Une grosse opportunité

Musique

Éris avait accepté de sortir de son étude poussée des partitions de Cyrius Windsor uniquement parce qu’elle avait ouïe-dire que Muscarine Paiberym ferait partie du groupe qui visiterait l’opéra. La Sorcière n’était, en réalité, pas sûre de vouloir se rendre dans les lieux. Le fait que les Vampires jouassent eux-aussi de la musique et chantassent lui faisait le même effet que pour les Sirènes. Parfois, elle se disait qu’une alliance musicale était possible. D’autres fois, elle les honnissait et partait du principe que ces peuples étaient incapables de produire quoi que ce fût de valable. Cette seconde conception créait chez elle une peur bleue de découvrir qu’elle se trompait. Finalement, la musique était universelle et toutes les races s’y prêtaient, certaines avec plus de brio que d’autres. Néanmoins, ce n’était pas tant l’opéra qui l’intéressait mais bien l’hideuse Muscarine. Si Éris était une Paiberym, elle aussi, elle n’était pas parente directe de l’homme qui l’intéressait, à savoir Kaahl Paiberym. L’obèse, en revanche, était sa nièce. Dans l’esprit de la Sorcière, il y avait donc une opportunité à ne pas louper. Le problème c’est que la grosse ne lui inspirait que de la répugnance. En bonne Mage Noire, elle se demandait comment une femme pouvait encore vivre avec tout ce poids sur les épaules. Si elle avait été comme elle, Éris aurait mis fin à ses jours. Elle plaignait très clairement Léonidas. Lui était élégant et plutôt beau garçon – même si elle n’était pas intéressée. Sa fiancée, elle, était tout sauf ragoutante.

Éris s’approcha du gras de Muscarine. « Bonjour. » murmura-t-elle, en tentant de plaquer un sourire sur ses lèvres. C’était délicat. Elle n’était pas douée pour faire semblant. Lorsqu’elle tentait, ses tentatives se terminaient en échec. « Je suis Éris Paiberym. Nous sommes de la même famille. » précisa-t-elle. Devait-elle lui demander de but en blanc ce qu’elle désirait ou attendre un peu ? Les convenances préféraient la deuxième solution. Cependant, Muscarine était inconvenante à elle toute seule. « Hum… Je me disais que ce serait peut-être bien qu’on apprenne à se connaître. Tu aimes l’opéra ou la musique ? » Elle se maudit d’avoir commencé une telle conversation. Elle n’était pas sûre d’arriver là où elle désirait. « Je suis une grande fan de l’Empereur Noir. Il paraît que l’un de tes oncles le connaît. Il a de la chance… » laissa-t-elle flotter dans l’air, avec l’espoir fou que l’autre comprît où elle désirait en venir et l’invitât d’elle-même à le rencontrer. « Et toi tu as de la chance d’épouser Léonidas Taiji. Son père est un homme éminent. » La féliciter sur son mariage prochain jouerait probablement en sa faveur. Muscarine devait se sentir honorée d’avoir un futur mari séduisant alors qu’elle était si laide.

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Les gouttes de sueur coulaient le long de mes bras et s'infiltraient partout où elles pouvaient se frayer un chemin. Mon dos était trempé et, entre mes seins, l’humidité avait tôt fait de se changer en torrent dégoulinant. La peau intérieure de ma cuisse droite ne cessait de rencontrer sa jumelle gauche. Le frottement incessant créait une irritation qui n’était rien comparée à la douleur de mes chevilles. Je n’étais pas faite pour marcher et cette visite à l’opéra était une très mauvaise idée. Mes cheveux collaient à mon crâne et la transpiration qui mouillait mes aisselles dégageait une odeur qui ne seyait pas à mes narines. Néanmoins, puisqu’il fallait profiter de cette opportunité, je levais les bras dès que la situation me le permettait, afin que mes camarades pussent sentir à leur tour. J’étais tellement altruiste… le partage n’avait jamais de limite avec moi. Je profitai d’une pause pour tremper mes doigts dans mon paquet de gâteaux. Puisque je fournissais un effort considérable, il me fallait des forces. Lorsqu’il fallut y retourner, je priai pour ne plus avoir à marcher ainsi pendant de longs mois. Le sport me faisait horreur et la marche ne faisait pas exception.

« Bonjour. » soufflai-je. Mon cœur, enrobé de gras, n’avait visiblement pas envie de me fournir de quoi parler et marcher en même temps. Je m’arrêtai et regardai mon interlocutrice des pieds à la tête. Encore une de ces Sorcières qui s’affamaient pour paraître désirables aux yeux des hommes. Pauvre fille. Pauvre chose, même. « D’accord. » Je n’avais pas l’énergie nécessaire pour fournir une phrase complète. De toute façon, ce qu’elle me disait n’avait aucune importance à mes yeux. Elle m’aurait offert des sucreries, la donne aurait été différente. Néanmoins, elle arrivait les mains vides. « Non, pas que je sache. » L’opéra ? Ce truc bruyant ? Jamais de la vie. Il n’y avait que les vieux et les hypocrites pour dire aimer ça. Quand elle évoqua l’Empereur Noir, un sourire torve se planta sur mes lèvres moites. « C’est sûr. Ma famille est extrêmement proche de l’Empereur Noir. » Absolument pas. Il n’y avait que le traître qui le côtoyait. Mon père et son frère avaient des postes importants mais aucune relation amicale avec le Grand Chaos. De toute façon, Cyrius Windsor laissait clairement à désirer. « De la chance ? » J’avais failli m’étrangler. « D’épouser ce minable ? » Je levai le menton. « C’est lui qui a de la chance de m’épouser. » J’eus une idée. « Surtout que ce n’est pas vraiment un homme… si tu vois ce que je veux dire. J’ai accepté le mariage pour lui éviter la honte mais il est clair qu’on ne pourra jamais avoir d’enfant ensemble. » Je soupirai. « Ah la stérilité… quel fléau. » Autant que la sueur. Je levai un bras et fis mine de me gratter le dessus de la tête.

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Une grosse opportunité

Musique

La bouffée d’air chargé de sueur puante infusa le cerveau d’Éris au point de lui faire oublier un instant les révélations sur Léonidas qui venaient de sortir de la bouche de la Sorcière. Elle se retint de se boucher le nez ou de s’éloigner. Pendant quelques secondes, elle s’imagina dans un laboratoire d’expériences douteuses, après qu’une fiole mortelle eût éclatée au sol. Muscarine était une fiole mortelle. Elle puait le cadavre en décomposition et ressemblait à un épouvantail capable de faire fuir les dragons eux-mêmes. Ses cheveux semblaient ne pas avoir été lavés depuis des semaines et les plis de sa peau contenait ce qu’Éris estimait être de la saleté. La sueur lui donnait une apparence huileuse qui n’arrangeait rien. L’idée selon laquelle il suffirait de la pousser pour qu’elle écrasât trois ou quatre élèves aurait pu la faire rire si elle était le genre de personne qui rit. En posant ses yeux sur le cou porcin de son interlocutrice, vision couplée à l’odeur, elle sentit un haut le cœur la saisir. Cette fille était une vraie honte pour son peuple mais, curieusement, ça inspirait plus Éris qu’autre chose. Elle se demanda si Nasep – son père – aurait tenté de toucher Muscarine. La réponse paraissait évidente. « Ah… Ah ouais ? » Il fallait bien continuer la conversation, malgré les circonstances épouvantables dans lesquelles elle se déroulait. « Je ne savais pas. » Elle ne savait pas quoi en penser mais ça faisait sens… Pourquoi les parents de Léonidas auraient-ils marié leur fils à Muscarine sinon ? L’apparence ne faisait pas tout, c’était certain, mais il y avait d’autres filles d’un rang équivalent à celui de la grosse, des filles pas forcément belles mais qui ne faisaient pas taches dans un bal. « Au moins, tu ne risqueras pas de te retrouver enceinte. » conclut Éris, en haussant les épaules. Elle n’avait pas pensé que, peut-être, la Mage Noire devrait se reproduire avec un autre que son mari. Dans sa tête, ils formeraient un couple stérile et seraient tous les deux mal vus. Néanmoins, malgré son temps de réflexion sur le sujet, le fait est qu’elle s’en foutait complètement. « On devrait devenir amies. Tu m’aides à rencontrer le Roi et je t’aide à… » À quoi pouvait-elle bien l’aider ? Elle n’était elle-même pas forcément bien intégrée. Elle soupira. « Qu’est-ce que tu voudrais ? » Elle refusait de l’aider à se laver par contre… et pitié, si elle pouvait s’essuyer la bouche et baisser les bras, ça serait plus vivable pour tout le monde. D’ailleurs, la masse d’élèves s’était écartée depuis longtemps d’elles.

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« Bien sûr, ma chère. » fis-je, à la petite Sorcière qui m’accompagnait. Elle semblait née de la dernière pluie mais je voyais en elle une opportunité : celle de répandre de sales rumeurs sur Léonidas. « Il ne s’en vante pas, figure-toi. » Il s’agissait de l’une des pires choses pour un homme, avec le fait d’avoir dans sa descendance un homosexuel car, après tout, les chats ne faisaient pas des chiens. Je songeai que j’aurais pu faire semblant d’éprouver des remords d’avoir lâcher l’information mais je ne regrettais rien concernant ce nuisible de Léonidas et n’aurais su comment me cacher d’éprouver beaucoup de plaisir à le critiquer ouvertement. Le commentaire suivant de la brune me tira une expression étonnée. Ce n’était pas courant chez les Mages Noires de tenir de tels propos. Les femmes avaient la charge de la descendance et ne pas avoir d’enfant signifiait une mort sociale imminente, même lorsque le problème venait du monsieur. Personne ne voulait discuter avec une famille en perdition, une fin imminente, un couple sans avenir, des gènes perdus. Plus il y avait d’enfants, plus tout ce beau monde était rassuré. Néanmoins, à titre personnel, je n’avais pas envie de porter les bébés de mon fiancé. Hors de question de mettre au monde des demi-portions. Je désirais des bambins forts, indépendants et maléfiques. Pas des lavettes blanches comme un cul incapable de se débrouiller seules.

« On pourrait… » dis-je, une hésitation dans la voix. Je n’étais pas sûre de la vouloir comme amie. Je pouvais toujours faire semblant. Il me paraissait impossible de lui faire rencontrer le Roi mais elle pourrait m’aider avec Léonidas. En plus, elle était plus belle que cette pestiférée de Pénélope. En l’acceptant à mes côtés, je m’élèverais un peu sur l’échelle sociale de tous ces débiles. « D’accord. » finis-je par lui faire savoir. « Mais c’est moi qui commande. » Il fallait donner les règles dès le début. Il était hors de question que cette écervelée prît les devants sur mon organisation. « On se réunira minimum une fois par semaine pour faire des activités et je vais demander à être transférée dans ton dortoir en me plaignant de mes colocataires ! » J’allais faire savoir à Pénélope qu’elle était renvoyée de son rôle d’amie par la même occasion. « En échange de ta rencontre avec le Roi, je veux que tu m’aides avec mon fiancé : tu lui feras croire que tu t’intéresses à lui ! Ce sera notre petit secret. » J’étais sûre qu’elle était son type. « Tu lui feras les yeux doux et on le punira une fois qu’il aura mordu à l’hameçon ! En plus, comme il est stérile, tu pourras vraiment t'amuser sans risque si tu veux... » Satisfaite, je posai mon bras sur les frêles épaules d’Éris. « Toi et moi, on va bien s’amuser. » lui dis-je, en lui soufflant mon haleine au visage.

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