Je fixai le visage de Zélia totalement inapte à bouger aux pieds des grands murs de la prison. J'étais au sommet de celle-ci, contemplant la foule qui s'était réunie pour l'occasion. Lux in tenebris me donnait un air menaçant, les ténèbres semblant naître de ma seule personne. Le soleil était presque couché mais, pourtant, derrière moi, comme le reflet de ma puissance, la lune noire s'élevait, recouvrant partiellement la lune blanche. Une nouvelle ère était née et ce n'était pas de mon règne dont il était question, non, c'était quelque chose de bien plus grand, quelque chose qui était en marche et qui ne s'arrêterait pas. Alors, avec un sourire satisfait, un sourire cruel, je fixai cette femme qui avait cru un instant que j'étais un amant dévoué, que j'allais dans son sens. Et cela me faisait rire parce que, bien souvent, dans l'histoire, c'était les femmes qui avaient trompé les hommes en employant des méthodes aussi basses. Seulement, chez moi, la fourberie ne semblait avoir aucune limite, j'étais prêt à tout pour atteindre mon but, pour atteindre un sommet qui dépassait largement celui d'un simple trône, un sommet duquel on avait une vue bien plus immense qu'en haut de la prison. J'avais choisi cet édifice pour regrouper les sorciers, les sorciers qui géreraient à présent ce dernier, maîtres des prisonniers, maîtres d'exécuter leur propre justice. Car oui, je me battais contre elle, mais pas uniquement, je me battais contre tous ses fidèles et contre mon reflet également. Contre les dieux eux-mêmes. Et j'admirai l'horizon en sachant pertinemment que d'ici peu, le monde tremblerait sous mes pas.

Mon regard se porta vers la femme qui se tenait à mes côtés. Ce n'était pas Masha car je n'avais pas voulu la mêler à tout ceci, j'avais voulu la préserver. Non, c'était elle, celle qui m'avait créé. Mitsuko, première du nom. Il y avait peu d'individus qui se souvenaient encore de sa grandeur et ça tombait bien car il n'en restait rien, qu'un esprit très affuté et une expérience des plus troublantes de l'art de la guerre. J'avais réussi à la libérer sans même que sa descendante ne s'en rende compte et je devais avouer que cette action avait été l'une des choses les plus intelligentes qu'il m'avait été donné de faire, même si je me méfiais d'elle comme de la peste. Je souris, sachant pertinemment que, pour le moment, elle ne pouvait rien contre moi et je jouissais de cette situation avec une force digne du plus grand des orgasmes. La voir accrochée à moi, celle qui m'avait créé, dépendante de ma volonté, dépendante de mon pouvoir, oui, ça me plaisait grandement. Et puis, à vrai dire, même si je n'avais pas succombé à son charme, j'avais en moi cette impatience quant au fait de passer sur son corps après Naram. Réaction typiquement masculine sans doute en vu du nombre d'hommes qui avaient pénétré son corps, mais peu m'importait. Zéleph lui avait volé Mitsuko et je lui volerai le présent de son ascendante, bien que je me doutais amplement qu'il n'en voudrait plus de la même manière que par le passé. Je me demandais d'ailleurs ce qu'elle désirait elle, cette femme à la chevelure flamboyante. L'aimait-elle encore ou souhaitait-elle le voir mourir? Non, la dernière solution me paraissait être erronée. Je savais qu'elle ne lui ferait sans doute jamais grand mal. Mais alors pourquoi avait-elle choisi de s'allier à moi? Était-elle douée d'une clairvoyance qui m'était étrangère?

Le peuple criait, ces sorciers qui avaient pris conscience de l'illégitimité de Zélia. Étais-je un roi légitime? Oui, sans doute, car, à présent, c'était ma sentence que réclamait le peuple. L'ancienne reine n'avait plus aucun pouvoir, ces derniers totalement annihilés et j'avais envi de la brûler sur un bucher pour montrer l'exemple, pour qu'aucun des sorciers présents aux pieds du château ne songe un jour à me défier. Simplement, Mitsuko m'attrapa doucement la main me chuchotant à l'oreille quelque chose qui défiait toutes les volontés de mise à mort du peuple. Je m'avançais alors légèrement, ce qu'elle m'avait dit me laissant rêveur. Pire sentence que la mort. Je levai alors la main, le silence se faisant automatiquement.

« De par son inaction, Zélia a permis à Orion d'agir bien longtemps, un roi qui a osé tous nous mettre dans une situation critique, qui a changé le regard du monde quant à notre race. » Je souris. « Ou, du moins, qui a révélé nos plus vils côtés, des agissements qui devaient rester dans l'ombre. J'ai tué ce maudit, et je vous ai livré en ce jour Zélia. Mais n'est-elle pas pire félonne que l'ancien roi de ne pas avoir cherché à l'arrêter alors qu'elle en avait les capacités? Nous sommes tous maléfiques, nous voulons tous régner sur le monde mais il y a l'art et la manière. En secret, dans le silence, comme le serpent s'enroulant doucement autour de sa proie avant de la dévorer, sans lui laisser la moindre chance. Peuple noir, ni Orion ni Zélia n'ont œuvré pour votre gloire mais uniquement pour leur seule gloire. Un souverain digne de ce nom vous entraînerait tous sous les feux de la rampe, ce que je ferai bientôt, croyez moi. En attendant, Zélia, toi qui est coupable de tous les maux causés à notre race, je te condamne à être donnée aux malades qui peuplent le dernier sous-sol de cette prison, à être donnée aux lépreux que tu devras contenter autant de fois qu'ils le voudront, de toutes les manières possibles et dans toutes les positions imaginables. Jamais plus tu ne seras une digne femme, à jamais ton honneur sera bafoué et tu ne reverras jamais la lumière du jour, condamnée à servir jusqu'à ton dernier souffle les pulsions de ces hommes. ».

Oui, Mitsuko était une véritable démone.

Je me sentais prêt à agir contre Zélia. Oui, en ce jour, j'allais mettre à exécution mon plan. Oh, cela prendrait certainement des jours, voire des semaines, mais dès aujourd'hui, je devais me concentrer sur le trône, le trône et rien d'autre. C'est donc pour cette raison que je m'installai au bureau qui était le mien au sein de l'échiquier afin d'écrire une missive à l'intention de Masha. Cette dernière, ma femme, devait être tenue à l'écart de tout ce qui se tramait et ce, jusqu'à ce que le trône soit mien. Tout ce que j'allais accomplir à partir de maintenant serait plus que dangereux et bien que j'ai à l'esprit de ramener la première Taiji avant tout, le reste serait très loin d'être une partie de plaisir. Je risquerai gros, très gros, ma tête, ma vie. Seulement, je me doutais qu'une fois cette femme à mes côtés, j'aurai une plus grande emprise sur les individus en général, du moins, les plus haut placés, ceux qui étaient cultivés, qui se remémoraient cette femme sans grande difficulté, une ange déchue semblable au pire démon que l'enfer n'ai jamais connu. Enfin, tout d'abord, je devais écrire à celle qui se faisait à présent appeler Svana afin de la mettre au courant, qu'elle ne prenne pas ma disparition soudaine avec la même tristesse que les autres. Lentement, je pris donc un parchemin ainsi qu'une plume, ouvrant mon encrier avec délicatesse. Je devais choisir les bons mots.

« Masha, ma femme,

tu te doutes que ce moment devait arriver tôt ou tard mais il est temps pour moi de mettre mes plans à exécution. Il est vrai que je ne suis guère bavard ces derniers temps mais si je devais parler à quelqu'un, crois bien que ce serait à toi que je me confierai en première. Seulement, et malgré ta puissance, le fait qu'il puisse t'arriver quelque chose par ma faute me laisse pensif à ce que serait ma vie sans toi. Je n'ai pas envi que l'on te torture pour connaître la vérité sur ce que je manigance depuis quelques temps déjà, je n'ai pas envi que l'on te fasse boire un sérum de vérité qui te ferait te sentir coupable après avoir parlé. Sache que c'est uniquement pour te protéger que je ne t'en ai pas dit plus sur mes véritables projets. Bien entendu, provoquer des guerres, des conflits à n'en plus fini est l'objectif que je voulais atteindre, mais cela pour servir des ambitions encore bien plus grandes.

Pour le moment, je vais me contenter du trône des sorciers. A partir de ce jour, nous ne nous verrons plus jusqu'à ce que j'ai enfin ce que je souhaite : la couronne. Je ne sais si je reviendrai auprès de toi tout de suite après, tout dépendra de comment se passera mon entreprise. Je risque d'être blessé ou même tué alors, si je ne reviens pas, ne m'attend pas. Il se peut que Zélia souhaite me faire tout simplement disparaître si elle se montre plus maline que moi, disparaître sans que, plus jamais, l'on ne retrouve ma trace. Si cela devait se produire, j'aimerai que tu ne cherches pas à me venger. Ne mets pas ta vie en péril pour moi car tu auras à charge nos enfants. Il est vrai que le mariage que nous avons fait devrait ramener mon esprit dans ton âme, cependant, si cela devait ne point marcher, je compte sur toi pour te montrer forte pour moi et pour continuer ce que j'aurai entrepris. Si cela devait se produire, alors tu recevras peu de temps après une autre missive, comportant plusieurs objets et t'expliquant mes véritables projets. Si je meurs, tu te retrouveras détentrice d'un savoir et d'un pouvoir que tu n'aurais sans doute pu imaginer avant. J'ai appris ces dernières années que les légendes étaient bien plus que de simples chimères, de simples illusions sorties de l'esprit malade d'un vieil homme en manque d'activités. Les légendes ont toute un fondement, un fondement parfois non compris mais il suffit de s'y attarder pour en révéler toutes les possibilités.

Quoi qu'il en soit, sache que je m'en vais acquérir le trône des sorciers. Ne t'inquiètes pas.

A toi, Jun. ».

Je reposai ma plume, conscient qu'il fallait que j'écrive à présent une autre lettre, celle qui lui reviendrait si jamais je venais à mourir véritablement, sans que ni mon âme ni mon esprit ne puissent survivre. Et, alors que je m'apprêtai à me replonger dans l'écriture de la suite, l'on frappa à la porte de mon bureau. « Entre ». Je levai les yeux vers la jeune femme brune aux yeux verts qui apparut dans l'embrasure, s'arrêtant là en me souriant avant de refermer soigneusement la porte, un objet dans la main. Annabelle, une alliée de taille et également celle qui m'avait appris bien des choses sur l'art du combat. Plus qu'un maître ou une alliée, elle était également mon amie, la plus chère que j'avais et aussi mon bras droit. Cette femme serait amené à me seconder à l'avenir et, pour tout avouer, il n'y avait qu'à elle que je pouvais me confier sans crainte. Elle possédait un pouvoir bien spécial, celui d'oubli, un pouvoir qu'elle n'utilisait jamais mais qu'elle m'avait promis d'activer si jamais, un jour, elle se faisait prendre. Ainsi, sa mémoire serait totalement annihilée et personne ne pourrait rien savoir. Je l'avais mise au courant, bien entendu, sachant pertinemment qu'elle avait la force nécessaire pour supporter un tel secret et que, jamais elle ne me trahirait. Elle m'avait bien sûr conseillé de ne pas en parler à Masha, pas tout de suite du moins, afin de la préserver le temps qu'elle soit elle aussi reine de sa race. Annabelle avait raison, bien sûr, et nous étions d'accords sur ce point : je devais préserver ma famille.

« Comme tu peux le voir, la boîte est prête. Seule Svana pourra l'ouvrir une fois que tu y auras enfermé les pierres. Enfin, elle ou toi bien entendu. Mais j'espère sincèrement qu'elle n'aura pas à l'ouvrir pour prendre possession des fragments du cristal maître que tu possèdes Akito. ».

Elle était la seule à m'appeler encore ainsi, elle qui avait été une amie chère lorsque j'étais encore un ange. Magicienne à cette époque, nous avions tous les deux rejoints les forces obscures et j'étais fier qu'elle se tienne à mes côtés à ce moment précis. « Bien, fermes la boîte dans ce cas. ». Elle parut quelque peu surprise et il y avait de quoi. Je lui avais indiqué au moins trois fois, ce qui l'avait fait rire, que je voulais une boîte indestructible, une boîte qui ne pourrait être ouverte par la force mais qui céderait sans aucune résistance aux seuls détenteurs du secret. De ce fait, je savais qu'elle s'était attendue à ce que j'y dispose les fragments que je possédais. Je souris, amusé : « Je vais en avoir besoin tu sais. Et puis, mon don pour la téléportation suffira à les enfermer à l'intérieur si le moment se présente. Mais, moi non plus, je te rassure, je souhaite que jamais la situation ne m'oblige à agir de la sorte. ». A vrai dire, je n'étais pas assez fou pour laisser les pierres ici. Bien sûr, je ne doutais pas des talents d'Annabelle pour trouver le meilleur ébéniste, ni même des talents qu'elle avait pour dénicher un individu capable de sortilèges impressionnants, mais, il existait des probabilités trop importantes pour que cette boîte puisse être violée d'une manière ou d'une autre. Aussi, si je sentais ma fin arriver, alors j'enverrai les fragments dans cette dernière, peu de temps avant que Masha ne reçoive ma missive. L'écart entre la lecture de la lettre et l'ouverture de la boîte ne se compterait alors qu'en minutes, et c'était une solution bien meilleure selon moi.

« Tu t'es donc décidé? ». Cela faisait des semaines que je lui parlais de ce jour, celui où j'allais commencer mon combat contre la reine du peuple des mages noirs. Oh, bien entendu, j'avais commencé cela il y avait quelque temps mais j'attendais juste le bon moment pour mettre mes plans à exécution, pour y aller plus franchement. « Oui, il semble que c'est l'heure. Cependant, il me faut accomplir quelque chose avant de commencer ma petite révolution. ». « Tu as décidé de faire revenir cette femme alors? Tu sais, je te l'ai déjà dit, mais je doute que ce soit une bonne idée. Bien sûr, tu m'as déjà dit qu'elle n'aurait que très peu de force au début, mais c'est justement ce qui m'effraie. Elle risque d'endormir ton attention et devenir chaque jour de plus en plus forte en te le cachant jusqu'à ce qu'elle te tue un jour sans crier gare. Cette femme régnait sur tous les êtres maléfiques et je suppose que ce n'était pas pour rien. Je ne veux pas te dire quoi faire mais sois prudent de ce côté là. En plus, si tu la fais revenir, je ne sais pas comment réagira Naram. ». Je souris. « Justement, c'est ce que j'ai envi de voir. Lorsque les deux Mitsuko, la rousse et la blonde se trouveront devant lui, que fera-t-il? Laquelle préférera-t-il? Tout est une question de choix, tu ne crois pas? Le mien serait vite fait cela dit : je tuerai les deux dès que j'en aurai l'occasion. ».

« Je la ferme alors? Tu es sûr? ». Il y avait eu un petit silence entendu entre nous dès que j'avais annoncé que je tuerai ces deux femmes dès que j'en aurai l'occasion. Bien sûr, en faisant cela, je ferai surtout disparaître la lignée des Taiji. Enfin, tout dépendait de quand aurait lieu cette date fatidique pour elles deux car si Mitsuko accouchait avant, alors il était clair que je ne m'en prendrai pas à un bébé ou à un jeune enfant. J'étais cruel mais tout de même, quoi que... En réalité, ma façon de penser résultait surtout du fait que j'avais envi de voir ce qu'elle deviendrait, ce que cette enfant allait faire de sa vie. Après tout, ce serait sans doute la seule fille que la déesse aurait, humaine qui plus est, donc elle ne me poserait pas beaucoup de problèmes. Quatre vingt ans après, elle décéderait et qu'étaient-ce que ces années quand on avait, comme moi, acquis l'éternité? Pas grand chose. « Tu sais qu'une fois que je l'aurai fermé, tu ne devras plus la rouvrir, sinon le charme se brisera... ». Je le savais, je savais que si Masha ou moi-même l'ouvrions avant l'heure, alors elle pourrait par la suite être ouverte par n'importe qui. « Oui vas-y. Tu sais bien que je ne chercherai pas à ouvrir une boîte vide et puis, Masha ne fouillera pas dans mes affaires, elle ne se le permettrait pas, comme je ne me permettrais pas de fouiller dans les siennes. ». Elle me sourit puis, doucement, avec une délicatesse que j'aimais chez elle, elle ferma la boîte. La posant sur mon bureau, elle essaya de l'ouvrir, voyant avec fierté qu'elle ne le pouvait plus. C'était parfait. Faisant apparaître une bouteille de champagne de nulle part, elle me précisa : « Je pense qu'une telle décision se fête non? »

Je souris, m'approchant d'elle avant de l'embrasser sur le front. « Ton travail se fête oui. ». Je m'approchai d'une armoire avant d'ouvrir la porte vitrée de celle-ci afin d'en sortir deux verres que je posai sur mon bureau. Plongeant mes yeux d'un noir profond dans ceux d'Annabelle, je lui souris, sentant un sentiment puissant monter en moi. Nous étions à l'aube d'une nouvelle ère et ce moment était historique, celui où je décidais enfin que tout allait commencer. Servant la boisson dans nos deux coupes, je fis teinter la mienne sur celle de mon amie avant de me diriger vers la fenêtre pour contempler Stenfek. « Ces hommes m'ont pris ce que j'avais de plus cher. Toute ma vie je n'ai été que la créature, que le serviteur, que le protecteur, cet homme gentil, sans doute trop. Mais les choses vont changer, les choses changent toujours. ». Doucement, la sorcière s'approcha de moi, posant l'une de ses mains sur mon épaule. « Jun, tu as la prestance d'un roi et je suis sûre que tu en seras un grand, un très grand. Tu sauras réunir ton peuple autour de toi et malgré tes noirs desseins, je suis certaine que tu sauras faire la part des choses. Si tu dois t'élever plus haut que les dieux eux-mêmes, alors élève ton peuple avec toi. Car même si tu n'en as pas besoin, même si l'histoire te voit comme un tyran, un être détestable, tu pourras toujours compter sur ceux que tu auras protégé et chéri. Un monarque maléfique se doit d'aimer son peuple, le peuple qui le soutient j'entends. Zélia n'aime qu'elle, asservit les sorciers, même ceux lui étant favorables. Tu devras te démarquer, révéler ce qui est véritable, ce qui est véridique. Et, si jamais tu ne parviens à réunir le cristal maître, la force des individus dont tu seras le porte parole te mènera au sommet. ». Doucement, elle s'agenouilla, les yeux pourtant plantés dans les miens. « Je crois en toi. Je sais que tu sauras faire le nécessaire, que tu ne me décevras pas. Le chaos est propre aux sorciers et qui saurait reprocher aux créatures maléfiques de faire le mal? C'est comme si, tout à coup, le monde accusait les anges de faire trop le bien. Nous punirons ceux qui t'ont fait du tord et nous nous battrons pour la gloire de notre race. Toi qui ne te prétend que créature, sache que tu es le plus puissant des hommes que j'ai rencontré à ce jour, non pas pour ce que tu as, mais pour ce que tu essayes d'avoir, pour ton courage, ton acharnement, ton travail. Quand je t'ai vu mordre la poussière lors de l'entraînement, quand je t'ai vu tomber sans pour autant abandonné, quand je t'ai vu te relever, encore et encore, alors j'ai compris quel homme tu voulais être et quel roi tu seras. ». Je souris, peut-être touché. « Tu risques de me faire rougir si tu continues. Quoi qu'il advienne, je te garantie que tu te tiendras à mes côtés Annabelle. Tu as ta place parmi les chanceliers des ténèbres. ».

Suite à mon entretien avec Annabelle, je décidai de passer aux choses sérieuses. Je savais pertinemment que le corps de Mitsuko première du nom reposait dans un endroit auquel je ne pouvais accéder en l'état actuel des choses. Tout d'abord, je n'avais pas les pouvoirs d'entrer dans la chambre de la déesse. Non, ce n'était pas vraiment une idée de pouvoir mais plus une idée de sang car seuls les individus ayant le sang des Taiji pouvaient pénétrer dans cette pièce. Mais, outre le fait qu'un premier obstacle se dressait devant moi, il y en avait un deuxième : le médaillon qui permettait d'ouvrir le passage vers le sous-sol où était glacé le corps sans vie. Médaillon qui était en la possession de la maîtresse des lieux qui l'avait entreposé je ne savais où. Enfin, comme l'on m'avait parfaitement appris, je devais me concentrer sur un problème à la fois, surtout que si le premier persistait, la solution du deuxième ne me serait d'aucune utilité. C'était amusant car, bien souvent, lorsqu'un obstacle se dressait devant moi, je me rendais toujours au même point, au même lieu : le manoir Taiji. Bien entendu, je savais parfaitement que je n'étais pas le seul dans ce cas précis mais ce n'était pas par amour inavouable pour la maîtresse des lieux. Non, c'était bien un amour mais pour le nombre impressionnant de livres dont regorgeaient les bibliothèques de cet endroit. Et, bien que la première reine des êtres maléfiques puisse être l'incarnation de beaucoup de défauts, sa passion pour les choses rares et précieuses était une qualité inestimable. Ce trait de caractère se retrouvait bien sûr chez sa descendante qui avait également amassé un nombre incalculable d'ouvrages, dont certains cachés au sein de sa demeure par le même système de protection : celui du sang. Alors, si je trouvais une solution à mon premier problème, j'aurai accès à des lieux dans lesquels même Naram n'avait jamais pénétré.

« Jun. ».

Je tournai la tête vers Seth. « Bonsoir mon vieil ami. ». Sa mine crispée n'avait pas changé. Je me demandai d'ailleurs si cet homme se détendait parfois et je supposais que oui, lorsque je n'étais pas dans les parages. Cette fois, je ne pouvais nullement me faire passer pour Naram, ayant totalement oublié de teinter mes yeux de la couleur de cet océan que je détestais tant. « Je ne suis nullement ton ami. Que viens-tu faire ici? ». Son ton était plus que menaçant, même si une personne normalement constituée ne l'aurait nullement remarquée. Seulement, je le connaissais parfaitement et puisqu'il voulait jouer à ça, je n'allais pas me gêner. « Allons, pourquoi te le dirai-je? Que vas-tu faire si je m'y refuse? Appeler ta maîtresse qui doit être quelque part en train de batifoler avec son imbécile de mari? ». Relevant légèrement la tête, un sourire finit par étirer les lèvres du majordome, chose rare et presque effrayante. « Le mari de madame n'est certes pas conforme aux attentes exigées d'un homme occupant son rang mais je donnerai tellement pour qu'il entre dans cette pièce. A ta simple vue, il serait voué d'une colère telle qu'il te détruirait sans que tu n'aies le temps d'implorer la clémence de la maîtresse des lieux. ». Je m'approchai. « Le crois-tu vraiment? Crois-tu que cet homme puisse me battre? ». Je sentais cette petite tension qu'il y avait toujours eu entre lui et moi, même en temps de paix, grandir petit à petit et je commençai à croire qu'il allait essayer de m'empêcher d'atteindre mes objectifs. Je finis par rire, n'ayant pas la moindre envie de tuer cette relique des temps anciens. « Seth. Si tu savais le nombre de fois où je suis entré ici et où tu m'as pris pour Naram, tu te suiciderais une nouvelle fois. Mais l'inverse est également vrai. Comment nous différencier après tout? Un brin de magie et je suis lui. ». Je m'exécutai, rendant mes cheveux aussi bleus que mes yeux. « Un brin de magie et il est moi, chacun jouant la carte de celui des deux étant le plus habilité à se trouver dans cet endroit selon l'époque. ». Je finis par me reculer légèrement, attrapant un bibelot posé là qui devait valoir une petite fortune. « Seulement, je suppose qu'aujourd'hui, je suis bien plus autorisé que lui à être ici. Il n'est qu'un homme oublié. Alors oui, peut-être l'aime-t-elle au fond d'elle mais si elle ne peut accéder à la mémoire de cet amour, cela n'importe peu. Et ne penses-tu pas qu'au regard de la situation actuelle, il vaudrait mieux qu'elle l'oublie à jamais? ». Je marquai une pause.

« Que serait-il si elle se souvenait de lui à présent que Mitsuko est mariée et enceinte? Uniquement la troisième roue d'un carrosse auquel j'ai refusé de me lier plus longtemps. A moins que tu souhaites voir l'image de ta maîtresse tomber dans les bouches folles des gueux qui agiteront leurs langues pour exciter des sots? Non, moi je pense que le mieux est qu'elle reste bien sagement aux côtés de son époux le temps qu'il lui reste et qu'elle me laisse m'occuper de cette troisième roue qu'elle n'aura aucune envie d'entretenir lorsqu'elle s'apercevra de la réalité de la situation. ». J'avais monté d'un ton, fixant le majordome d'un œil mauvais. Pourtant, froid comme une porte de prison, il me répliqua simplement. « Mitsuko n'aimera jamais cet homme. ». Il était si drôle, tellement que je me mis à rire, seul. « Puisque tu es si expert dans les sentiments de ta maîtresse mon cher Seth, peux-tu m'expliquer pourquoi elle a choisi d'aimer le mauvais côté de la pièce? Pourquoi elle a choisi de l'aimer lui et non moi? Parce que, finalement, cette femme veut frôler tout ce qu'elle n'a pas, tout ce qu'elle n'est pas. Elle aime les paradoxes, elle aime ce qui est différent. Et quoi de plus différent qu'un homme, prince d'une organisation criminelle? Quoi de plus excitant pour elle qui n'a connu qu'une éducation parfaite, que vers, musique classique et robes de soirée? ». Il resta silencieux, preuve que j'avais raison. Pire encore, je connaissais cette femme par cœur. Je pris alors un air faussement songeur. « Alors oui, peut-être qu'une fois qu'elle aura épuisé cet homme, qu'il se sera donné la mort ou qu'elle se sera lassée de lui, peut-être qu'à ce moment précis, elle se rendra compte de la véracité de ses sentiments. Mais même si le Marid était celui qu'elle aimait vraiment, crois-tu sincèrement qu'il l'attendra durant des années et des années, sachant que cet homme n'est nullement capable du moindre engagement le liant à vie à une femme? Non. Et celui qu'elle aimera en dernier lieu, ce sera moi, ça, je te le garantis. Mais, tout comme mon jumeau, je ne l'attendrais pas durant des siècles. ». Je souris, pour la simple et bonne raison que je n'attendrais pas, non, ce serait moi qui viendrait à elle pour prendre ce qu'elle me devait. « Enfin, quoi qu'il en soit, peu importe les grandes théories que je pourrai te servir ce soir, mon ami, elle mourra, et cela mettra fin au calvaire d'un certain nombre d'entre nous, moi le premier. ».

« Si tu penses un seul instant que je vais te laisser prononcer des menaces de mort envers ma maîtresse devant moi, tu... ». « Chut. Voyons. Je ne voudrais pas avoir à te tuer à cause d'un geste regrettable de ta part qui pourrait me laisser penser que tu aurais l'intention de m'attaquer. Que dirai-je à Mitsuko? Que j'ai tué son majordome par légitime défense? Je te pensais mieux élevé que ça. ». Un sourire malicieux illuminait mon visage car je savais qu'il ignorait la raison de ma présence ici. De ce fait, j'avais un avantage considérable : celui de la surprise. Je soupirai alors, concluant : « Tu sais, je me suis amplement renseigné sur toi. Tu es une ombre d'exception, tu manies le sabre avec beaucoup de dextérité, tes pouvoirs sont grands, notamment lorsque tu te trouves dans l'enceinte de cette demeure puisque tu la contrôles en totalité, sauf bien entendu les lieux qui te sont interdits. Cependant, si je suis venu ici aujourd'hui sous mes vrais traits, et étant aussi bien documenté, penses-tu que j'ai vraiment peur de toi. ». « Les fous n'éprouvent nulle peur, ce n'est pas pour cela qu'ils en deviennent plus puissants. ». Bien envoyé. Seulement, je n'avais pas envi de jouer au plus fin avec lui. « J'ai largement la puissance nécessaire pour te tuer. Et, crois moi, si j'étais réellement fou, je t'aurai tué depuis longtemps. Seulement, j'ai besoin de toi puisque d'après ce que je sais, Naram aime s'entretenir avec toi. Alors, j'ai un message pour lui, si tu veux bien lui faire passer, cela va de soit. Sinon, je crains fort que la cause de ma présence ici doive demeurer étrangère à ton esprit. ». « Bien, exprime cette raison, mais ne crois pas que je te laisserai faire un pas de plus en ces lieux. ». Oh, mais comment pouvait-il m'en empêcher? « Je suis ici pour obéir aux volontés de Mitsuko... ». Je laissai un petit suspens pour la forme. « Mitsuko première du nom j'entends. Et j'ai le plaisir de t'annoncer que le message que tu devras faire parvenir à Naram c'est que cette dernière est de retour. J'emploie le présent car le temps que ce message arrive au destinataire, elle sera sans doute déjà parmi nous. Quant à me laisser faire, je crains fort que tu n'aies pas le choix. C'est dommage pour toi mais je possède en ma possession une puissance que tu n'imagines pas encore, mon cher Seth. ». Un petit sourire teinta mes lèvres alors que je faisais apparaître dans ma main l'un des fragments de cristal maître que je possédais.

Je marchais dans les couloirs du manoir après m'être débarrassé de ce vieux majordome. Non, je ne l'avais pas tué, juste souhaitait qu'il ne communique à personne ce qu'il avait pu tirer de notre échange, sauf à Naram bien sûr. Et puis, j'avais fait en sorte qu'il m'oublie un temps, histoire que je puisse faire ce que j'avais à faire dans cette demeure toute aussi ancienne. C'était amusant que ce manoir tienne toujours debout malgré les siècles qu'il avait traversé, malgré les guerres. J'avais soudainement envi de m'y promener, moi, dans cette maison semblant vide, seul. Seth était sans doute reparti dans les cuisines et son amnésie le maintiendrait loin de moi un certain temps. Alors, je pivotai, rejoignant le couloir qui me mènerait dans la salle de bal. C'est précisément à cet instant que je les vis, tous ces fantômes de domestiques qui étaient morts au service de cette demeure et avaient traversé les âges. S'affairant à la tâche, ils chantaient un chant que je n'avais encore jamais entendu, quelque chose d'étrange dont je ne pouvais pas comprendre les paroles. Et ce que je ne savais pas, c'est qu'ils me prévenaient que quelque chose d'étrange allait se produire dans ma vie, quelque chose à laquelle je ne pouvais m'attendre. Je n'avais pas conscience du fait que dans mon esprit, le requiem se jouait, comme une mélodie dont je ne pouvais comprendre toute la signification, quelque chose d'inconscient. Quoi qu'il en soit, je ressentais l'ancienneté du sol qui que mes pieds foulaient, imaginant les pantins articulés qui avaient dansé dans cette sale de bal au rythme de la musique jouée par des musiciens d'excellence. J'étais né ici, j'avais marché sur ce sol tellement de fois sans jamais me rendre compte de cet héritage venant d'un passé tellement lointain. Il devait y avoir tellement de sentiments qui avaient joué ici, des femmes avouant leurs passions, des hommes avouant leur amour, des corps se rapprochant dans une danse langoureuse, des corps s'entremêlant dans une danse folle. J'aurai tellement aimé voir ces fantômes du passé, ces individus qui s'étaient tenus à ma place, les observer danser autour de moi. Je savais que Naram faisait parti d'eux et cela m'aurait sans doute amusé de le voir se mouvoir ici, ses yeux fixant cette femme à la chevelure flamboyante. Peut-être s'étaient-ils ensuite rendus sur ce balcon là bas pour échanger quelques paroles? Le passé était un vrai mystère, un mystère que j'avais envi de connaître à bien des égards.

Un petit sourire étira mes lèvres. « A force de se croiser, encore et encore, sans jamais se rencontrer, je vais finir par croire que tu as peur de moi mon frère. ». Il n'avait pas peur. Ou peut-être que si. Après tout, une fois sur le trône, je serai bien plus imposant que la plupart des hommes de ce monde. Peut-être attendait-il que l'on se trouve d'égal à égal pour venir à moi? Ou peut-être avait-il, justement, trop attendu? Plus il tardait, plus ma puissance augmentait et plus il tardait, plus mes alliés se réunissaient autour de moi. Cela dit, peut-être avais-je peur moi-même, sans vouloir me l'avouer? Ou peut-être était-ce simplement de l'excitation, celle de rencontrer cet homme dont on m'avait raconté l'histoire mainte et mainte fois sans que je ne puisse jamais m'entretenir avec lui? Les deux en même temps sans doute, peur et excitation de ce jour à venir. Je me demandais comment ce moment commencerait, nous battrons-nous? Discuterons-nous? Serait-ce moi qui irait vers lui ou le contraire?

Je me dirigeai vers la bibliothèques, la première, pensant que je devais me préparer à n'importe quelle possibilité bien que l'on dise de mon reflet qu'il se trouvait toujours là où on ne l'attendait pas. Très bien, mais je l'attendais absolument partout. Fouillant dans l'étagère dans laquelle je savais que le livre dont j'avais besoin se trouvait, je le pris délicatement pour pas qu'il tombe en miette. Le dernier voyage dans le désert l'avait fatigué ce pauvre ouvrage. Et alors que je pensais qu'un autre voyage finirait sans doute de l'achever, une chose étrange se produisit puisque la copie conforme du premier apparut à ses côtés après plusieurs hésitations de la magie. Avais-je fait cela? Prenant le deuxième livre, je tournais les page de ce dernier, me rendant compte qu'elles étaient toutes vierges, à l'exception du conte qui m'intéressait expressément. Arrachant les pages de cette copie juste à temps, celle-ci disparut dans le néant. Bien, je n'avais plus qu'à me mettre en route pour le désert afin de trouver la solution de mon premier problème. Et pour cela, parler avec Mitsuko me serait utile.

« Entend mon appel! ».

Cela faisait trois bonnes heures que je me trouvais dans le désert, marchant dans le froid de la nuit qui me glaçait les os. Je ne sentais plus mes pieds malgré le fragment du cristal maître que j'utilisais depuis que j'avais pénétré dans ce lieu, celui créant une chaleur insupportable. Je perdais bien sûr un temps considérable à œuvrer pour le retour de Mitsuko première du nom, mais j'étais certain que cela me serait bénéfique. Après tout, un roi ayant à ses côtés celle qui avait régné sur les créatures maléfiques par le passé, ne pouvait être que respecté. Elle serait un symbole, la muse impuissante de mon règne. Je souris, jouissant intérieurement de ce service que ma créatrice me rendrait sans s'en apercevoir. Quoi qu'il en soit, dès que la dernière phrase de l'incantation que je récitais depuis une vingtaine de minute retentit, le vent se mit à siffler d'une façon violente. Je positionnais mon bras sur mes yeux, mon corps ayant du mal à rester en place quand le sable du désert se souleva sous les violentes bourrasques. Je grognai, me demandant pourquoi est ce qu'il fallait toujours que ce genre de formules produisent des effets semblables? Était-ce pour montrer ô combien elles étaient puissantes? Ne pouvait-il donc pas rien se passer, juste le résultat attendu et non toute une mise en scène me faisant perdre mon temps et m'envoyant des grains de sable dans les yeux. Une fois la tempête calmée, j'étais couvert de la tête au pied du foutu corps du désert, ces fines particules irritantes à souhait. Énervé, ma colère retomba lorsque je me retrouvai face à l'esprit de la femme que j'allais ramener parmi les vivants : Mitsuko.

« C'est moi où depuis que tu es morte, tu ne peux pas changer de vêtements? ». Me fixant d'un air amusé, elle s'approcha légèrement, son regard balayant le lieu où elle se trouvait, avant de se fixer sur moi. « Je préfère ça au fait d'être couverte de sable de la tête aux pieds. Mais oui, en effet, et il me tarde de pouvoir de nouveau toucher le tissu précieux de mes vêtements... ». Elle avait un goût pour le luxe épouvantable, c'était certain. « Et j'ai hâte de pouvoir te toucher aussi. ». Je soupirai, son regard s'étant posé sur mon corps d'une façon totalement indécente. Finalement, peut-être serai-ce mieux de la laisser à son état d'esprit. Déjà qu'en fantôme elle n'avait jamais arrêté de me faire des avances, en ombre, je craignais que cela soit pire. Quoi que, elle serait déjà submergée par la déprime, par les conséquences de l'acte qu'elle s'était infligée. Peut-être que les sentiments de culpabilité annihileraient le désir qu'elle ressentait à chaque instant? Seulement, j'en doutais car cette femme avait toujours vécu dans la luxure la plus totale. Et puis, je doutais également du fait qu'elle reste parmi les ombres trop longtemps. « C'est justement pour cela que je tiens à te parler. Certes, l'idée de cacher ton corps au sein du manoir Taiji était une grande idée, dans l'optique où ta descendante aurait accepté de te ramener dans ce monde. Cependant, vu qu'elle n'en a aucunement l'intention, et je la comprend assez pour le coup vu ce que tu lui as fait subir, ta volonté me pose quelques difficultés. N'ayant pas le même sang que toi, je ne peux pas entrer dans la chambre de Mitsuko. Alors, stratège comme tu es, je me suis dit que tu aurais sans doute une solution à me chuchoter. ». Elle sourit. « Jun, articuler un 'sans doute' est déjà douter de mes capacités. Bien sûr qu'il y a une solution. Il y en a une à chaque énigme, à chaque problème, il suffit de regarder au bon endroit, tout simplement. Et, je m'étonne même que tu ne l'ais pas trouvé toi-même, je pensais t'avoir créé plus intelligent que cela vois-tu. ». Même en état de faiblesse elle se permettait des petites remarques désagréables. Je savais qu'elle plaisantait, bien sûr, mais en vu des efforts que je faisais pour elle, j'aurai attendu un peu plus de reconnaissance. Comme si elle avait lu dans mes pensées elle me sourit : « Je dois te paraître désagréable, non? Je le vois bien sur ton visage. Cependant, sache que le temps se fait de plus en plus long. J'aimerai retrouver mon corps au plus vite, tout simplement. Crois bien que je saurai te remercier comme il se doit le moment venu. ».

« Si tu veux que je te rende ton corps rapidement, ne serait-il pas plus approprié de parler tout aussi vite? ». Je savais que les esprits avaient un sens du temps quelque peu différent de celui du commun des mortels. Finalement, cette femme vivait un peu hors du temps, immortelle dans un sens mais invisible. Peut-être était-ce cela qu'elle ne supportait pas, de se faire oublier, que, peu à peu, de moins en moins de monde se souvienne d'elle, de son œuvre, de sa grandeur? Oui c'était ça, elle était narcissique, égocentrique, égoïste et avait un besoin inné de reconnaissance. Mais qui aimerait tomber dans l'oubli? J'étais sûr d'en être incapable, j'étais certain que Naram ne le pourrait pas plus. Non, peu d'individus pouvaient vivre dans l'ombre comme l'avait fait Mitsuko lorsqu'elle avait été impératrice de la nuit et esprit de la mort. Je réfléchissais à la vie de cette femme et finis par comprendre qu'une fois le plus haut sommet atteint, elle avait l'intention de devenir humaine. C'était ça son rêve, son but, toucher la perfection, la puissance absolue pour ensuite revenir au néant. Était-ce une force ou une faiblesse, une folie ou une marque d'intelligence pure? Je ne pouvais le dire mais je savais que je ne lui laisserai pas atteindre son but. Si je la tuais, ce serait au sommet de sa gloire. « Ne veux-tu donc pas jouer aux devinettes avec moi, Jun? ». A trop penser, je l'avais presque oublié. Je savais que, par le passé, il m'aurait été impossible de détacher mes yeux d'elle tellement elle m'aurait captivé, mais il fallait se rendre à l'évidence : à présent, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. « Je n'ai pas vraiment le temps, figure toi. J'aime beaucoup m'occuper de toi mais j'ai un trône à acquérir, vois tu. ». Je devais d'ailleurs donner mes premières instructions quant à celui-ci d'ici peu afin que la première partie de mon plan s'opère. « Bon, très bien, je vais te mâcher le travail. Nous savons tous les deux que ce qu'il te manque, c'est le sang de ma lignée. Si tu ne peux pas prendre celui de Mitsuko qui est actuellement bien plus qu'une sorte de boule d'énergie qu'autre chose, il te reste son héritage, comprends-tu? ». « Ses enfants... ». C'était d'une logique à couper le souffle, tellement que j'aurai voulu me brûler vif pour ne pas y avoir songé plus tôt. « Il te suffira d'un de ses enfants en réalité, n'importe lequel. Pas besoin de t'encombrer en allant le chercher toi-même, tes hommes feront le nécessaire pour toi. Par contre, il te faudra trouver une créature capable de transférer le sang de cet enfant dans ton corps et vice versa. Pendant qu'ils le chercheront, tu pourras faire ce qu'il te plait, comme avancer dans ta prise de pouvoir. ». Elle fit une pause avant de me préciser : « Cela dit, quand tu prendras le trône, je veux être à tes côtés. ». Je finis par rire parce que j'avais dit exactement la même chose à Masha il y a quelques temps concernant son propre trône. « Au fait, je me dois de te féliciter pour ta paternité mon cher. ». Paternité? « Pardon? ». « Oh... tu ne le savais pas? Enfin, je ne veux pas te déconcentrer, nous aurons tout le temps d'en discuter une fois que je serai de nouveau parmi les vivants. ». Et, sans demander son reste, elle disparut dans une nouvelle tempête de sable. De quoi parlait-elle? Étais-je père? Qui était la mère? Masha était-elle enceinte? Masha ou une autre femme? Je rageai, couvert à nouveau de la tête aux pieds par le sable froid, plusieurs questions qui resteraient sans réponse un moment me taraudant l'esprit. Elle le faisait exprès cette garce.

« Arkham? ».

Le lien qui m'unissait à mes hommes était indestructible. Aussi, certains d'entre eux, les plus puissants, pouvaient entendre mon appel où qu'ils se trouvaient. Ce sorcier et moi étions devenus très proches depuis le jour où je lui avais rendu son âme et je ne voyais personne d'autre pour exécuter la tâche que je m'apprêtais à lui confier. « Tu aimes le désert de plus en plus à ce que je vois. Mais je refuse que ce lieu devienne celui de notre race. Je t'en voudrais. ». « Non, c'est le contraire. Je le déteste de plus en plus. Quant au lieu où siègera notre race, je vais te le révéler : la prison. ». « Tu es d'humeur joueuse pas vrai? La prison où les peines des condamnés sont exécutés. Une façon de montrer que tu défis la justice? ». « C'est exact. Et puis, quel endroit plus sécurisé que celui où sont regroupés tous les fous et les psychopathes de ces terres? Si un jour nous sommes attaqués, il suffira de les relâcher... ». « Astucieux. Dis moi, que puis-je faire pour toi? ». « J'aimerai qu'avec l'aide d'une poignée d'homme tu captures l'un des fils de Mitsuko pour l'emmener à la dite prison. Elle n'est pas encore tout à fait à nous mais Armis y travaille actuellement avec mes hommes les plus fidèles. Le directeur devrait mourir d'un instant à l'autre, si ce n'est pas déjà fait. Le personnel également. ». « Moi qui pensais que tu faisais du tourisme, je suis bien surpris. ». « Il faut se méfier de l'eau qui semble dormir, n'est-il pas vrai? ». « Tout à fait. Quoi qu'il en soit, je t'amène le mioche là bas. ». « Et ne l'abîme pas, j'ai besoin de lui en bon état. ». « Bien. ».

A l'auberge où j'avais résidé tant de temps lorsque j'étais un ange, je me réveillai après une nuit bien courte. J'avais réussi à sortir du désert et m'étais rendu dans la cité d'Earudien où les elfes m'avaient accueilli sans poser de question. Après tout, ma peau était totalement tiraillée par la froideur du désert et j'étais tellement froid qu'on aurait presque dit un mort. Enfin, avec mes ailes d'un blanc immaculé, couplé de l'action du fragment de cristal maître qui modifiait mon essence, aucun doute n'était possible quant à ma nature bénéfique. Même si ça n'avait été que quelques heures, dormir un peu m'avait fait du bien, un sommeil sans rêve, simplement réparateur. Me levant calmement, je m'habillai, me fixant dans la glace d'un air quelque peu surpris de voir que le mal qui m'habitait prenait de plus en plus le dessus sur mon corps. La chemise entrouverte, je fixai mes tatouages. Isabella m'avait dit qu'ils servaient à quelque chose mais je n'avais toujours pas trouvé la clef de l'énigme. Un jour, peut-être. Boutonnant ma chemise, je contemplai le calendrier qui était fixé au mur, prenant conscience que je devrais rencontrer Zélia dans quelques jours, notre rendez vous hebdomadaire habituel où je lui parlais entre autre de l'armée de son peuple, de ce que nous avions fait, de la stabilité de l'annexion du lac de la transparence et où, je la laissais abuser de mon corps comme elle le souhaitait. Mais ce serait sans doute la dernière fois. Le temps était venu d'abattre mes cartes. M'approchant du bureau, je m'y assis, souriant à la vue des parchemins qui avaient été disposés là comme je l'avais demandé la veille. J'allais écrire à Annabelle pour qu'elle commence à répandre des rumeurs assassines, bien plus efficaces que n'importe quel combat, surtout que celles-ci n'étaient faites que de vérités.

« Cher Annabelle.

Si je t'écris ces quelques lignes aujourd'hui, c'est pour t'avertir qu'il est temps de mettre notre plan à exécution. Comme je te l'ai expliqué plus tôt, Zélia possède une armée cachée dans la cave de sa demeure en plein cœur de l'allée des brumes. Les temps étant à la guerre, la reine a proposé sous ma suggestion aux sorciers qui voudraient de venir vivre dans le village attenant sa propriété, ce qui nous facilitera les choses grandement. J'ai besoin de toi pour faire courir le bruit qu'elle aurait esclavagé un grand nombre de sorciers qui travailleraient pour elle dans sa cave, ces derniers étant manipulés. Il ne faut pas en dire trop, juste assez pour éveiller la curiosité des mages noirs vivant à présent aux alentours. Le bruit se répandra de lui même aussi vite que la gangrène et des questions germeront dans l'esprit de ses sujets qui voudront connaître la vérité. Il faut faire en sorte qu'une ou deux bagarres éclatent sans que la vérité sur ces dernières ne parviennent aux oreilles de la reine. Je ferai en sorte de l'éloigner par la suite afin que les soupçons des sorciers grandissent de par le départ précipité de cette dernière. Je lui proposerai simplement un voyage sur une île paradisiaque où je pourrai m'occuper d'elle comme d'une vraie reine. Ces choses qu'un homme est supposé organiser de temps en temps pour plaire à sa maîtresse en quelque sorte. Jouer à l'amoureux éconduit a été une rude tâche mais maintenant que j'en vois le bout, j'en éprouve une grande satisfaction. Je m'occuperai d'apporter la preuve de l'existence de cette armée par la suite à tout le peuple. Zélia s'en justifiera comme elle le voudra mais, quoi qu'il en soit, la confiance déjà bien basse du peuple en sera que plus ébranlée. Néanmoins, avant de passer à la suite, je devrais réaliser deux trois choses d'ordre plus personnelle. Je te recontacterai bientôt quoi qu'il en soit. Jun. ».

Me levant, j'espérai recevoir bientôt une lettre d'Arkham m'annonçant qu'il avait capturé le gamin. Cependant, même si sa capture avait été réalisé, je devais retourner dans l'antre des marais pour rencontrer de vieux amis que j'avais chargé de constituer une armée d'hommes de petites tailles : les nains qui m'avaient aidé lorsque j'avais été cherché l'âme d'Akham et qui détestaient Zélia au moins autant que moi. Les ennemis de mes ennemis sont mes amis, adage bien connu et pourtant terriblement vrai.

Je marchais de nouveau dans cet endroit emplit de lianes et de marais puant à souhait. Seulement, si j'avais envi de mettre mon plan à exécution, je devais en passer par là, obligatoirement. J'aurai certes pu envoyer une missive par le moyen que le chef du groupe des nains m'avait indiqué mais je préférai être prudent en sachant pertinemment que Zélia aimait particulièrement ce lieu et pourrait y avoir envoyé des fidèles pour comprendre pourquoi les âmes avaient disparu. Si je m'y déplaçais en personne, je pouvais parfaitement mentir sur mes intentions à un sorcier qui me questionnerait. Et puis, j'avais un rôle important, je n'étais plus un homme comme les autres, pouvant se fondre dans la masse. Non, tout était différent à présent, l'annexion avait suffi à faire en sorte que ma popularité grandisse au sein des miens, l'uniforme que je portais lors de toutes les sorties officielles faisait toujours grande impression et, même si elle ne s'en rendait pas compte, dès que je me trouvais au bras de Zélia, je l'écrasais de par mon charisme. Face à moi, elle ne représentait que peu de chose et sa seule force résidait dans sa grande magie. Mais, l'intelligence n'était guère son fort et c'est pour cela que j'allais la piétiner d'une main de maître.

« On nous cherche peut-être? ».

La voix qui résonna me fit sursauter malgré moi. Il fallait que j'arrête de plonger dans mes pensées à chaque fois que je me promenais seul quelque part, ces mêmes pensées me rendant vulnérable à bien des égards. Il s'agissait du chef des nains qui m'avaient aidé à me sortir du tunnel dans lequel j'étais tombé plus tôt. Bien sûr, les trouver dans un tel dédale aurait relevé du miracle alors, pris de pitié, le chef avait sans doute voulu m'épargner bien des maux. « Azril, je suis heureux de te revoir! ». « Dis plutôt que c'est le fait de t'éviter de te perdre dans les marais qui te rend heureux Jun! ». Oui, il avait raison, ce lieu m'insupportait de plus en plus. J'aimais être au sec, je détestais l'eau. Finalement, moi qui me plaignait parfois du désert, je prenais conscience qu'il me plaisait bien. Je n'étais simplement pas assez fort pour pouvoir m'y plaire, pour pouvoir en faire mon territoire. Mais un jour viendrait où cette terre me serait acquise. J'étais un conquérant, je le savais, je le sentais, aussi à l'aise dans les salons que dans les champs de bataille. « Bien sûr. Mais tu ne peux pas reprocher à un homme du feu de n'être pas à son aise dans les eaux croupies du marais. Quoi qu'il en soit, je suis venu ici parce qu'il est temps. ». Me fixant soudain d'un oeil plus grave, il se redressa du mieux qu'il put. « Je vais donc te montrer les hommes qui serviront ta gloire. Tu as sous ton contrôle tous les nains de l'antre des marais, en plus de certaines peuplades que j'ai réussi à convaincre de venir nous aider quand le moment sera venu. ».

Je tapai sur son épaule avec ma main en signe de reconnaissance. « Ne t'inquiètes pas, tu auras le temps de les contacter. Les miens vont répandre des rumeurs sur Zélia, des vérités en réalité et il te faudra agir pour révéler cette vérité au peuple. Pendant ce temps, je ne serai pas là, mais avec la reine elle même. Je ne dois pas apparaître, personne ne doit savoir quelle a été mon implication dans tout ceci. Pas encore. Le peuple doit se rebeller contre cette souveraine illégitime et j'ai pris bien soin d'être considéré comme le plus apte au trône après elle. Le plan est plutôt non offensif bien que j'ai besoin d'encore quelques petites choses pour qu'il réussisse à la perfection. ». Azril me sourit, claquant dans ses mains pour nous faire apparaître dans un tunnel ou une centaine de nains étaient en train de piocher pour trouver or et métaux précieux. « Comme vous n'aimez pas Zélia à cause des âmes qu'elle a entreposé ici, vous devrez clamer ceci haut et fort et proposer votre aide au peuple afin que la vérité leur soit dévoilée. Ainsi, en découvrant l'armée contrôlée par la reine, des vagues de rébellion se feront sentir. ». « Bien, je comprend, c'est un plan astucieux. ». Le nain semblait penser à quelque chose de précis et il dut s'y reprendre à deux fois pour finir par me demander. « Jun. Le sujet est délicat mais aurais-tu rencontré une sorcière dans l'antre à ta dernière visite en ce lieu? ». « Oui... pourquoi ça? ». L'air du nain se fit étrange, et je savais parfaitement qu'il savait quelque chose que j'ignorais. Il allait me l'apprendre et je n'allais pas être déçu du voyage, non.

A quelques kilomètres de la prison, l'on pouvait entendre des acclamations, des cris et des morceaux de fer résonner sur les barreaux du lieu où les jeux régnaient, des jeux d'horreur. En réalité, le groupe de sorciers sous le contrôle de Jun avaient attaqué durant la nuit, se fondant dans les ombres, usant de la téléportation sur les directions d'Armis pour créer une plus belle surprise encore après le premier assaut qui en avait déjà été une belle. Qui oserait attaqué la prison après tout? De tout temps, la forteresse avait été érigée en demeure inattaquable, de laquelle personne ne pouvait sortir, dans laquelle personne ne pouvait entrer sans un laisser passer. Pourtant, le sorcier qui avait eu l'idée de faire de cette vieille bâtisse l'endroit de prédilection de sa race avait étudié chaque détails, se servant des espions de l'échiquier pour en obtenir les plans détaillés qui lui avait bien vite dévoiler les avantages et les inconvénients, et, surtout, ce qui l'intéressait le plus : les faiblesses du lieu. L'attaque avait donc été rapide même si les combats avaient toujours lieu entre les gardiens du lieu et les sorciers. Il s'agissait en réalité d'une véritable guerre de force, les prisonniers acclamant les combattants dans les cages qui les maintenaient enfermer. Les individus enfermés ici étaient sans doute les pires de tous, des assassins, des violeurs d'enfants, des psychopathes. Et c'était justement eux qui faisaient de ce lieu un endroit redouter, un endroit qui le serait bien plus encore quand Jun le contrôlerait.

Armis fixait le combat sans réellement y prendre part, se téléportant avec une tranquillité impressionnante lorsque un gardien de prison tentait de lui trancher la gorge, réapparaissant sa propre épée plantée dans le corps du pauvre homme qui ne savait visiblement pas à quel sorcier il avait à faire, l'un des plus puissants, l'un de ceux qui n'avait peur de rien et suffisamment calme pour ne pas agir de façon impulsive. D'ici quelques heures, la prison serait entièrement à eux dans le plus grand secret. Oh bien sûr, les passants devaient se demander ce qu'il se passait dans l'énorme édifice mais personne n'aurait jamais la curiosité d'aller voir, personne. Soudain, Arkham apparut dans le dos de son égal, un petit sourire aux lèvres. « J'ai une mission qui devrait t'intéresser bien plus que moi vu que je n'y connais pas grand chose. ». « Parle. Si ça m'intéresse, je te laisserai la fin des opérations ici. ». L'ancien alfar sourit, devinant aisément que ça intéresserait son ami. « Jun souhaite que j'aille chercher l'un des mioches de la déesse. Seulement, je n'en connais aucun et je me suis dit que tu serais plus habile que moi dans ce domaine, je veux dire, pour l'attraper et le ramener rapidement. ». Armis sourit. Il connaissait chacun des enfants de Mitsuko, aimant par dessus tout étudier les lignées de ces terres. Féru d'histoire, il avait retracé dans un énorme ouvrage les principales lignées qui s'étaient démarquées des autres, cherchant dans le passé de chacun des souverains, interrogeant un grand nombre d'individus. « D'accord. De toute manière, à force d'entendre les cris et les armes s'entrechoquer, je commence à avoir un mal de crâne atroce. Je me charge de l'enfant. Je vais essayer d'en prendre un pas trop puissant, bien que, pour le moment, les garçons de Mitsuko sont légèrement faibles dans l'ensemble. ». « Ne dis pas cela à leur mère. » railla Arkham. « Ils le deviendront. ». Armis n'avait pas beaucoup d'humour, enfin, cela dépendait des périodes en réalité, et de son interlocuteur aussi. « Pourquoi veut-il l'enfant? ». « Pour un échange de sang... ». « Je vois. Il prend des risques parce que ce n'est pas dit que son corps accepte ce nouveau sang... ni celui du fils de Mitsuko. ». « Je crois qu'il n'en est plus à ça près. On dit qu'il est invincible, il s'en remettra. ». « Personne n'est invincible. ». Puis, Armis disparut, laissant Arkham seul avec sa réplique sur le bout des lèvres. L'ancien alfar ne comprenait que moyennement Armis, se demandant quand il plaisantait ou non. Seulement, il avait envi de croire que Jun était invincible car, sinon, si ses plans échouaient, Zélia les tuerait tous jusqu'au dernier.

« Allez! Tuez moi tous ces faibles! La prison doit appartenir aux sorciers avant l'aube! » avait-il crié en sortant son arme. Si Armis était du genre à regarder, attaquant que si on s'en prenait directement à lui, Arkham préférait prendre part au combat, pensant qu'ainsi, ça irait plus vite et motiverait les troupes. Il n'avait pas tord, c'était certain.

L'université de magie. Comme quoi, je voyageais beaucoup ces derniers temps. Je me demandais tout de même ce qui était le mieux entre les marais puant, le désert brûlant et l'université qui avait le pouvoir de rendre totalement fou qui y restait trop longtemps. Enfin, heureusement pour moi, la sorcière que je cherchais n'avait pas élu domicile ici mais y était pour rechercher un livre rare sur l'anatomie. Et comme j'avais besoin de ses services rapidement, je n'avais pas le loisir d'attendre qu'elle sorte de là. Grâce à ma boussole que j'avais récupéré à l'auberge en même temps que mes autres affaires en rentrant de l'antre des marais, ça irait plutôt vite en réalité. Je savais qu'ici, je ne devais surtout pas penser à trop de choses bien que les révélations qui m'avaient été faites par Azril m'avaient à la fois inquiété et réjoui. Je ne savais pas quoi en penser exactement et le mieux était sans doute d'avoir le fin mot de toute cette histoire avant de m'en préoccuper. Cela dit, je ne pouvais me résoudre à oublier. Cette sorcière qui m'avait paru si banal avant de coucher avec elle était en réalité bien plus qu'une simple femme souhaitant un enfant. Non, ce qu'elle voulait c'était trouver l'homme capable de l'enfanter, ce qui était quelque peu différent en réalité. D'après les nains, elle était une sorte d'oracle aux dons étranges. En effet, elle était incapable de révéler quoi que ce soit, fruit d'une malédiction des dieux selon les légendes. Elle serait l'oracle de la mort, l'oracle du chaos, la seule capable de reconnaître l'individu qui serait porteur du sort tragique de l'humanité. Néanmoins, elle ne pouvait révéler que le destin des hommes, non celui des femmes. Aussi, le jour où elle tomberait enceinte signifiait que le père de l'enfant avait un lien étroit avec la chute de l'ordre tel qu'établi par les aetheri. Alors, forcément, lorsque j'avais appris cette nouvelle, j'avais souhaité qu'elle soit enceinte, afin de me conforter dans mes projets. Mais il n'y avait aucun doute sur le fait que si cette sorcière portait un enfant, alors je ne pourrai rester dans l'ombre longtemps si la nouvelle de ma paternité se répandait. Il fallait donc que je la retrouve pour juger de son état. D'ailleurs, d'après les nains, sa grossesse ne durait pas le même nombre de mois qu'une femme normalement constituée mais deux années pleines. Le secret serait donc plus facile à garder dans les premiers temps. Enfin, j'espérai et n'espérai pas, étant partagé, sachant parfaitement que la naissance d'un enfant serait le signe pour les dieux que le jeu avait commencé. Seulement, elle était sorcière, appartenait à mon peuple, et si j'accédais au trône, alors elle m'obéirait.

Avançant dans l'université, mes yeux se posèrent sur la sorcière qui m'aiderait, semblant plongée dans un livre. « Vous savez, le mieux est de le lire à l'extérieur... ». Ne sursautant même pas, elle me dit simplement : « Cet ouvrage ne peut sortir de l'université. Je suis obligée de le consulter sur place et cela va sans doute me prendre plusieurs jours, en sachant que je dois sortir d'ici régulièrement pour éviter de devenir folle. Que voulez vous? ». Je finis par sourire. « C'est idiot de poser une question alors que vous connaissez déjà la réponse. Je sais que je ne suis pas très discret, mais tout de même, si vous aviez été une femme normale, vous auriez sursauté. ». « C'est votre prestance qui m'a annoncé votre venue voyons. ». « A d'autres. ». Je ris puis répondis tout de même à sa question. « Je veux que vous transfériez mon sang dans le corps d'un homme tout en me transférant le sien sans qu'aucun de nous deux ne meurt. ». Remontant ses lunettes sur son nez, elle me scruta, si bien que je songeais un instant que ces dernières avaient le même pouvoir que les miennes, le don de voir à travers la matière. « Vous allez souffrir vous savez, lui aussi. En plus, il faudra vous déshabiller tous les deux. Vous n'êtes pas pudique j'espère? ». Plongeant mon regard dans le sien, je finis par sourire : « Vous savez, j'ai été créé pour être parfait alors je suppose que je n'ai rien à cacher. ». Ricanant, elle sembla ravie. Elle me paraissait un peu moins charmante, obsédée par la science et ravie de voir un homme nu. Sa beauté n'était pas non plus des plus grandes. Enfin, je laissais bien Zélia abuser de mon corps autant qu'elle le voulait alors si cette scientifique posait ses mains sur moi, ça ne changerait pas grand chose. « C'est surtout pour que vos vêtements ne prennent pas feu. Je suis experte en anatomie et médecine en tout genre mais pour transférer votre sang plus vite, je serai obligé de vous électrocuter. Mais c'est vrai que voir des hommes nus ne m'a jamais rebuté, au contraire! ». Elle rit. Bien, c'était entendu. Déroulant le bout de parchemin qui était apparu devant moi alors qu'elle parlait, je finis par lui dire en me concentrant sur le livre pour en faire apparaître une copie parfaite non magique entre mes mains. « Si vous me suivez maintenant, je vous en ferai cadeau... ». Tournant les pages, je vis avec fierté qu'aucune page n'était vierge. Je faisais des progrès...

Les cris d'un enfant raisonnaient dans la prison où je venais d'apparaître avec la sorcière dont j'ignorais toujours le nom. « Nîmes ». « Pardon? ». « Je m'appelle Nîmes. ». Drôle de nom mais je n'allais pas lui souffler ce que j'en pensais, des fois qu'elle m'électrocute plus que de raison. Cela dit, je savais qu'elle lisait dans mes pensées, et je l'avais su dès le début. Enfin, peu importait, l'important était que l'un des fils de Mitsuko se trouvait ici et que j'avais trouvé cette femme, une femme capable d’exhausser mon souhait. Armis, Arkham, Annabelle, Nîmes, oui, j'avais à mes côtés des sorciers puissants qui feraient des chanceliers d'exception. « J'ai besoin d'un peu de temps pour préparer le matériel nécessaire. Il doit y avoir tout ce qu'il me faut dans l'infirmerie de la prison. Je reviens. ». La laissant partir, avec ses cheveux d'un rose étrange accrochés sur sa tête en un énorme chignon bouclé, je finis par sourire, me moquant légèrement de son apparence excentrique. « Quelle drôle de femme. ». C'était Arkham, un sourire triomphant sur les lèvres qui me laissait penser que la prison était entièrement à nous à présent. Je n'avais pas dormi de la nuit mais peu importait, je me reposerai après l'opération avant de me rendre auprès de la reine. Je devais avoir deux bons jours devant moi et je savais que les rumeurs devaient déjà être sur toutes les lèvres grâce aux bons soins d'Annabelle. Une équipe coordonnée m'assurait la victoire la plus absolue. « Pas trop tendu? ». Je haussai les épaules, un peu las. « J'ai laissé Armis se charger du fils de Mitsuko. C'est un enfant... d'ailleurs, il semble qu'il connait son père. ». C'était donc lui qui appelait son père depuis tout à l'heure à grand coup de papa. « Armis dit que son père n'est autre qu'un certain Alec... ». « Alec? ». Je fronçai les sourcils, énervé par cette nouvelle bien plus que si l'on m'avait dit que Zélia savait que j'étais un traitre. Je soupirai. « Bon, amène moi à lui. ». J'aurai préféré qu'il s'agisse plus d'Heylel, que je n'aimais pas, ou de quelqu'un d'autre plutôt que de ce gamin. Mais, à présent, je ne pouvais plus reculer. Le laisser partir ébranlerait la confiance de mes hommes et retarderait nos plans. Une fois dans la pièce, je congédiai l'ancien alfar pour me retrouver seul avec l'enfant. Quel âge avait-il déjà? Dix ans? Douze ans?

« Bonsoir, je m'appelle Jun. Avant tout, sache que je ne t'en veux pas personnellement. Je regrette même de ne pas m'être chargé de cette mission moi-même, surtout que je connais ton père semble-t-il. Alec, n'est ce pas? ». Je n'attendais pas vraiment de réponse, lui faisant signe de se taire pour éviter d'avoir à regretter encore plus ce que j'allais lui faire subir, et ce que je subirai aussi. La seule différence entre lui et moi était justement que j'avais conscience de ce qui allait se passer et que je le voulais. M'asseyant sur une chaise quelque peu miteuse, je finis par continuer. « Ce n'est pas de ta faute, tu n'as rien fait de mal pour te retrouver ici mais disons que tu as quelque chose qui m'est précieux : ton sang. J'ai besoin de ton sang, un liquide précieux dans lequel se trouve une partie de ta mère, et c'est justement cette partie que je souhaite. Je ne sais pas si tu la connais mais elle a la fâcheuse tendance à vouloir garder ses secrets et à trouver des méthodes assez étrange pour se faire. ». Bien sûr, ce n'était pas Mitsuko qui avait mis en place le système du sang mais bien son ancêtre. Cependant, je n'allais pas commencer à embrouiller ce pauvre gamin avec des détails futiles. En plus, s'il pouvait se mettre à haïr sa génitrice, ça lui éviterait sans aucun doute de souffrir encore plus à l'avenir. « Je vais donc t'expliquer ce qu'il va se passer. Loin de moi l'idée de vouloir te tuer ou te torturer. Nous allons simplement échanger nos sangs. Le tien entrera dans mon corps et le mien dans le tien. Je ne te cache pas que cela sera douloureux, pour toi comme pour moi. ». J'étais franc avec lui, préférant dire la vérité plutôt que de mentir à ce garçon. Je savais que son père n'apprécierait pas, qu'il chercherait à me tuer sans doute et ça me déplaisait car je l'avais apprécié le temps que nous avions passé ensembles, aussi court fût-il. « Crois-moi, si j'avais le choix, j'aurai préféré mille fois te demander d'accomplir cette tâche pour moi, toi qui peut pénétrer dans toutes les pièces du manoir Taiji. Seulement, ce que je dois faire ne peut être exécuté que par moi. Tu comprends? Et peut-être que cela ne sera qu'une piètre consolation mais c'est pour faire revenir d'entre les morts une femme... que tu pourrais éventuellement considérer comme ta grand-mère. ». Je n'allais pas lui dire la position précise de Mitsuko première du nom dans son arbre généalogique, sinon j'en avais pour trois heures à débiter des arrière arrière etc etc grand-mère.

L'on frappa à la porte, signe que nous allions bientôt commencer l'opération. Il fallait encore que la sorcière excentrique installe tout le matériel, ce qui me donnait encore un peu de temps pour discuter avec ce garçon, bien que le seul à parler fut moi en réalité.