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Eerah
Æther des Bergers et des Wëltpuffs

Æther des Bergers et des Wëltpuffs
◈ Parchemins usagés : 3537
◈ YinYanisé(e) le : 20/07/2013
Eerah
Sam 27 Juil 2013, 00:31

Un vent froid et porteur d’échos festifs se répandait dans les rues d’Avalon, berçant doucement les draps pendus au bout des cordes à linges, glissant sur les pavés encore chauds de la journée d’été qui s’était terminée. Tous les sons, les odeurs, la lourdeur de l’air, remplacée petit à petit par un agréable sentiment de fraicheur, toutes ces informations qui heurtaient Eerah, alors qu’il sortait du « Corbeau Assoifé », il les ressentait toutes avec une exactitude proche de la perfection. De l’air pointait plusieurs odeurs distinctes ; une pointe d’air marin, les épices du marché, quelques rues plus loin. Derrière lui, la senteur forte de l’orge et du houblon, du poulet rôti, la transpiration des clients, le fumet acre du cigare que le patron avait constamment au bout des lèvres. En contrebas de la rue, le ruissellement des eaux usées apportait son lot d’odeurs désagréables, heureusement atténuées par les effluves qui s’échappaient des quelques échoppes encore ouvertes. Le sang et la viande, chez le boucher ; les agrumes, les légumes, chez l’épicier ; la poussière et les livres, chez la voyante.

Le mélange puissant de toutes ces fragrances parvenait aux narines du Déchu, qui s’amusait à les analyser, les situer, les enregistrer, s’en repaitre et les oublier. Cela faisait partie des petits plaisirs qu’il s’accordait, mais aussi de son fardeau quotidien. Il n’existait pas d’endroit où il ne retrouvait pas la trace olfactive de la société, et de ses déchets. Même au cœur des Montagnes de l’Edelweiss, le vent ramenait toujours l’odeur d’un alpiniste, d’un ermite ou d’un coursier égaré. Et s’il arrivait à faire abstraction de l’odeur forte d’un corps humain, il ne pouvait s’empêcher de l’entendre. Une respiration, un cri, un éternuement et parfois même le battement d’un cœur bruyant. En l’occurrence, la porte de la taverne venait de se refermer sur le capharnaüm qui y résidait, entre les chansons d’ivrognes, les cris du patron et le piano qui jouait sans discontinuer. Eerah retrouvait le calme de la rue avec un certain soulagement, et ne put s’empêcher de soupirer d’aise.

Il se mit en route, vers le poste de garde où son équipe et lui allaient se préparer pour la mission imminente. Il avait pratiqué le chemin des milliers de fois, et connaissait chaque pavé qui se dressait entre lui et son objectif. Le vol était la solution de facilité, et il avait toujours préféré marcher, dans la mesure où cela lui donnait le temps de penser, de réfléchir à tout ce qui lui passait par la tête. En l’occurrence, il passait en revue les membres de son escouade, et le matériel qu’ils étaient censés emmener. C’était ce qu’on pouvait appeler une mission de routine, et elle ne nécessitait pas un grand nombre d’homme. La cible était un messager Ange, qui faisait depuis quelques semaines des allers-et-retours incessant entre la forêt qui bordait Avalon et sa cité dans les nuages. Il ne procédait évidemment que de nuit, et c’est pour cette raison qu’on avait contacté le Lieutenant Scaldes et son équipe. Concrètement, ils étaient censés attraper l’Ange en question, obtenir d’une façon ou d’une autre les informations qu’il détenait, et si possible, découvrir entre qui il les faisait transiter.

Il avait donc choisit deux de ses hommes, Saël et Indimiae, pour l’épauler le temps de l’opération. Le premier possédait la seule chose qu’Eerah n’avait pas pu se procurer ; des yeux en bonne santé. Il avait beau pouvoir repérer presque n’importe quoi dans l’obscurité la plus totale, son handicap n’en demeurait pas moins un, et il savait à quel point il était stupide de ne pas tenir compte de ses propres points faibles. C’était également la raison pour laquelle il avait sélectionné le deuxième, un archer, et un ami. Les situations dans laquelle une épée ne servait à rien étaient nombreuses, et d’autant plus lorsque l’ennemi était capable de s’envoler loin du champ de bataille. Il espérait ne pas avoir besoin de recourir à ses services, mais avec les Anges, la prudence était de mise. Il avait appris à les connaitre, et avait été surpris de constater à quel point pouvait se montrer fourbe un être censé protéger le « bien ».

Le temps qu’il se livre à ses réflexions, le Déchu était arrivé au pied de la tour de garde où devaient l’attendre ses deux coéquipiers. Revenant brusquement à la réalité, il leva tête, et entendit des fragments de conversation qui filtraient d’une lucarne, un peu plus haut. D’une poussée du talon, il s’éleva du sol, ses grandes ailes le portant en quelques battements jusqu’au petit balcon qui permettait l’entrée dans l’avant-poste.

Dans un bruissement léger, Eerah replia ses appendices dorsaux, avant de pousser le battant de la fenêtre. Derrière, une petite pièce éclairée par la lueur de deux lanternes à pétrole. Elle contenait en son centre une table ronde en bois, sur laquelle reposait plusieurs plans, parchemins et missives couvertes d’écritures plus ou moins lisibles. Au fond se dressait une cheminée, inutilisée lorsque le temps était aussi chaud qu’à ce moment-là. Elle était épaulée d’un petit tas de buches de bois, et d’une paire de pinces en métal visant à tourner les braises. Contre le mur était appuyée une armoire remplie de livres et de dossiers. Un Déchu était justement en train d’y consulter un ouvrage, en s’adressant à son compère, assis sur un tabouret près de la table. Le premier était résolument blond, ses cheveux attaché en un catogan serré, laissant apparaitre une paire d’yeux d’un bleu océan. Saël était légèrement plus petit qu’Eerah, et était d’une carrure moindre. Le second, à l’inverse, se distinguait par la taille de ses bras, et la collection de cicatrices qu’affichait son visage volontaire. Il se nommait Indimae, et était plus vieux que son Lieutenant d’une centaine d’années. Il n’avait cependant jamais eu de vocation de meneur, et exécutait les ordres de son benjamin sans poser de question.

Le Déchu blond continuait de parler lorsque son supérieur entra sans bruit dans la pièce, tandis que l’autre se levait, un sourire aux lèvres, pour saluer. Alerté par le bruit des pieds du tabouret frottant sur le sol, il s’était retourné avant de faire de même, en lâchant presque l’ouvrage qu’il avait entre les mains.

-« Mon Lieutenant ! Désolé, mon Lieutenant, je ne vous avais pas vu. »

Il sembla se rendre compte de sa bourde immédiatement en se mordant la lèvre inférieure, alors qu’un sourire amusé se dessinait sous le bandeau d’Eerah.

-« Repos, soldat, je vous ai déjà dit qu’il n’y avait pas de ça entre nous. Ce n’est qu’un titre. »

Il attendit d’entendre les mains retomber aux côtés des deux Déchus avant d’avancer dans la salle. Du bout du talon, il frappa le sol pour repérer au jugé la position des tabourets. Par résonnance, il pouvait identifier les différentes masses présentes dans la pièce. Hormis les deux Déchus, il remarquait surtout la présence imposante de la table en chêne, et, moindres, celles des sièges disposés autour. D’une main assurée, il attrapa le premier à sa portée, et s’assit dessus, invitant Saël à en faire autant. Celui-ci s’exécuta promptement, et la réunion commença. Le premier à prendre la parole fut l’archer au visage basané.

-« Bon. Depuis un peu moins d’un mois, nos gardes à la porte Ouest nous rapportent des mouvements ennemis dans la forêt. Vraisemblablement une unique personne à chaque fois, mais aucune certitude quant à son identité. Ils peuvent donc aussi bien être une demi-douzaine qu’un seul homme. Le but est de capturer le bonhomme en question, et de comprendre pourquoi il vient trainer par ici. »

Sans attendre, le jeune Déchu blond ajouta :

-« Sachant qu’il est probable qu’il réalise des allez-retours entre Eden et un camp qui serait situé dans cette zone… »

Eerah entendit nettement le bruit d’un doigt qui s’abat sur une carte en papier, et il esquissa un léger sourire. Saël était jeune, bien plus que les deux autres, et faisait partie de l’escouade depuis seulement quelques mois. Il était doué, mais un peu étourdi, et le Lieutenant Scaldes attendit qu’il se rende compte de sa méprise. Cela ne vint pas tout seul, et il fallut un raclement de gorge peu discret de la part d’Indimae pour que le jeune réagisse.

-« Quoi ? … Ah ! Oh, pardon Lieutenant, j’avais oublié que… Enfin, je… »

-« Du calme, du calme, il n’y a pas de quoi s’affoler, Saël. Je t’entends presque rougir. Donne-moi juste les coordonnées du point du la carte. »

-« Oui, oui… Secteur 21 – 18. »

Après une seconde de réflexion, il se remit le plan en tête, et situa la zone en question dans la forêt. C’était au nord d’une petite clairière, traversée par la rivière Eternité. Concrètement, c’était à une dizaine de minute de vol. Il hocha la tête, et une courte discussion débuta alors, sur la meilleure façon de se positionner pour capturer la cible. Après qu’ils se soient finalement mis d’accord, le Lieutenant fit un signe de tête vers l’archer.

-« Tu as tout ce qui te faut, prêt à partir ? »

-« Toujours. »

-« Bien. Saël ? »

-« Tout est bon pour moi, Lieutenant. Je suis prêt. »

Le contraire eut été étonnant, aussi le signal fut donné pour le début de l’opération. D’après les rapports, le messager passait tous les jours une heure après le coucher du soleil. Ils avaient donc encore quelques dizaines de minutes avant son passage. Sans plus de cérémonie, Eerah se leva, et sortit prendre son envol. Il partit immédiatement dans la direction de la porte Ouest, et entendit dans son dos le bruissement des ailes de ses coéquipiers. Intérieurement, il était bien content d’avoir deux bons éléments pour protéger ses arrières, si son handicap venait à lui faire défaut.

Au fur et à mesure qu’ils survolaient la ville endormie, Eerah retraçait dans son esprit le plan des rues, comme un exercice répétitif pour s’assurer qu’il n’oubliait pas. Lors de ses premières années à Avalon, il avait pu accéder à une maquette de la ville en relief, à la grande bibliothèque. Il y avait passé quelques mois pour retenir le plan en entier, mais il était à présent capable de se retrouver sans le moindre problème dans l’immense cité. En passant au-dessus du « Corbeau Assoiffé », l’auberge où il résidait, il ne put s’empêcher de tendre l’oreille en essayant de percevoir la grosse voix du patron. Mais à cette hauteur, tous les sons étaient brouillés par le sifflement du vent contre ses oreilles et entre ses cheveux. Il haussa les épaules, et entama la descente sur la porte Ouest. Leur destination était située un peu plus loin, mais il voulait simplement s’assurer que le messager n’était pas passé en avance.

Un éclair passa dans ses yeux, et il voulut tenter le dernier tour qu’il avait appris au camp d’entrainement. Comme sa condition d’aveugle le rendait un peu moins polyvalent que les autres hommes, il avait fait venir un magicien pour qu’il essaye de trouver une solution à ce handicap. La solution que lui avait proposé le pratiquant des arcanes consistait à maitriser un aspect intéressant de l’esprit humain, à savoir, la télépathie. D’après lui, cela lui permettrait d’être plus souvent et mieux en contact avec les membres de son équipe, et ainsi d’avoir un point de vue extérieur sur la situation. Pour Eerah, cela consistait plus en un tour de passe-passe qu’en un véritable atout. Il se concentra un instant, et dirigea son esprit vers celui d’Indimae. Il aurait aussi pu s’adresser à son observateur, mais il avait peur que celui-ci réagisse disproportionnément en sentant l’esprit du Lieutenant.

-{ Indi ? Tu m’entends ? C’est moi, Eerah. }

Après quelques secondes, la réponse ne tarda pas.

-{ Eh bien, tu apprends vite. Il t’aura fallu quoi, six mois pour arriver à faire ça ? }

Le Déchu sourit. Son coéquipier était bien loin de la vérité, si l’on prenait en compte les nuits entières pendant lesquelles il s’était entrainé, à défaut de trouver le sommeil.

-{ Un peu plus. Je vais descendre parler aux gardes de la porte Ouest. Suis Saël jusqu’au point de rendez-vous, je vous y rejoindrais vite. }

-{ À tes ordres. }

Eerah plongea vers les murailles en contrebas, tandis que les deux autres viraient légèrement vers la forêt. Quelques secondes de chute libre plus tard, il se rétablissait à la hauteur du chemin de garde, et s’approchait du premier soldat qu’il entendit. Tandis qu’il arrivait vers lui, celui-ci l’apostropha.

-« Vous, là, déclinez votre identité. »

-« Lieutenant Eerah Scaldes. Je viens à propos de la mission organisée ce soir dans le secteur 21 – 18. La cible est-elle déjà apparue, ou sommes-nous dans les temps ? »

-« Ah, bonsoir, Lieutenant. Non, rien de nouveau jusqu’ici. Y parait qu’il n’avait pas l’air bien gros, vous ne devriez en faire qu’une bouchée, avec vos hommes. »

-« Je l’espère. Merci, soldat. »

Tout se déroulait comme prévu. Il reprit de la hauteur, et se dirigea vers la zone qui était supposée abriter le camp ennemi. Ils étaient en avance, et auraient largement le temps de préparer une stratégie. Le tout était surtout de faire en sorte que leur prisonnier n’ait ni le temps de communiquer avec l’extérieur, ni la possibilité de détruire les informations en sa possession. Ce n’était de toute façon pas la première fois qu’Eerah intervenait sur une opération de ce genre, et dans l’immense majorité des cas, tout se passait parfaitement bien. Les Anges avaient le désavantage en combat nocturne, leurs ailes blanches les faisant repérer rapidement, à l’inverse des Déchus qui se fondaient dans l’obscurité. Le Lieutenant Scaldes avait bien l’intention d’en tirer parti, et avec l’équipe qu’il avait avec lui, aucune chance que quelque chose rate.


2315 Mots


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Eerah
Sam 27 Juil 2013, 00:38

Le point de rendez-vous était à quelques minutes de vol, il y avait même fort à parier que ses coéquipiers n’étaient même pas encore arrivé. Pour faire bonne mesure, il accéléra un peu la cadence, filant gracieusement dans les cieux. Depuis le sol, il était littéralement invisible. De temps en temps, on pouvait voir des étoiles disparaitre derrière une masse, mais impossible de le différencier d’un quelconque prédateur nocturne. C’était dans ce genre de situation qu’il se sentait réellement dans son élément. La nuit, il n’était plus le seul à devoir se dispenser de sa vue. La forêt était son terrain de jeu, l’ombre son meilleur compagnon.

Avant d’arriver en vue de la clairière, Eerah abaissa son altitude, pour finalement atterrir au milieu des arbres. Il ne pouvait pas prendre le risque d’être repéré par l’ennemi avant d’être prêt. Avec un peu de chance, Indimae avait eu la même présence d’esprit. Le soldat avait plus d’expérience qu’une partie de son escouade réunie, et il avait l’habitude de ce genre d’opération. L’éventualité qu’il se soit fait capturer n’effleurait même pas l’esprit du Lieutenant. Et il ne se trompait pas. Moins d’une minute plus tard, il percevait les murmures de ses acolytes un peu plus loin dans les buissons. Sans un bruit, il se glissa derrière eux, et posa une main sur l’épaule du plus vieux des deux. Sans un frisson, celui-ci se retourna et hocha la tête. Saël, moins préparé à toute éventualité, hoqueta en voyant Scaldes sortir des fourrés. Celui-ci n’en tint pas compte et chuchota.

-« Bien. Rien en vue pour l’instant ? »

-« Non. Nous sommes dans les temps. Et à la porte ? »

-« Rien non plus. Bon, vous vous souvenez de vos positions ? Indi, tu couvres le côté Sud de la clairière, tu te tiens prêt à mon signal au moindre problème. Saël, tu seras avec moi. Si j’entends ou que je sens quelque chose, je veux savoir dans la seconde qui suit si c’est notre cible. »

Pendant qu’Indimae partait vers l’endroit qui lui avait été désigné, Eerah se tourna vers le jeune, et connecta son esprit au sien.

-{ Si ça ne te dérange pas, nous allons continuer à communiquer comme ça. Ne prenons pas le risque d’être entendus. }

Comme prévu, le Déchu blond tressaillit au début, mais se fit vite à cette intrusion. Après quelques balbutiements mentaux, il répondit clairement, dans sa tête :

-{ Bien, Lieutenant. }

-{ Appelle-moi Eerah. }

-{ Bien, Li… Eerah. }

Ils filèrent discrètement du côté opposé à l’archer, en glissant sans bruit entre les branches basses. Une fois arrivés sur place, une longue attente commença. À chaque fois qu’il percevait un bruit, aussi insignifiant fut-il, il demandait à Saël de vérifier l’identité de l’intrus. Ils trouvèrent ainsi plusieurs rongeurs, un sanglier peu farouche, et une demi-douzaine de chouettes et hiboux. A chaque bruissement d’ailes, les deux Déchus se tendaient imperceptiblement, avant de retourner à leur attente, non sans un léger sentiment de déception. Chaque nouvelle fausse alarme augmentait d’un cran la tension qui régnait sur les lieux. Eerah faisait son possible pour ne rien laisser paraitre, mais il en était tout autre pour l’observateur. Le Lieutenant sentait l’odeur de bile et de transpiration à plein nez, écrasant toute autre fragrance aux alentours. Non sans un effort considérable, il fit abstraction des odeurs, pour se concentrer sur les sons.

Le Déchu aveugle commençait à apprécier l’utilisation de la Télépathie. Il était complètement connecté avec l’esprit de son coéquipier, à ses souvenirs, ses pensées, ses rêves. Par respect pour sa vie privée, il n’essaya pas d’aller plus loin, se contentant de se limiter aux pensées conscientes, pour la communication. Après une période qui leur parut interminable, un froissement de plume plus bruyant se fit entendre. Il fit signe à l’observateur, qui plissa les yeux vers l’endroit d’où provenait le bruit. Un instant plus tard, la réponse tant attendue fusait dans son esprit.

-{ C’est lui. }

Comme avant chaque assaut, Eerah se renfermait sur lui-même, pour percevoir tout ce qui l’entourait. Il coupa la liaison avec Saël, arrêta de respirer. Soudain, la forêt ne murmurait plus, le vent retombait, les animaux se muaient en pierre, attentifs, comme un public impuissant devant l’attaque du prédateur. Il n’entendait plus que les ailes, battant au ralenti, mesurant à chaque instant la distance qui le séparait de sa cible. S’il avait eu des yeux, il aurait pu apercevoir son coéquipier remuer les lèvres, l’air inquiet. S’il avait eu des yeux, ils seraient braqués sur l’ange qui les survolerait bientôt. Plus que quelques secondes. Il le sentait, le humait. L’odeur de la chair, du tissu propre, des plumes, l’odeur du parchemin, l’odeur de la proie. C’était pour cette raison que les autres l’avaient surnommé « Owl ». Pendant le court instant qui précédait son attaque, il était immobile, inébranlable, impavide. Il n’était et ne vivait que pour la chasse.

Encore quelques mètres. Quelques petits mètres. Saël lui toucha le bras, il ne le sentit même pas. Non, ce n’était pas encore l’heure. Il fallait attendre le parfait instant. Moins d’une seconde plus tard, il s’élançait. Silencieuse, meurtrière, une ombre monta dans la nuit. L’ange, lui, brillait faiblement, éclairé par les rayons lunaires. Eerah filait dans le ciel, d’un seul battement d’aile puissant, assourdi par le vacarme que produisaient les plumes blanches, au-dessus de lui. Pendant une seconde, il n’était plus qu’une masse, propulsée par sa propre poussée initiale, et prête à retomber à tout instant sous l’effet de la gravité. Le moment fatidique où son poids arrêta son ascension se produisit exactement à la hauteur de sa cible, derrière elle. D’un seul mouvement, il posa sa main droite sur le pommeau de son épée, dans son dos, et de l’autre, agrippa fermement une des ailes de l’ange.

Un instant, et un petit hoquet de surprise plus tard, il tranchait de sa lame l’appendice dorsal, stoppant net l’avancée de l’ange. Alors que les deux retombaient d’un bloc, comme un corps sans vie, Eerah posa calmement, mais fermement, sa main sur la bouche de sa victime. Ils chutèrent ainsi une paire de secondes, avant que le déchu ne donne un brusque coup d’ailes pour se stabiliser, et retomber au sol, pesant de tout son poids sur la cage thoracique du messager. Dans un soupir étouffé, l’air contenu dans ses poumons se vida complètement, laissant la proie muette, asphyxiée par le coup, et la douleur cuisante qui lui brûlait encore le dos. Eerah étendit sa conscience à ses deux camarades, les informant de la situation.

-{ Cible maitrisée. Vous pouvez venir. Nous nous replions plus loin pour l’interrogatoire. }

La réponse ne se fit pas attendre, sonnant comme une unique voix.

-{ Oui, chef ! }

Indimae fut le premier arrivé, et d’une poigne de fer, il bâillonna fermement le capturé, avant de le tirer d’une seule main jusqu’aux buissons les plus proches. Saël le suivit rapidement, en adressant un regard à la fois impressionné et écœuré sur son supérieur. Tout le monde savait, que cela soit chez les Anges, les Déchus ou bien les Démons, à quel point perdre une aile était horrible. Eerah en avait parfaitement conscience, mais il avait un travail, et absolument tous les moyens étaient bons pour parvenir à ses fins. Il n’avait de toute façon jamais été question de laisser repartir le messager en vie. C’était un risque bien trop lourd à prendre. D’une démarche qui se voulait assurée, il chercha du bout du pied l’aile, tombée non loin pendant l’attaque. Lorsqu’il la trouva, il essuya sa lame ensanglantée dans les plumes immaculées, et la garda, jusqu’à ce qu’ils trouvent un endroit où la cacher. Il ne fallait laisser aucune preuve. Rien qui ne pourrait prouver qu’un jour, un ange avait été capturé dans ces bois.

Si Saël s’était indigné de la mutilation à laquelle s’était livré Eerah, il n’en avait pas pipé mot. Quant à Indimae, il était suffisamment âgé pour savoir que cela faisait partie du jeu. Si les camps avaient étés inversés, il en aurait surement été de même. L’aveugle n’avait peut-être pas fait le bon choix, mais il avait fait le meilleur pour que la mission soit un succès. Il retrouva ses coéquipiers une cinquantaine de mètres plus loin, cachés derrière un imposant chêne. L’ange se tordait de douleur au sol, pieds et poings liés. Le jeune déchu blond se dandinait sur ses jambes en observant leur victime, et l’archer se contentait de surveiller la zone, sans sourciller. Avant quoi que ce soit, Eerah tenta de s’infiltrer dans son esprit. Il ne s’attendait pas à grand-chose, et ne fut pas surpris. Son esprit était entrainé pour résister à ce genre d’intrusion, c’était surement une des compétences nécessaire pour exécuter le travail de messager. Prestement, il s’assit sur ses talons, à côté du corps tremblant de l’ange, et tendit la main vers son bâillon.

-« Je vais enlever ça, et comme tu es un être intelligent, tu vas répondre à nos questions simplement et sans perdre de temps, d’accord ? Sans quoi j’ai peur que tu doives souffrir bien plus que ce que tu crois ressentir en ce moment. Quand tu pourras parler, je veux entendre la position de votre camp, le nombre d’hommes qui y sont actuellement positionnés, et la raison de ta présence ici. »

D’une main experte, il abaissa le morceau de tissu. Une plainte aigue s’échappa de la gorge du mutilé. Le lieutenant remis expressément le bâillon, et asséna un gifle phénoménale au prisonnier.

-« Dernière chance. Je t’explique à nouveau. Plus vite tu parleras, plus vite ton calvaire sera terminé. La position du camp, les troupes qui y sont en place, et la raison de ta présence ici. »

Une seconde fois, il rendit la parole à l’ange. Cette fois, pas de cri, pas de hurlement. Sa bouche était en sang, et un sourire malsain se dessina sur son visage.

-« Tu… Tu me tueras de toute façon… D-Déchet ! »

Il cracha une gerbe de sang sur les vêtements du Lieutenant, qui soupira avec lassitude. Il se releva, et avec une pointe de fatigue, s’adressa à Indimae.

-« Tu sais ce qu’il te reste à faire. »

L’archer savait parfaitement quel était son rôle. Sans un mot, il prit la place d’Eerah, et releva l’ange, pour l’asseoir contre le tronc de l’arbre. D’une voix neutre, il parla, autant pour lui-même que pour sa victime.

-« Tu peux tout arrêter à tout moment en répondant aux questions qu’il t’a posé. Il serait préférable pour toi que ça soit le plus vite possible. Tu as quelque chose à dire ? »

-« V-Va au diable, toi et ton… ton peuple décadent ! »

L’atroce symphonie des membres brisés, mutilés et brûlés commença alors. La forêt résonnait des sinistres craquements d’os, du son de succion désagréable que produisaient les bottes en piétinant le sol poisseux de sang, et des hurlements étouffés du messager. Avec l’odeur du fer qui emplissait peu à peu l’air, Eerah était aux premières loges pour endurer le spectacle de ce qu’il avait ordonné. Mais ce n’était pas la première fois. Ni la dernière, loin de là. C’était le prix à payer pour remporter une guerre. Et le prix à payer pour l’avoir rendu aveugle. C’était un fait qu’Eerah avait du mal à reconnaitre, mais une partie de lui se battait uniquement pour la vengeance. Bien sûr, jamais il n’en avait discuté avec ses camarades, et jamais il ne le ferait. Chacun avait sa croix à porter. Et celle qui pesait sur l’ange devenait un peu plus lourde à chaque instant, sous les coups de poings et l’acier de la lame d’Indimae.


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Eerah
Sam 27 Juil 2013, 00:42

Plusieurs dizaines de minutes étaient déjà passées. Saël était en train de régurgiter son dernier repas dans les broussailles, livide, et Eerah était assis un peu plus loin, impassible. Il grimaçait parfois lorsqu’un son plus désagréable que les autres lui parvenait, mais tentait de conserver son image de leader stoïque. Il n’aurait pas aimé être à la place d’Indimae, cependant, il savait que si cela s’était avéré nécessaire, il s’en serait acquitté. L’archer n’avait pas émis un son depuis que son travail avait commencé, ses yeux restaient fixés sur ses « outils », sans émotion. L’ange était au bord de l’évanouissement. Il saignait par une bonne douzaine de plaies, ses genoux et son bras gauche étaient tordus dans un angle inhabituel, et il lui manquait trois doigts à la main droite.

Eerah en était presque impressionné par sa détermination. Malgré tout cela, il n’avait pas donné la moindre information. Le Déchu ignorait si, dans sa situation, il aurait été capable du même exploit. Pourtant, il le savait, ce n’était qu’une question de temps. Indimae était capable de faire durer le supplice indéfiniment, et l’autre finirait par craquer. Cette pensée venait de lui traverser l’esprit lorsqu’un gargouillis à peine audible survint au milieu des bruits de torture. Il éleva la voix au-dessus du vacarme, et s’adressa à l’archer.

-« Indi ! Il veut dire quelque chose. »

L’intéressé s’arrêta immédiatement, et ôta le bâillon de la bouche du messager. Passé les premiers balbutiements inaudibles, une phrase à peu près construite s’échappa de son corps meurtri.

-« … Derrière la… Derrière la… rivière… Six… Ne sais p-p-paaargh... »

Pas un mot n’avait échappé à Eerah, qui réfléchit un instant. Un homme si près de la mort n’avait aucun intérêt à mentir, il ne devait vraiment rien savoir à propos de la présence du camp. C’était bien le genre des anges de cacher des informations à leurs propres hommes. Il n’ajouta rien, et s’avança lentement vers le prisonnier. Sa lame sortit de son fourreau dans un chuintement, avant qu’il ne la pose sur la gorge de l’ange.

-« Ton calvaire est terminé. »

D’une poussée, il enfonça son épée dans la gorge du messager, le laissant se reposer pour l’éternité, dans un dernier soupir. Lorsque les cris et le craquement des membres pris fin, Saël revint vers les deux autres, sans adresser un regard à leur victime. Les deux déchus étaient debout au-dessus du cadavre de l’ange, discutant simplement comme s’il n’était pas là.

-« Six hommes… On ne va pas pouvoir partir ce soir, si ? »

-« Je ne sais pas. On pourrait y aller en éclaireur. S’ils se rendent compte de la disparition de leur messager, ils risquent de changer d’endroit… »

-« Bon. J’irais où tu iras, Lieutenant. »

Inquiet, le jeune homme blond haussa la voix.

-« Et… Et pour lui ? On ne fait rien ? »

Il leur désigna le corps encore chaud. Après concertation, il fut décidé qu’on l’enterrerait en attendant de pouvoir l’incinérer. Au bout d’une trentaine de minutes, l’aile et le cadavre de l’ange étaient disposé sous un demi-mètre de terre. Les trois déchus s’écartèrent un petit peu, et entamèrent une micro réunion sur la suite des évènements. Il n’avait jamais été prévu qu’ils aillent attaquer le camp ennemi, mais cette chance ne se représenterait peut-être pas de sitôt. L’obscurité et l’effet de surprise étaient de leur côté. Ils étaient prêts et armés, dans ces conditions, leur infériorité numérique importait peu. Eerah conclut en entamant le chemin vers le camp ennemi :

-« Alors c’est décidé, nous partons. »

-« Si je peux me permettre, Lieutenant… »

Saël était resté un peu en arrière, et Eerah n’avait pas besoin d’yeux pour savoir qu’il avait l’air gêné. Il pivota légèrement, l’invitant à poursuivre. De toute évidence, la suite des évènements lui posait problème.

-« Nous n’avons pas été envoyés pour ça, est-ce que nous ne risquons rien par rapport à… L’état-major ? Enfin, je veux dire… »

Le déchu aveugle le coupa :

-« Je vois très bien ce que tu veux dire. Je ne t’oblige pas à nous suivre, Saël. Mais tu comprends les raisons qui me poussent à vouloir continuer, n’est-ce pas ? »

-« Pour tout vous dire, non, je n’en suis pas sûr, Lieutenant. »

Un silence lourd pesait maintenant entre les deux hommes. Indimae s’était écarté, et observait la scène, impassible. Eerah n’ajouta rien, pendant un instant, se contentant de rester figé, stoïque. Le déchu blond, lui, serrait le poing, et une goutte de sueur perlait sur son front. Rien n’avait été dit clairement, évidemment, mais le message était là. Pendant de longues secondes, l’absence de bruit perdura. Puis, comme si rien ne s’était passé, Eerah se tourna vers l’archer.

-« Tu penses comme lui ? »

-« Je te suivrais. »

Il soupira, avant de faire quelques pas supplémentaires, et d’ajouter :

-« À ta guise, Saël. Fait ce qui te semble bon. Je ne t’en tiendrais pas rigueur. »

Et les deux ainés reprirent la route vers le campement, deux kilomètres plus loin. Après quelques secondes, Eerah entendit le dernier déchu leur emboiter le pas. Il ne dit rien, mais il préférait savoir l’observateur avec eux. Avait-il eu raison de contester ses ordres ? La question tournait sans cesse dans l’esprit du lieutenant, et avec elle toutes les autres qu’elle impliquait. Son péché l’empêchait-il de travailler correctement ? Avait-il vraiment besoin de savoir ce qui se tramait là-bas ? « Oui ! ». Il devait savoir, c’était nécessaire. Sinon, le doute le tarauderait pendant des mois, des années, et il finirait par craquer. Jusqu’ici, ça n’était jamais vraiment arrivé, mais lui et ceux qui le connaissaient réellement – et cela incluait Indimae – savaient que le résultat ne serait pas beau à voir.

Pendant que l’observateur pressait le pas pour les rattraper, Eerah tourna la tête vers son ami, et lui glissa à voix basse :

-« J’ai pris la bonne décision, n’est-ce pas ? Pour l’état-major, l’information est capitale, et puis, on ne peut pas les laisser rôder autour de notre ville… »

-« Tu veux l’avis d’un ami ou d’un subordonné ? »

-« Dis-moi juste la vérité. »

-« Eerah. On se connait depuis suffisamment longtemps pour que je sache pertinemment quand tu ne fais pas ça pour l’état-major ou qui que ce soit. Cela ne veut pas dire que je ne t’approuve pas, et la plupart du temps, tes obsessions vont dans le sens de la Cause. Le petit n’est simplement pas habitué, et tu peux parfois paraitre un peu… trop passionné ? Suis ton instinct, et tout se passera bien, comme d’habitude. »

Eerah était bouche bée. D’ordinaire, l’archer ne parlait jamais autant, du moins jamais aussi longtemps sans attendre de réponse. Et il avait probablement complètement raison. Aussi, il se contenta de lui glisser un « Merci. » télépathique, alors que Saël venait d’arriver à leur hauteur. D’une voix étale, il ajouta, à l’intention du jeune Déchu :

-« Je te remercie de ta confiance. »

Pour toute réponse, il n’entendit qu’un vague « C’est normal, Lieutenant. », sans la moindre conviction. Il restait un kilomètre-et-demi avant d’arriver au campement ennemi, et chacun se préparait mentalement au combat qui allait suivre. Cette fois ils allaient se battre à un contre deux, et malgré l’effet de surprise, il allait surement falloir échanger quelques coups.

Après une marche silencieuse dans l’obscurité de la forêt, l’escouade arriva finalement en vue du campement Ange. Il était facilement reconnaissable au milieu des troncs torturés et des buissons épineux ; trois tentes d’un blanc immaculé, érigées en triangle autour d’un feu camp. Deux anges étaient assis devant celui-ci, une lance à la main, l’épée rangée dans leurs fourreaux. Eerah entendait distinctement deux autres voix sortir de la plus grandes des tentes, et la respiration lourde des deux derniers, endormis dans leur couchages respectifs. Dans la plus grande discrétion, les trois déchus observaient la scène, enregistrant chaque endroit, chaque point d’ombre qui pourrait leur être utile pour la suite. Puis ils se retirèrent précautionneusement, suffisamment loin pour être sûr de ne pas être vus par mégarde. Lorsqu’ils furent à couvert, Eerah leur exposa son plan.

-{ Nous allons commencer par les deux hommes présents dans la tente principale. Saël, tu surveilleras les gardes, tu devras t’assurer de les priver de leur ouïe le temps qu’Indi et moi, nous nous occupions des autres. Une fois que ça sera bon, nous procéderons de la même façon pour les endormis, et nous terminerons avec les deux autres, ça ne devrais pas être bien compliqué. Indi tuera le premier à l’arc, et nous fondrons tous les deux sur le dernier. }

-{ Ça semble si simple… }, pensa Saël, un peu trop fort.

Indimae répondit immédiatement :

-{ Les plans les plus simples sont souvent ceux qui fonctionnent le mieux. Ça me va. }

-{ Bien. }, conclut Eerah, { Alors on y va. Indi, tu me suis, Saël, tu te trouves un endroit discret pour t’occuper des deux autres.}

Ils acquiescèrent en cœur, et les deux plus vieux filèrent vers la grande tente. Comme des ombres, ils se glissèrent contre la grande toile cirée. Eerah tendit l’oreille, et localisa les deux hommes dans la tente. L’un deux était au centre, et tournait le dos à l’autre, assis sur une chaise, juste à côté de la toile. Il fit signe à l’archer, et lui expliqua rapidement la suite.

-{ Je tue le premier, tu entre par l’ouverture que je te ferais, et tu t’occupes de l’autre, au centre. Prêt ? }

-{ Toujours. }

-{ Saël, tu les as ? }

-{ Oui, c’est bon. }

L’éclat de la lame d’Eerah jaillit, et il l’enfonça dans la toile, à l’endroit supposé de la tête du premier homme. Il sentit un choc, sa lame s’enfonça, et un liquide gluant jaillit. D’un geste, il ressorti son épée et trancha de haut en bas le tissu. Une seconde plus tard, Indimae s’y engouffrais, et égorgeait l’autre de sa dague. Eerah consulta rapidement son observateur, mais le reste du camp ne s’était rendu compte de rien. Il entra à son tour par l’ouverture pratiquée, et poussa le cadavre du premier homme vers l’autre. L’archer ouvrait déjà sa propre sortie à l’opposé de celle du Lieutenant, pour aller rapidement vers les autres tentes. Lorsque le signal fut donné, ils partirent en même temps, chacun vers sa cible.

Cette fois, Eerah travailla plus proprement. Il ouvrit la toile d’un coup de dague, avant d’ouvrir la gorge de l’ange, de la même façon. Il rangea sa lame, et s’approcha du battant principal de la tente. La flèche d’Indimae ne devait pas tarder. Un seconde passa. Puis dix. Et vingt. Toujours rien. Son esprit était trop loin pour qu’il l’atteigne, et Saël ne voyait rien non plus. Enfin, quelque chose bougea. Comme un démon, l’ange qui devait être endormi – et mort – sortit de sa tente en hurlant aux deux autres, qui le regardait, sans rien entendre. Lorsqu’ils comprirent que quelque chose n’allait pas, Eerah avait déjà pris les devants. Un des gardes venait de périr sous sa lame, et l’autre se levait en lâchant sa lance, sa main sur le pommeau de son épée.

-« Saël, vite ! »

Le déchu blond resta pétrifié une seconde, pendant que son supérieur engageait le combat contre les deux anges restants, parant comme il pouvait les coups qui filaient de tous les côtés. Puis l’adrénaline gagna son corps, et il se rua au combat, en ayant même la présence d’esprit de rendre l’un des deux hommes aveugles, avant d’abattre son cimeterre dans son dos. Une fois débarrassé de la moitié de la menace, le lieutenant pu se concentrer sur son adversaire, et après quelques passes et parade, fendit de l’avant, lui tranchant la jugulaire. Essoufflés, harassés, les deux déchus reprirent leurs pensées avant de se regarder, et de tourner la tête vers la tente où aurait dû mourir le troisième ange. D’une voix peu assurée, Eerah lança, dans le calme de l’après-bataille :

-« … Indi ? »


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Eerah
Sam 27 Juil 2013, 00:46

-« Indimae, réponds ! »

Eerah n’en menait vraiment pas large. Pour la première fois depuis longtemps, il perdait son assurance habituelle. Trébuchant au-dessus d’un cadavre, il courut vers la tente dans laquelle son ami était entré, se débattant avec l’ouverture, la panique lui ayant fait perdre tous ses moyens de réflexion et d’analyse. Saël était également inquiet, et ne préférait pas s’interposer entre le lieutenant et le contenu probable de la tente, de peur de prendre un coup. Le voir ainsi perdre le contrôle était impressionnant, surtout après tout ce qu’il avait vu et entendu sur lui.
Lorsqu’il entra dans la tente, le Déchu dut se forcer à reprendre son calme, au moins pour tendre l’oreille. Après quelques secondes, il discerna une faible respiration au niveau du sol. Il tomba à genoux et chercha la tête de son camarade. Lorsqu’il l’eut trouvée, il la prit doucement dans ces mains, et tâta son corps à la recherche d’une plaie.

-« Qu’est-ce qui s’est passé ?... Qu’est-ce qui s’est passé, Indi ?! »

Dans un sifflement désagréable, la voix de l’archer se fit entendre, entrecoupée d’une toux de mauvais augure.

-« E-E-Eerah… J’ai… J’ai mal joué, mon ami… C-c-cette saloperie m’aura entendu quand je suis entré, il m’attendait… Je.. J’ai pris un sale c-coup je crois… »

Au même moment, les doigts d’Eerah effleuraient le pommeau d’une dague, plantée dans le poumon droit du Déchu. L’aveugle serra les dents en un rictus d’impuissance, sans oser confirmer la chose à son compagnon. Celui-ci ricana doucement, avant de gémir de douleur.

-« Ha ha… C-c’est ce que je pensais… Ton visage ne saurais mentir, Lieutenant ! Si tu… si tu… ha ha… Si tu voyais ta tête… »

Le lieutenant n’avait pas le courage de répondre au dernier trait d’humour de l’archer. Il n’avait pas le courage de lui parler comme si c’était la dernière fois, alors que c’était un fait. Indimae allait mourir. Il n’y avait personne à part eux à trois kilomètres à la ronde, et personne à part les guérisseurs personnels de la reine ne pourrait rien faire pour lui. Ce sentiment d’impuissance, de passivité était insupportable. Il était condamné à entendre son ami s’éteindre devant lui, sans pouvoir rien faire. Le sang ne cessait pas de couler, et chaque phrase que prononçait Indimae lui arrachait un cri de souffrance.

-« En rentrant… O-on ira boire un coup… Et je crois que je vais prendre ma retraite… Ca fait… U-un peu mal quand même… »

Eerah ne pouvait qu’être impressionné par le courage dont faisait preuve son ami. Il se devait d’être à la hauteur, au moins le temps de ces dernières paroles. Il ravala la boule amère qui lui entravait la gorge, et se força à sourire.

-« C’est moi qui offre, alors… Le patron fera sortir ses meilleurs tonneaux, je t’assure. Et puis je me débrouillerais pour t’avoir Rosie, ce soir. Tu sais qu’elle me demandait de tes nouvelles, l’autre fois… Je suis sûr qu’elle t’aime bien… »

Il continua ainsi sans discontinuer, à rassurer son ami, pendant plusieurs minutes, bien après que celui-ci ait rendu son dernier souffle, un sourire crispé aux lèvres. Les larmes commencèrent à couler sous son bandeau, roulant sans fin sur son visage torturé. Pendant qu’il parlait, il se rendait peu à peu compte de sa responsabilité dans la mort de son compagnon. C’est lui qui avait voulu aller au camp ennemi, lui qui avait proposé qu’il s’occupe de ces tentes. Et s’il avait choisi l’autre ? Est-ce qu’il serait mort à sa place ? Est-ce qu’ils seraient en train de rire de ces couards d’anges, prêt à rentrer boire ensemble ? Tant de questions auxquelles il n’aurait jamais de réponse. La chaleur quittait peu à peu le corps d’Indimae, et il continuait de parler, comme s’il ne s’était rien passé.

Finalement, prenant son courage à deux mains, Saël posa sa main sur l’épaule du lieutenant, et lui parla doucement.

-« C’est fini… Il s’en est allé… »

-« Je sais ! Je le sais parfaitement !! »

Eerah se débarassa de la main rassurante, et se leva d’un bond.

-« Trouve ce qu’ils cachaient ici, vite ! Je veux tout savoir ! Et balance leurs corps dans le feu. Récupère les armes et les vêtements d’abord. »

Cette façon d’inhumer les morts était particulièrement barbare, les envoyer sans rien dans les limbes était un manque de respect, d’autant plus lorsque c’était par crémation. Mais Eerah méprisait les cadavres qui étaient dehors, il méprisait la vie qu’ils avaient vécu, ce qu’ils avaient fait à son ami. Il les méprisait, eux, leurs familles, leur peuple. Aucun de ces déchets ne méritait de vivre, aucun ne méritait de rester en paix. La bouche pincée, mais compréhensif, Saël s’exécuta. Pendant ce temps, Eerah sortit le corps d’Indimae, et arracha un pan de la tente pour confectionner un linceul. Il devait être enterré selon les rites de la garde d’Avalon, parmi ses frères d’arme.

Lorsque le corps de l’archer fut à l’abri des intempéries. Eerah se dirigea vers la tente principale. Saël terminait de bruler les corps, et il le rejoint rapidement à l’intérieur. Le lieutenant ne se tourna même pas vers lui, et lança :

-« Je veux que tu récupère tous les papiers qui sont ici. Livres, parchemins, tout. Met les dans un sac, et emporte tout à la tour de garde Ouest. Tout ce qui te semblera important. Dépêche-toi, nous partons dans deux minutes. »

-« Oui, lieutenant. »

Seul un fou aurait contesté ses ordres en cet instant, et Saël n’était pas fou. Il s’exécuta sans demander son reste, et attrapa un grand sac en toile qui trainait dans un coin de la pièce, avant d’y entasser sans distinction ce qui pouvait contenir de l’information. Les cartes, les rapports, messages, livres, tout disparaissait dans le grand sac. Lorsqu’il eut finit, il retrouva Eerah dehors, immobile devant le feu, un filet de larmes coulant encore sur ses joues. Quand il s’aperçut de la présence du déchu blond, il essuya son visage d’un revers de manche, et alla chercher le corps d’Indimae. Sans un mot, il s’élança dans les airs, en direction du quartier général. Saël le suivit, et après deux kilomètres, ils se séparèrent, l’un filant vers le centre de la ville, l’autre vers la tour Ouest. Il ne le savait pas, mais Eerah était voué à ne plus jamais retrouver l’observateur de sa vie. Il n’y eut ni adieu, ni dernières paroles. Seul Saël suivit le Lieutenant du regard, un regard mêlé de peur et de respect. Ce n’était pas le genre d’homme qu’il était près d’oublier.

Eerah volait laborieusement, la fatigue et le poids du corps dans ses bras entravant largement les mouvements de ses ailes. Le voyage fut bien plus long qu’à l’allez, et lorsqu’il arriva près du quartier général, la deuxième moitié de la nuit était déjà bien entamée. Il atterrit dans la cour, haletant, transpirant, complètement épuisé. Rapidement, l’alerte fut donnée, et quelques minutes plus tard, on venait lui porter secours. Personne ne vint lui demander d’explication sur ce qui s’était passé exactement, tout le monde savait que c’était le rôle des gens qui s’occupaient des débriefings de mission, et que poser la question directement à Eerah n’apporterait qu’un regard noir. Le corps d’Indimae fut alors pris en charge, et on organisa au plus vite des obsèques convenables. Comme tous les autres gardes tombés au combat, il fut inhumé dans les catacombes qui passaient sous le quartier général.

Comme de coutume, on organisa une cérémonie en son honneur. Les quelques gardes qui dormaient au quartier général furent réveillés, et tous enfilèrent leur tenue d’apparat. Eerah, lui, ne bougea pas d’un cil pendant que tout le monde se préparait. Il restait immobile, assis sur une des marches qui menaient aux catacombes. C’était censé être une mission banale, sans souci. Mais il avait voulu en faire plus, toujours plus. Il devait savoir. Et il avait fini par obtenir ce qu’il voulait, mais à quel prix ? Cela n’aurait jamais dû finir de la sorte. Saël avait raison. Bien sûr, qu’il avait raison, il aurait dû se contenter de la mission qui lui avait été confiée. Combien d’homme allait-il faire tuer de la sorte ? Pendant qu’il se morfondait, se lamentait sur lui-même, le reste de la garde s’activait, posant de temps à autre un regard inquiet sur le lieutenant Scaldes. Chacun savait les ravages que pouvaient causer la perte d’un ami, et nul n’osait le moindre commentaire. Mais lorsque la cérémonie fut prête, un capitaine, du nom d’Arthur Linaë, vint le voir, pour le prévenir.

-« Nous allons commencer, lieutenant Scaldes. »

Doucement, presque avec précaution, Eerah décroisa ses doigts, et éloigna ses mains de son menton. L’heure était venue. Il avait espéré, vainement, qu’un miracle viendrais relever son ami d’entre les morts. Après la cérémonie qui allait suivre, son corps serait enterré sous terre et roche, et il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Le capitaine l’attendait patiemment, comprenant parfaitement les sentiments du Déchu. Lui et le lieutenant Scaldes se connaissaient depuis qu’il avait rejoint les rangs de la garde, il avait appuyé son changement de statut en tant que nécessaire, et c’était grâce à lui que l’aveugle était aujourd’hui Lieutenant. Par extension, c’était également un proche d’Indimae, et si leurs relations n’avaient jamais été plus loin que leur lien hiérarchique, il éprouvait tout de même un grand respect pour l’archer. Sa mort était également éprouvante pour lui, mais plusieurs siècles de morts et de guerre avaient eu raison de son côté sentimental.

-« Vous croyez que c’est de ma faute, capitaine ? »

La réponse fut sans appel, dure, directe.

-« Non. Et même si c’était le cas, ce n’est ni le moment, ni le lieu pour en discuter. Vous êtes prêt ? »

Eerah se releva, et se retourna vers son supérieur. Ses vêtements étaient crasseux de sang, de poussière, de sueur, mêlés en un remugle infâme qui n’annonçait pas des jours heureux pour sa chemise de lin. Et pourtant, il n’aurait voulu troquer sa tenue contre un costume d’apparat pour rien au monde. Indimae et lui s’étaient toujours battu ensemble tels qu’ils étaient, et jamais dans un uniforme. Ce n’était pas le jour de sa mort qu’il allait faire exception à la règle.

-« … Oui, capitaine. »

D’une même démarche, ils descendirent alors le long escalier jusqu’aux catacombes. Eerah avançait sans même tâter les murs ; ce n’était malheureusement pas la première fois qu’il venait dans cet endroit lugubre. Il savait très bien ce qui se trouvait une vingtaine de mètres plus bas. Ils allaient déboucher dans une grande salle circulaire, sur les murs de laquelle s’ouvraient une demi-douzaine de chemin, chaque chemin serpentant entre les tombes et les murs garnis de crânes et d’ossements humain. Les deux passages centraux, eux, menaient entre autre à la grande salle. Dans cette pièce, les tombeaux étaient plus espacés, et agrémentés la plupart du temps d’une inscription en honneur de celui qui l’occupait.

C’était là-bas que l’on emmenait Indimae. Il avait voué sa vie à la Cause, et ses faits d’armes étaient bien trop nombreux pour que quelqu’un parvienne à les tous les raconter. En « récompense », l’état-major lui avait prévu un enterrement en grande pompe. C’était surtout pour eux un moyen de redonner courage aux troupes, pour leur montrer qu’à force d’effort pour servir la Cause, ils finiraient par bénéficier d’une mort glorieuse. C’était une logique qui trouvait bien des adeptes parmi les Déchus, l’appel de la gloire étant l’une des plus grandes motivations, avec les femmes et l’éternelle quête de puissance.

Lorsqu’ils atteignirent enfin la dernière salle, personne ne les avait précédés, et ils étaient seuls q attendre le reste du convoi funéraire. Le capitaine Linäe alla se placer au centre de la pièce, face au mur du fond, et croisa les mains dans son dos. Eerah n’avait pas sa patience. Distraitement, et pour essayer de penser à autre chose, il alla poser le bout des doigts sur les gravures murales. Il voyait se matérialiser dans son esprit des images de batailles, qui se traçaient au fur et à mesure que ses mains passaient sur la roche. Les représentations épiques des combats entre Anges et Déchus, l’évolution de l’histoire de son peuple, quelques allégories des grandes catastrophes naturelles. Le tout était représenté avec style et imagination, et nul doute que la gravure devait être plus agréable à voir qu’à toucher.

Il n’avait couvert qu’une petite partie des bas-reliefs, quand les premiers hommes arrivèrent dans la salle, bientôt suivis par le brancard sur lequel reposait le cadavre d’Indimae, maintenant enrobé d’un voile gris, exempt de toute trace de sang. Lorsqu’il sentit l’odeur du corps froid de son ami, Eerah se crispa, et sans conviction, se rapprocha du capitaine. On allait surement l’inviter à parler, et si l’exercice ne lui plaisait pas plus que ça, il n’avait pas l’intention de se défiler.


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Eerah
Sam 27 Juil 2013, 00:48

Ça commençait. Indimae était allongé, paisible, sur une table de pierre. De chaque côté se tenaient deux gardes d’Avalon, en tenue de circonstance. Le reste des convives étaient disposés en arc-de-cercle, avec en leur centre le capitaine Linäe et Eerah. Doucement, la cérémonie commença. Les compagnons et connaissances de l’archer vinrent prononcer quelques mots, tour à tour. La plupart du temps, on pouvait les résumer de la même façon. Indimae avait été, tout au long de sa longue vie, intègre et respecté. Les plus jeunes voyaient en lui un modèle de force et de vertu. Ceux de son âge le considéraient comme un ami indéfectible. Bien sûr, comme à chaque enterrement, tous oubliaient bien vite les différents qu’ils avaient eus avec le défunt. Non, Indimae n’était pas quelqu’un de mauvais. Mais il n’avait pas eu que des bons côtés. Personne n’aurait pu en vouloir à toutes ces personnes de vouloir l’ériger en modèle. Les nouvelles recrues avaient besoin d’une légende à imiter, les anciens d’un mythe à défendre.

Les têtes s’inclinaient, les poings se serraient, et les paupières se fermaient à chaque discours. Un premier passa, puis deux, puis dix, puis vingt. Eerah entendait toujours les mêmes choses, prononcées d’une manière différente. Il n’était même pas sûr de pouvoir être original pour son ami. Et il n’était même pas sûr qu’Indimae ait voulu une telle cérémonie. Ils n’avaient jamais évoqué l’éventualité qu’un jour l’un d’eux trépasse. Et c’était finalement arrivé. Il ne s’y était pas préparé. Son tour approchait à grands pas, au fur et à mesure que les soldats passaient, et retournaient à leur place. Puis finalement, ce fut le moment pour le capitaine d’aller parler.

-« Le soldat Indimae est entré dans la garde d’Avalon il y a de cela plusieurs siècles. À cette époque, les rois, les mœurs et les chansons étaient différentes. Pendant toutes ces années, le monde n’eut de cesse de changer. Notre façon de nous battre, notre façon d’appréhender la défaite, et la victoire. Nous avons connu des guerres, des batailles, des banquets, et des veilles funéraires, telles que celle-ci. Mais Indimae, lui, n’a pas changé. Il n’a jamais rompu ses promesses, n’a jamais enfreint ses propres règles. C’était un homme de principe, un homme solide. Et il nous manquera. Il me manquera. »

Et voilà. Il en avait terminé. Une seule personne n’avait pas parlé, et elle n’était pas sûre de pouvoir dire quelque chose. Eerah s’avança, d’une démarche hésitante. Dans son dos, plusieurs hommes échangeaient des regards, des murmures. L’aveugle était connu, surtout pour son handicap, et également parfois pour ses faits d’armes. Parmi ces personnes, certaines étaient ses amis, quelques-unes avaient partagé des soirées avec Indimae et lui. Certaines personnes qui attendaient de lui un discours fort et puissant. En arrivant au corps, il posa la main sur la poitrine de son ami, comme s’il attendait de lui un dernier conseil, sur la meilleure façon de faire son éloge. Il prit quelques secondes, inspira légèrement, et pivota vers les soldats. Pour une fois, il était content de ne pas pouvoir voir les regards qui pesaient sur lui, de peur d’y voir de la déception, ou du mépris. Et il commença.

-« Il ne m’est jamais venu à l’esprit, tout au long de ma vie, qu’Indi descende ici avant moi. Pendant plus de cinquante années, j’ai vécu, combattu, ri à ses côtés. Nous avons bu les mêmes bières, frappé les mêmes hommes, et parfois même courtisé les mêmes femmes. Depuis mes débuts, il m’a toujours conseillé, pendant que j’étais sous ses ordres, avant qu’il ne soit sous les miens. Aujourd’hui, pour la première fois depuis un demi-siècle, je ne sais pas quoi dire. L’avenir me parait sombre sans sa voix pour me guider, et sa présence à mes côtés. Indi… Indi ne sera pas mort en vain. Il n’aura pas vécu en vain. J’ai perdu un ami, un frère aujourd’hui. Mais la partie n’est pas finie. La chasse continue, et je traquerais les proies pour nous deux. Adieu, mon ami. Garde moi une place à ta table, on se revoit bientôt. »

Ce n’était pas un discours extraordinaire, ni un éloge hors du commun. Mais quelque part, dans les limbes, un sourire fin se dessinait sur le visage d’Indimae.

C’était terminé. On avait descendu le corps dans le tombeau qui lui était réservé, et une grande plaque de pierre était venue sceller le tout. Plus tard, une paire d’artisans viendraient y graver quelques mots en l’honneur de l’archer. Cette dernière étape avait été rythmée par les chants gutturaux de la garde, tristes et mélancoliques à souhait. Tout le monde avait participé, Eerah et le capitaine également, formant un cœur unique, résonnant dans toutes les catacombes. La langue qu’ils employaient et la signification des paroles n’était connu que par une dizaine d’homme tout au plus au sein de la garde, mais chacun s’appliquait à la réciter entièrement, c’était ce que voulait la coutume, en cas de décès. Le chant s’était terminé sur une note longue, et basse, ponctuée par le bruit du caveau qui s’était refermé, à jamais. Sans un bruit, tout le monde quitta peu à peu les lieux. Le capitaine Linäe donna les ordres pour que les torches soient éteintes, et s’attarda un peu, aux côtés d’Eerah. Celui-ci se tenait devant la tombe, formant des mots muets sur ses lèvres, discutant une dernière fois avec son ami. Enfin, il se tut, et s’écarta, avant de marcher vers l’escalier. Le capitaine en fit autant, et ils montèrent les marches en silence, un silence lourd, étouffant. Lorsqu’ils sortirent enfin à l’air libre, les deux Déchus prirent une grande inspiration, pour chasser de leur poumon l’atmosphère poussiéreuse des catacombes. Avant même que l’aveugle n’ai eu le temps d’ouvrir la bouche, Linäe le prit de court, en le congédiant.

-« Rentrez chez vous, ce soir. La mission est terminée. Nous nous verrons demain pour le débriefing. »

Eerah, pendant un instant, ne répondit rien. Il ne voulait pas rentrer chez lui, pas plus qu’il ne voulait dormir. La seule chose qu’il voulait faire, c’était sortir, et traquer chaque homme, chaque femme et chaque enfant qui oserait se nommer « Ange » avec fierté. Sans se démonter, il répondit au capitaine par une autre question.

-« Les renseignements du camp Ange ont-ils pu être analysés ? »

Linäe le considéra un instant. Il cherchait un quelconque signe dans le visage de l’aveugle qui pourrait l’aider à répondre. Après quelques secondes, il soupira.

-« Est-ce pour Indimae que vous posez cette question ? … Ou pour vous ? »

La réponse prit de court le lieutenant. Il entrouvrit la bouche, chercha ses mots, puis, de dépit, serra les dents, et prit son envol. Il devait savoir. Oui, bien sûr, pour Indimae, pour être sûr qu’il n’était pas mort en vain. Et également pour lui. Cette prise de conscience lui laissait un gout amer en bouche. Même après l’enterrement d’une personne qui lui était cher, même après avoir eu la preuve que la vie ne tenait qu’à un fil, il n’arrivait pas à s’en empêcher.  Il devait posséder la connaissance, posséder le savoir. En passant la porte de l’auberge, il savait que le sommeil ne viendrait pas. La nuit allait être peuplée de questions sans réponses, de suppositions, et de théories sans fondement.

Et il ne se trompait pas. Chaque seconde était une minute, chaque minute une heure, pendant laquelle Eerah tournait, réfléchissait dans son lit. Quand les premiers rayons du soleil pointèrent, il partit sans attendre pour la grande bibliothèque d’Avalon. Il avait besoin de se changer les idées. Cela faisait des années qu’il avait lu et relu les quelques ouvrages en braille conservés dans l’édifice. Depuis tout ce temps, le lieutenant avait dû s’adapter, et engageait régulièrement un jeune scribe pour lui lire les livres qui l’intéressait. Bien sûr, il lui aurait fallu quelques millénaires supplémentaire pour pouvoir écouter chaque écrit contenu dans la bibliothèque, et Eerah compensait se manque en considérant  qu’il finirait un jour par connaitre leur contenu.

En arrivant, il alla directement à l’accueil. En général, il y avait toujours quelqu’un à disposition, mais il était tôt, et il n’avait pas envie de connaitre la frustration d’arriver et de devoir repartir sans avoir rien appris. Avant même qu’il ne soit arrivé au comptoir, le responsable l’interpellait.

-« Monsieur Scaldes ! Vous êtes matinal aujourd’hui ! Je vais appeler Tim, il sera content de lire pour vous. »

-« Merci, Eleus. Dites-lui de me retrouver près du secteur « Mythes et Légendes ». »

-« Très bien, Monsieur. »

La bibliothèque était gigantesque, et même si Eerah en connaissait désormais les moindres recoins, atteindre l’allée qui l’intéressait lui pris un certain temps. Pendant plusieurs minutes, il marcha entre les étagères avançant au gré des odeurs et des sons qui le guidaient. L’odeur du papier, de l’encre et du cuir emplissait l’air, se mêlant parfois aux fragrances de bois ciré et de poussière. Il entendait au loin des plumes qui s’affolaient sur des morceaux de parchemin, le doux son des pages qui se tournaient, le bruit des livres replacés dans leur étagères. C’était un concert de sensations agréables qui le détournèrent pendant quelques instants de ses pensées macabres ; de la réalité de son monde. Finalement, il arriva près du secteur « Mythes et Légendes ». C’était ici que la plupart des récits et des écrits prophétiques étaient conservés, et ici qu’il allait essayer de trouver une solution à son problème. Peu après son arrivée, il fut rejoint par un jeune déchu, à l’allure d’enfant. Tim avait en réalité dépassé la centaine d’année, mais il avait toujours décidé de conserver une apparence juvénile, surement par nostalgie de sa vie précédente. Comme d’habitude, il voletait à la manière d’un cupidon, et vint se poser près d’Eerah, avant de laisser tinter sa voix cristalline.

-« Monsieur Scaldes, c’est un plaisir de vous revoir. La garde se porte bien, ces temps-ci ? »

Eludant rapidement la question, Eerah se contenta d’un sourire triste, et répondit simplement :

-« Elle a connu des jours meilleurs, Tim. Tu voudrais bien essayer de me trouver un ouvrage, aujourd’hui ? »

-« Bien entendu, monsieur, que cherchez-vous ? »

-« Il y a-t-il des livres sur le savoir absolu, ou l’omniscience, d’une manière générale ? »

-« Mmh… Je vais consulter le registre. »

Habitué au temps que mettait la recherche dans leurs fameux registres, le Déchu alla s’asseoir sur un des bancs disposé au centre des allées, et passa distraitement sa main sur les tranches de livres qui dépassaient. Certains étaient neufs, et les dorures se sentaient encore au toucher, d’autre étaient plus vieux que lui, et des milliers de main passés sur le cuir de leurs couvertures les avaient lissées comme du verre. Là où le cuir portait encore la marque du tanneur, l’odeur était parfaite, musquée et puissante. Simplement pour le plaisir, il en prit un au hasard, et joua avec les pages, comme il le faisait, avant de perdre la vue. Au bout d’une dizaine de minutes, Tim revint voleter légèrement autour de lui, un bout de parchemin entre les mains.

-« Alors. J’ai réalisé une petite liste des volumes qui pourraient correspondre à votre demande. »

Il s’éclaircit la gorge, avant de commencer.

-« Nous avons : ‘Savoir et Connaissance’, d’Erine Dirtch ; ‘Aetheris, de l’amour au savoir’, de Théophile Essilius ; il a également écrit ‘Devenir dieu, mode d’emploi’, et ‘L’Omniscience pour les nuls’. Côté littérature étrangère, nous avons la série d’écrit scientifiques de Freund Nich, de ‘Savoir, tome I’ à ‘Savoir, tome XI’. Il existe également, dans le livre ‘Mythes des Terres du Yin et du Yang’, d’Emilie Sciang, un chapitre entier sur la quête du savoir. J’ai également réussi à dénicher… »

-« Celui-ci. Excuse-moi de t’interrompre, je souhaiterais que tu me lises le dernier, si tu veux bien. »

-« Pas de problème ! Alors… Emilie Sciang, étagère 62-B, rayon E… »

Dans un petit bruissement de plumes, il partit chercher le livre parmi tous les autres. Il ne revint qu’au bout de plusieurs minutes, l’ouvrage à la main. Pour plus de convenance, les deux Déchus partirent vers un petit salon, doté d’une table, et de deux canapés. Ils s’assirent confortement, et Tim prit une profonde inspiration.

-« Alors… »


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Sam 27 Juil 2013, 22:57

Pendant près de six heures, Tim fit une lecture fidèle du chapitre qui intéressait Eerah. En quelque sorte, l’auteur du livre y avait fait une liste exhaustive des différentes légendes qui peuplaient les Terres du Yin et du Yang, en les nommant, décrivant ce qu’elles racontaient, et en essayant de faire un lien avec des faits qui avaient été réellement observés. Ainsi, on pouvait par exemple entendre l’histoire de la bague du savoir, censée donner une réponse à n’importe laquelle des questions, mais dont l’existence avait sérieusement été remise en cause par les études d’un magicien expert dans ce domaine. D’autres mythes, moins ambitieux, narraient les aventures d’une troupe d’aventuriers ayant rencontré un dragon se targuant de tout savoir. Cependant, même si ce fait se révélait avéré, Eerah ne voulait pas rencontrer quelqu’un – et encore moins un dragon – qui ait une réponse à tout, il voulait tout ce savoir pour lui.

Ainsi, à chaque fois que Tim lui parlait d’un objet ou d’un endroit qui était supposé confier la connaissance absolue, son cœur se mettait à battre plus vite, jusqu’à ce qu’il termine par expliquer qu’il n’y avait aucune chance que cela soit vrai. Ils passèrent ainsi sur les bibliothèques enfouies, perdues dans des dimensions parallèles, les contacts divins et autres pratiques religieuses et les objets magiques d’une puissance incommensurable, parfois aux mains de rois, parfois perdus depuis des temps immémoriaux. Chaque histoire, même partielle, portait souvent un fond de vérité, qui ne se situait jamais dans la partie qui intéressait Eerah. Parfois, on parlait d’un oracle omniscient, qui se rapportait plus vraisemblablement à une personne effectivement très érudite, mais loin du niveau que le Déchu exigeait. Les mythes se propageaient bien souvent par le biais des tavernes, endroits propices aux exagérations et aux hyperboles, et c’était de là qu’ils tenaient leur côté absolu. Tel homme pouvait ainsi se transformer en dieu, tel objet en relique surpuissante.

Tim ne s’arrêtait presque jamais de lire, hormis pour discuter d’un point avec Eerah ou bien pour boire un peu. Lui et le lieutenant se connaissait depuis que le jeune avait été Déchu. Ce n’était pas toujours lui qui faisait la lecture à l’aveugle, mais celui-ci appréciait lorsque c’était le cas. Il avait un timbre de voix agréable, et de toute évidence, savait faire la lecture. Ils n’en avaient jamais discuté, mais Eerah était persuadé que cela avait à voir avec sa vie antérieure. Tim ne bégayait jamais, ne butait sur aucun mot, marquait les ponctuations à la perfection, et avait l’art de rendre un dialogue vivant, en jouant sur les intonations. Bien entendu, et même si le service offert par la bibliothèque était gratuit, le lieutenant ne manquait jamais de remercier le jeune garçon, oralement, et financièrement, parfois à son insu. Tim, étonnamment, était un modèle de vertu. Personne n’avait jamais compris comment il avait pu être un jour déchu.

Et c’était ainsi, au fil des chapitres, des paragraphes et des phrases alambiquées, qu’ils avaient finalement fini par trouver une histoire digne d’intérêt. Il s’agissait de la légende d’un homme, un ermite que l’on localisait approximativement dans les régions qui bordaient les montagnes, qui était censé posséder la solution pour obtenir le savoir absolu. D’après l’auteur du livre, les témoignages qui s’y rapportaient étaient pour la plupart assez fiables, et jusqu’ici, rien n’était venu mettre à mal la légende. Les chances pour qu’elle soit vraie, au moins sur l’existence d’un homme détenant une solution, étaient relativement fortes.

Finalement, durant la dernière heure, Eerah s’appliqua à retenir tous les renseignements qu’énonçait Tim, le faisant parfois répéter, pour s’imprégner entièrement du Mythe. Il aurait préféré avoir un papier sur lequel écrire tout ça, mais faire imprimer du braille était long, et couteux. Une fois certain d’avoir bien retenu tout ce qui l’intéressait, il remerçia chaudement le jeune garçon, et tandis qu’ils retournaient tous deux à l’entrée de la bibliothèque, il fit glisser une bourse de pièces d’or dans sa sacoche. Une fois de plus, Tim avait été plus qu’utile.

La sortie d’un havre de paix comme la bibliothèque, pour retrouver l’odeur rance de la rue, laissa un goût amer dans la bouche du Déchu. Cela se produisait à chaque fois qu’il sortait du bâtiment majestueux, et il n’arrivait toujours pas à s’y faire. Pendant un temps, il avait réellement envisagé d’y trouver un travail, et ainsi d’y loger, mais le manque d’action l’avait poussé à y renoncer. Eerah avait besoin de se sentir en vie, et malheureusement, la vie dans un lieu tel que la grande bibliothèque tournait très rapidement à la routine. Il se contentait donc d’y venir très régulièrement, et profitait de chaque minute qui passait lorsqu’il s’y trouvait, ce qui ne l’empêchait pas de ressentir un sentiment de manque à chaque fois qu’il pensait à ce lieu de savoir.

La journée était désormais bien entamée, et il lui fallait encore se rendre au quartier général, pour le débriefing de la dernière mission. Il en soupira de lassitude. À peine avait-il réussi à se sortir ces évènements de la tête qu’il devait replonger dans l’horreur. Il allait devoir expliquer pourquoi son ami était mort par sa faute, pourquoi il s’était entêté, pourquoi tant d’atrocités avaient été commises au nom de la Cause. Ce fut dans cet état d’esprit sinistre qu’il vola jusqu’au bâtiment central de la Garde. Une chaleur écrasante régnait sur la ville, et comparée à la saine fraicheur qui régnait dans les allées peuplées de livres, elle avait des airs de canicule. Ses vêtements et ses plumes noires n’étaient pas là pour aider, et il fut bientôt encerclé par l’odeur de sa propre transpiration. Pour chasser ces effluves désagréables, il se força à effectuer une série de piqués et de virages à haute vitesse. Le vent rendait l’atmosphère plus facile à supporter, et il arriva rapidement jusqu’à son objectif.

La cour était dégagée, la plupart des hommes en service était en mission ou bien à l’ombre des grands bâtiments en pierre. Eerah atterrit sur le sol en soulevant un grand nuage de poussière. Sans s’attarder sous le soleil de plomb, il marcha vers la porte du quartier général, et entra dans l’air frais qui y régnait. Une paire de gardes était postée derrière la porte, et le saluèrent brièvement lorsqu’il entra. Pour un peu, on aurait eu l’impression qu’il ne s’était rien passé le soir précédent. Tout le monde agissait comme d’ordinaire, sans même froncer les sourcils ou se perdre dans de vieux souvenirs. Chaque mort était-il à ce point éphémère ? Indimae était pourtant aimé de tout le monde, ou du moins, il n’avait pas d’ennemi. Que se passait-il pour les jeunes recrues ? Y avait-il au moins quelqu’un pour rapporter leur mort ? Un tas de questions morbides trainaient dans la tête de l’aveugle, avant qu’il ne rejoigne le capitaine Linäe.

Il n’avait pas la moindre envie d’aller le voir. Arthur Linäe avait toujours été pour lui un modèle à suivre, l’exemple type de ce qu’il voulait devenir, un homme droit et respecté. Et on lui demandait maintenant d’aller avouer ses torts, devant la personne même qu’il voulait impressionner. Il y avait de quoi tomber en dépression. Mais sa décision était prise depuis longtemps, et dès qu’il avait trouvé Indimae, allongé dans son propre sang, il s’était juré de prendre toute la responsabilité de ses actes.

Chaque pas le rapprochait du bureau du Capitaine, et de longues heures de culpabilité. Lorsqu’il arriva devant la grande porte en chêne qui portait le nom de son supérieur, il prit une profonde inspiration, et actionna la poignée. Derrière s’ouvrait une petite pièce, éclairée par une unique fenêtre. On avait disposé en son centre un bureau, et un siège confortable de chaque côté. Chacun des fauteuils était à la même taille, et le capitaine était assis, parcourant des yeux une liasse de documents. Il leva la tête à l’entrée d’Eerah, et se leva pour l’accueilir.

-« Asseyez-vous, Lieutenant. Nous avons à parler. »

L’entrée en matière n’était pas des plus rassurantes, mais de toute évidence, le capitaine faisait son possible pour ne pas inquiéter outre mesure le Déchu aveugle. Tandis que le Lieutenant prenait place, sans un mot, son supérieur prit soin de sortir deux verres, et une bouteille de spiritueux. Ils avaient tous deux dépassé le stade des réunions strictes depuis longtemps, et Eerah n’était pas une nouvelle recrue qu’il fallait mater. Il remplit d’une main assurée les deux coupes, y ajouta quelques glaçons, et en fit glisser une vers son invité. Ils trinquèrent à la santé d’Indimae, et pendant plusieurs secondes, la pièce ne résonna qu’au son des tintements du verre. Chacun faisait remuer son breuvage, comme s’il était à même de lui fournir la meilleure façon de commencer le débriefing. Finalement, ce fut le Capitaine Linäe qui parla en premier.

-« Bon. Vous savez pourquoi vous êtes ici. Sachez avant toute chose que les documents ramenés par le soldat Saël ont été récupérés et analysés. »

Eerah se redressa, soudain bien plus intéressé. Sa bouche s’entrouvrit pour poser la question fatidique, mais son interlocuteur le pris de court.

-« De ce que nous avons eu le temps de traiter, il s’agissait d’un plan de tunnel. Visiblement, nos ennemis avaient pour but de préparer une voie d’entrée royale pour la capitale. En somme, vous avez bien fait d’aller les attraper avant qu’ils n’apprennent la mort de leur messager. Ce matin, une de nos équipe est allée vérifier les coordonnées notées sur leurs plans, et a comblé le terrier qu’ils étaient en train de creuser. Nous allons renforcer les surveillances de ce côté de la ville. »

L’effort que produisit l’aveugle pour ne pas soupirer de soulagement et de satisfaction était surhumain. Linäe le connaissait un peu, et il le regarda avec un fin sourire, sans rien dire. Au bout d’une dizaine de seconde, Eerah finit par répondre, avec un timbre de voix légèrement vibrant :

-« Bien. Bien, bien, tant mieux. Indi ne sera pas mort en vain. »

Il faisait encore une fois preuve d’hypocrisie, mais avouer ses fautes devant son capitaine n’était vraiment pas pour lui plaire. Celui-ci en avait parfaitement conscience, et bien qu’il affichât désormais un visage bien moins avenant, il ne fit aucun commentaire. La suite de la réunion n’était de toute façon pas pour plaire au lieutenant.

-«  Maintenant, dites-moi exactement ce qu’il s’est passé là-bas. »

Et un long récit commença. Il lui raconta chaque évènement survenu entre son départ de la taverne et son arrivée au quartier général, avec Indimae dans les bras. Chaque phrase et chaque geste qu’il avait entendu, dit ou réalisé, était compris dans son récit. Sans se départir de son ton neutre et étale, il expliqua de quellmanière il avait mutilé le messager, comment il avait ordonnée à son archer de le torturer, ce qu’il avait eu le temps d’entendre avant de le tuer. Il narra les évenements qui avaient suivi, avec la contestation de Saël et les conseils d’Indimae. Puis suivit le résumé de leur attaque, l’emplacement et la manière dont était mort chaque membre du campement. Il ne sourcilla pas en expliquant pourquoi son ami avait été poignardé, en soutenant le regard du capitaine du début à la fin. Enfin, et toujours sans paraître le moins gêné du monde, il raconta la manière avec laquelle il avait traité Saël après la mort de l’archer.

Lorsqu’il eut finit, un long silence plana, tandis que le capitaine notait quelques mots dans un rapport, vérifiais des données un peu plus loin, effaçait certaines parties. Eerah ne pouvais que l'écouter, et attendre. Enfin, au bout d’une demi-douzaine de minutes, il reporta son regard sur le lieutenant, et croisa les doigts.

-« Je vais aller droit au but, Eerah. »

Peu importe ce qui allait suivre, cela s’annonçait mal. En un demi-siècle, il ne l’avait jamais appelé par son prénom.


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Dim 28 Juil 2013, 21:48

La pression venait de monter d’un cran dans la salle. D’aucun auraient dit qu’il s’était engagé une confrontation de regards entre les deux hommes. D’un ton tendu, le capitaine Linäe poursuivit la conversation.

-« Après que Saël soit rentré, il a fait à l’état-major un rapport acerbe sur la mission d’hier soir. D’après lui, tu aurais fait preuve de cruauté gratuite, avant d’outrepasser tes prérogatives en modifiant l’objectif principal de la mission. Certaines personnes au-dessus de moi ont eu vent de ces évènements, et ils souhaitent que tu sois mis à pied. »

L’annonce fit l’effet d’une bombe à Eerah. Il demeura bouche bée, la main sur son verre, les phalanges blanchies par la pression. Hésitant, il demanda :

-« Pour… Pour combien de temps ? »

Linäe soupira, et lâcha, avec l’air las :

-« Pour une durée indéterminée. Je n’appuie pas cette décision. Mais je n’ai pas le choix. »

Le monde du lieutenant s’effondrait. Il avait perdu son ami, et il perdait maintenant son travail, sa seule raison de ne pas sombrer. Tout ça à cause de ce gamin de Saël. Un pleutre sans honneur incapable de reconnaitre la valeur d’une décision dure à prendre. Une colère sourde commençait à s’emparer de l’aveugle. Il gronda, les dents serrées.

-« Vous savez, je suppose, que sans mon intervention, leur camp aurait certainement bougé, et que ces… Ces cloportes seraient encore en train de creuser sous nos murailles ? »

-« Je le sais parfaitement, Eerah. Et vous devriez en être fier. Mais les ordres sont les ordres. On ne veut pas prendre le risque de perdre d’autres éléments comme Indimae. »

Le Déchu se leva en repoussant sa chaise. Sous les yeux impuissants du Capitaine, il commença à faire les cent pas dans la pièce, comme un lion en cage. « Les ordres sont les ordres ». Lui qui quelques heures auparavant aurait trouvé ce commandement parfaitement logique, il en pensait tout autre chose maintenant. C’était une phrase digne d’une indicible stupidité, voilà tout. Et comment aurait-il pu être fier d’avoir conduit son ami à la mort ? Maintenant qu’il était rentré, au lieu de compatir à son chagrin, on le portait en bourreau, en fou furieux incapable de commander. Petit à petit, il se sentait engourdi par la lassitude et la tristesse.

Finalement, tout ça n’avait servi à rien. On ne se souviendrait ni d’Indimae, ni de lui, alors qu’ils avaient vraisemblablement sauvé Avalon d’une invasion. Pire, même, on les considérerait maintenant comme des incapables, comme de stupides nouvelles recrues. Saël avait fait de lui et de son ami des incompétents indigne de confiance. Mieux vaudrait pour lui ne jamais recroiser la route de l’aveugle. Comme pour mettre fin à son calvaire, le Capitaine reprit la parole, plus doucement.

-« Nous pouvons nous arranger pour vous faire partir discrètement. Personne ne saura jamais ce qui s’est produit, on pensera que vous avez quitté la Garde en hommage à Indimae. »

-« En hommage ? Un acte de lâcheté, oui. Mais faites donc ce que vous voulez, plus rien ne compte désormais. Vous ne m’aurez plus dans les pattes. »

Linäe soupira de plus belle, et se leva, pour venir se placer face à l’aveugle.

-« Eerah. Je vous ai toujours respecté, comme soldat, comme chef, et comme Déchu. Ne commettez pas l’erreur de croire que je suis votre ennemi. »

L’ex-lieutenant s’arrêta net. La déclaration de son supérieur l’avait pris de court. Non, Arthur Linäe avait toujours été de son côté, c’était un fait. La seule personne qui méritait son courroux, c’était le Déchu blond qui l’avait descendu devant l’état-major. Lui, et ces planqués de l’administration. Chacun d’eux aurait pu mourir des centaines de fois s’il n’avait pas été là, avec son équipe. Aucun d’entre eux ne comprenait rien à l’art de la guerre.

-« Pardonnez-moi, capitaine. »

-« Je ne suis plus votre capitaine, désormais. Appelez-moi simplement Arthur. Je n’ai plus d’ordre à vous donner. »

Eerah se rendit enfin compte qu’ils étaient en train de se faire des adieux. Avec une boule dans la gorge, il serra la main du capitaine. Il venait de laisser derrière lui cinquante années de sa vie, et peu importe le temps qui lui restait à vivre, c’était difficile à accepter. Les jours à venir s’annonçaient vraiment sombres. Après quelques derniers mots, il fut finalement raccompagné à la porte par le capitaine. La lourde porte se referma sur son ancien mentor, et sur une partie de son existence.

Au sortir du quartier général de la Garde, Eerah avait l’impression que le monde s’effondrait autour de lui. Le ciel ne paraissait plus aussi bleu, et le palais d’Orae avait perdu ses reflets. L’air ne lui avait jamais semblé si étouffant, et il souffrait de chaque grain de poussière qui lui giflait la peau. Ses yeux étaient perdus dans le vide, sa démarche se faisait hésitante, approximative, et il ne prêtait même plus attention aux sons et aux odeurs qui l’entouraient. Les gardes qui le connaissaient le saluaient vainement, sans même qu’il ne les écoute. En cet instant, il n’était plus qu’une coquille vide, avançant sans but, tandis qu’en son esprit résonnait la même et unique question : Et maintenant ?

Qu’allait-il faire de sa vie, qu’allait-il faire demain ? Probablement aller à la bibliothèque. Et après ? Le surlendemain également, et certainement les jours suivants. Mais ses réserves d’or n’étaient pas inépuisables, loin de là. Le patron du « Corbeau Assoifé » avait été d’une grande aide pendant tout ce temps, mais si l’argent ne rentrait pas, il était comme tous les propriétaires, intraitable. Eerah était né pour la traque, l’idée de se reconvertir dans autre chose ne lui effleurait même pas l’esprit. Divaguant sans objectif, il dépassa l’auberge où il habitait, dépassa le quartier de la bibliothèque, trainant au hasard dans les rues les moins sûres d’Avalon, là où les Déchus se livraient aux péchés les moins avouables. Il passa devant les maisons de passe, les marchés clandestins, les salles de combats illégaux, sans jamais s’arrêter pour se rendre compte de là où ses pieds l’entrainaient.

Et s’il n’avait pas essayé de savoir ? S’il s’était contenté d’attraper le messager, et de le tuer ? Rien de tout cela ne serait arrivé. Indimae serait encore en vie, il aurait encore un travail, tout irais pour le mieux dans le meilleur des monde. S’il n’avait pas ce défaut, cette malédiction, sa vie serait parfaite. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. L’Envie était trop forte, il avait besoin de ce savoir, de cette sagesse. Sinon, à quoi bon ? Quel était le but d’une existence si elle ne menait pas finalement au dépassement de sa propre condition d’être humain ? Aucun. Il n’y avait aucun intérêt à vivre si à la fin de cette aventure, on n’obtient pas mieux que ce avec quoi on est parti. C’était du moins le point de vue d’Eerah, un point de vue qu’il avait essayé de cacher sous une couche de patriotisme et d’adrénaline, et qui remontait finalement à la surface. Chaque pas renforçait en lui cette idée, et ajoutait une pointe de détermination dans son regard.

Finalement, ce fut une bousculade qui le tira de sa rêverie. Un homme à l’haleine chargée d’odeurs de rhum et d’alcool divers venait de le percuter de plein fouet, et commençait déjà à lui hurler dessus. Sans se départir de son calme, Eerah le frappa puissamment au visage, avant de s’envoler vers le « Corbeau Assoifé ». Il avait à faire. Un avenir incertain se traçait enfin devant lui, et il avait l’intention de saisir sa chance. Si la Garde ne voulait plus de lui, tant pis. Il avait refoulé ses Envies bien trop longtemps, et c’était le moment de se mettre au travail. Une longue route l’attendait. Et cette route commençait par l’ermite dont parlait la légende. D’un coup d’aile puissant, il fila vers la taverne. Dès ce soir, il rassemblait ses quelques affaires, et il quittait la ville. Un sourire incontrôlable étira son visage. Peut-être que c’est ce qu’il attendait depuis tout ce temps après tout.

Une fois de plus, le soleil tombait sur Avalon, lorsqu’Eerah sortit de sa chambre. Cette fois cependant, il la laissait vide, et partait avec un sac en toile sur le dos. Rassembler la totalité de ses affaires n’avait pas été bien compliqué, puisqu’il ne possédait presque rien. Des vêtements de rechange, une deuxième épée et une deuxième dague, un nécessaire d’aiguisage,  un briquet et quelques feuilles de tabac à mâcher, une gourde et quelques autres outils insignifiants. Le tout flottait presque dans son sac de voyage, aussi, il entreprit de combler le vide avec des provisions pour la route, et un livre en braille qu’il avait à cœur, une ancienne bible Déchue, narrant l’histoire de son peuple. Il descendit l’escalier de l’auberge, et alla directement voir le patron, en fronçant les sourcils sous le vacarme ambiant. Il lui régla son loyer, et avant de lui serrer la main pour la dernière fois, lui acheta quelques portions de viande séchée. C’était un homme simple, qui avait toujours su l’aider en cas de coups durs. Une des rares personnes qu’il laissait derrière lui avec regret. Parmi ces élus, on trouvait également Tim, et une demi-douzaine de gardes d’Avalon. Il n’avait pas le temps d’aller tous les voir, et se contenta d’un saut à la bibliothèque pour acheter son livre. Malheureusement, Tim était rentré chez lui, et il ne put le voir avant de partir. Avec un sourire triste, Eerah fit écrire une note pour lui, où il le remerciait pour tout ce qu’il avait fait, en terminant par un énigmatique « A bientôt. ». Quelques minutes plus tard, il survolait les remparts de la ville, en direction des montagnes, et de l’homme qui détenait la réponse à ses questions.

Mué par l’excitation et le désir d’arriver au plus vite, il passa la nuit à voler, survolant telle une ombre les mers emboisées et les plaines silencieuses. La sensation était délicieuse. Pas de mission en tête, personne pour lui indiquer le chemin, juste lui, et le monde à ses pieds. Le vent sifflait à ses oreilles, et il retrouvait petit à petit l’odeur et le son des terres inhabitées par l’homme. Quand le jour pointa par-dessus les monts enneigés, il descendit jusqu’à la cime des arbres, lavant ses plumes dans la rosée matinale, avec le visage d’un enfant heureux de découvrir de nouvelles sensations. Il continua ainsi, volant au-dessus des bosquets et des clairières, jusqu’à ce que le soleil arrive à son zénith, et que son estomac se rappelle brusquement à son souvenir. Sans plus de cérémonie, il vint atterrir sur une petite colline, tira de son sac quelques morceaux de lard séché. D’après son horloge interne, il avait volé un peu plus de quinze heure d’affilée, et il le ressentait pleinement dans ses épaules. Tout en soufflant, il continua à mâchouiller ses bouts de viande.

Une fois son repas terminé, il se mit à arpenter le petit bois autour de lui, à la recherche d’une rivière. Le doux clapotis de l’eau finit par lui parvenir, et il se laissa guider par son ouïe. Au bout de quelques minutes, finalement, il arriva au bord d’un petit ruisseau. Le Déchu s’y abreuva goulûment, avant d’y remplir sa gourde. Il allait repartir quand il prit conscience qu’absolument rien ne le pressait. Ni état-major, ni rendez-vous important. Avec un plaisir presque malsain, il ôta ses vêtements, et se laissa glisser dans l’eau glaciale. C’était peut-être la première fois en deux cent ans qu’il pouvait profiter de ce bonheur simple. Au bout d’une dizaine de minute, il se décida à enlever son bandeau, et plongea la tête sous la surface. Le contact de ses paupières avec l’eau était apaisant, rafraichissant, il en oubliait presque qu’il était aveugle. Ses muscles se détendirent bien vite, et il se laissa aller à profiter de l’instant présent. Durant quelques heures, il oublia simplement qui il était et tout ce qui le tracassait. Il allait lui falloir du temps pour s’adapter à une vie diurne, et il dormit quelques heures, en se laissant porter par le courant. Lorsque l’après-midi commença à décliner, il se réveilla, et prit le temps de se sécher aux derniers rayons du soleil avant de partir. Finalement, peut-être qu’il était simplement fait pour une vie d’aventures.

Le chemin vers les montagnes était encore long, et il n’y parvint qu’après quelques jours, après avoir traversé plusieurs forets et un petit village de campagne, où il avait pu refaire ses réserves de nourriture. Il s’était débrouillé pour gagner quelques piécettes en faisant la lecture à de jeunes enfants, et comprenait enfin ce que devait éprouver Tim. Il était le seul à pouvoir déchiffrer son livre en braille, et les gosses étaient pendus à ses lèvres, impatient de connaitre la suite, comme lorsque le jeune bibliothécaire lui lisait ses livres. Peut-être que c’était ça aussi, évoluer, apprendre à donner plutôt qu’à recevoir.


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Eerah
Jeu 01 Aoû 2013, 22:11

Après avoir quitté le climat tempéré de la côte, l’arrivée dans les montagnes de l’Edelweiss était brutale. Avant même d’atteindre les hauteurs, la température avait chuté de plusieurs degrés. Eerah ne s’en rendit réellement compte qu’après avoir passé une nuit à la limite du supportable, enroulé dans ses propres ailes. Il ne put dormir que quelques heures en tout, et dès que le jour s’était levé, il s’était mis en quête d’un village de montagnards. En l’occurrence, la tâche était loin d’être ardue, il suffisait simplement de suivre l’odeur rance des troupeaux de moutons. Au bout d’une heure et demie, il finit par dépasser un bosquet qui abritait, au creux d’un vallon, le hameau qui expulsait tant d’effluves animales. Il prit soin d’atterrir et de camoufler ses ailes avant de poursuivre. Les personnes qui vivaient à l’écart du monde comme celles-ci avaient parfois des réactions extrémistes envers les espèces « anormales ».

Avoir l’air sympathique et avenant était une affaire de doigté, et sur le chemin du village, il s’appliqua à modifier légèrement son anatomie. D’une manière générale, les gens étaient faisaient moins confiance aux adolescents et aux jeunes hommes. Il s’ajouta quelques rides au bord des yeux et sur le front, troqua son teint de peau mate pour une couleur plus claire, et enlaidit volontairement le reste de son corps. Sa peau devint rugueuse et inégale, une collection de taches de rousseur vint s’apposer sur ses avant-bras et le côté droit de son cou. Il allongea la longueur d’un de ses doigt, donna à son nez l’allure de celui d’un lutteur, et grossit la taille de ces mains, pour correspondre à celles d’un artisan. Enfin, il garni son ventre d’un embonpoint généreux, et parsema ses cheveux de couleurs grisâtres. On lui donnait désormais la quarantaine, un œil non averti aurait très bien pu le prendre pour un paysan endurci.

Il modula sa voix pour la rendre plus râpeuse, et entra pleinement dans la peau du personnage avant d’arriver aux premières maisons. Le village s’activait déjà pleinement, quelques femmes tiraient le linge dans le lavoir, une paire de jeunes garçons distribuaient le courrier et faisaient passer les messages de maisons en maisons, et plusieurs autres personnes marchaient, discutant et travaillant, dans une routine calme et sereine. Son camouflage était concluant. Certains le regardaient avec intérêt, comme pour essayer de reconnaitre son visage, mais détournaient bien vite la tête. Le hameau était situé sur une grande route qui filait entre les montagnes, voir des étrangers devait être habituel, et d’autant moins étonnant lorsqu’il s’agissait de randonneurs ou de paysan venant faire un peu de commerce. Le bandeau qui lui barrait les yeux était également utile, personne ne pouvait suspecter un aveugle de quoi que ce soit. Eerah demanda rapidement son chemin, avant de se diriger naturellement vers le petit commerce du village. Il y entra en faisant mine de ne pas entendre les commentaires qui fusaient dans son dos.

Une clochette tinta, et une femme âgée leva les yeux de ses notes, et regardant le nouveau venu au-dessus de ses lunettes en demi-lune. L’intérieur du magasin était coquet, entretenu avec soin. On y trouvait principalement des ressources alimentaires, ainsi que quelques outils et fournitures indispensable à la vie en montagne. D’une voix sèche et éraillée par les années, elle s’annonça au visiteur.

-« Bienvenue dans la boutique de Moïra Stein. En quoi peut-elle vous être utile ? »

L’entrée en matière était intéressante, et l’usage de la troisième personne plutôt inattendu. Sans se départir de son personnage, il passa sa main dans ses cheveux, et sourit largement, pensant à la dernière seconde à faire disparaitre une de ses dents, et à gâter celles qui restaient.

-« Bonjour, m’dame ! J’viens pour vous acheter de quoi passer les prochaines semaines là-haut. Y me faudrait surtout de quoi tenir le froid ! Et pis une corde, des provisions, etcae… Etcea… Enfin voilà, quoi. »

L’instant critique. Est-ce qu’il avait été crédible ? La vieille Moïra l’examina un instant, sans un mot, sa respiration archaïque remplissant l’air. Eerah continua de sourire bêtement, tournant la tête de droite à gauche comme s’il n’avait aucune idée de là où elle se trouvait. Pendant quelques secondes, ils purent entendre une mouche voler, jusqu’à ce qu’un long soupir déchire l’atmosphère.

-« … Booooon. Je vais préparer tout ça. Vous réglez comment ? Je vous rajoute une canne, avec ? »

Ça avait marché. Heureusement cette fois, il n’eut pas à se retenir de sourire. Il hocha vigoureusement la tête avant de répondre à son tour.

-« Merci bien, m’dame ! En pièces d’or et d’argent, sonnantes et trébuchantes ! »

-« Et la canne ? »

-« Non, pas besoin. »

Ce fut-là la seule erreur d’Eerah. Il l’entendit presque le dévisager intensément, et il s’empressa de rajouter, en riant :

-« J’blague ! Bien sûr qu’il m’en faudra une. J’ai perdu la mienne dans les bois l’autre soir, avec toutes ces racines pas moyen de remettre la main dessus, hahaha ! »

Intérieurement, il remerciait le ciel de ne pas avoir à jouer la comédie trop longtemps. Passer pour un bouseux avait tendance à lui taper sur les nerfs. En quelques minutes, la vendeuse lui prépara un baluchon avec tout ce qu’il avait demandé, et l’aida même à passer ses vêtements de montagne. Il la remercia chaudement avant de lui laisser le prix qu’elle en demandait. Pour quelqu’un venait d’Avalon, où la vie était particulièrement chère, ce n’était qu’une petite somme, mais la facilité avec laquelle il laissa les pièces s’échapper de sa bourse sembla surprendre la vieille femme, qui se mordit les lèvres de ne pas lui en avoir demandé plus. Une heure après, il quittait enfin le village, jetant dans un fossé la canne en bois, et retrouvant vite sa véritable apparence. Au moins il avait désormais de quoi poursuivre sa quête sans mourir de froid. D’un coup d’épaule, il ôta sa veste doublée de fourrure, et en sortant sa dague, ouvrit deux entailles pour ses ailes, avant de l’enfiler, et de s’envoler vers son objectif, les grandes montagnes enneigées.

Une matinée au cœur des pics et des falaises fut largement suffisante pour convaincre le Déchu de l’importance capitales des fripes qu’il avait acheté. Même s’il était, de nature, résistant à la plupart des tracas climatiques, le froid qui régnait dans les montagnes était extrême. Ses extrémités étaient engourdies, et il avait été contraint de se confectionner un foulard avec un morceau de sac, pour protéger son nez et ses lèvres des engelures. L’idée de conserver un minimum de confort cosmétique s’était depuis longtemps évaporée de son esprit, au profit d’un instinct de survie salutaire. Le plus surprenant avait été la vitesse à laquelle la température avait chuté, à peine avait-il dépassé les premières neiges, que le vent le mordait implacablement. Il avait donc effectué une rapide escale dans un renfoncement de la roche pour s’emmitoufler un peu plus, et mettre à l’abri les denrées périssables contenues dans son baluchon. Malheureusement, cet abri temporaire ne permettrait pas de le protéger pour la nuit. A défaut de tout miser sur sa première journée de recherche, il se mit en quête d’un point de campement. Les montagnes couvraient un large territoire, et il n’espérait pas trouver un homme seul au milieu de nulle part ; sans y passer un certain temps.

Sans un mot, Eerah suivit donc les sentiers de montagne, frappant de temps à autre des mains pour saisir les échos se répercutant contre les parois. De temps à autre, il percevait un retard, mais jamais assez significatif pour révéler la présence d’une grotte. Il humait l’air, également ; chaque environnement a son atmosphère caractéristique. Une maison, un grenier, une clairière ou une grotte. Chaque élément qui pouvait former une odeur entrait en compte, d’un reste de repas refroidi, aux vapeurs dégagées par le développement d’une moisissure très particulière, propre aux endroits froids et humides. En l’occurrence, c’était cette fragrance que le Déchu traquait. En utilisant ses deux sens conjointement, il déambula quelques heures, s’arrêtant de temps à autre, pour renifler ou tendre l’oreille. Cela prit du temps, mais il finit par passer à quelques mètres d’une crevasse dans la roche, qui s’ouvrait sur un espace creux. Avant d’y rentrer, il inspira à plein poumons l’air vicié qui en sortait. Pas d’odeur animale. Quitte à trouver un abri, autant éviter d’avoir à le partager avec un ours. Dans le doute, il dégaina tout de même son épée, et se faufila à l’intérieur.

D’un coup, le vent cessa de le harceler, et il sentit la température se rehausser de quelques degrés. Pendant une longue minute, il tint sa lame devant lui, en position de combat, attendant un son, une odeur ou un impact. Rien ne vint. Lentement, il fit le tour de son nouveau campement, tâtant la paroi, jusqu’à être sûr que rien d’autre n’habitait l’endroit. Lorsque ce fut chose faite, il alluma un petit feu à l’entrée de la crevasse, et déposa ses affaires contre la paroi. Après l’ascension de la montagne, une pause s’imposait. Eerah étendit sa couverture sur le sol, et s’allongea, pendant qu’un peu de viande grillait sur une pierre, au-dessus des braises. Décidément, il aimait cette vie. Depuis qu’il était parti, pas de question, pas de stress. Pas d’ennui, pas de surprise désagréable, pas de déception, et pas… d’ami. Cette dernière constatation était plus amère.

La facilité avec laquelle il s’était arraché à sa vie était bien la preuve qu’il n’avait aucune attache. Personne pour lui manquer, personne à qui penser lorsque ça va mal. Même si Indimae avait pu prétendre à ce rôle, Eerah n’était pas sûr que ça aurait changé quelque chose, s’il avait été en vie. Non, c’était un fait. Il n’avait pas réellement d’ami. Il n’avait jamais pris le temps de s’en faire. Bien sûr, il connaissait des gens, appréciait certaines personnes, était apprécié par d’autres, mais pas un seul d’entre eux n’aurait pu être appelé « ami ». Peut-être que son travail ne s’y prêtait pas. Peut-être que sa vie ne s’y prêtait pas. Avec un sourire, il se rassura en se disant que c’était peut-être l’occasion de s’y mettre. En fouillant un peu plus son subconscient, il aurait surement fini par découvrir que le but qu’il poursuivait – le savoir absolu – n’allait pas l’aider à s’en faire.

Les jours suivants, Eerah les consacra à la recherche de l’homme qui avait la Réponse à sa Question. La nuit, la grotte qu’il s’était déniché lui servait d’abri. Il y dormait, y mangeait, et y réfléchissait quand il ne cherchait pas. La journée, il s’équipait pour sortir dans le froid, quadrillant la zone à la recherche de vie, croisant de temps à autres la route d’alpinistes. C’était à cette occasion qu’il avait troqué sa dague de service contre un vrai couteau de chasse, et quelques pièces d’argents contre une paire de lunettes de soudeur. Le simple bandeau qui protégeait ses paupières scarifiées ne suffisait plus pour empêcher le froid de passer, et la lourde monture en acier de ses bésicles était particulièrement efficace pour remplir cette fonction. Afin de ne pas effrayer ou déranger d’éventuelles rencontres, il en avait fumé les verres au-dessus du feu, lui confiant étonnamment un air sûr de lui.

À chaque fois que quelqu’un s’approchait de lui, il demandait ce qu’il savait à propos de l’ermite de légende, et vérifiait peu scrupuleusement ses pensées, pour vérifier que rien ne lui était caché. C’était peu scrupuleux, mais Eerah ne s’intéressait qu’aux choses qui le concernaient, ignorant le reste ; les souvenirs, émotions, pensées. L’éthique l’intéressait peu. En réalité, pendant ces quelques jours, la seule chose qui l’intéressait était l’endroit où résidait l’homme qui l’intéressait. Comme d’ordinaire, il était impatient, vif, explosif. Au bout d’une semaine, il commençait à désespérer de trouver un jour l’ermite, et même à douter qu’il eut un jour réellement existé. Heureusement pour lui, la solution finit par se présenter d’elle-même.

Il venait de rentrer après une journée de traque, de la fatigue plein les jambes et le moral au plus bas, lorsqu’un homme, un ascète, qui se présenta sous le nom d’Isanaël, s’arrêta devant sa grotte. Il cherchait un abri pour la nuit, de quoi se réchauffer le temps de traverser les montagnes. Le Déchu n’était pas du genre à faire la charité, et avant même de donner son propre nom, il demanda à son invité s’il savait quelque chose à propos de l’homme qui l’obsédait. Lorsqu’Isanaël répondit par l’affirmative, il fut tellement surpris que pendant une seconde, il n’eut aucune réaction. Puis, son visage s’éclaira, et il invita le voyageur à partager son feu.

-« Vous dites savoir où cet… Ermite se trouve ? »

La bouche pleine d’un bouillie pâteuse et à la contenance incertaine, l’étranger leva la tête, et répondit :

-« Ah, oui. Cherchez vers les hauts pics, au Nord-Est-Est. La dernière fois que j’ai fait le voyage, un homme dans ce genre m’a invité à sa table, dans un ancien temple désaffecté. »

Et voilà. En quelques secondes, il savait maintenant où chercher, que chercher. Sans rien ajouter, il fit son sac, rangea ses affaires et s’apprêta à sortir.

-« Eh bien, vous partez ? Maintenant ? »

-« Je n’ai plus le temps d’attendre. »

Il s’envola dans l’air nocturne, laissant l’autre à son feu. De toute façon, il n’y reviendrait pas. Plus loin, dans les montagnes, attendait l’homme qui allait faire de lui un être omniscient. Le vent glacial lui lacérait littéralement les quelques parties de sa peau qui étaient encore visible, mais son esprit était dirigé vers l’avant, il ne pensait qu’à ce qu’il allait pouvoir acquérir, le savoir qui serait bientôt à sa disposition. Rien d’autre n’arrivait à l’intéresser en cet instant. Il n’y avait que lui, et la route qui s’ouvrait à ses pieds.


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Chapitre I | Chute | Solo GqzDWY

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Eerah
Æther des Bergers et des Wëltpuffs

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Eerah
Jeu 01 Aoû 2013, 22:24

À la fois impatient et sous pression, Eerah venait de doubler la vitesse à laquelle battaient ses grandes ailes noires. Maintenant qu’il suivait une vraie piste, il ne pouvait s’empêcher d’être envahi par le doute, la crainte de poursuivre un fantôme, une relique d’un passé perdu, simple reste d’une légende qui fut réelle en son temps. La nuit était tombée depuis longtemps maintenant, et il suivait la direction que lui avait indiquée Isanaël, sans jamais en dévier. Nord-Est-Est. Ce faisant, il dirigeait tous ses sens restants vers l’avant. Mais il n’y avait aucun bruit, aucune odeur, aucune pensée qui aurait pu dénoter la présence d’un être vivant doué d’intelligence. Le vol continua, et continua encore, jusqu’à ce qu’enfin, quelque chose se présente devant lui. Plus loin, l’odeur de la pierre ouvragée, couverte de plantes grimpantes, de la cire et du bois brûlé lui parvenait. Le temps de se rapprocher, il aurait mis sa main à couper sur la présence d’un temple dédié à une quelconque divinité. Les échos qui lui revenaient traçaient dans son esprit la forme caractéristique de la construction, les grands piliers de pierre soutenant un toit massif, assemblé de blocs de marbre taillés. Jusqu’à preuve du contraire, cela pouvait très bien être l’endroit où l’homme vivait.

Il plana un instant, humant l’air en quête d’une odeur humaine, mais le vent et la neige vinrent rapidement perturber ses plans. En une seconde, l’air était empli de particules glacées, tournoyant dans un vacarme grandissant. Une tempête approchait, et ermite ou pas, il ne trouverait pas d’autre abri avant qu’elle n’arrive. Non, cette fois il était contraint de pénétrer dans le temple, sans même savoir si quelqu’un, ou quelque chose, l’y attendait. Son épée à nue, les genoux fléchis, il atterrit à quelques mètres de l’entrée. Le souffle du vent écrasait tous les autres sons, c’était un des rares cas où Eerah se sentait pleinement aveugle. Il n’avait absolument plus aucun repère, avançant au hasard vers les premières marches, en faisant glisser circulairement son pied devant lui. Sur le court trajet qui le séparait de l’intérieur du temple, et de l’abri qu’il offrait, il se sentit presque oppressé, effrayé. Comme aux premiers jours de sa chute, lorsqu’il avait été expulsé d’Eden, les yeux brûlés. Pendant tant de temps, il avait vécu dans la peur de percuter quelque chose, d’être frappé par une menace invisible. Pour rien au monde, il ne voulait retrouver cette émotion, cette terreur. Il pressa le pas, au risque de trébucher, et quand il passa enfin les piliers en pierre, il soupira longuement. L’ensemble des sensations revenaient. L’extérieur du temple lui était toujours caché par un mur de bruit et de vent, mais il percevait enfin tout ce qui était à l’intérieur.

Et il y avait un homme. Agé, d’après l’odeur tenue qui filtrait derrière les senteurs des bougies, et le son de sa respiration laborieuse. A priori pas une menace sérieuse, mais on ne savait jamais. Il baissa sa lame, et avança vers le centre du bâtiment. La pièce principale était ouverte au courant d’air, rien n’y était disposé. Une unique ouverture était située un peu plus loin, certainement une ancienne trappe secrète menant aux quartiers du prêtre de l’époque. Le temps et les intempéries avait dû finir par la rendre visible, et l’ermite en avait surement profité. Une théorie intéressante, qu’il allait très rapidement vérifier. Quelques marches plus bas vivait le personnage de la légende, celui qui détenait le secret du savoir absolu. Du moins, Eerah l’espérait. Dans le cas contraire, il ne savait même pas comment il allait réagir. Il espérait pour le vieil homme qu’il n’ait pas à en faire le test.

À peine posait-il le pied sur la dernière marche de l’escalier qu’une porte s’ouvrait, le résident du temple se détachant dans l’encadrement.

-« Ah. Eerah Scaldes, n’est-ce pas ? Entrez, entrez, vous devez avoir faim. »

Il aurait été difficile d’imaginer plus radicale démonstration de la véracité du mythe. Sans un mot, Eerah réfléchit un instant. À qui avait-il dit son nom, récemment ? Aucun des montagnards qu’il avait rencontré n’en avait eu connaissance, et depuis qu’il avait entamé sa quête, le seul au courant de ses intentions était Tim. Considérant les chances que le jeune garçon soit impliqué dans cette histoire comme quasiment nulles, personne n’avait pu donner cette information au vieil homme. Concrètement, si lui savait son nom, c’est qu’il y avait là à l’œuvre une forme de magie, qu’elle soit liée aux arcanes, ou bien aux divins. Pourtant, la question le taraudait.

-« Comment savez-vous mon nom ? »

Si le Déchu avait eu des yeux, il aurait pu lire l’expression de surprise gravée sur le visage de l’inconnu.

-« Votre question m’étonne. Vous savez qui je suis, et pourquoi vous êtes ici, non ? »

La légende était donc vraie. Un sentiment d’euphorie envahit tout le corps d’Eerah, qui ne put s’empêcher d’étirer un sourire de triomphe. Et voilà. Il était là. Il existait, il était devant lui, et ce qu’on racontait était vrai. Le savoir absolu, complet et sans borne. Bientôt, très bientôt, il n’existerait plus une seule question à laquelle il n’aurait pas de réponse. Un torrent de sensations circulait à présent dans son corps. L’impatience, la joie, l’Envie, tout ce qui lui avait manqué toutes ces années, maintenant à portée de main. Il ouvrit la bouche, la referma, plusieurs fois de suite, incapable de trouver les mots, maintenant qu’il avait ce qu’il voulait. Par où commencer, quelle était la première étape, comment faire, comment…

-« Je vous déconseille de vous réjouir trop vite. Vous n’aurez pas ce que vous voulez aujourd’hui, ni même avant un long moment. »

Incompréhension. Un seul mot pour décrire l’infinie série d’émotions qui défilait sur son visage. Puis du refus, de l’exaspération. De la colère, de l’indignation, de la fureur. Tout ce chemin parcouru pour… attendre à nouveau ? Pour Eerah, cela n’avait aucun sens. C’était même absolument inacceptable. Personne ne le ferait patienter, alors que son but était si proche. L’expérience le poussa pourtant à ne pas réagir sur le vif. Il prit une inspiration, et essaya d’avoir un regard externe sur la situation. À priori, l’homme devant lui était ce qu’on pouvait appeler un sage. Il parlait peut-être par énigmes, métaphores. Le tout était surtout de ne pas s’énerver, et de lui poser les bonnes questions.

-« … Qu’entendez-vous par ‘un long moment’ ? »

L’homme ne répondit pas, il explosa de rire. Décidemment, il cherchait à provoquer le Déchu. L’aveugle qui lui faisait face serra les dents, à s’en déboiter la mâchoire. L’envie de l’attacher à une chaise pour le faire parler était forte. Il attendit plus ou moins patiemment la fin de son hilarité, espérant de pas avoir à le tuer à l’issue de celle-ci. Lorsque ses éclats cessèrent, l’ermite, le regarda avec attendrissement, comme un père qui regarde son fils.

-« Eerah, tu vis dans un monde utopique. Viens t’asseoir, s’il te plait, que nous discutions. »

Ce n’était pas réellement une proposition. Le ton était ferme, sans négociation envisageable. S’il ne le suivait pas, il n’aurait pas les réponses, il n’aurait rien. Le Déchu n’essaya même pas de sonder son esprit, imaginer que le vieil homme soit sensible à la télépathie était non seulement optimiste, mais également très stupide. Il le laissa partir, et après un soupir exaspéré, il le suivit dans la petite pièce. La discussion qui allait suivre risquait d’être particulièrement longue. Derrière la porte, une simple salle dans laquelle trônait une table, avec deux chaises, deux coussins, deux verres et une bouteille de vin à peine ouverte. Visiblement, il était attendu.

À peine Eerah était-il assis que l’ermite lui servait à boire, comme si toute la soirée avait été prévue depuis longtemps. Il raviva la flamme d’un petit feu à proximité, et revint s’asseoir avec son invité. Le Déchu ne toucha pas son verre. Pas tant que l’autre n’aurait pas lui-même bu. Comme s’il lisait ses pensées, le vieil homme prit son propre gobelet, et l’avala en déglutissant bruyamment comme pour faire passer le message à l’aveugle. Exaspérant.

-« Pour commencer – et pour faciliter un peu la discussion – sache que l’on me nomme Sonenzio. Sonenzio Vilipare. Comme tu as pu le lire dans cette bibliothèque, je possède, disons, certaines capacités, qui permettent à un homme d’acquérir ce que certain nomment le savoir absolu. Tu peux boire, tu sais. C’est du vin de Megido, un excellent cru. »

Voyant que Sonenzio ne continuerait pas tant qu’il n’aurait pas goûté à l’alcool, il prit son verre sans conviction, et y trempa doucement les lèvres. C’était effectivement un très bon vin. Il patienta quelques secondes avant de reprendre cette fois une vraie gorgée. Satisfait, l’ermite continua.

-« Je sais qui est Eerah Scaldes, tu sais ? J’ai étudié ta vie. Je ne pense pas que tu mérites d’accéder à cette connaissance. »

Le Déchu était déjà à moitié levé, le couteau tiré, quand le vieil homme ajouta rapidement :

-« Cependant. Cependant ma vie touche à sa fin, et les hommes qui s’intéressent plus au savoir qu’aux femmes ou à la puissance se font rares en ce moment. J’ai besoin de transmettre mes… compétences. Considère toi donc chanceux d’être mon dernier disciple. »

Eerah était de nouveau sans voix. Il allait y arriver, cette fois c’était une certitude. Décidément, le vieux Vilipare était un spécialiste des retournements de situations. Pour quelqu’un comme l’aveugle, habitué aux scénarios sans rebondissement, il était plutôt difficile de s’y faire.

-« Eh bien c’est… C’est sympathique de votre part, je… »

-« Nous allons avoir du travail, mais ne t’inquiète pas, tu n’auras pas à me supporter longtemps. Je ne compte pas te laisser croupir ici, et de toute façon, je n’ai pas envie de te voir tous les jours. Toi non plus, je le sais bien. Donc ! Première étape, trouver une solution à ça. »

Il pointa du doigt les grosses lunettes de soudeur sur le nez du Déchu. Celui-ci n’avait pas besoin de voir son doigt pour comprendre l’allusion.

-« Façile à dire, j’en ai peur. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais ce genre d’infirmité peut difficilement… »

-« Si je ne corrige pas ça, on ne pourra pas progresser. »

Décidemment, la facilité avec laquelle Sonenzio lui coupait la parole était déconcertante. Eerah terminait toutes les phrases avec la bouche ouverte, pendant que le vieil homme débitait son discours à une vitesse impressionnante.

-« Ne bouge plus ! »

Plus par surprise que par obéissance, le Déchu ne cilla pas, et il reçut en plein front la paume de Sonenzio. L’ermite possédait une force surprenante, et telle une poupée de chiffon, Eerah bascula, avec sa chaise, sur le coussin qui l’attendait derrière, et qui avait surement été posé là intentionnellement. Pendant une seconde, sa tête le brûla intensément, douleur qui s’évanouit aussi vite qu’elle était arrivée. Il se releva tant bien que mal, et sorti son couteau, pointé vers le vieillard.

-« Ne bouge plus, salopard ! Qu’est-ce que tu m’as fait ?! »

-« Du calme, jeune homme. Tiens, essaye-ça. »

Sonenzio posa un gros livre sur la table, et le poussa vers l’aveugle. Celui-ci toucha l’ouvrage, sans lâcher son arme.

-« Tu m’as regardé ? Les lunettes ne sont pas là pour la décoration, vieil homme ! »

-« Tais-toi et ouvre une page. »

La raison pour laquelle il écoutait ces ordres était un mystère pour Eerah. Avec un nouveau soupir, il posa sa lame, et prit le livre. Il l’ouvrit au hasard, et posa la main sur une des pages. Comme il s’y attendait, le papier était lisse, illisible pour lui.

-« Quelle surprise, je ne peux pas lire. Je ne m’y attendais pas du… »

Il se tut bien vite, lorsqu’il sentit sous ses doigts la surface se modeler, pour devenir le relief caractéristique du braille. D’un coup, il parvenait à lire les mots, les phrases, les paragraphes. Pendant quelques secondes, il profita de cette sensation si agréable, si particulière. S’instruire, apprendre de nouvelles choses, donner des réponses à ses questions. D’une voix émue, il demanda à l’ermite :

-« Comment… Comment avez-vous fait ? »

-« On appelle ça, la Main du Lecteur. Pour information, l’ouvrage que tu lis en ce moment est écrit en ancien Ondin, et je doute que tu connaisses cette langue. Avec cette magie, tu pourras lire tout ce qui a un jour été écrit, dessiné, tracé, peu importe le support ou le langage utilisé. Contrairement à Tim, je n’ai pas le temps de te faire la lecture. Ça devrait accélérer les choses. »

-« Je… Merci ? »

-« Ça fait partie du processus. Maintenant, tu vas pouvoir y aller. »

À peine la joie de pouvoir de nouveau lire passée, que le vieux Vilipare le congédiait. Il balbutia quelques mots, mais l’ermite le prit de vitesse.

-« Un jour, tu auras ce que tu veux. En attendant, tu n’es pas mûr. Va voir le monde, contribue à ton propre savoir, gagne en expérience, et reviens me voir. Petit à petit, je te donnerais de quoi en apprendre de plus en plus. Et quand tu seras prêt, alors tu sauras. »

Eerah pinça les lèvres, et réfléchis un instant. Bien sûr, il était déçu, dépité, voir même, énervé de ne pas avoir eu ce qu’il voulait. Mais le cadeau de Sonenzio était réel, et pour le moins généreux. Il n’avait pas de raison de douter de lui. Pourquoi ne pas suivre son enseignement ? Dans le pire des cas, il voyait mal le vieil homme s’enfuir de ces montagnes, il pourrait toujours revenir le voir, et si nécessaire, l’obliger à lui donner ce qu’il voulait. Sans un bruit, il acquiesça, et commença à sortir. Derrière lui, l’ermite se balança sur sa chaise, et lui lança une dernière phrase sentencieuse :

-« Ne perd pas de vue ce que tu veux, gamin. Le savoir ne se mérite pas, il s’obtient. Mon aide, elle, tu devras faire tes preuves pour en bénéficier. Apprend à différentier ces deux choses, et tu iras loin. Tombe dans l’extrémisme, et tu échoueras. À toi de voir ! »

Sous les éclats de rire du vieil homme, il quitta les lieux, remonta l’escalier jusqu’à la grande salle. Dehors, le soleil se levait, et la tempête s’en était allée, comme par magie. Fort de son nouvel atout, Eerah prit le chemin des plaines, avec en tête un seul et unique objectif. Trouver des réponses.


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