Mitsuko s'avança vers l'enfant qui avait ouvert les yeux, semblant légèrement perdue. Pourtant, alors qu'elle s'apprêtait à parler, aucun son ne sortit de sa bouche. La jeune femme n'avait pas rêvé en l'entendant pleurer tout à l'heure, elle en était sûre, alors pourquoi ne pouvait-elle plus dire un seul mot à présent? Soupirant, elle comprit que l'ombre qui était apparue ne devait pas être très qualifiée pour exécuter ce genre d'opération. Aussi, elle se demanda s'il n'y avait pas d'autres souvenirs que cette gamine avait oublié. Cependant, le fait qu'elle ne puisse leur dévoiler son identité et d'où elle venait était sans aucun doute le problème majeure. S'asseyant à côté d'elle sur le lit, la chemise de Zéleph assez longue pour couvrir son corps jusqu'aux genoux, elle lui dit doucement. « Ta vie risque d'être dure tu sais. ». Ce n'était sans doute pas le genre de choses que l'on devait dire à une enfant. Seulement, pour Mitsuko, rien ne servait de mentir, de cacher la vérité sous des mensonges. « Un drame s'est produit cette nuit et, même si tu n'en gardes nul souvenir, ton corps lui s'en rappellera sans doute toujours. Nous ne te voulons pas de mal. Comme nous ne savons ni ton nom ni d'où tu viens, nous t'accompagnerons à Bouton d'Or. C'est un petit village sympathique et je suis sûre que tu y trouveras des amis en attendant que tes parents viennent t'y chercher. D'accord? ». L'enfant paraissait sur le point de se rendormir, ne faisant aucun geste avant que la voix de la déesse retentisse de nouveau d'une manière plus forte, beaucoup moins douce : « D'accord? ». La fillette hocha la tête, totalement perdue, légèrement apeurée par cette femme qui lui disait des choses qu'elle ne comprenait pas réellement. Ce que la déesse ne savait pas, c'est que cette ombre incompétente avait effacé la totalité des souvenirs de cette enfant par erreur, ainsi que certains instincts de survie, comme la volonté de se nourrir. Enfin, elle le découvrirait d'ici quelques jours sans doute.
Laissant l'enfant tomber lentement dans le sommeil, elle se leva, s'avançant vers Zéleph avec une étrange expression sur le visage. L'enlaçant doucement, elle resta un instant contre lui à fixer un point quelconque. Ils étaient maudits, cela paraissait plausible mais, après tout, si elle était tombée enceinte, c'était de la faute des dieux, s'ils s'étaient mariés c'était de leur faute aussi. Alors comment le prendre? C'était eux qui avaient voulu les unir, William en particulier, et Jun les séparerait. Oui, ils étaient maudits, mais ce n'était en aucun cas de leur faute, comme s'ils ne pouvaient pas être ensembles sans qu'un événement funeste ne se produise. Seulement, leur union avait été créée de toutes pièces par ces dieux alors pourquoi vouloir les réunir si le sort souhaitait les séparer. Ça n'avait aucun sens. Peut-être qu'il était condamné à mourir avant elle? Peut-être que tout ceci n'était qu'une illusion, un permis temporaire d'être heureuse auprès de lui, quelque chose qu'elle aimait mais qui lui serait arraché sans la moindre compassion. Alors le mieux était sans doute d'arrêter d'aimer ça, de prendre des distances avec lui. Elle en était incapable mais elle aurait tellement voulu avoir la force de l'éloigner, de faire céder cet homme si têtu, de faire en sorte qu'il ne la rattrape jamais. « Je croyais t'avoir entendu dire que tu voudrais élever notre fille? ». Elle sourit, sa question sonnant comme une réponse silencieuse à son affirmation de tout à l'heure. Elle n'était pas faite pour surveiller les enfants, elle n'avait aucune patience, aucun savoir faire. Alors ce serait lui qui s'en occuperait le plus. Elle se mordit la lèvre inférieure, toujours collée contre lui, se mettant à rire doucement. Puis, semblant ne plus avoir envi de rire, elle leva les yeux vers lui, attrapant sa tête avec ses mains pour qu'il la regarde bien, qu'il comprenne. « Zéleph... ». Une petite lueur de malice dans les yeux, elle continua afin de lui asséner la dure réalité, une décision qu'elle s'était résignée à prendre pour eux deux, parce qu'elle semblait plus faible que lui. « Je t'aime, mais c'est la dernière fois. ». La dernière fois qu'elle l'aimait ainsi, qu'elle se laisserait aller à ce sentiment qui faisait naître en elle l'angoisse la plus profonde, cette peur pour lui qui la rongeait. Bientôt, elle aurait de nouveau la possibilité de contrôler ses sentiments, de faire en sorte d'oublier, et elle recommencerait sans doute à se mentir à elle-même. Cette situation était intenable, elle ne voulait pas en être victime. Le seul contact physique était suffisant, elle ne souhaitait pas connaître tout ce qui était lié à un attachement trop important.
Se détachant de lui, elle s'avança vers l'enfant sans un mot de plus, lui tournant le dos sans jamais se retourner. Il le prendrait comme il le voudrait, mais pour elle c'était clair. La déesse prit l'enfant dans ses bras puis se téléporta avec elle, laissant le roi là. Après tout, ils n'avaient pas besoin d'être deux pour se rendre à Bouton d'Or. Et puis, elle n'avait plus très envi de parler maintenant, ça l'énervait assez de s'être laissée emporter par un sentiment qu'elle ne voulait pas ressentir. Pourquoi au juste? Elle ne l'aimait pas au début alors comment en étaient-ils arrivés là? Surtout elle. La grossesse? Le fait qu'il soit à ses côtés trop souvent? Le fait qu'il prenne soin d'elle? Le mariage? Le lien de divinité? C'était énervant.
