La Forêt Enchanteresse était un lieu pour le moins idyllique et reposant. Ses paysages merveilleux avaient un goût féerique qui possédait l'étrange don de calmer les âmes tourmentées. C'était pour cela que Lily-Lune avait choisis de se rendre dans ce qu'elle considérait comme l'une de plus belles régions qui puissent exister. Elle aimait contempler les arbres gigantesques dont les branches s'entrelaçaient, leurs feuilles colorés et leurs fleurs délicates au parfum envoûtant. Pensive, la jeune femme laissait glisser ses prunelles sombres sur la vue imprenable qu'elle avait depuis la fenêtre de sa demeure secondaire. Elle tenait faiblement entre ses longs doigts pâles une petite tasse blanche de thé noir qu'elle sirotait doucement. « Cesse donc de t’inquiéter.» souffla Caleb qui contemplait sa belle depuis de bien longues minutes déjà, sans pour autan s'être manifesté. « Ça va. » répondit tout simplement la jeune femme dans un murmure, d'une voix douce et mélodieuse aux intonations fatiguées. « Je suis simplement un peu tracassé. Comment Maëlith se porte en ce moment ? Le Conseil se débrouille-t-il en mon absence ? Les Orines ont-elles remarqué que j'avais déserté ?» - « Elles connaissent ton état et se doutent bien que tu allais partir quelques jours à un moment ou à un autre. Le village ne va pas s'effondrer en ton absence. Et si un problème devait subvenir, je suis certain que les Réprouvés agiraient immédiatement. Sans compter que l'expérience est très bénéfique pour Lilas. Si tu veux que, parfois, elle te remplace, tu dois bien la laisser remplir ce rôle de temps à autre.» - « Certes.» soupira-t-elle en écartant délicatement de son visage pâle quelques longues mèches de sa chevelure de jais. « Et je suis aussi plus que certain que tu mourrais d'envie de venir ici. Les travaux viennent tout juste de s'achever. Tu devais être curieuse de voir le résultat.» Lily-Lune sourit, jetant un coup d’œil malicieux au Rehla avant d'observer avec tendresse le petite village caché de la Forêt Enchanteresse.

Le voile de la nuit recouvrait les terres. Des lucioles de toutes couleurs s'élevaient dans les airs pour s'embarquer dans une folle danse. Songeuse, impatiente et inquiète, Lily-Lune se dirigea vers le grand miroir qui trônait dans un coin de sa chambre aux tons doux et acidulés. Loin d'être vêtue comme à l'habituel, elle ne portait qu'une longue robe claire qui ne la dénaturait pas le moins du monde de son élégance. Le drapé pale soulignait sa silhouette fine et son ventre rond. Un doux sourire tendre étira doucement ses lèvres rouge comme le sang. Elle était rayonnante. Ce qu'elle attendait peut-être plus que tout allait bientôt arriver, et elle ne pouvait que s'en réjouir. Malgré tout, elle était bien trop faible et surtout trop maigre pour une femme qui arrivait à terme. Les médecins s'étaient inquiétés de son cas, mais rien n'y avait changé. « Tu ne devrais pas rester debout, Lily» s'énerva presque Mégumi qui, plantée dans l'embrasure de la porte, toisait d'un œil mauvais son amie. « Dans ton état, c'est très peu conseillé. Repose toi donc un peu.» - « A ce que je sache, je ne suis ni malade ni mourante.» - « C'est tout comme. Ne fais donc pas la vaillante et songe un peu à toi et à ton bébé.» - « Où est Caleb ?» - « Est-ce que tu m'écoutes au moins ? Car j'ai le désagréable sentiment d'être un fantôme.» - « Oui, je t'ignore simplement. Mais j'aimerais beaucoup que tu répondes à ma question.» - « Il est en bas avec Sébastian. Ils préparent le dîner.» Mégumi leva ses grands yeux bleus au ciel, de toute évidence peu convaincue par cette grotesque mascarade. Lily-Lune rit. « Au moins.» ajouta la blonde. « Ils font des efforts pour bien s'entendre pour ton bien-être.» Elles sourirent. « Je descendrais dans quelques minutes.» précisa Lily-Lune après un instant de silence. « On pourrait manger dans le salon d'à côté. Pas besoin que tu te fatigues à monter et descendre de grands escaliers sans cesse, Lily.» - « Még, je ne suis pas malade.» Une pointe d'énervement perçait dans sa voix mélodieuse. « D'accord d'accord.» finit par se résigner la petite Orine aux cheveux claires, qui n'avait guère envie de tenter de raisonner sa Reine déjà entêtée de nature. Elle tourna les talons sans rien ajouter après avoir gratifier la Vénus d'un dernier sourire.

Quelques coups timides résonnèrent doucement. « Entrer.» Une petite main blanche sortit de la porte, avant que Lorelei se décide enfin à entrer. La petite était une adorable poupée que toutes les mères rêveraient d'avoir. Avec ses longs cheveux doux et soyeux qui hésitaient entre un blanc immaculé et un gris argenté et ses grandes mires claires, elle avait des airs angéliques. Timide et peu loquace, la fillette était pourtant terriblement attachée à Lily-Lune qu'elle considérait comme sa mère de la même façon que la Vénus la considérait comme sa fille. « Tu vas bien ? » - « Ne t'inquiète pas ma puce. » La petite s'approcha d'un pas léger pour poser ses petites mains sur le ventre rond de la jeune femme. « Le bébé va bientôt arriver.» - « Oui.» - « Ce sera une fille ou un garçon ?» - « On ne peut pas le savoir avant qu'il soit ici mais ...» - « Tu as une petite idée ?» - « Oui. Pour moi, ce sera une petite fille.» - « J'aurais donc une petite sœur ?» - « Exactement. J'espère que tu es prête à devenir grande sœur.» Un immense sourire illumina son visage. Lorelei glissa sa petite main dans la paume de Lily-Lune et elles descendirent ensemble pour le dîner.

« Vous êtes plus belle et lumineuse que la Lune, ma Dame. Votre beauté n'a jamais eu nul égal, mais cet air épanoui vous sied à ravir.» Sébastian tendit élégamment son bras à Lily-Lune pour la conduire dans le salon. Muette, la jeune femme ne dit rien, accueillant simplement le compliment en silence. Elle s'assit sur le grand fauteuil et posa doucement ses mains sur  son ventre. « Je le sens bouger.» chuchota-t-elle. Et son visage poudré se tordit à peine un instant en une grimace de douleur. « Tout va bien?» s'enquit le majordome avec une note d'appréhension dans la voix. « Oui oui. Pourrais-tu appeler Caleb s'il te plaît ?» A peine eut-elle prononcé ces mots que le génie fila à vive allure à travers les couloirs à la recherche du Rehla qui, maniaque depuis peu, devait faire un brin de ménage. Ils revinrent presque en courant, le regard paniqué. « Voyons messieurs.» souffla Lily-Lune tout bas. « Ne prenez pas cet air angoissé. Il n'y a rien de bouleversant dans la grossesse et l'accouchement.» - « Tu es blême.» constata Caleb avec des trémolos dans la voix. « Je devrais survivre.» Le jeune homme passa ses doigts sur le front de l'Orine en s’asseyant juste à côté d'elle. « Ça va aller ?» - « Il le faut bien, Caleb. Mais je te serais reconnaissant si toi ou Sébastian pouvait aller chercher Isuzu.» La jeune Mord'th, malgré ses airs antipathiques et la froideur qui illuminait ses prunelles de glace, était une femme intelligente aux multiples talents. Elle connaissait bien la médecine. Ainsi, elle était de loin la mieux placé pour lui venir en aide en ce moment. Et Lily-Lune préférait se confier à elle plutôt qu'à un médecin dont elle ignorait tout.

« Poussez-vous.» ordonna Isuzu d'une voix ferme qui coupait court à toute contestation ou protestation. Ces messieurs ne se firent pas prier et laissèrent le champ libre à la jeune femme qui ausculta rapidement Lily-Lune. « Dégagez.» enchaîna-t-elle avec une certaine violence dans la voix. « Mais ...» - « Tout de même ...» Isuzu ne fit que relever la tête pour foudroyer de ses prunelles les deux jeunes hommes. Sébastian finit par hausser les épaules et tourner les talons. Caleb, lui, ne semblait pas vouloir bouger. Isuzu et lui se dévisageaient avec un certain mépris. « Dois-je répéter ?» Lily-Lune rit doucement, quoi qu’avec les dents grincés. Et le Rehla finit par céder. Il embrassa tendrement la joue de l'Orine, glissait à son oreille quelques mots, avant de s'éclipser pour patienter en haut en compagnie des autres.

~~~~~~~~~~

Je ne me rappelle pas grand chose en somme, si ce n'est la douleur et les mots plus ou moins rassurants d'Isuzu qui s'employait tant bien que mal à me calmer. Les mains tremblantes, je me contentais de suivre les instructions qui me paraissaient si lointaines. C'était long. J'avais mal. Mais je devais tenir bon. J'avais besoin de sentir mon enfant contre moi. « Félicitations, ma chère Lily-Lune. Tu es maman d'une ravissante petite fille de toute évidence en pleine forme. Elle est magnifique.» J'ouvris brusquement les yeux, que j'avais fermé sans même m'en rendre compte. Je me relevais doucement et avec précaution. Isuzu souriait. C'était rare. Elle contemplait d'un œil attendri mon enfant, qu'elle s'empressa d'enrouler autour de quelques linges et de glisser dans mes bras. Je crois que jamais je n'avais éprouvé pareille fascination à l'égard un être. Ma petite fille était si belle, si parfaite. Du bout des doigts et en prenant garde à ne pas la blesser involontairement avec mes longs ongles, je traçais le contour de ses joues et de ses lèvres. Isuzu lui avait fait un brin de toilette avant de me la confier. Elle avait la peau douce, délicatement nacrée, aux couleurs pâles. Elle me ressemblait beaucoup. Mais ses yeux étaient ceux de Caleb. Je percevais leur couleur doré. Caleb semblait au moins aussi submergé par les émotions que moi. Enfin, nous étions parents. Il se glissa à côté de moi et m’élança de ses bras musclés. « C'est Risa.»

~~~~~~~~~~

« Tu sais Lily-Lune ... Tu m'étonneras toujours.» commenta Mégumi sur un ton à la fois blasé et moqueur. Toujours plantée dans l'encadrement de la porte, qui semblant définitivement être son emplacement favori, elle observait Lily-Lune qui venait tout juste de s'habiller. Pas plus d'une semaine ne s'était écoulée depuis l'accouchement, et la Vénus avait déjà retrouvé sa ligne. « En même temps, tu n'avais pas spécialement grossis.» ajouta Caleb. « Oui je sais, tout les médecins m'ont mis en garde. Et pourtant, Risa se porte comme un charme.» Assis sur un rocking-chair, Caleb berçait doucement la petite. Empressée, Lily-Lune tendit les bras pour que Caleb lui donne sa fille. Il ne se fit pas prier. Il n'était pas assez fou pour refuser à la jeune mère de prendre son enfant contre elle. « Tu ne nous as toujours pas dis son nom complet.» - « Risa Hidemi Araé.» - « Elle porte donc ton nom.» - « Cela n'a aucune importance. Elle décidera lorsqu'elle sera plus âgée si elle souhaite porter le nom Araé ou Suellan.» « Vous avez aussi décider des parrain et marraine ?» - « Pas encore. Je ne suis personnellement pas pressée.» Lorelei s'approcha furtivement et se mit sur la pointe des pieds. Souriante, elle caressa doucement les petits cheveux sombres de sa petite sœur.

« Tout va bien ? Je te trouve assez froide et distante, Lily.» Caleb tâchait de parler le plus bas possible pour ne pas réveiller Risa qui dormait paisiblement dans son berceau que faisait voguer la Vénus du bout des doigts. Elle hocha sèchement la tête. « Je ...» Caleb passa nerveusement une main dans sa tignasse désordonnée. Il ne savait plus comment se comporter, quoi faire ou que dire. Lily-Lune tourna la tête pour poignarder de son regard froid le Rehla. Un pauvre sourire aux lèvres, il acquiesça doucement. « Souhaites-tu rester avec elle ?» - « Bien évidemment.» C'est pourtant avec une certaine hésitation qu'il s'approcha de Lily-Lune. « Je suppose que tu as du travail.» - « Malheureusement. Je m'absentes quelques jours et c'est la panique au village.»

Pourquoi tant de distance ? Lily-Lune était une femme très pudique qui n'aimait guère s'épancher ou étaler ses sentiments sur les places publics. Si elle était heureuse d'être mère, soulagée que sa fille se porte au mieux, quelque chose s'était brisé dans son âme ou dans son cœur. Elle ne saurait mettre de mots sur les peines qui la tourmentaient. Mais elle peinait à afficher un visage serein et  un sourire béat. Alors elle passait la plus petite seconde de son temps libre avec sa fille, puis travaillait, quitte à évincer Caleb de son planning. En quelques gestes doux comme une plume, Lily-Lune attacha sa longue chevelure de jais, détachée jusqu'alors. Et d'un pas léger, elle alla jusqu'à son bureau. Les secondes s'écoulèrent sans que la demoiselle n'agisse. Lentement, elle laissa sa tête tomber entre ses mains froides. Tout allait si bien dans sa vie. Son existence n'était-elle pas parfaite ? Elle était aimée, accompagnée par un homme aussi aimant que compréhensif, elle avait une famille et des responsabilités, et pourtant, elle se sentait mal. Quelque chose clochait. Discrète, quelques larmes traîtresses roulèrent le long de ses joues pour tomber sur le bois sombre du bureau.

Mais n'était-ce pas un visage qui hantait ses pensées, ses rêves et ses cauchemars ? Quelque chose semblait friser l'obsession dans son esprit. Aussi, elle avait bien du mal à supporter la délicieuse compagnie de Sébastian. Malgré ses airs de majordome parfait et de gentleman invétéré, ce génie était un être fourbe et plutôt malsain. Comment pouvait-il ne serait-ce qu'adresser la parole à Caleb ? Et elle, comment pouvait-elle faire comme si de rien n'était ?

« Lily ...» La voix était attristée, sûrement à cause du pitoyable spectacle qui s'offrait à ses yeux. Lily-Lune releva les yeux. « Lilas. Tout s'est bien passé durant mon absence ?» - « Oui. J'espère ne pas t'avoir déçu.» - « Ne t'inquiète pas.» C'était toujours pour le moins étrange que de se retrouver comme face à soit même, bien que les deux jeunes femmes aient des caractères radicalement opposés. « Je peux aller voir ta fille ?» - « Bien entendu. Tu es comme sa tante.» Un immense sourire naquit sur son visage. Lily-Lune put voir à quoi elle ressemblerait si elle était une personne moins froide. Gênée, elle détourna le regard. « Merci Lily. Je suis touchée qu'en quelque sorte, tu me considères comme ta sœur. Je suis heureuse de faire partie d'une famille, moi qui ne suis rien.» - « Arrête Lilas. Tu existes, tu es quelqu'un.» - « Je suis encore en quête de moi-même. Mais je ne veux pas t'embêter avec ça. Pas maintenant. Profite de ta fille. Profite de ton Caleb.» La jeune Reine tâcha de sourire avant que Lilas ne s'en retourne à ses occupations. Plus le temps passait, plus elle appréciait ce qui ne devait être que son clone. Lily-Lune finit par baisser la tête pour lire son courrier ainsi que les documents officiels qu'elle avait à traiter. Mais un petit cri aiguë la coupa dans son élan. Des pleurs de bébé. Elle se leva pour aller rejoindre son enfant. Caleb tenait Risa dans ses bras.  « Manifestement, elle réclame sa mère.» Et le sourire de Lily-Lune fut cette fois-ci immense et d'une sincérité déroutante.