Le temps d'une teinture
Zeryel & Lorcán

☙ Tchaikovsky - Dance of the Sugar Plum Fairy

Avec application, Lorcán rédigeait les prémices d'une nouvelle fiction de son invention. À la différence de ce qu'il avait pu écrire jusqu'à présent, celle-ci se révélait plus ambitieuse. Remplir le questionnaire que le journal de l'école avait fait circuler pour révéler le palmarès des protagonistes des Contes de Lieugro et de Narfas avait semé des graines dans le terrain fertile de son imaginaire. Il voulait voir plus grand désormais. Aux membres du club lecture, sur un ton intentionnellement mystérieux, il avait simplement dit qu'il préparait ce qui serait bien plus qu'une simple fanfiction, mais peut-être l'ébauche d'un roman, une version alternative, que les Faes elles-mêmes jalouseraient. L'idée de devenir écrivain ne l'avait jamais réellement effleuré, mais l'exercice se révélait plaisant. S'il se trouvait un talent inattendu pour l'écriture, devait-il envisager cette voie ? Il y avait diverses façons de s'illustrer, et il n'avait jamais prévu de se limiter à un seul domaine. Sa longévité lui permettait d'exceller partout où il le voulait.

Un bruit sourd le fit sursauter et sa plume fit un écart sur la feuille, gâchant d'un long trait son dernier paragraphe. Les lèvres pincées, l'Alfar dressa un sourcil interrogateur alors qu'une flopée de ce qui devaient être des jurons lâchés dans la langue des sauvages avec lesquels Zeryel avait grandi filtra à travers la porte de la salle de bain. Lorcán se leva et ouvrit la porte sans s'inquiéter de frapper. Il trouva l'Ange assis sur le rebord de la baignoire, torse nu, une main plaquée sur le front. A son arrivée, il leva des yeux embués de larmes de douleur sur son colocataire. D'épaisses gouttes blanches roulaient de ses mèches humides jusqu'à son cou et ses épaules. « Je me suis cogné le crâne sur le coin de ce maudit placard. » maugréa-t-il en guise d'explications. « Étonnant. Je ne pensais pas que tu étais assez grand pour l'atteindre. » rétorqua Lorcán, un brin espiègle. « Qu'est-ce que tu peux être con. » « Et toi tu n'as aucun humour, c'est ce qui te rend si détestable. » « Personne t'a demandé ton avis. » « Dis donc, t'es vraiment pas sympa avec moi, t'es sûr d'être un Ange ? » « Ta gueule. » « C'est supposé me convaincre que tu es un Ange, et pas un de ces Bipolaires crasseux ? » « Tu mérites pas que je sois sympa avec toi. » Lorcán déposa la paume de sa main à l'emplacement de son cœur en prenant un air faussement blessé. « Tu sais, quand tu me parles comme ça, la ressemblance avec Adolphe est vraiment frappante. » « Qui ça ? » « Tu sais, dans le Conte de Narfas. » « Je l'ai pas encore lu, j'ai fini le premier tome sur Lieugro hier. » Un sourire machiavélique ourla les lèvres lie de vin de l'Alfar. « Tu ne devrais pas trop tarder à lire Narfas. Je te trouve plein de points communs avec ce personnage. » « Si tu le dis. » « Ce n'est pas vraiment un compliment. » susurra Lorcán en s'appuyant contre le chambranle, les bras croisés. « Tu m'en diras tant. De toute façon, c'est très étrange de faire autant de parallèles entre des personnages de fiction et nous. Tout le monde fait ça en ce moment, c'est malsain. Imagine que quelqu'un se prenne pour un personnage comme Judas ou Ezidor. » « Oui, imagine. » fit le roux d'un ton chafouin qui lui valut un regard noir de la part de l'Ange. « Je suis sérieux. » « C'est ton plus grand défaut. » confirma l'Alfar du tac au tac. Zeryel fronça les sourcils et Lorcán éclata de rire. « Tu veux de l'aide avec ça ? » demanda-t-il en pointant un index sur la masse de cheveux qui pendait en queues de rat dépressives autour du visage de son colocataire alors qu'il se massait le début de bosse sur son front. « Ouais, pourquoi pas. C'est ma maman qui m'aide à me teindre les cheveux, d'habitude. » Pour une fois, Lorcán retint un commentaire moqueur.

Un peu plus tard, il se tenait debout derrière l'Ange assis sur une chaise au milieu du dortoir. Après avoir protégé ses mains avec un baume magique pour empêcher la teinture de toucher son épiderme, il s'occupa des mèches de Zeryel avec une grande minutie. Perfectionniste, il aimait que tout soit bien fait, y compris ses méfaits. « Dis-moi, tu aimerais recevoir quoi au Secret Essë'Aellun ? » « Hein ? Pourquoi cette question ? ... Ne me dis pas que... Tu t'es inscrit ? » Il eut un ricanement incrédule. « Oui. Je voulais avoir un cadeau. » « Et ? » « Et un Eversha chat de la portée qui vient d'arriver m'a refilé un pull moche, et il a mis des poils dans mon lit. » annonça-t-il, écœuré. Zeryel ne put empêcher son rire d'éclater. « Comme quoi, le karma existe. Et, tu as tiré qui ? Moi ? Si c'est le cas, je ne veux pas de ton cadeau. » le prévint-il. « Ce n'est pas toi, mais c'est tout pareil. » « Quoi ? Comment ça ? » « J'ai eu Thésée. » articula-t-il sombrement. Il n'aurait jamais dû s'inscrire, les enfants du coeur l'avaient berné. « Ah oui ! Je le connais. Il est sympa. » « Comme c'est surprenant. » « Tu vas lui offrir quoi ? » « Justement, je ne sais pas, c'est pour ça que je te demande ce que toi, tu aimerais. » « Parce que tu vas vraiment faire l'effort de lui offrir quelque chose qu'il aimerait ? » « Bien sûr, c'est le but, non ? » mentit-il. Il comptait bien offrir quelque chose à l'inverse de ce que son colocataire allait évoquer. « Pourquoi pas une donation à une association caritative ? Tu es riche, ça pourrait bénéficier aux plus démunis. Je ne crois pas que Thésée voudrait quelque chose pour lui-même. » « C'est une bonne idée. » admit Lorcán. « Tu as eu qui, toi ? » « Lazare ! » « La chance... » grommela l'Alfar. Lazare faisait partie des rares personnes du dortoir qu'il appréciait. Peut-être qu'il l'appréciait même un peu trop. Là où les similitudes avec le Conte faisaient cogiter Ikar sur mille et un sujets, Lorcán vivait en paix avec ses désirs et ses envies, aussi questionnables soient leur origine. De plus, la question d'être attiré par les hommes et les femmes était réglée depuis bien longtemps, et Lazare n'était pas désagréable à regarder. Son caractère était aussi plus plaisant que celui de Zeryel, même s'il avait toujours l'air de faire la gueule. « Tu lui as pris quoi ? » « Des places pour une partie de Labyrinthien. Ils en offraient par tirage au sort aux joueurs de Puffball et ça lui plaira sans doute plus qu'à moi. » « Effectivement. Et tout ça sans fournir le moindre effort. » jugea l'Alfar. « C'était de la chance ! L'essentiel c'est pas le temps qu'on y passe, c'est que ça fasse plaisir, non ? » « Mmh. J'aimerais bien y aller avec lui. » « Ah bon ? Depuis quand t'es ami avec Lazare ? » « Pourquoi, t'es jaloux ? » Zeryel eut un bruit de gorge simulant un haut-le-cœur et Lorcán, amusé, tira sèchement sur ses cheveux jusqu'à ce que l'Ange glapisse de douleur. « Allez, j'ai fini ! Tu vas être tout beau pour Boraür ! Je te laisse, je vais préparer le cadeau de Thésée. » Zeryel ne comprit la hâte de son colocataire à quitter la chambre qu'en se rendant à la salle de bain pour essuyer les traces de teintures déposées sur son torse. Après avoir rincé ses cheveux avec la solution magique pour que la couleur tienne sur ses cheveux plusieurs mois, il se sécha les cheveux et découvrit avec horreur son reflet dans le miroir, les mèches d'un rose aussi vif que la chevelure de Marie-Jane encadrant son visage déformé par la fureur. Il allait le tuer.

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Cadeau pour Lazare:

Cadeau pour Thésée:

1332 mots