Apprendre en s'amusant.

Le berceau cristallin était désert en cette matinée gelée. Les oiseaux habituellement présents ne chantaient plus et la glace s'était emparée des végétaux pourtant, les lieux affichaient tout de même une beauté étincelante. La neige dans laquelle je dessinais mes pas brillait de milles feux sous l'éclat du soleil et, les reflets arc-en -ciel d'une lumière intense me coupaient le souffle.
Malgré le lourd manteau que je portais dans le but d'échapper au froid ambiant, j'avançais d'un pas vif, gardant aux creux de ma main celle de Calva Infan, emmitouflée dans une mitaine qu'il ne quittait jamais. De temps à autre, je l'observais, soucieux de sa faible santé. Cet enfant ne ressemblait à aucun autre ; il était spécial, et je ne pouvais me résoudre à l'abandonner alors qu'il se trouvait dans un tel état par ma faute. Je n'étais pas responsable des nombreuses rides qui couvraient sa peau brune cependant, j'étais le fruit de son malaise psychologique. Une malédiction liait, et ce, depuis notre rencontre, nos sentiments, lui faisant ainsi subir mon désespoir et la dépression qui me hantait. Jamais je n'avais imaginé détruire les rêves d'un enfant comme je l'avais fait. Je me sentais coupable, coupable d'un crime incomparable à ceux que j'avais déjà commis. Les meurtres et les viols ne ressemblaient en rien à cette douleur, ce poids immense qui écrasait mon cœur.

J'observai les alentours un instant. Je me souvenais de cet espace blanc ; je m'y étais rendu lorsque j'étais âgé de 14 ans. Rien n'avait changé, le paysage s'était fixé, enfermé par la magie de la météorologie. Je désirais montrer à Calva les beautés de ce monde, l'eau figée à jamais par le froid et les couleurs qui en résultaient. Ici, il pouvait s'amuser, patiner et profiter de la vie comme je l'avais fait au temps de ma jeunesse.
Je repensai donc brièvement à mon passé que je haïssais plus que tout. Mes parents m'avaient toujours enseigné de répandre le mal ainsi que l'horreur pourtant, j'étais loin d'agir de la sorte. Seules mes pulsions me donnaient un mauvais côté, malheureusement, les personnes dignes de bonté ne pouvaient le voir. Après tout, je restais démon. J'avais d'ailleurs écrit à un inconnu mon mal être et sentais le désespoir m'envahir alors qu'il n'avait pas répondu. Une nouvelle fois, je me trouvais anéanti, blessé.

L'enfant me sortit de mes pensée en tirant doucement ma manche. Il montrait quelque chose du bout de son doigt et suivait des yeux la silhouette qui s'approchait. Prit de panique, il trembla puis, se cacha derrière moi avant de pénétrer mon corps. J'avais toujours trouvé étrange la facilité qu'il avait d'entrer en moi mais, cette capacité faisait aussi partie de la malédiction. Nous avions appris à contrôler ce pouvoir bien que la sensation de déchirure me dérangeait toujours autant que lorsque nous avions fusionné la première fois. J'avais l'impression que ce petit m'arrachait la peau afin de se glisser dessous, pourtant, il n'en était rien, je n'avais pas même une cicatrice. Encore à cet instant, je me demandai ce que voyait l'enfant alors qu'il se trouvait en moi. Mes boyaux ? Mon cœur ? Mon âme ? Bien qu'il sache écrire, il ne m'avait jamais fait part de ceci, ce qui m'intriguait encore plus.
Je regardai alors l'ombre s'avancer puis, me calmai. Il s'agissait d'une femme, une belle femme. Bien entendu, je restai toujours sur mes gardes. J'ignorais si cette inconnue était une personne maléfique ou non mais ne pouvais que constater sa sensualité. De longs cheveux blancs encadraient son visage, ses yeux, assortis, semblaient m'observer. Oui, j'étais remarquablement difforme ; on ne pouvait détacher ses yeux de moi. Je n'avais pas pris soin de changer mon apparence alors, je craignais de l'effrayer à cause de mes oreilles pointues, de mon unique aile noire mais surtout de mon regard transperçant.

« Crois tu qu'elle s'enfuira en me voyant ? »

 - Chuchotais-je à Calva qui, pouvait m'entendre de là où il était.
Je sentis un air de moquerie m'imprégner et imaginai qu'un sourire dominait son visage. Cet enfant marqué de rides était un bijou, il réussissait à illuminer les jours les plus sombres, à me donner de la joie.

« J'espère qu'elle ne fuira pas comme tous les autres. »

Je décidai de garder ma position. Si cette femme était maléfique et puissante, elle me tuerait quoi qu'il arrive. Je préférai mourir avec dignité ou bien l'observer partir les jambes à son cou. L'un ou l'autre me convenait, en quelque sorte.

Malgré les mots ironiques de la jeune inconnue, je restai immobile. Je n'avais pas peur, mais sa voix cristalline – de même beauté que les lieux - ne me rassurait pas. J'avais déjà entendu parler de crimes réalisés par des femmes. De belles, de magnifiques femmes que l'on aurait soupçonné pour rien au monde. Des inconnues qui viennent à notre rencontre dans le seul but de nous charmer puis, de nous faire souffrir et nous poignarder avec acharnement. D'après les rumeurs, toutes ces femmes possédaient un visage d'ange et une aura aussi blanche que celle des anges.
Doucement, j'arrachai l'une de mes plumes noires qui se transforma aussitôt en acier et la gardai au creux de ma main. J'observai et écoutai sans me douter que l'inconnue s’approcherait avec lenteur de moi. Ses gestes étaient maîtrisés seulement, ils n'étaient en aucun cas menaçant. Ses paroles, me faisaient croire qu'elle était quelqu'un de bien pourtant, mes yeux ne l'effrayaient pas, ce qui me laissa pantois un court instant. Je n'étais pas habitué à ce qu'on me fasse front tout en se montrant agréable. C'était.. Étrange.
Je me détendis un instant lorsque la jeune femme se présenta. Une meurtrière ne m'aurait sans doute pas abordé de la sorte en voyant mon malaise et mon silence. Elle ne se serait pas présenté et aurait pris plaisir dés lors que je me serais intéressé à elle. Calva Infan, toujours effrayé tremblait en moi et me donnait des frissons. J'essayais tant bien que mal de le rassurer mais, la malédiction qui nous liait me faisait également craindre cette femme. Il était difficile d'avancer alors que l'être qui s'était immiscé en moi réfutait toute approche, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

« Veuillez m'excuser, je ne me sens pas très bien... »

Malgré la faible température, je transpirais à présent, ne sachant que dire ni que faire. Mon sentiment était que nous pouvions, Calva et moi, nous adresser à elle sans une once de méfiance cependant, lui était très fortement apeuré. J'ignorais comment accroître sa confiance et me sentais faible.

« Calva cesse de jouer l'enfant ! »

Je criais à présent, malade de la relation qui nous unissait. La colère m'imprégna quelques secondes, seulement celles-ci suffirent à l'étonner et le faire sortir de mon corps. Lorsqu'il fusionnait avec moi, nos sentiments se multipliaient, ils se renforçaient, c'est pourquoi le jeune garçon ne put supporter une telle dose de rage.

« Pardonne moi.. »

Calva Infan m'observa d'abord puis, me tourna le dos avant de courir en direction d'un arbre gelé. Une nouvelle fois, je l'avais fait pleurer. Une nouvelle fois, je ne parvenais pas à l’apaiser. Mon âme se démantela lorsque ses sentiments arrivèrent à mon esprit. Désespéré, je lâchai l'arme que je tenais, la plume d'acier, tranchante comme l'épée. Le lien qui nous unissait, cet enfant et moi nous rendait parfois plus forts mais, dans les moments comme celui-ci, il nous détruisait ; faisant de moi une poupée que son propriétaire aurait abandonné.
Je tombai donc à terre, les mains sur mon visage trempé de larmes. Qui étais-je pour donner à ce petit une aussi piètre éducation ? Qui étais-je pour me permettre de le faire pleurer ? Qui étais-je pour lui hurler dessus ? Jamais je n'aurais du m'emporter contre lui ; il n'a jamais été responsable de mes maux. J'en étais le seul fruit.
A cet instant, mes yeux se portèrent vers l'inconnue. Elle aurait pu nous assassiner tous deux si elle avait voulu. J'en étais à présent convaincu, cette personne ne possédait pas de mauvaises intentions.

« Aidez le... »

Mon regard était brillant comme jamais. J'avais besoin de repos et d'aide, je n'arrivais plus à supporter cette malédiction c'est pourquoi, je restai immobile, attendant un signe des aethers. Ma culpabilité était grande, elle jouait sur l'humeur de Calva Infan, le faisait déprimer tout comme je désespérais et je n'étais pas encore prêt à me remettre de mes innombrables crimes.