Ces derniers temps, un vieux fantôme de mon passé que je voulais oublié avait ressurgi, et avec lui, de bien sombres souvenirs. Les Orines voyaient-elles que j'étais préoccupée? Si tel était le cas, elles se gardaient toutes de me faire la moindre remarque, et c'était très certainement mieux ainsi. Je ne désirais en rien me justifier, ni même devoir fournir une once d'explication, qu'elle soit faussé ou non. Était-ce un mal de vouloir un peu d'intimité et de vie privée? Que les Muses soient inquiètes à mon sujet se concevait, seulement, elle devait comprendre que je ne tenais guère à leur confier ma vie. Je n'avais jamais été ainsi. Je gardais mon existence comme mes sentiments pour moi même, ce qu'on me reprochait souvent et beaucoup. Mais qu'importe, je ne changerais pas pour soulager la conscience de mon peuple qui m'acceptait si bien telle que j'étais. Et alors que, pensive, je rangeais distraitement la paperasse qui s'entassait dans un coin de mon bureau et les quelques ouvrages pour le moins intéressants que j'avais dénicher dans les tréfonds des salles d'archive, le destin décida qu'une ombre d'autrefois n'arrivait jamais seule. « Toc toc?» La voix qui imitait le son de quelqu'un qui toquait à une porte était enjouée, presque moqueuse, et je relevais mes yeux noirs pour les poser sur la silhouette fine et élancée d'une Orine que j'avais rencontré il y a longtemps, déjà, alors que je n'étais qu'une jeune sans expérience que personne n'aurait pensé un jour sur le trône. Quelle macabre coïncidence que ma rencontre avec cette demoiselle se soit déroulé le même jour que celle avec le démon, source de la torture de mon esprit, en ce moment même.

« Megumi» murmurais-je dans un souffle avant de détourner le regard. Ma voix était celle de tous les jours. Claire et douce, envoûtante d'après plus d'un. Mais je la savais dénué du moindre sentiment. J'ajoutais tout de même : « C'est bon de te revoir. Je ne pensais pas qu'un jour tu réapparaîtrais. Cela remonte à tellement longtemps.» Si les paroles se voulaient réjouissantes, le ton n'avait guère changé. Qu'importe. Tout le monde connaissait mon côté flegmatique. La jeune fille ne s'étonna même pas de mon absence d'épanchement et me répondit faisait quelques pas dans ma direction : « Je t'avais dis que je reviendrais. Je n'ai juste pas précisé de date.» - « Je t'attendais plus tôt.» - « Mieux vaut tard que jamais. Tu vas quelque part?» - « En effet, j'étais sur le départ, je finissais simplement un brin de ménage.» - « Ai-je donc le droit de te coller, à partir de maintenant, comme je te l'avais promis.» - « Comme bon te semble.» Je pressentais que Megumi n'était guère comme les Muses, elle se montrait bien moins maternelle et soucieuse. Cette naïveté, insouciance, et à n'en pas douter, cette volonté de prendre des risques sans cesse, me ferait le plus grand bien. « Ou allons-nous?» - « Ma dame?» Les deux voix s'étaient entremêlés, et, relevant la tête, j'aperçus Thalie, plantée dans l'encadrement de la porte, bouchée bée et troublée par la présence de Megumi. Je soupirais doucement, avant de dire de façon sans appel : « Je dois aller rendre visite à quelqu'un de la plus haute importance, au Lac de la Transparence, Thalie. Veilles sur le village en mon absence.» Elle devait être déçue. Habituellement, elle m'accompagnait. A ceci près, je ne l'avais pas prise sous mon aile pour qu'elle me serve de dame de compagnie, mais pour qu'elle puisse gérer les affaire en mon absence. « Bien.» Résignée. Je hochais la tête et tournai les talons sans plus tarder, suivis de près par Megumi qui abordait un petit sourire ravie.

« Qui allons-nous voir?» me demanda Megumi tandis que nous nous approchions du repère des Magiciens. Je sentis un léger sourire cynique flotter sur mes lèvres. « J'ai entendu parler de sombres évènements qui se déroulaient dans les environs, et je souhaitais jeter un coup d'œil par moi même.» - « Vous avez mentit?» - « Techniquement, non. Je n'ai simplement pas précisé la nature de la personne que je souhaitais rencontrer.» - « Qui est?» - « Un démon.» Décidément, cette race là aussi commençait à se montrer agaçante. « Ah. Ca commence fort.» Elle rit. Mains dans les poches, démarche nonchalante, Megumi était de celle qui se contre fichait de tout. Ses longs cheveux blonds étaient la seule chose dont elle s'occupait réellement, s'amusant à les coiffer de façon original. De toute manière, elle n'avait guère besoin de faire plus, c'était une femme sublime.

Songeuse, je levais distraitement le regard vers les cieux pour contempler l'horizon sans la trace d'un nuage. Le temps était superbe, et le soleil brillait bien haut. Ses rayons étaient presque agressifs. Je n'avais jamais été réellement ami avec l'astre du jour. J'étais plutôt de ces enfants de la nuit et de l'hiver. Mes cheveux et mes yeux étaient aussi noirs que le manteau obscur qui régnait une fois le jour partit, et ma peau était aussi pâle que le givre. Avec des lèvres aussi rouges que le sang. Dame Nature avait du bien s'amuser lorsqu'elle dût me dessiner. Mais elle aurait été adorable de bien vouloir me rendre moins sensible au soleil. Mais comme me l'avait dit un jour une petite au village, me balader avec une ombrelle en dentelle me rajoutait davantage de prestige. « C'est toi qui a fait ta robe?» Megumi me tira du fils de mes pensées. Elle scrutait avec attention ma tenue, une robe qui se dégradait du rouge au rose, que j'avais en effet terminé quelques jours auparavant. « Je confectionne moi même tout ce que je porte.» - « Tu crois que tu pourrais aussi renouveler ma garde robe?» Je m'arrêtais, surprise, et contemplais quelques instants Megumi et ses goûts vestimentaires particuliers. Si courts et légers. « J'essayerais, mais je ne te promet rien.» - « C'est déjà ça. Et dis, je pourrais te coiffer? » - « Tu n'as pas assez à faire avec tes cheveux?» - « Mais les tiens sont carrément plus longs ! Jusqu'aux genoux, détachés, quoi ! Allez, il y aurait tellement de choses à faire.» - « J'aime ma façon de les travailler.» Je laissais presque toujours quelques mèches longues libres, et relevais le reste en chignon, que je parsemais de fleurs et de piques, comme aujourd'hui. « Oh allez, et je … oh? C'est qui celle là?»

Au loin je discernais aussi une fine silhouette, accompagnée d'un tigre, visiblement. Elle était bien trop loin de nous pour que je suis distinguer autre chose que le sombre de ses cheveux et le bleu de sa robe. Je me contentais de hausser les épaules « Tout le monde a le droit de se balader dans les parages.» - « Peut-être que nos chemins vont se croiser ! J'aime bien parler aux inconnus.» - « Ta mère a du oublier de t'inculper quelques principes.» - « C'est sur. Tu imagines, si elle est là pour les mêmes raisons que nous?» - « Peu probable.» - « Pourquoi pas? Si tu es assez dérangée pour vouloir régler ce genre de problème, il doit bien y en avoir d'autres comme ça.» Je lui souris, avant de reporter mon attention sur l'ombre de la demoiselle qu'on apercevait toujours plus long, bien que peu à peu, nous nous rapprochions les unes des autres. J'avais un étrange sentiment de déjà vu.

Spoiler:

« Qu'il y a-t-il ?» me demanda Megumi après m'avoir entendu soupirer brièvement, la voix teintée d'une pointe de surprise. Je ne pris pas même la peine de lui répondre, de nouveau perdue dans les méandres de mes souvenirs. Cette journée promettait d'être placée sous le signe de la mémoire, et j'entrevoyais avec une certaine appréhension les surprises, bonnes ou mauvaises, qu'elle me réservait. Qu'il était étrange que dans la même matinée resurgisse de mon passé un démon de toute évidence pervers et fanatique qui semblait déterminé à me poursuivre jusqu'à ce qu'il obtienne quelque chose de moi, une Orine extravagante et spontanée qui m'avait silencieusement prêtée allégeance jusqu'à sa mort comme si j'étais son maître, et une illustre inconnue dont je ne savais rien, si ce n'est que je l'avais déjà croisé il y a de ça quelques temps aux Montagnes. Si revoir les deux jeunes femmes ne me dérangeaient guère, j'étais même enchantée de revoir ma vieille amie qui combattit à mes côtés lors de l'une des batailles pour sauver Maëlith, le démon représentait une menace pour moi comme pour les miennes et je ne tenais pas particulièrement à ce qu'il fasse partie de ma vie, et j’espérais que s'achève avec la jeune étrangère la liste de mes fantômes d'autrefois. Malheureusement, je pressentais qu'il ne s'agissait que du début et que la suite se ferait de plus en plus surprenante. Peut-être était-ce à cause du démon que j'avais décidé d'en poursuivre un autre, après tout. Une sorte de vengeance pour une satisfaction personnelle.

Silencieuses, nous nous approchions d'un pas tranquille de la jeune femme qui semblait attendre notre venue, son tigre sagement assis près d'elle. Si j'avais eu l'once d'un doute, j'étais à présent certaine qu'elle était bien celle dont j'avais croiser la route aux Montagnes. Elle était reconnaissable avec sa peau blême et ses cheveux aussi noirs que les miens et ses yeux turquoises. Aussi, j'avais déjà noté quelques ressemblances entre elle et moi. Nous aurions pu être parentes, et j'étais certaine que si nous disions être sœurs, nos mensonges passeraient sans soucis auprès de ceux qui ne nous connaissaient point. Il ne nous restait plus que quelques pas à faire avant de nous arrêter pour être à une distance convenable pour discuter un peu, et durant ces derniers mètres, je laissais glisser mes grands yeux noirs sur les traits impassibles et froids de la demoiselle. Cela aurait presque pu me faire sourire, car justement je n'étais guère expressive, flegmatique au possible et calme en toute situation. Pensive, je me remémorais les paroles d'un homme qui m'avait murmurer en avalant d'une traite le contenu de sa choppe, frustré : « Tu es vraiment une belle fille, Lily. Comme j'en ai peu vu. Mais tu es aussi froide d'un iceberg.» Je n'avais à l'époque rien répondu à cela, et même aujourd'hui, je n'aurais rien à dire, j'étais ainsi et je n'avais pas à me justifier, même si je tâchais de faire des efforts. Et il fallait bien avouer que j'étais bonne comédienne et douée pour feindre les sentiments et copier les expressions du visage. En observant un court instant la jeune femme face à moi, c'était une évidence qu'elle était guère de celles qui souriaient à tout bout de champ, mais plutôt de celles qu'on croyait impolies simplement parce qu'elles ne se laissaient pas envahir par leur ressenti et qui conservaient en toute occasion un masque neutre.

Nous étions à présent face à face, à bonne distance, légèrement plus loin que celle qu'on maintenait habituellement dans une conversation avec un étranger, puisque je ne souhaitais pas importuner cette jeune femme en brisant sa bulle, et que je ne désirais pas plus qu'on pénétré la mienne. J'avais toujours répugner le contact. Mains jointes face à moi, je laissais quelques secondes s'écouler avant de dire simplement de ma voix claire et douce les bases de la politesse élémentaire : « Bonjour. » Megumi était restée quelque peu derrière moi, mais je la vis du coin de l’œil esquisser une salutation d'un geste de la main, parodie militaire revisité par l'Orine. « Les environs ne sont guère sûres, ces derniers temps. Ainsi, je vous conseillerais vivement de rebrousser chemin si vous n'êtes pas ici pour régler ce problème. Mais si vous souhaitez vous occuper de cette sombre affaire, n'y allez pas seule, puisqu'il s'agit de notre but, il vaut mieux assembler nos forces.» Ce ne serait certainement pas de trop. Quelques secondes s'écoulèrent encore. Hésitante, je ne savais trop si je devais continuer ou attendre une quelconque réponse. Mais je finis tout de même par ajouter : « Oserais-je m'avancer en disant que nos routes se sont déjà croisées? » Question rhétorique. J'avais toujours eu une très bonne mémoire et je me souvenais pertinemment de cette jeune femme. Mais peut-être n'était-ce pas son cas puisque notre rencontre était pour le moins anodine.

Mégumi, pour le moins perplexe, scruta brièvement le visage de la dénommée Elena. Dans un très léger soupire, elle leva les yeux au ciel. Elle ne connaissait pas encore cette illustre étrangère, pourtant, elle ne l'appréciait pas. Cette femme avait l'air hautaine et suffisante, et c'était loin d'être une simple question d'apparence. Car après tout, elle semblait ne pas être trop différente de sa Reine, sur certains points du moins. Elena n'était pas vilaine, et elle avait un petit côté froid, imposant ses distances avec autrui. Ce n'était en rien ce qui révulsait la jeune femme, qui contemplait la nouvelle arrivée avec une petite moue agacée. La puissance de cette femme était-elle en concordance avec la haute estime qu'elle se portait ? Il ne suffisait pas d'avoir une infinie confiance en soit. Ce comportement déplaisait à la douce Orine aux cheveux blonds qui n'appréciait guère ce genre de minette qui,i d'un simple regard, croyait avoir le monde à ses pieds. L'orgueil était peut-être l'un des traits de caractère qu'elle répugnait le plus. Les bras croisés, elle se contenta de patienter sans rien dire. C'était très certainement le mieux à faire. Elle se serait montrée désagréable dans le cas contraire. Il faut dire qu'elle était très dure à impressionner, et que la seule personne qui parvenait à l'impression était la Vénus. Et pour la petite Orine, il était bien complexe de tenir la comparaison avec Lily-Lune.

D'ailleurs, la jeune femme, calme et sereine, demeurait immobile à écouter ce que son interlocutrice avait à dire. Ses lèvres, aussi rouge que du sang, s'ornait d'un délicat et léger sourire, certes poli, mais néanmoins sincère. Elle finit par hocher doucement la tête. « Il est certain qu'il est plus agréable de connaître le nom des personnes avec lesquelles nous sommes amenés à faire un bout de chemin. Je suis Lily-Lune Araé.» répondit-elle de sa voix douce et chantante. Il était peu probable que la Déchue sache à qui elle avait réellement à faire. À moins que pour une raison ou pour une autre, elle ait déjà entendu le nom de la Vénus. Il serait alors aisé de faire le rapprochement, puisqu'on l'avait affublé à la naissance d'un prénom pour le moins original. Cependant, ce n'était qu'un maigre détail pour la jeune femme qui se présentait rarement par son rang. Ce serait d'une prétention sans égale. Elle n'ajouta rien, attendant que sa compagne de voyage se présente à son tour. De longues secondes s'écoulèrent avant qu'elle ne daigne lâcher un : « Mégumi.» peu affable.

Lily-Lune ne releva pas l'évidente humeur de chien de la demoiselle qui l'accompagnait. Elle n'avait guère envie de s'encombrer des différents que Mégumi pouvait porter à Elena, d'autant plus qu'il lui paraissait improbable de porter quelques griefs contre une sombre inconnue. « Peut-être serait-il bon de mettre en commun nos informations ? Les rumeurs sont nombreuses et différent suivant les régions.» - « On cherche donc un Démon qu'on appelle Rubis. Quel nom terrifiant...» Sans relever le sarcasme de son amie, Lily-Lune enchaîna. « Il garderait prisonnier dans un monde qui lui appartient des enfants. Les siens, suivant certains, des petits enlevés à leur famille pour d'autres.» - « Au final, on s'en fiche un peu. Y a des pauvres gamins enfermés dans un cauchemar sans fin. Il faut les aider.» Lily-Lune approuva d'un léger hochement de tête. « La première difficulté réside en l'entrée du monde du démon. On ignore sa localisation. Les dires les plus persistants le prétendaient en ses lieux, raison de notre venue à tous.» - « En espérant qu'on ne s'est pas toute trompées.» - « Il faut trouver le moyen d'entrer.» - « Et on ne peut pas compter sur les magiciens. Ils désertent les lieux depuis les ragots.» - « Avez vous entendu quoique ce soit à ce sujet, Elena ?» Bien entendu, la jeune femme parlait de l'univers démoniaque, pas de la prétendu lâcheté des magiciens.

Lily-Lune écarta en quelques gestes délicats deux ou trois longues mèches sombres qui tombaient sur son visage nacré. Pensive, elle contempla les alentours durant une seconde ou deux avant de faire quelques pas sur le côtés. Mégumi savait que c'était une invitation à marcher un peu, et elle lui emboîta le pas sans plus tarder. Cela ne rimait à rien de bavarder tranquillement sans agir, et la Vénus préférait commencer d'ores et déjà à fouiller les environs à la recherche d'indice, quel qu'il soit. Les environs étaient paisibles. Mais il n'y avait pas âme qui vive dans les coins, désespérément déserts. L'atmosphère était étrangement lourde, alors que les paysages étaient plutôt charmants. Le Lac de la Transparence était plutôt agréable, en temps normal. Mais Lily-Lune était d'une grande puissance, et elle avait le don de ressentir les flux magiques et les auras. Elle ressentait les drôles d'énergie qui circulaient. Et son regard fut attiré par un petit éclat qui scintillait dans les hautes herbes folles. Elle se courba avec une élégance naturelle pour saisir du bout de ses longs doigts blêmes l'objet de ses interrogations. Ce qui semblait être une petite bille roula sur sa peau blanche pour s'attarder dans sa paume. « Une perle.» constata-t-elle dans un murmure. Elle était d'un rouge sanglante, comme les lèvres de l'Orine. « Oh ?» Mégumi se pencha pour ramasser à son tour quelque chose. « J'en ai trouvé une moi aussi.» - « Elle dégage une certaine malveillance.» Lily-Lune contempla les alentours. « Il y en a d'autres. J'en devine des centaines.»