Ce que le cœur désire
Lorcán & Aubépine

♪ My Man Is Married But Not to Me - Camille ♫

« Je déclare cette session du club d’écriture ouverte. »
Les bras serrés le long du corps et repliés sur ses genoux recouverts d’une jupe aux plis impeccables, Aubépine faisait de son mieux pour contenir la fébrilité nerveuse causée par la nuit blanche qu’elle venait de passer. Malgré le soin qu’elle avait apporté à sa tenue – à défaut de pouvoir dompter sa crinière-, les cercles sombres qui creusaient ses yeux et l’encre noir qui tachetait le bout de ses doigts trahissaient ce à quoi elle s’était adonnée au lieu de dormir, courbée au-dessus de son bureau, seulement éclairée d’une petite bougie pour ne pas déranger ses colocataires. Se tenir aussi droite qu’elle s’efforçait de l’être dans de telles conditions nécessitait une volonté de fer mais la petite Magicienne était résolue.

Sa nouvelle lubie était née lors de la lecture du dernier tome des Contes de Lieugro, offert par sa tante pour Ësse'Aellun ; il introduisait un nouveau personnage, Olivette d’Ecirava, avec lequel l’adolescente se sentait une proximité troublante et obsédante. Fascinée par cette toute jeune fille aussi farouche que rigoureuse qui semblait prête à tout pour atteindre ses objectifs, elle essayait depuis d’en adopter les traits.

« Lorcán, dit-elle le plus calmement possible en levant les yeux vers l’intéressé, où en es-tu de ta fanfiction ? Si tu veux, nous pouvons travailler dessus ensemble avant que tu n’en présentes un extrait au club de lecture. » Elle se racla la gorge pour se donner une contenance sans remarquer qu’elle s’était mise à tripoter nerveusement son carnet.
Ce n’était pas si simple de faire comme si les démonstrations d’autorité lui venaient naturellement.
Surtout face à quelqu’un comme Lorcán. Beau garçon et affilié à une race Maléfique, l’Alfar cochait presque toutes les cases. Seule son excentricité frivole l’éloignait un peu de l’image qu’elle s’était construite de l’adolescent sombre et mystérieux qui saurait briser ses défenses pour la dévoyer.
Tout de même, Aubépine n’en menait pas large. Surtout qu’aujourd’hui, sans Gyzyl, ils se retrouvaient en tête à tête.
Elle pensa à sa propre fanfiction ; celle-ci mettait en scène Adolphe et Arcange se battant pour l’amour d’un personnage de sa création, une jeune fille sans prétention (mais plus spéciale qu’elle ne le croit) nommée Cristelle Sombrecœur. Il n’était pas question qu’elle présente ça au groupe. Le rouge gagnait du terrain sur son visage, redonnant des couleurs à son teint blafard d’insomniaque.

« Aheum, personnellement, je me tâte encore sur le sujet de la mienne. J’ai écrit quelques scénettes sur Nicodème et Ezémone pour m’échauffer mais ça ne me semble pas très convaincant, malgré leur potentiel. Je pense que Nicodème a besoin d’une étincelle de folie pour le faire sortir de sa carapace et pouvoir voir sa femme sous un nouveau jour. Arcange serait un excellent candidat pour une aventure extra-conjugale inoubliable. Évidemment, il y a la question du danger que ça impliquerait, mais ce serait intéressant qu’Arcange fasse un parallèle entre le stoïcisme de Nicodème et le calme glacial de sa sœur et s’en retrouve troublé, même si-»
Sentant que l’excitation menaçait de briser la façade de fille sérieuse qu’elle cultivait depuis au moins deux bonnes minutes, l’adolescente se laissa aller en arrière sur sa chaise dans une tentative de paraître nonchalante ; elle manqua de se casser la figure et se rattrapa à la table juste à temps. « Bigre… hm. Bref, c’était une idée comme ça. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Message I | 572 mots

Ce que le cœur désire
Aubépine & Lorcán

☙ Vanessa Paradis (Divine Idylle (oui, y a quoi ?)

Assis dans son fauteuil, les jambes nonchalamment croisées dans une position soigneusement étudiée pour paraître détendu sans avoir l'air fainéant, Lorcán admirait sa manucure. Il prenait grand soin de ses ongles. Avoir de belles mains, c'était quand même la base, et ils étaient trop nombreux à l'oublier. On pouvait déduire beaucoup de choses de la personnalité juste en regardant les mains de quelqu'un. Il jeta un œil à Aubépine, curieux de voir à quoi ressemblait les siennes mais n'eut finalement pas besoin d'en arriver à ce niveau d'observation pour déduire l'évidence. La toison brouillonne, le teint terne qui trahissait la fatigue - et qu'on se mette d'accord, la fatigue n'était jamais une bonne excuse pour apparaître en public fagoté comme un sagouin -, et finalement, pire que tout, les phalanges salies d'encre noire. Il préféra ne pas s'attarder sur la silhouette en forme de poire de l'adolescente. Il n'avait jamais été friand de telles formes, sauf si elles se positionnaient à des emplacements spécifiques et ne s'étaient pas acquises par un excès de graisse, mais depuis son aventure avec Muscarine, c'était pire encore. L'Alfar secoua la tête, désapprobateur, songeant qu'Aubépine avait vraiment besoin d'être reprise en main si elle ne voulait pas finir comme cette truie tout droit sortie de l'Enfer. Ce n'était toutefois pas l'objet de leur présence dans la même pièce.

« Je suis toujours en train d'élaborer l'intrigue. Je me lance dans une grande fresque, qu'on pourra difficilement qualifier de simple fanfiction lorsqu'elle sera terminée. » Ainsi, il corrigeait l'usage de ce terme qu'il abhorrait. Des fanfictions ? Non, c'était plus, bien plus que ça pour lui. L'écriture était un art, il refusait d'apposer sur ses productions un terme aussi vulgaire et bas de gamme que celui-ci. « Repenser la mentalité de Montarville est passionnant. Je pense qu'à l'inverse de Judas qui a toujours été égal à lui-même toute sa vie, Montarville était très différent plus jeune. Cela a été sous-entendu lors de ses discussions avec Lambert, et puis, pour avoir fait Clémentin, et qui sait d'autre encore, il a bien fallu qu'il soit un autre homme que celui qui nous est dépeint dans le Conte. Je veux trouver qui était l'homme derrière le père et roi fatigué, et il a dû être quelqu'un d'assez spécial pour attirer ainsi l'intérêt de Judas. Sa rancœur lorsqu'il parle de Montarville est assez inédite pour un homme qui n'en a que faire de ceux autour de lui. » conclut-il, comme s'il fallait convaincre un auditoire de l'évidente romance qui s'était tissée entre les deux souverains dans le passé.

« Mmh. » Lorcán fit une grimace dubitative, une de celles qu'il s'était entraîné à pratiquer pour ne pas déformer la beauté de ses traits. « Ça ne m'étonne pas que tu bloques sur Nicodème et Ezémone. Au fond, ils ne sont pas beaucoup moins niais que Clémentin et Rosette. Tu fais bien d'explorer autre chose. Mais je ne suis pas convaincu par Arcange. Je pense que tu devrais plutôt réfléchir à insérer dans leur dynamique de couple poussiéreux une troisième personne. Il me semble qu'ils sont tous deux attirés par les mêmes personnages. Pense à Gustave, à Doléas. Et pourquoi pas Arcange, finalement ? » Fier de son idée, Lorcán décroisa ses jambes et se rapprocha du bord de son fauteuil. « Écoutes, je pense aussi qu'en dehors de nos projets personnels, nous devrions profiter de ce club pour collaborer sur un projet ensemble. Qu'est-ce que tu penses de créer une édition mélangeant Lieugro et Narfas ? Après tout, certains personnages ont connu les deux lieux, que ce soit par le passé ou pour les réfugiés qui se sont rendus à Narfas. Pourquoi ne pas croiser ces deux mondes et voir ce qu'il en ressort ? Cela rebattrait les cartes de tous les couples. » Il sourit, machiavélique.

Message I | 680 mots

Ce que le cœur désire
Lorcán & Aubépine

♪ I Can't Decide - Scissors Sisters ♫

Ayant toujours à cœur d’incarner au mieux sa nouvelle héroïne, Aubépine écoutait Lorcán en essayant d’avoir l’air aussi détaché qu’attentif ; elle opinait parfois du chef d’un mouvement de menton léger, presque imperceptible. Évidemment, elle avait envisagé ces possibilités. Gustave était un choix intéressant, bien qu’il fasse pâle figure à côté d’Arcange. Quant à Doléas… cette chiffe molle devrait parcourir bien du chemin encore pour piquer son attention. Bien entendu, tout l’intérêt des fanfictions résidait dans la possibilité de faire explorer des voies alternatives à ses personnages préférés ; mais il fallait que ça reste un minimum crédible. L’amoureux transi n’avait saisi aucune des perches tendues par Stéphanette pour tenter de séduire Olivette ; au contraire, il s’en était hâtivement débarrassé comme s’il s’agissait des branches indésirables d’un buisson en friche qu’il lui fallait tailler. Cela dit, il y avait eu cette histoire de main frénétique. Si ce n’était pas lui qui avait à faire le premier pas, peut-être que...

Ses réflexions furent interrompues par la proposition de l’Alfar. Prise de court, elle ne put empêcher ses yeux de s’écarquiller en grand derrière ses lunettes rondes. Elle attendit quelques secondes, les mains jointes devant elle, comme si elle réfléchissait à ses propos. Enfin, elle acquiesça lentement de la tête. « Oui, c’est une idée intéressante. Ce serait dommage de se restreindre aux contraintes de l’œuvre originale. Personnellement, ça ne me dérange pas de faire interagir des personnages qui ne se sont jamais rencontrés, ou qui ont connu un destin tragique. Ne dit-on pas qu’un battement d’ailes de papillons suffit à modifier le futur de façon parfois drastique ? » La tournure qu’avait pris la discussion avait embrasé les joues de la petite Magicienne ; pour s’empêcher de se trémousser sur son siège, elle plongea sous la table d’où elle sortit son sac. Elle fourragea à l’intérieur sans s’arrêter de parler. « Papillons ou Faes, il est temps d’agiter nos ailes ! » déclama-t-elle triomphalement, pas peu fière de sa métaphore.

Dans un bruissement de papier, elle étala plusieurs feuilles à plat sur la table et rapprocha sa chaise de celle de Lorcán pour qu’ils puissent regarder ce qu’elle lui présentait sans qu’aucun des deux n’ait à se tordre le cou.
Il s’agissait de listes des personnages des deux Contes ; plusieurs de leurs noms étaient reliés les uns entre les autres avec des traits de couleurs différentes.
« Pour tout t’avouer, j’avais déjà pensé à ça. J’ai établi quelques paires qui pourrait donner lieu à des scènes intéressantes. Bien sûr, je n’ai fait que gratter la surface. Il y a tant de possibilités. »
Après s’être de nouveau familiarisé avec le contenu de son travail, Aubépine pointa une des lignes et étouffa un pouffement de rire derrière sa main. Elle liait ''Gaspard'' et ''Ange-Lyne''.
« Misère, je me suis amusée avec celui-là, mais je ne pense pas avoir le courage de l’écrire un jour ! Mais ça ferait sens, non ? Elle qui aime les vieux libidineux… entre sa passion pour le sacré et la fertilité des femmes, elle aurait de quoi créer une peinture magnifique. Surtout s’ils parviennent à embarquer Luthgarde. Enfin, bref, ce serait sacrément malsain. Beurk ! »
Aubépine rit de nouveau, nerveusement, cette fois. Elle jeta un coup d’œil furtif à Lorcán, priant Suris qu’il ne la trouve pas trop bizarre. Elle s’était un peu laissée emporter et s’empressa d’orienter la conversation sur un autre sujet.
« Plus sérieusement… je me disais que Primaël et Ivanhoë feraient des ravages à Lieugro, à eux deux. Séducteurs, rusés et prêts à tout pour arriver à leurs fins. De quoi rendre la politique captivante ! En sa qualité d’androgyne, peu de personnages sauraient résister à Ivanhoë en particulier. Est-ce qu’on t’a déjà dit que tu lui ressemblais un peu ? » L’adolescente avait sorti ça sans réfléchir dans sa volonté de dissiper un potentiel malaise ; mais maintenant qu’elle y pensait, ça ne semblait pas si incongru que ça. Ils avaient définitivement des points en commun.

Message II | 667 mots

Ce que le cœur désire
Aubépine & Lorcán

☙ Glass Animals - Tangerine

S'il y avait bien une chose qu'on pouvait apprécier chez les Magiciens, c'était leur imagination. Sans doute leur valse créatrice n'était pas étrangère à ce phénomène, toujours est-il que Lorcán estimait qu'il s'agissait d'une aubaine de pouvoir se frotter les méninges avec cette petite poire aux idées parfois intéressantes. Leurs deux esprits joints feraient des étincelles. S'associer avec une bénéfique ne faisait peser sur Lorcán aucun dilemme. Elle lui était utile, c'était tout ce qu'il voyait.

L'Alfar se pencha sur les listes des Contes. Comme aimanté, son regard tomba sur le trait liant les noms d'Ivanhoë et Primaël. S'il aimait explorer des couples inattendus, celui-ci était l'exception. Il ignorait qui d'Ivanhoë ou Primaël lui inspirait le plus d'affection. Chacun prit à part, ils présentaient un profil fascinant, mais mis ensemble, le potentiel était étourdissant. Il avait tant dévoré les chapitres les concernant qu'il était possible que même Ikar n'en sache pas autant que lui sur leur intrigue. Peut-être pouvait-il inviter l'Ondin à rejoindre leur petit groupe ? Il n'en était pas certain toutefois ; son attachement mièvre pour Ludoric et Placide le plaçait à part, peut-être y aurait-il un public pour ce qu'il produirait, s'il avait un talent en écriture. Il était un romantique, là où Aubépine et lui se faisaient précurseurs en innovant sur la base du Conte. Très peu pour la niaiserie ici. Lorcán avait d'abord craint qu'Aubépine, à l'instar de ses congénères, ne veuille qu'écrire des récits dégoulinant à l'eau de rose mais il s'était vite aperçu de la convergence de leurs valeurs.

Elle le surprit d'ailleurs avec ses idées. Il tâcha d'y réfléchir sérieusement pour étudier la viabilité de cette union entre les deux personnages emblématiques qui avaient provoqué de nombreuses réactions parmi les lecteurs les plus sensibles. « Je ne sais pas. J'aime beaucoup le personnage d'Ange-Lyne, son approche de l'art est unique et s'accorde parfaitement aux goûts de mon peuple. » Ange-Lyne avait d'ailleurs tout d'une Alfar accomplie, elle était intelligente, talentueuse, réfléchie, avait un don certain pour la manipulation. Seule sa passion pour les vieillards rebutait Lorcán. C'était plus un truc de Sorcier. « Alors l'associer à ce prêtre écœurant » Le nez de l'Alfar se fronça de dégoût. « Ce serait du gâchis. » laissa-t-il tomber, décidé à l'enterrer pour qu'un tel récit ne voit jamais le jour.

À la mention de ses favoris, Lorcán retrouva son plus beau sourire. Il n'y avait rien de plus plaisant qu'entendre ces mots et son approbation pour Aubépine se renforça. Derrière ce physique mal dégrossi, un esprit pas trop mal fait se dégageait. « Oui, je trouve aussi, même si je ne suis pas aussi androgyne qu'il l'est décrit. Je ne te cache pas qu'il s'agit, avec Primaël, de mon personnage préféré, tous contes confondus. Et tu as raison, leur présence à Lieugro bousculerait tout, et dans le bon sens. Ce serait une bonne idée d'explorer cette piste. Il ne faut pas oublier que Primaël a rendu un service à Garance par le passé en se rendant à Lieugro, et que là-bas se trouve le géniteur d'Ivanhoë. Comment se passerait la rencontre entre lui et Gustave ? Crois-tu que Primaël pourrait séduire la nouvelle reine, Zébella ? De quel côté penses-tu qu'ils pencheraient ? Voudraient-ils aussi renverser la fille de Judas ? Le peuple ne semble pas aussi opprimé qu'à Narfas, pour le moment. Pour parfaire l'ampleur dramatique, il faudrait ajouter Adolphe à l'équation. Imagine, tous les enfants de Judas réunis en un seul endroit. » Enflammé par ces perspectives et tout ce qu'il y avait à imaginer à partir d'un tel scénario, Lorcán en oubliait presque la présence de sa partenaire. Il lui jeta un coup d'oeil, à ses joues enfiévrées et la reconsidéra avec du recul. Il n'était pas le seul dans cette pièce à avoir des traits en commun avec les protagonistes du Conte. « Toi aussi, tu ressembles un peu à ce personnage, Olivette. Physiquement en tout cas. » Pour le reste, il n'était pas sûr. S'il appréciait la Magicienne, ce n'était quand même pas au point d'avoir envie de découvrir les autres facettes de sa personnalité. En dehors de cette salle et de cette passion en commun, elle redevenait anonyme à ses yeux. Il ne tenait pas à être vu avec une telle fille. De quel département était-elle déjà ? Il faillit rire en se remémorant qu'elle appartenait à la Craie. Non, il ne s'imaginait décidément pas l'inclure à ses proches à Basphel.

Message II | 806 mots

Ce que le cœur désire
Lorcán & Aubépine

♪ Physical - Dua Lipa ♫

Non seulement l’adolescent ne l’avait pas jugée pour l’association douteuse de personnage qu’elle venait d’évoquer (une autre histoire sur laquelle travailler en cachette, tant pis), mais il la comparait maintenant à son personnage favori. Ses chevilles se sentirent soudain bien à l’étroit dans leur paire de bottines montantes. Aubépine parvint à catalyser l’ébullition de ses émotions en un seul haussement de sourcils : « Oh, vraiment ? C’est intéressant que tu me dises ça. Il se trouve que j’ai récemment fait l’acquisition d’un stylo très similaire à celui que Stéphanette offre à Olivette lors de leur pique-nique... » Elle sortit l’artéfact de sa trousse avec un flegme étudié et le posa sur la table. Le bourgeon d’aubépine qui se situait à son extrémité n’était pas encore complètement ouvert. « J’apprécie beaucoup ce personnage. Quelque part, elle présente des points communs avec Primaël et Ivanhoë, non ? Elle est très jeune, mais elle s’est déjà constitué un réseau d’alliés et se bat pour la justice de son pays. Je suis certaine que si elle avait été à Narfas et avait eu les moyens de le faire, elle se serait ralliée à leur cause. Que pensent-ils de la sienne, à ton avis ? En tout cas, ça aurait été intéressant de la voir fiancée à Merlin… je suis sûre qu’elle serait parvenue à le mener par le bout du nez. »
La Magicienne replaça une mèche derrière son oreille, pensive. « Tu fais aussi partie du club de théâtre, il me semble ? Vous avez pensé à jouer les Contes ? Ce serait incroyable ! Si vous manquez d’effectifs, je peux toujours me libérer pour jouer Olivette. Ton rôle est tout trouvé, bien sûr. »
Oui, décidément, plus elle y songeait, plus les similarités entre l’Alfar et Ivanhoë étaient flagrantes. La Magicienne se tenait un peu en arrière sur son siège, les bras croisés sur sa poitrine, ses yeux réduits à des fentes brillantes scrutant avec attention la silhouette et le faciès du jeune homme. Derrière sa tignasse verte, son imagination carburait à plein feux pour le parer d’étoffes vaporeuses et de fards colorés. Il se prétendait moins androgyne que le personnage du Conte, mais son sens de l’esthétique flamboyant et ses traits fins permettaient de se le figurer facilement habillé en femme. À quel point serait-il crédible ? Aubépine était à deux doigts d’attraper le visage de Lorcán de ses mains pleines d’encre pour l’étudier sous toutes les coutures. Elle se demandait ce que l’on pouvait ressentir lorsqu’on voyait un beau garçon affublé d’une robe pour fille. Ça devait être troublant.

« Bref, revenons-en à nos moutons ! balbutia la petite Magicienne lorsqu’elle réalisa qu’elle s’était encore complètement perdue dans ses pensées. Tu poses de très bonnes questions. Gustave est un personnage qui a évolué de façon étonnamment positive au fil des Contes, mais je pense qu’il ne voudra pas s’encombrer d’un autre fils hors norme, surtout maintenant qu’il a reconnu Elzibert. À mon avis, l’une des raisons qui le pousse à vouloir se marier à Adénaïs, c’est justement pour retrouver un modèle de famille plus conventionnel. Par contre, je serais très intéressée de voir Ivanhoë donner une bonne leçon à son nouveau frère, si tu vois ce que je veux dire…
Quant à Zébella… hm… je ne sais pas si elle succomberait aux charmes de Primaël. Il a le physique, ainsi que le charisme, évidemment ; mais elle est farouche, et je pense qu’elle se montrera prudente. Elle sait à quel point sa position est précaire.
Je pense qu’ils garderaient un œil l’un sur l’autre. Je vois bien Primaël et Ivanhoë tisser leur toile en attendant de voir comment la princesse se comporte et si il est nécessaire d’intervenir. »  Aubépine fit une pause pour souffler et réfléchir. Un grand sourire illumina son visage, presque malgré elle. Elle s’amusait tellement qu’elle en parvenait à oublier son personnage. Elle en oubliait même qu’elle devisait avec un Maléfique. Sur une feuille volante, elle avait fait la liste des points abordés par Lorcán. Tandis qu’elle les traitait un à un, elle gribouillait distraitement des petits dessins dans la marge. Les pétales d’aubépine se déployaient lentement.
« Adolphe à Lieugro ? Ce serait incroyable. Je me demande sur quel personnage il ferait une fixette. Adénaïs ? Ce serait trop facile, non ? J’imagine qu’il y aurait plus d’une victime, tout frustré qu’il serait d’être dans un pays où il n’a aucune autorité.
Et imagine, si Judas se pointait, et demandait à ses descendants de se départager ? Qui gagnerait ? Enfin, vu que l’un d’eux est déjà mort, c’est moins intéressant... J’espère que ce personnage va être réintroduit dans le Conte bientôt. »  soupira-t-elle. Ses écrits faisaient vivre le tyran, mais elle commençait à manquer de matériel concret.
Elle se rapprocha soudain de l’Alfar, un air de confidence malicieux peint sur le visage. « Que s’est-il passé entre Ezémone et Garance, à ton avis ? J’ai ma petite idée sur la question. Mais j’aime imaginer qu’elles ont été amantes, à une époque… avant que l’une d’elle ne trahisse l’autre. »

Message III | 846 mots

Ce que le cœur désire
Aubépine & Lorcán

☙ Måneskin & Tom Morello - GOSSIP

« Dans une certaine mesure, oui. » approuva Lorcán. Pour être parfaitement transparent, il n'avait pas de réel avis sur Olivette, sinon qu'il rejoignait Aubépine sur le fait que son intrigue aurait pris un tournant passionnant si elle avait épousé Merlin. La mort du garçon était frustrantes sur plusieurs niveaux. « Je ne sais pas trop s'ils se seraient ralliés à elle. Au fond, Primaël et Ivanhoë se révoltent contre le système trop restrictif de la monarchie. Certes, la famille de Lieugro vaut mieux qu'Uobmab, selon leurs critères en tout cas, mais au final, le peuple n'a aucune voix de décision et c'est ce pour quoi ils se battent. Ils essaieraient sans doute de convaincre Olivette et ses associés de renverser le régime en place tout simplement. En cela, ils s'entendraient très bien avec Clémentin. Peut-être même qu'ils toléreraient que ce dernier soit Roi, compte tenu de ses origines et de ses idéaux. Mais ce n'est pas ce que les lecteurs désirent. Je pense que le succès du Conte a explosé dès l'instant où Uobmab a pris le pouvoir. On pourra dire ce qu'on veut, même les Bénéfiques ont dû adorer ce retournement de situation. Sauf Zeryel, bien sûr, parce que c'est un crétin d'Ange. » Il leva les yeux au ciel en souriant. Il n'avait pas oublié qu'il parlait à une Bénéfique, mais les Magiciens étaient, à son sens, des hypocrites. Ce n'était pas pour rien si c'était la seule race qui pouvait glisser vers le mal.

« Oui, c'est en discussion, mais on doit finir les projets en cours avant. Je n'oublierai pas de t'en parler quand ils ouvriront les auditions. J'aimerais bien que Lazare participe aussi, pour jouer Primaël. J'essaierai de le convaincre mais je ne sais pas s'il acceptera. Je crois que je lui fais peur. Tu le connais ? Peut-être qu'il se laissera tenter si ça vient de toi. Entre Magiciens... » Il pensait souvent à Lazare, parce qu'il pensait souvent au Conte. Peut-être pas aussi souvent qu'Ikar, mais il trouvait que ces Contes étaient une excellente base pour plusieurs choses : en premier lieu, développer ses talents d'écrivain, mais surtout, ils offraient un réel intérêt pour étudier la politique et la psychologie humaine. Souvent, il se plaisait à imaginer ce que lui aurait fait dans telle ou telle situation, à la place de chaque personnage. C'était un exercice stimulant pour mettre en application ce qu'il apprenait dans ses cours.

« Si Gustave avait pour seul objectif de retrouver un schéma familial, il se serait plutôt tourné vers une jeune femme célibataire plutôt qu'une femme déjà usée par la vie, devenue de surcroît ruinée et blasée. Il aurait pu épouser Irène par exemple, si Ezidor et elle n'avaient pas décidé de se fiancer. Donc, je pense que Gustave est tombé amoureux d'Adénaïs, pour une raison qui m'échappe. Ceci dit, je doute qu'Adénaïs acceptera sa proposition. Tu sais ce qui aurait été intéressant ? Que Gustave développe des sentiments, ou au moins une attirance, pour Yvonnelle. » Il se tut pour laisser la Magicienne saisir tout le chaos potentiel d'une telle chose, puis reprit. « En réalité, si Ivanhoë devait se rendre à Lieugro, il y a de fortes chances qu'il assassine Gustave, et pourquoi pas Elzibert dans la foulée. Il semble assez impulsif pour ça. Tout dépend de son état d'esprit. Il avait l'air très affecté par les révélations de Ludoric lors de la soirée chez Primaël. Tu as sans doute raison pour Zébella, elle ne doit pas avoir le temps de tomber amoureuse, mais qui sait ? » Il jeta un coup d'œil désintéressé aux gribouillages d'Aubépine sur sa feuille, trop concentré sur la conversation pour se laisser distraire par ces trucs de fille. « Oui, moi aussi. Peut-être qu'un prochain Conte se tiendra à Uobmab ? J'aimerais bien en savoir plus sur la culture de ce Royaume. On dirait une étrange association entre des Réprouvés et des Sorciers. Pour Adolphe, j'espère qu'il continuera d'être ignoble, et plus encore, juste pour continuer d'embêter Zeryel. Il déteste qu'on lui parle du Conte, et plus encore du fait qu'il ressemble à Adolphe, alors tu penses bien que je ne m'en prive pas. Pour Ezémone et Garance, je l'ignore. Ta théorie est intéressante, Garance aurait pu se rabattre sur Ezémone après que Lambert ait épousé Madeline ? Je ne sais pas. J'aimerais bien qu'elles se revoient aussi, pour en apprendre davantage sur leur passé. » Il regarda sa montre. Le temps avait filé et ils allaient bientôt devoir écourter cette passionnante conversation.

Message III | 793 mots

Ce que le cœur désire
Lorcán & Aubépine

♪ Je veux te voir - Yelle ♫

Le bruit de la plume sur le papier accompagnait la voix de l’Alfar. Aubépine, penchée sur la table, ne manquait pas une miette des idées fascinantes de son compagnon. Pas étonnant qu’il ait un sens du style aussi impeccable ; son imagination était aussi bigarrée que ses atours. Elle se demanda si il accepterait de lui donner quelques conseils vestimentaires. Sa garde-robe sentait un peu le renfermé. La plupart de ses fripes avaient été reprisées un bon nombre de fois par son père, ses propres compétences en matière de couture laissant à désirer - une simple aiguille devenait une arme fatale entre ses doigts malhabiles. Et il y avait du boulot ; il ne se passait pas un jour sans qu’elle ne s’accroche quelque part ou ne se tâche. Même sa meilleure tenue était vieillotte à souhait.
Cela dit, si elle devait adopter la palette de couleurs de Lorcán, elle ressemblerait sans doute à une version féminine de Nikolaï, le vieillard de Boraür. Mieux valait mettre l’idée de côté pour le moment.

« Voir Clémentin sur le trône serait intéressant. Peut-être que ce serait l’occasion pour lui de mettre un terme à son idylle assommante avec Rosette. Même si il est sans doute trop fidèle pour ça... » soupira la jeune fille, l’air clairement désapprobateur. La monogamie et l’amour éternel, c’était bien joli, mais c’était d’un ennui mortel. De toute façon, ce n’était qu’un mirage de Magiciens. Elle y croyait seulement parce qu’avoir son cœur brisé serait l’occasion parfaite de basculer Sorcière.
Elle espérait que Rosette meurt en couches.

« Lazare ? Oui, je le connais bien. À vrai dire… »  Elle prit une pause savamment étudiée afin de ménager ses effets et se composa un air de conspiratrice :  « … on a fait de la détention ensemble. Une sortie scolaire qui a mal tourné, tu sais ce que c’est. Enfin, c’est une longue histoire. Je lui parlerai des auditions si j’en ai l’occasion. »  En vérité, il n’y avait pas grand-chose à raconter, mais pour Aubépine, ça avait marqué un tournant de son histoire personnelle pour deux raisons : elle avait vécu sa première heure de colle et avait réalisé qu’elle n’était pas la seule à souhaiter passer du côté obscur.

« Hm, je ne sais pas si je te suis sur ce point. Irène est certes jeune et belle, mais je pense que son grain de folie aurait déplu à Gustave. Peut-être qu’il aurait apprécié de finir dans ses draps, et encore… mais je ne le vois pas chercher à se marier avec elle. Là où je te rejoins, par contre, c’est qu’une fixette sur Yvonnelle serait vraiment croustillante. Il n’est pas trop tard pour que ça arrive ! Franchement, elle serait mieux lotie avec lui qu’avec ce scélérat d’Elzibert. Si Ivanhoë devait lui régler son compte, ça ne me dérangerait pas le moins du monde. »  Les derniers chapitres relatant le viol d’Elzibert sur son épouse lui avaient donné des frissons – et pas le genre de frissons agréables que lui procuraient Adolphe et Arcange. « Il ne mérite même pas un arc de rédemption. Par contre, j’aimerais en savoir plus sur ce qui motive les actes d’Arcange et de sa sœur. Ils doivent avoir un passé bien sombre pour en être arrivés là... »

Elle se tut un moment, songeuse. « Si Zébella devait avoir des histoires d’amour, j’aimerais que ce soit avec quelqu’un de surprenant. Pourquoi pas une femme ? Elle va sans doute avoir de nombreux prétendants. Ce serait drôle de les voir se faire tourner en bourrique pour s’attirer ses faveurs. Qui sait, peut-être qu’une fois officiellement reine, elle aura envie de se constituer un harem. Je me demande ce qu’elle pense de ce qu’ils font aux soldats de Narfas… se dirait-elle que c’est du gâchis, ou trouverait ça-t-elle amusant ? »  L’admiration pour le personnage se percevait dans la voix de la Magicienne. Des petits cœurs vinrent adorner le portrait de la princesse d’Uobmab dans la marge.  

L’idée d’un Conte se passant à Uobmab avait enflammé son imagination. La description de Lorcán n’aurait pas pu mieux la convaincre. D’ailleurs, le commentaire qu’il avait fait à propos de Zeryel et d’Adolphe n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Elle n’avait jamais pensé à faire la comparaison auparavant. Forcément, c’était un Ange ; plus Bénéfique, tu meurs. Pourtant, réflexion faite… il y avait peut-être un petit quelque chose du Narfasien chez lui. Elle prit note de l’observer de plus près dès que possible.
« Je serais vraiment curieuse d’en apprendre plus sur la famille d’Uobmab. Une édition du Conte en terres d’Uobmab nous donnerait forcément des personnages hauts en couleur, qu’ils soient de la lignée de Judas ou non, d’ailleurs. La vie politique doit y être sans pitié. Une personne ordinaire n’y survivrait pas ! »

L’heure de son prochain cours approchait. « En tout cas, on a de quoi écrire... »  commenta-t-elle en rassemblant les pages volantes en un tas bien propre. « J’ai déjà hâte de de commencer à travailler sur notre projet commun. Je pense qu’on a encore le temps de traiter un ou deux points supplémentaires, puis on pourra conclure la séance, si ça te va. »  Elle ponctua ses dires d’un hochement de tête professoral. Olivette n’aurait pas fait mieux.

Message IV | 882 mots