Les lèvres de Næmo se pincèrent. « Prrrrt ! Prrrrrrrrt ! » Le dauphin en papier dans sa main décrivit une courbe. « PLONGEON ! » s'exclama-t-il, faisant sursauter Nahoko. Elle se tourna d'un bloc et découvrit la figurine qui barbotait dans le bol de lait chaud. Un bref éclat d'agacement traversa ses prunelles avant de se recomposer une expression neutre. « Ne joue pas avec la nourriture, et dépêches-toi. Il faut qu'on sorte et tu n'es toujours pas habillé. Les grands garçons s'habillent dès qu'ils se lèvent. » « Brrrrrrrt... » répondit le garçon pour faire des bulles avec sa bouche. Son dauphin nageait dans le bol de droite à gauche. L'Orine soupira et se détourna de ce spectacle. La mère du garçon lui manquait autant qu'elle manquait à l'enfant. Elle n'était ni maternelle ni affectueuse avec lui, mais il l'écoutait sans broncher. « Tu as fini ton livre hier soir ? » Chaque soir, Nahoko l'encourageait à lire plusieurs livres pour progresser en lecture et en écriture. « Il faudra qu'on travaille tes exercices d'écriture ensuite. Næmo ? » Le silence, total, lui leva les poils sur la nuque. Elle se retourna et pâlit en ne trouvant pas l'enfant assis. Elle ne l'avait pas entendu partir. « Næmo ? » Il ne cessait de fuguer depuis qu'ils vivaient seuls ensemble. Elle lâcha ce qu'elle tenait et se hâta de visiter les pièces une par une à sa recherche.
Næmo cligna des yeux. Le poing serré sur son dauphin, il déglutit. Il sentait encore dans sa bouche le goût du lait chocolaté imprégner ses papilles. Du chocolat colorait les commissures de ses lèvres. Pieds nus, vêtu de sa tunique de nuit qui tombait sur ses genoux, il examina son environnement avec des yeux exorbités. Il se tenait au milieu d'un couloir désert. Des rectangles de lumières se découpaient sur le sol, provenant des fenêtres sur sa droite. L'extérieur comme l'intérieur ne ressemblaient en rien à ce qu'il connaissait. Qu'était-il arrivé à Port Dirælla ? « Nahoko ? » appela-t-il et sa petite voix trancha dans le silence. Il baissa les yeux sur son poing pour trouver un peu de réconfort dans le faciès familier de son dauphin miniature. Le museau écrasé et déformé par ses voyages dans le lait chaud, l'animal avait tout d'une vision de cauchemar. Un hoquet remonta dans la gorge de l'Ondin et de grosses larmes embuèrent ses yeux. Il se mit à sangloter, d'abord en silence, puis plus bruyamment, jusqu'à entendre des bruits de pas dans son dos. Il se retourna et vit deux blondes à l'aspect exactement identique. Surpris, il en arrêta de pleurer le temps de les regarder. Il renifla comme pour tenter de rappeler la morve d'où elle était venue et se remit à pleurer. Epuisé émotionnellement, il se laissa chuter au sol sur ses fesses et leva son visage humide et collant sur les deux inconnues. « Je veux Nahokooohohooohooo ! » geignit-il en levant les bras vers elles.
Message I | 509 mots
Merci Jil :
Phèdre et Iphigénie ~ Sorcier ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 45 ◈ YinYanisé(e) le : 12/03/2023
Quelle était cette chose humide et geignarde ? L’attitude entière des jumelles éructait cette question bordée de dégoût. Leurs iris clairs fixaient l’intrus avec un mépris souligné par le froncement de leur nez et de leurs sourcils. Si elles avaient autrefois pu ressembler à cette immondice transpirant de morve et hoquetant comme une Sirène face à un navire sorcier, cette époque avait été définitivement effacée de leurs mémoires. À treize ans, elles considéraient les enfants comme des êtres vulgaires et répugnants, à peine doués de conscience – franchement plus proche de l’animal que de l’humain. Cette vision crasseuse tout droit sortie des tréfonds les plus sombres des marais d’Amestris ne faisait que confirmer toutes leurs expériences précédentes. Imaginer qu’un jour elles devraient porter une de ces choses, lui donner la vie et l’éduquer leur donnait d’avance la nausée. Elles engageraient une armée de nourrices et de domestiques pour nettoyer substances et odeurs infâmes produites par le petit corps potelé jusqu’à ce qu’il fût en âge de paraître humain – c’est-à-dire, civilisé.
Elles échangèrent un regard, puis se sourirent. Ce qui se rapprochait davantage de la bête pouvait être traité comme tel. Iphigénie s’approcha – en demeurant à une distance raisonnable, toutefois. Elle n’aurait pas voulu qu’un postillon de la bestiole ne s’éclatât sur son visage. « Nahoko n’est pas là. » dit-elle. Si elle avait été plus maline, elle lui aurait sans doute fait croire que la fameuse Nahoko les envoyait et qu’il fallait à tout prix qu’il fît tout ce qu’elles lui commandaient et les suivît où qu’elles allassent. C’était encore une époque où la bêtise des jumelles protégeait les autres de leurs esprits retors. Dans le dos de la première, la seconde s’approcha. Phèdre tendit la main vers le garçonnet – qui, s’il fallait l’appeler en quelque chose qui finissait par -net, aurait davantage mérité le surnom de cochonnet. « Tiens. » Au creux de sa paume reposaient trois dragées. « Ce sont des dragées magiques. » Empoisonnées, surtout. Désireuses de se présenter à la première réunion des Sorciers avec un succès à afficher – le monstre qu’elles avaient offert à Claer n’ayant pas encore accompli de méfait –, elles avaient concocté une potion et trempé dedans les sucreries. Leur consommation devait déclencher une forme bénigne de gastro-entérite. Elles avaient désiré tester leur sort sur leurs colocataires – après avoir passé un long moment à débattre des avantages et des inconvénients, et notamment de la possibilité que Muscarine pût vomir sur un lit ou soulager sa diarrhée entre des draps. En chemin de la tour où elles mijotaient tous leurs mauvais coups jusqu’à leur chambre, elles étaient tombées sur le garçon geignard. Il apparaissait désormais comme la victime parfaite. Manger le pousserait sans doute à arrêter de pleurer, et comme il était déjà sale, s’il vomissait, il ne les dégoûterait guère plus. « Elles te permettront de faire tout ce que tu veux. » ajouta Phèdre, avant qu’Iphigénie ne s’enquît : « D’où viens-tu ? Tu t’es perdu ? »
Message I – 496 mots
Susannah ~ Sirène ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 430 ◈ YinYanisé(e) le : 04/04/2021
Ses pleurs redoublèrent en apprenant l'absence de Nahoko. Il ne se souvenait pas d'un seul moment où elle n'avait pas été là. Même quand elle se rendait au marché ou ailleurs faire une course, elle le prenait avec lui pour ne pas le laisser seul. Même lorsqu'il fuguait, elle le retrouvait trop rapidement pour qu'elle ait le temps de lui manquer. Il sentit un énorme vide se creuser dans sa poitrine, un trou d'angoisse et de peur abyssal qui lui donna envie de hurler. Qu'allait-il devenir sans elle ? Est-ce qu'elle ne l'aimait plus et l'avait envoyé ailleurs ? Est-ce qu'elle était morte ? Est-ce qu'elle était allée rejoindre sa mère sous l'océan ?
Ses quelques neurones épars n'arrivaient pas à faire cohabiter deux choses en même temps et ce n'est que lorsqu'il vit des bonbons dans une paume de main qu'il se souvint des blondes. Il attrapa l'offrande de sa main poisseuse de morve et de lait du petit déjeuner. « Magique ? » Il observa les dragées qui commençaient à fondre dans sa main. « Tout ce que je veux ? » Il réfléchit, dans la mesure de ses capacités et de la situation. Par réflexe, il voulait revenir là d'où il venait, mais tout bien considéré, peut-être que ce n'était pas si mal ici ? Et ces grandes filles avaient l'air bienveillantes. Déjà, ses larmes s'étaient taries. Il regarda de nouveau les bonbons. Il pouvait donc faire trois choses. « Je viens de la cuisine. » répondit-il. « Je prenais mon petit-déjeuner. » leur apprit-il. « Je faisais faire à Argos un spectacle. » Næmo ouvrit son poing pour leur montrer ce qu'il restait du dauphin en papier. Une immense tristesse s'étendit sur ses traits en constatant ce qu'il était advenu de son ami. « Pardon... » murmura-t-il avant de mener l'origami à sa joue pour lui faire un câlin d'excuse. Il décida du même coup ce qu'il voulait. Il avala une dragée et déclara solennellement : « Je veux qu'Argos ressuscite ! » Ses yeux se plissèrent, il mordit la dragée et l'avala, trop pressé pour prendre le temps d'apprécier le goût du bonbon. « Et qu'il ait des cornes ! » ajouta-t-il avec espoir.
Næmo se leva et observa attentivement le bout de papier humide dans la paume de sa main, attendant que la magie fasse effet. Une dizaine de secondes s'écoulèrent. Concentré, l'enfant ne se risquait pas à ciller de peur de rater le miracle, et ses cornées commençaient à lui piquer. « Ça marche pas. » fit-il au bout d'une minute. Il leva les yeux sur les blondes. « Pourquoi ? Vous avez menti ? Les filles, ça ment tout le temps ! Même Nahoko ! » Comme quand elle promettait un câlin aux cheveux pour le persuader d'aller se laver, mais qu'elle prétextait être occupée ensuite, ou avoir oublié. Sa soeur aussi, elle mentait comme elle respirait. Une fois, elle lui avait dit que son zizi allait tomber s'il continuait à manger autant et il avait refusé de s'alimenter pendant deux jours jusqu'à ce que leur mère perde patience et règle le problème à sa façon. Il sentit ses fesses se serrer au souvenir cuisant qu'elles avaient gardé de ce moment. « On est où ? Vous vous appelez comment ? »
Message II | 568 mots
Merci Jil :
Phèdre et Iphigénie ~ Sorcier ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 45 ◈ YinYanisé(e) le : 12/03/2023
Les doigts de Phèdre se posèrent sur la pierre du couloir. Écœurée, elle fit discrètement glisser sa paume dessus pour en chasser l’humidité induite par le contact avec les phalanges poisseuses du garçon. Durant une fraction de seconde, elle avait envisagé de s’essuyer sur son uniforme, mais il était hors de question qu’elle se promenât toute la journée avec la crasse de l’énergumène. Il faudrait qu’elle se lavât les mains dès que possible. « Oui, tout ce que tu veux. » reprit Iphigénie pour pallier le trouble de sa sœur. Elle lui jeta un coup d’œil lorsque l’enfant évoqua « la cuisine ». Elle doutait qu’il provînt de celles de Basphel – bien que les plats fussent parfois déplaisants, jamais on aurait autorisé le personnel à servir du cuissot de bambin aux élèves. Quoique. Son regard revint sur le petit garçon. « Argos. » La Sorcière s’inclina vers l’avant – suffisamment peu pour demeurer hors de portée de l’affreux barbouillé. Elle observa la boule de papier imbibée et broyée qu’il tenait. Il était difficile de reconnaître ce qu’elle avait pu être avant… avant ce qui lui était arrivé, quoi que cela fût. Elle jeta un coup d’œil aux dragées qui reposaient dans l’autre main du brun, impatiente. Il choisit ce moment pour en avaler une. La blonde échangea un regard de connivence avec sa sœur.
Bien évidemment, rien ne se produisit. Face aux protestations du petit braillard, les deux adolescentes demeurèrent coites. Elles avaient prévu d’offrir leurs dragées et de s’éclipser discrètement, pas de promettre des choses impossibles et d’assister à leur échec. « Nous n’avons pas menti. » finit par protester Phèdre, pour la forme et pour se donner le temps de trouver une justification. Elle croisa les bras, sa main souillée bien séparée du reste, suspendue pour éviter tout contact avec ses vêtements. « C’est juste que tu ne l’as pas souhaité assez fort. » - « Et de toute façon, la réalisation des vœux prend du temps. Ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Qu’est-ce que tu croyais ? » relaya Iphigénie. « La magie, c’est bien plus compliqué que cela. » Lors de leurs séances d’instruction religieuse avec Messire Ovagan, elles avaient pu admirer l’étendue de la crédulité des tout petits. À peine mieux loties, elles avaient ingurgité presque autant d’inepties qu’eux, mais en avaient repéré quelques-unes. De fait, elles se pensaient suffisamment malines pour jouer à leur tour de la faiblesse d’esprit d’un enfant. « Je suis Iphigénie, et ma sœur s’appelle Phèdre. Et ici, on est dans le couloir. » Un sourire moqueur ourla ses lèvres, ponctué par un pouffement de sa jumelle. Elle fit durer un peu le suspens, avant de préciser : « À Basphel. » Elle avait été tentée de mentir, mais si d’autres étudiants arrivaient, la vérité aurait tôt fait d’éclore. Elle ne résista cependant pas à ajouter : « C’est un endroit dangereux pour les enfants. On raconte que les cuisiniers les attrapent, les dépècent, et les servent en repas aux élèves qui n’ont pas été sages. » - « Et il y a aussi le monstre-qui-vit-sous-les-lits. Il ne s’en prend qu’aux enfants. C’est pour ça qu’il n’y en a aucun, ici. »
Message II – 535 mots
Susannah ~ Sirène ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 430 ◈ YinYanisé(e) le : 04/04/2021
« Ah. D'accord. » accepta Næmo, aussi simplement que ça. Il n'avait de toute façon pas été éduqué pour tenir tête aux filles. C'était plus simple quand il faisait ce qu'elles disaient. Il avait beau être têtu, il l'avait très vite intégré. Même Nahoko, à force de vivre parmi les Ondins, avait appris à maîtriser certains codes qui, alliés à son don naturel de persuasion, venaient à bout de nombreux de ses caprices. « Oui, je ne suis pas très fort en Magie, mais c'est normal, je suis en train d'apprendre ! Et puis les garçons sont moins doués en Magie, on compense avec nos muscles ! » déclara-t-il avec conviction. C'est ce qu'on disait à Port Dirælla, alors ça devait être vrai. L'idée d'être fort physiquement, un jour, ne lui déplaisait pas, si bien que suivre toutes ces classes d'arithmétique, d'histoire, de langues, et autres disciplines tout aussi ennuyeuses n'éveillaient en lui qu'un embryon de volonté à progresser. Peut-être qu'il pourrait devenir le garde du corps d'une Ondine célèbre ? Il n'avait pas beaucoup songé à son avenir, maman choisirait pour lui de toute façon, car elle savait tout mieux que lui et qu'elle avait sans doute dû y réfléchir dès l'instant où elle avait su qu'un mâle grandissait en elle. Une sensation désagréable naquit dans son ventre en pensant à sa mère qu'il n'avait pas vue depuis plusieurs mois. Penser à elle lui coupait parfois l'appétit tant il ressentait son absence avec une cruelle acuité, mais là, le mal était bien plus aiguisé, bien trop localisé ; il crut même l'entendre protester avec vigueur, comme quand il avait des gaz. Avec une grimace inquiète, il porta une main sur son abdomen. Ça passerait après avoir mangé quelque chose de sucré, c'est ce que lui répétait Nahoko quand ils étaient tous les deux saisis de mélancolie. Ce fut pourtant un mot qui réussit ce tour de force et il ouvrit le bec de surprise. « Bas-phel ... ? Comme Basphel, l'école de Susu ? » Des étoiles éclatèrent dans ses pupilles qui s'agrandirent, frappées de joie. Même la suite ne parvint pas à ébrécher sa bulle de bonheur. « Vraiment ? Mais c'est pas grave ! Susu va me protéger de tout ça ! Où elle est ? » Il regarda autour de lui comme si elle allait surgir du néant. Naturellement, les blondes devaient la connaître car il n'imaginait pas une seule seconde que sa soeur puisse être un élément anonyme et invisible de l'école. Il s'avança et tira sur le vêtement de la première des deux jumelles qu'il put attraper dans sa mimine. « Amenez-moi à Susannah ! Vite ! Je suis son frère ! » déclara-t-il fièrement avant de blêmir. Son sourire s'évanouit et il se tortilla, les cuisses et genoux serrés fermement. « Est-ce que... » Gêné, il devint rouge comme du corail. « Est-ce que vous pouvez m'emmener aux toilettes ? Vite. S'il vous plaît. » Il avait vraiment mal au ventre désormais, et il sentait qu'il lui fallait rapidement trouver un endroit où se soulager. Une sueur froide couvrit son front et son ventre gronda une menace qu'il fallait prendre au sérieux. Il avait un peu envie de vomir aussi.
Message III | 557 mots
Merci Jil :
Phèdre et Iphigénie ~ Sorcier ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 45 ◈ YinYanisé(e) le : 12/03/2023
« Susu ? » répétèrent les jumelles en chœur. « Non, c’est l’école d’Avril d’Ovipa… » avança Phèdre, les yeux plissés. Le marmot était-il tombé sur la tête ? Il semblait complètement délirer. Personne, ici, ne s’appelait Susu. Ni parmi les professeurs, ni parmi les élèves. Elle fit la moue, avant que son visage ne se peignît d’une franche surprise. Celui d’Iphigénie reflétait l’exacte même expression. « Susannah ? Tu connais Susannah ? » Les deux Sorcières se regardèrent. L’Ondine faisait régner sa petite terreur sur Basphel. Dès qu’elles l’avaient appris, elles s’étaient mises en tête de lui nuire, ou de l’utiliser. La voir frapper Titouan avec tant de violence les avait fait frétiller. Si elles pouvaient dompter la bête ou la manipuler de manière suffisamment intelligente pour qu’elle s’en prît à ceux qu’elles lui désigneraient… Elle pourrait se transformer en une arme redoutable. Débuter leur rapprochement par l’empoisonnement de son frère, cependant, n’était probablement pas l’idée la plus ingénieuse du siècle. Les jumelles pincèrent les lèvres. Cette pensée les traversa au moment où il commença justement à manifester son malaise. Elles échangèrent un nouveau regard, entre l’embarras et l’excitation. Leurs bonbons fonctionnaient ! Mais si elle l’apprenait, l’Ondine ferait sans doute s’abattre ses poings sur leurs jolis petits visages innocents. De là à accompagner le gamin aux toilettes et sentir la pestilence de ses tripes dérangées par leur potion… Elles grimacèrent. Il y eut quelques secondes de flottement, durant lesquelles elles se concertèrent en silence. Elles n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Phèdre décréta : « Oui, on va t’y emmener. » - « Et prévenir un surveillant. On lui dira que tu es le petit frère de Susannah. » Fallait-il lui prendre la main ? Elles espéraient que non, et ne le proposèrent ni ne le firent. « C’est par là. » Côte à côte, elles tournèrent les talons et prirent la direction de l’une des salles d’eau de l’école. « Ne fais pas dans ta couche, sinon, ta sœur risque d’être très en colère. » Iphigénie lui jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. « Elle pourrait te comparer à un homme. Un Gælyan, comme elle dit. » Ce n’était pas parce qu’elles avaient la bonté de le conduire au petit coin qu’elles devaient arrêter de chercher à le torturer. Au contraire. Tout service rendu devait se payer. « Voilà. C’est ici. » Elles entrèrent, puis Phèdre poussa une porte de cabine et l’invita à y pénétrer. Quand il y fut, elles lancèrent : « On revient dans cinq minutes. » Puis s’éclipsèrent en ricanant. Durant un long moment, elles oublièrent totalement devoir prévenir un surveillant et Susannah ; leurs craintes s’étaient évanouies, comme si leurs petits cerveaux n’avaient pas assez de place pour les conserver longtemps. Elles revinrent cependant, et avec elles, leur détermination à trouver un pion qu’elles chargeraient de prévenir la Sirène – ce qu’elles firent. Devaient-elles paniquer à l’idée que l’enfant se fût entre temps potentiellement noyé dans ses excréments ou s’en réjouir ?
Les lèvres de Næmo se pincèrent. « Prrrrt ! Prrrrrrrrt ! » Le dauphin en papier dans sa main décrivit une courbe. « PLONGEON ! » s'exclama-t-il, faisant sursauter Nahoko. Elle se tourna d'un bloc et découvrit la figurine qui barbotait dans le bol de lait chaud. Un bref éclat d'agacement traversa ses prunelles avant de se recomposer une expression neutre. « Ne joue pas avec la nourriture, et dépêches-toi. Il faut qu'on sorte et tu n'es toujours pas habillé. Les grands garçons s'habillent dès qu'ils se lèvent. » « Brrrrrrrt... » répondit le garçon pour faire des bulles avec sa bouche. Son dauphin nageait dans le bol de droite à gauche. L'Orine soupira et se détourna de ce spectacle. La mère du garçon lui manquait autant qu'elle manquait à l'enfant. Elle n'était ni maternelle ni affectueuse avec lui, mais il l'écoutait sans broncher. « Tu as fini ton livre hier soir ? » Chaque soir, Nahoko l'encourageait à lire plusieurs livres pour progresser en lecture et en écriture. « Il faudra qu'on travaille tes exercices d'écriture ensuite. Næmo ? » Le silence, total, lui leva les poils sur la nuque. Elle se retourna et pâlit en ne trouvant pas l'enfant assis. Elle ne l'avait pas entendu partir. « Næmo ? » Il ne cessait de fuguer depuis qu'ils vivaient seuls ensemble. Elle lâcha ce qu'elle tenait et se hâta de visiter les pièces une par une à sa recherche.
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Quelle était cette chose humide et geignarde ? L’attitude entière des jumelles éructait cette question bordée de dégoût. Leurs iris clairs fixaient l’intrus avec un mépris souligné par le froncement de leur nez et de leurs sourcils. Si elles avaient autrefois pu ressembler à cette immondice transpirant de morve et hoquetant comme une Sirène face à un navire sorcier, cette époque avait été définitivement effacée de leurs mémoires. À treize ans, elles considéraient les enfants comme des êtres vulgaires et répugnants, à peine doués de conscience – franchement plus proche de l’animal que de l’humain. Cette vision crasseuse tout droit sortie des tréfonds les plus sombres des marais d’Amestris ne faisait que confirmer toutes leurs expériences précédentes. Imaginer qu’un jour elles devraient porter une de ces choses, lui donner la vie et l’éduquer leur donnait d’avance la nausée. Elles engageraient une armée de nourrices et de domestiques pour nettoyer substances et odeurs infâmes produites par le petit corps potelé jusqu’à ce qu’il fût en âge de paraître humain – c’est-à-dire, civilisé.