« Il n'y a que les étoiles qui peuvent se douter de l'avenir des êtres, du chemin à parcourir pour arriver à la fin, cette fin qui n'est, en réalité, que le commencement. ».

« Je me suis toujours demandé comment finirait ma vie mais je ne pensais pas être capable de me suicider pour la continuer. ». Je tournai les yeux vers Mitsuko qui me regardait, semblant songeuse en haut du rocher au clair de lune. Je n'aurai su dire ce qu'il y avait réellement dans ses pensées mais elle semblait convaincue qu'il s'agissait de la seule solution pour ma personne. Elle ne m'avait pas conduit à ce raisonnement, je l'avais fait seul. Néanmoins, elle n'avait guère cherché à m'en dissuader, comme si elle savait bien avant moi ce que j'allais faire. Au final, je ne me suicidais pas pour mourir, je le faisais pour vivre, pour comprendre. Un choix purement raisonnable, un choix qui avait été fait pour moi depuis des siècles sans doute. Je comprenais que rien n'était réellement de notre propre fait et que si je refusais de me soumettre aux volontés des grands, alors je finirai ma vie d'ici peu. A moins que, au contraire, ma vie ne continue et ne trouble l'équilibre. Naram était sans doute de ceux qui se rebellaient ou qui pensaient le faire. Comment savoir la vérité sans posséder la connaissance absolue ? Telle était la question que je me posais. « Le suicide n'est pas si douloureux. Il n'est qu'une étape. ». La voix de la déesse venait de troubler ma pensée et je lui jetais un coup d'oeil amusé. Je la trouvais toujours aussi resplendissante que par le passé mais les sentiments qui me rattachaient à elle avaient totalement disparus, laissant place à autre chose, quelque chose que je ne pouvais pas réellement comprendre. Cependant, quand je saurais que cette femme était ma sœur, peut-être que mon âme en souffrirait. Pour l'instant, je n'en savais rien et c'était sans doute mieux ainsi. Le savait-elle seulement ?

« Il te suffit simplement de sauter. Tes pouvoirs sont encore annihilés à cause de la coupe des nations. Vas-y. ». Vu de l'extérieur, d'autres personnes auraient pu croire qu'elle m'incitait à le faire mais c'était totalement faux. Elle m'encourageait, au contraire. J'avais donné mon habitacle à Ritournelle mais celui-ci ne servirait désormais à rien pour la jeune femme. Je ne savais pas ce que j'allais trouver de l'autre côté, une fois que je me serai suicidé. J'allais sans doute rester puissant, une ombre qui aurait besoin d'être guidée dans les ténèbres qui allaient l'envahir. « Comment cela s'est-il passé pour toi ? ». Elle resta silencieuse. Si j'avais décidé de me suicider ici, c'était aussi parce qu'elle l'avait fait avant moi. Je savais que le rocher n'épargnait pas ceux qui osaient faire un pas dans le vide qui le séparait du sol. Mettre fin à mes jours, l'idée ne me plaisait guère. Je portai alors attention à l'enfant qui se trouvait à mes côtés. Lui qui ne cessait de me demander pourquoi je l'avais tué, il restait totalement silencieux cette nuit, semblant attendre la fin de ma vie, le début de ma vie. Mitsuko finit par parler, de sa voix douce. Elle devait savoir quel avait été son destin dans le futur, un destin tragique entre mes mains. Pourtant, depuis, jamais elle n'en avait reparlé, comme si cela n'avait jamais existé. En réalité, c'était le cas mais les traces d'un futur que l'on connaît ne peuvent que continuer à exister. « Je n'ai pas ressenti la mort, j'ai senti que je prenais le contrôle de mon existence. C'était un choix pour une cause bien précise, un choix qui m'a permis d'avancer comme cela sera le cas pour toi. N'en doute jamais. Maintenant, saute. Car, avec tes pouvoirs, cela ne sera pas possible. Ton esprit est troublé par ce choix et ta magie te protégera de la mort. ». Je la regardai réellement pour la première fois depuis que nous nous étions retrouvés. Bien sûr, je lui avais lancé des coups d'oeil, je l'avais vu, mais jamais regarder profondément. Et là, je m'aperçus de quelque chose. Je lui demandai alors : « Est-ce que ça va ? ». Elle sourit, énigmatique. Elle n'était plus comme avant, semblant mélancolique, prête à une folie qui pourrait mettre fin à son existence. Qu'avait-elle en tête ? Que voulait-elle accomplir qui soit si compliqué pour elle ? Je l'avais côtoyé une grande partie de son existence et je savais qu'elle n'avait jamais rien considéré comme insurmontable. Alors, pourquoi, aujourd'hui, je voyais dans ses yeux planer le doute ?

Je me redressai, respirant calmement, comme si je souhaitais lui montrer que malgré mes erreurs et nos divergences, je serai là pour elle. Mitsuko avait la faculté de paraître frêle mais, à cet instant, je savais qu'elle était réellement touchée par un mal qui ne s'en irait pas de si tôt. Elle avait dû attendre d'être d'une puissance phénoménale pour connaître la faiblesse. J'allais sauter. La peur ne devait pas faire partie de mes sentiments et, peu importait ce qu'il se passerait, j'étais le seul maître de mon destin. Si je sautais, c'était parce que je le voulais et non parce que les aetheri m'y contraignaient pour d'obscures raisons. Mon futur, je serai le seul à le tracer et si cela allait à l'encontre des volontés du monde, alors je me battrais jusqu'à la fin contre ce dernier. Après tout, je pouvais me vanter d'avoir accompli bien des choses qui allaient à l'encontre du cours du temps.

Mon regard se fixa sur la lune qui était à son zénith. « Je suis certain que Naram aurait apprécié se tenir en ta compagnie cette nuit. Mais il semble que lorsque tu le cherches, ce soit moi que tu trouves et que, lorsque tu me cherches, ce soit lui qui te rejoigne. ». Je n'avais guère eu le temps de parler de Zéleph mais peu m'importait. Pour moi, il ne représentait plus rien et j'étais convaincu que celui qui resterait auprès de la jeune femme serait celui qui danserait la dernière danse avec elle. Ma philosophie était sans doute idiote mais je savais qu'à l'heure d'aujourd'hui, si le génie ne réapparaissait pas, alors elle ferait en sorte de l'oublier. Plus le temps passait et plus la place qu'il occupait dans son cœur diminuait malgré elle. Mais que se passerait-il lorsqu'il réapparaîtrait ? Seul l'avenir le dirait. Je sautai, simplement, lançant un dernier coup d'oeil à celle qui était, au final, ne pourrait jamais être séparée de moi.