Les Gourmands
Muscarine & Jezeṃiās

☙ Sub Urban - Bandit

Jezeṃiās sifflotait, son pas guilleret écrasant les molles herbes au verdoyant gras et sain à en mourir. La construction de l'Ublys avzc son équipe l'avait diverti un temps, mais pas deux. Lassé par la perspective de devoir reproduire à l'infini les Wëltpuffs à la toison nuageuse sur les planches de bois poli, le Démon avait prétexté l'assouvissement d'un besoin urgent pour prendre congé et laisser à ses coéquipiers le plaisir de cette torture.

Sur le chemin de sa fuite, les arômes d'un stand avaient ralenti sa foulée pour aimanter la direction de son nez droit sur la tentation. Il n'avait pas cherché à lutter et n'avait pas attendu qu'une mare de salive humidifie le sol à ses pieds pour faire l'acquisition d'une des douceurs aussi croustillante que fondante, couronnée de son nappage chocolat encore tiède. Amateur de tous les goûts existants, des plus macabres aux plus sucrés, il mordit avec appétit dans la gaufre en reprenant tranquillement sa promenade. En quelques bouchées, ses lèvres et son menton affichèrent les traînées collantes de ce modeste Péché.

L'esprit vide jusqu'à présent, Jezeṃiās se surprit à réfléchir. Il avait l'intention de sortir victorieux de cette compétition, et il ne parlait pas du Tournoi d'Ublys, mais bien d'un concours personnel. Ce lieu et ses participants formaient le terreau idéal pour distiller quelques délits propres à générer une distraction à la mesure de ses préférences personnelles. La bonne entente, la coopération, c'était bien uniquement pour les briser. Il préférait de loin les plaisirs de la trahison et les halètements de la colère. Presque tous ici s'investissaient pour gagner, à bâtir la plus jolie des barques ou des radeaux, à s'encourager et à passer un bon moment. En toute transparence, l'adolescent ne passait pas un si mauvais moment, il était d'humeur assez joviale et trouvait toujours de l'entrain à toute compétition, mais il ne pouvait s'empêcher d'avoir envie de vomir quand tout se passait trop bien. Il suffisait de semer le doute dans les esprits, à soumettre quelques personnalités malléables à la tentation du sabotage. Il ne fallait qu'une petite allumette pour embraser les cœurs et les pousser au vice, mais encore fallait-il la trouver, cette allumette. C'était là que son intellectuel volant au ras des pâquerettes ne l'aidait que trop peu dans sa quête démoniaque.

Il en était là à songer à ses options quand ses pieds s'emmêlerent dans un cordage oublié sur l'herbe. Il récupéra par miracle son équilibre mais sa gaufre ne put en dire autant. Après une chute misérablement courte et brutale, elle finit sur les pieds d'une ample créature. À l'odeur avant de la voir, il la reconnut, et le Démon s'empressa de secouer les boucles tombant sur ses yeux pour mieux admirer le visage empreint de lourdeur de Muscarine. Comment n'avait-il pas pu la voir avant ? Sur ce paysage d'un bucolique indécent, sa personne ressortait encore davantage et magnifiait ses imperfections qui l'avaient frappé dès la première fois qu'il l'avait vue dans les couloirs. Il en fut presque transcendé et mit un certain temps à prouver qu'il était doué de parole. « Quel plaisir de te croiser, la gaufre m'en est tombée des mains. Attends. » Il se baissa pour ramasser sa gourmandise échouée sur les pieds de la Sorcière. Le chocolat s'était renversé sur les souliers. Il passa son index dessus pour en rappeler le plus gros et le fourra dans la bouche pour le suçoter avec avidité en se redressant. « On partage ? » fit-il en levant la gaufre entre eux.

Message I | 671 mots

L’amas graisseux que je représentais se mouvait lentement, semblable au corps d’un escargot répandant sa bave sur le sol. Derrière moi, une trainée odorante rendait toute opération de filature impossible aux nez sensibles. Je pouvais être assimilées à ceux qui fumaient et asphyxiaient les passants, à la différence que j’avais pleinement conscience de puer. Ça me plaisait de malmener mon entourage, de laisser mon haleine fétide envoyer des nuages lourds d’un parfum de décomposition en direction de toutes les narines. Je guettais chaque réaction. C’était mon petit plaisir et je n’en éprouvais aucune culpabilité. Parfois, j’étalais mes excréments dans les toilettes ou urinais à côté en espérant que des chaussures naïves s’empêtrassent dans mon univers de saleté. J’acceptais de manger certains légumes à l’unique condition qu’ils pussent participer aux desseins d’Ethelba.

Sur le chemin, je lâchai un pet. La sensation dans ma culotte fut à la fois chaude et consistante. Je savais déjà qu’il s’agirait d’un raz-de-marée olfactif, que la puanteur s’accrocherait longtemps à cette allée. Allée des rosiédor, lus-je, avant de ricaner. Les Magiciens avaient un certain talent pour trouver des noms aux lieux. Ils accolaient souvent des mots en rapport avec les fleurs, les couleurs ou n’importe quel concept positif. À présent, cette allée pourrait être renommée Allée du petpuant.

Je débouchai sur un gazon. Mon regard se posa sur un garçon qui devait avoir mon âge. Du moins, en apparence, il semblait être dans la même fourchette que ce microbe de Léonidas. Je fixai la gaufre s’aplatir sur ma chaussure. J’avais été chassée de l’Ublys de mon équipe après avoir englouti une bonne partie des décorations. Certaines étaient de réelles pâtisseries. D’autres étaient des imitations. Je n’étais pas certaine d’avoir mangé uniquement les premières. Je sus à ses mots qu’il ne s’agissait pas de l’insupportable mielleux qui avait écrit une lettre anonyme à mon attention. Les adolescents fleur bleue ne m’intéressaient pas. Je laisserais mon fiancé corriger ce morveux, que ce fût une plaisanterie ou non. L’honneur de Léonidas était en jeu, s’il en avait seulement un. Je souris devant le geste de l’inconnu. « Tiens donc. » Ce n’était pas habituel. « Seulement si j’ai la plus grosse moitié. » lui fis-je savoir. Il y en avait toujours une. Je le regardai, lui et ses mèches rebelles. N’importe quel autre étudiant de Basphel aurait probablement abandonné la gaufre là après s’être platement excusé, dégoûté. Lui ne semblait pas troublé par la saleté. Il faut dire qu’elle n’était que très superficiel. Ma chaussure comportait, au pire, quelques éclaboussures de vomi. J’enlevai celle des deux qui avait reçu le plus de chocolat. Une odeur de pied traça son chemin dans l’air. Je me baissai difficilement pour la ramasser et, une fois mon geste accompli, regardai le soulier avant de sortit ma langue pour lécher le chocolat restant. Entre deux lapements, je lui jetai des coups d’œil. Quand j’eus léché la moitié je lui tendis mon soulier. « En échange de la moitié de gaufre. »

500 mots

Les Gourmands
Muscarine & Jezeṃiās

☙ Scott Helman - Sweet Tooth

Avec un intérêt côtoyant la fascination, Jezeṃiās contempla l'effort non négligeable que Muscarine dût fournir pour atteindre son pied. Il était déjà surpris qu'elle parvienne à y arriver sans rompre son équilibre. Il avait rencontré une fois un des hommes qui devait se battre dans l'arène. Son corps était si enseveli sous des paquets de graisse qu'il ne pouvait se déplacer sans aide, sous peine de briser ses articulations. Attiré par l'insolite gladiateur, Jezeṃiās n'avait manqué aucun de ses combats, qu'il exécutait assis, avec la nonchalance propre à ce gabarit. Sous sa forme démoniaque, ses bras mutaient en tentacules hérissés de pointes qui faisaient des ravages sur ses adversaires. Quand il avait finalement succombé, Jezeṃiās s'était infiltré discrètement jusque là où sa dépouille avait été traînée en attendant d'être jetée aux ordures pour y prélever quelques morceaux de chair et goûter son favori. Le goût avait été incomparable. Aucun nerf pour venir gâcher la tendresse fondante de la chair épaissie du mucus gras. Il avait simplement regretté de ne pas pouvoir le dévorer tout entier. Il se demandait si Muscarine aurait aussi bon goût. Non, il en était certain. Rien qu'à l'odeur, il salivait. Elle ne rivalisait pas avec Aodh, mais elle en était une digne prétendante. Sans doute en voudrait-il comme amante, s'il apprenait son existence.

Le Démon lui tendit la gaufre qu'il avait finalement décidé de lui donner entière, trop heureux de contribuer à l'évolution des charmes de la Sorcière. Il réceptionna la chaussure et renifla à sa guise les remugles qui lui étaient offerts. Chocolat coulant et fumet de pourriture humide, il y avait de quoi en devenir dur dans le pantalon tellement ça lui rappelait la maison, pas l'orphelinat ni Basphel, mais la petite cellule uniquement dotée d'un grabat en bois grinçant où on acceptait qu'il dorme lorsqu'il restait en Enfer. Située juste à côté des cages pour animaux, il pouvait profiter pleinement des arômes entêtants d'excréments et du sang dégouttant des plaies purulentes des bêtes parquées là en attendant leur prochaine ovation sur le sable de l'arène.

Sa langue se promena avec gourmandise sur le soulier qu'il avait pris à deux mains. Avec des charognes, ça aurait sans doute été encore mieux mais les Magiciens qui surveillaient l'évènement verraient certainement d'un mauvais œil que des tripes salissent leur herbe proprette. Il s'était déjà attiré quelques froncements de sourcils en remplissant le formulaire d'inscription. Il releva les yeux sur Muscarine en grattant avec son ongle les saletés incrustées à l'intérieur de la chaussure. « Elles sont définitives ces fiançailles avec ce Léonitruc ? » s'enquit-il en fourrant deux doigts dans la bouche. « J'ai failli ne pas le voir tout à l'heure. Il est si... fade. » Tout le monde l'était à Basphel. Lisses, propres, beaux, comme des plantes vertes. Inintéressants. « Mais pas toi. » Il lui sourit et lui rendit son bien. « Il sait nager ? Ce serait dommage qu'il se noie, pas vrai ? » lança-t-il, chafouin.

Message II | 525 mots

Et bon dimanche

J’observai l’adolescent depuis que je lui avais tendu ma chaussure. Un sourire porcin déforma mon visage lorsque je le vis humer son parfum et je croquai dans la gaufre avec appétit et sans ménagement, le chocolat qu’elle contenait encore colorant ma langue, mes dents et le pourtour de ma bouche. Les quelques poils de duvet à la commissure de mes lèvres ne furent pas épargnés, le gras les maintenant à présent plaqués contre ma peau. Je léchai ensuite les trous de la pâtisserie, en même temps qu’il le fit avec le dessus de ma chaussure. C’était plaisant, de déloger tout ce sucre de la pâte et de constater les traces marrons qui tachaient ensuite le support, mélangées à de la salive. Mon index s’avança pour toucher la texture gluante. J’avalai le reste tout rond et essuyai ensuite mes mains sur mon haut l’air de rien. La question me surprit. Généralement, lorsque les gens évoquaient Léonidas, c’était pour m’apprendre quelle chance j’avais qu’un homme comme lui devînt bientôt mon mari. Ils ne comprenaient rien. C’était lui qui avait de la chance, bien qu’il ne semblât pas la mesurer. Toutes les filles de Basphel se ressemblaient. Des filles normales dans un monde normal. « Tant qu’il respirera, je dirais que oui. » répondis-je, tout en fixant les doigts du garçon disparaître dans sa bouche. Il n’était pas comme les autres, pour de vrai cette fois. Certains tentaient de se donner un genre mais ne faisaient qu’entrer dans une case : celle de ceux qui se donnent un genre. Des moutons de plus, convaincus d’être spéciaux. Basphel en était remplie. J’acquiesçai lorsqu’il qualifia mon fiancé de fade. Il n’y avait pas plus fade. Il ressemblait à n’importe quel Sorcier de son âge et suivait les codes de sa société d’appartenance comme un parfait métronome. J’aspirais à plus. J’aspirais à recouvrir le monde de champignons. Ils se multiplieraient, sur le paysage, dans les culottes, sur la nourriture. « Bien sûr que je ne suis pas fade. » Mon odeur parlait d’elle-même. Je ris, d’un rire qui ressemblait pleinement à celui que les enfants imaginent appartenir à une méchante sorcière de conte, mélangé à celui d’une hyène. « Malheureusement, il sait. » Contrairement à moi qui n’étais doutée dans aucun sport, Léonidas en pratiquait plusieurs depuis quelques temps. Forcément. Monsieur voulait être parfait au sens de la masse. « Tu t’y connais en champignons ? Ils sont bien plus intelligents que la plupart des élèves de Basphel. » lui affirmai-je. « Quel dommage que nous ne soyons pas dans le même dortoir. Mes colocataires ne semblent pas ravies de m’avoir avec elles. » Je souris. Je ne faisais rien pour qu’elles le fussent. « Tu peux garder ma chaussure. » décidai-je. « Mes chaussures. » rectifiai-je, en enlevant la deuxième. J'avais hâte de voir les visages de mes partenaires se décomposer.

462 mots