J'exhalai longuement après avoir signé le billet. Ce devait être le trentième sûrement que je faisais. Tous identiques. Les écrire devenait presque automatique. C'était à peine si je réfléchissais en couchant mes mots sur le papier. À cause de ça, il y en avait quelques uns que j'avais dû refaire d'ailleurs. Faute de concentration, ils se trouvaient bardés de coquilles en tout genre. « Tu t'en sors ? ». Je levais les yeux vers Oriane qui revenait avec deux verres en mains qu'elle nous tendit à Bruno et moi. « Plus ou moins. » déclarai-je en ajoutant une nouvelle croix à côté du titre d'un journal local Angélique, sur ma longue liste des journaux à contacter. Je ne savais même pas pourquoi je leur demandais à eux. Parce que quelqu'un avait vu Neah et Mancinia sortir de sous la tente de Léto lors de la première édition du Fessetival ? Autant les contacter eux directement. Je n'étais pas persuadée qu'ils soient nombreux à posséder ce genre de tableau chez eux. « T'as l'air d'arriver au bout. » - « C'est une façon de voir les choses... ». Personnellement, j'avais l'impression de ne pas voir le bout de cette liste. « Où est Rajiv ? » - « Il était sensé me suivre avec nos boissons. » fit-elle comme elle se tournait vers le bar. Je pouvais malgré tout entendre le dépit dans sa voix. « J'ai pas souvenir d'avoir été aussi chiante. ». Un rire bref m'échappa à sa remarque comme je haussai les sourcils. « Tu étais insupportable. Peut-être pas de la même façon que lui. Son problème c'est qu'il se soucie peu de l'autorité. Il la prend en compte quand c'est nécessaire. Mais après ça... ». Je bus une gorgée. Ce mocktail était cruellement bon. Je pourrais rester habiter ici juste pour ça. « Toi tu contestais carrément l'autorité. Celle d'Alisha surtout. ».  Je vis Oriane se renfrogner. Ses relations avec sa mère avaient toujours été compliquées. Je me questionnai alors sur cette dernière, sur ce qu'elle était devenue et où elle pouvait être. C'est triste à dire, mais j'avais fini par m'habituer à son absence. « C'est pour ça que Bruno est particulièrement agréable à prendre en charge. » - « Inutile d'en rajouter. » souffla la Luxurieuse en se tournant vers l'entrée du bar. « Bon, qu'est-ce qu'il fout ? » - « Il a dû croiser la route d'une personne fort charmante et lui offrir ton verre. » - « C'est même sûr que c'est ce qu'il a fait. » rétorqua Oriane dans un soupir. « Où tu vas ? » - « À ton avis ? Me chercher un verre. ». Je ne pus retenir un rire silencieux.

Je me saisis de nouveau de ma plume et me remis au travail. « Je sais qu'on ne peut pas faire grand chose contre le tempérament de chacun. Mais tu sais que tu peux toujours t'ouvrir à nous quand même ? » fis-je après un temps en tournant le visage sur le jeune Luxurieux le temps de remplir ma plume d'encre. Il se confiait peu sur lui-même. Sauf à Oriane j'imagine ? « Oui... ». Je souris. Malgré son affirmation, je n'étais pas persuadée qu'il partage plus sa vie qu'il ne le faisait actuellement. « Ne change pas. Il est rare de voir des Luxurieux comme toi. Certains verraient peut-être ça comme un défaut. Je trouve au contraire que c'est une qualité. On n'oublie pas ce qui est différent de la normalité. » - « Je ne suis pas sûr de ne pas vouloir être normal. ». Je marquai une pause pour porter toute mon attention sur le garçon. Il était un curieux phénomène. C'était peut-être pour ça que je m'étais si facilement attachée à sa personne. « Tiens. Si tu préfères rester discret, aide-moi à finir ça. » l'invitai-je à m'accompagner dans mon atelier d'écriture. « C'est pour quoi faire ? » - « Je veux faire une exposition dans le musée des curiosités d'Avalon. Sur les nus. Ce que j'aimerais c'est avoir l'entière collection de ces peintures à thème qui se sont faites. Par exemple, les toiles Ruban du cadeau. Alors j'envoie une annonce un peu partout dans différents journaux nationaux, raciaux et locaux pour voir s'il y a des personnes intéressées pour me louer les leurs le temps de l'exposition. » - « Bon, il a bien disparu avec mon verre. ». Je me tournai vers Oriane de retour avec tout de même un verre à la main. « On le reverra demain. Comme chaque fois qu'il disparaît sans rien dire. ». Je ne m'inquiétais pas trop pour lui. Il pouvait sembler insouciant. Je le savais tout de même à présent un minimum lucide pour éviter de se retrouver dans de mauvais plans. « Au fait. Tu vas le sortir cette fois ton tableau pour ton truc ? ». Je souris largement. « Peut-être. ».