furent émerveillées par son architecture, ses murs clairs et ses grandes salles. « Pensez-vous que nous allons croiser le Roi ou la Reine ?» - « J'en doute. Nos souverains sont très occupés.» J'aurais aimé mené ces demoiselles après du Roi. Mais je craignais qu'elles fassent la bien mauvaise rencontre de ma mère. « Merci d'être venue à nous.» continuais-je dans un sourire. « Et veuillez faire passer nos amitiés à la Vénus.» La voix était douce mais ferme. Comme une seule femme, les Orines et moi relevions les yeux pour les poser sur la Sirène qui se tenait en haut des escaliers. La Dame des Abysses. Évidemment. Les Orine s'échangèrent un regard, quelque peu troublées. Et oui, ma mère est une belle femme. Mais je priais pour qu'elle ne tombe pas dans le panneau. « Je suis navrée qu'elle ne se soit déplacé, l'invitation la concernait en premier lieu. J'aurais été ravie de dîner en sa compagnie.» - « Veuillez excusez la Vénus. Malgré sa volonté de vous rencontrer à nouveau, elle n'a pu libérer un créneau à la date que vous indiquiez.» - « Je vois.»

Tout se déroula très vite, ensuite. Les Orines s'en allèrent. Je les raccompagnais jusqu'au Passage des Rêves en leur souhaitant une bonne fin de journée. Puis j'allais dans les appartements de ma mère, puisqu'elle avait émis le souhait de me voir quand j'en aurais fini. « Puis-je savoir ce que tu as fabriqué aujourd'hui ?» Troublée, je la contemplais sans comprendre. « J'ai fais ce que vous vouliez. Non ?» Je n'étais plus sûre de rien, au final. Vanille secoua la tête, les lèvres pincées. Elle semblait clairement mécontente, et je me mis à lire entre les lignes pour tâcher de comprendre. « Ton intellect me laisse perplexe. File je ne veux plus te voir. Tant pis pour cette fois-ci. Au moins, peut-être que cette chère Reine des Orines acceptera de venir à la Cité. Je crains pour elle qu'elle ne puisse se défiler jusqu'à la fin de mon règne.» - « Mais mère je ...» - « Tais-toi. Tu m'as déçu. Peut-être que tu n'es pas prête à t’élever dans la hiérarchie.» - « Mais si ! Je suis désolée de ne pas avoir réussis à accomplir ce que vous attendiez de moi mais ...» - « Oh arrêtes un peu. On verra ça plus tard. Yun te donnera un nouvel ordre de mission, plus tard, si tu le mérites.»

Ce n'était pas la peine de discuter avec elle. Pour des raisons qui m'échappait encore, elle était clairement mécontente de mon comportement. Alors sans rien ajouter, je tournais les talons, la tête basse, pour m'en aller. Au détour d'un couloir, je croisais Yun, qui était appuyée sur un mur, les bras croisés. Le sourire de son visage me déplut. Elle se moquait. Et mon sang ne fit qu'un tour. Mes mains autour de son cou, je la soulevais du sol. Je crois que ma soudaine violence la surprit. Ses mains autour des miennes elle essayait de se dégager. Doucement, je me penchais près d'elle pour lui souffler à l'oreille. « Tu es peut-être le toutou fidèle de ma mère, mais tu n'es qu'un rat sans puissance. N'oublie pas que je pourrais te tuer aussi facilement qu'une mouche. Et ta maîtresse s'en ficherait. Alors tâche de me respecter un peu, où je t'étoufferais dans ton sommeil.»