Ses jambes tremblantes n'osèrent plus la soutenir, ses bras se refermaient sur sa poitrine comme pour se prémunir d'un mal imminent. La fillette - n'était-ce pas ce qu'elle était, au fond ? - peinait à s'extirper de cet état léthargique. Ses doigts frêles se resserraient sur le manche de cette lame ensanglantée, le fil ferrique s'abreuvait minute par minute de son œuvre. Son regard naviguait entre netteté macabre et flou oppressant. La réalité, pourtant, ne ratait aucunement son office. La délicieuse créature était couverte de sang et de boyaux.

Descendante de Sunano, Wakiya n'aurait jamais imaginé que le monde renfermait de telles cruautés. Dans leur cocon paradisiaque, les Orines se gardaient le plus possible d'évoquer les affres de cette seconde vie. Tout n'était qu'apprentissage et perspectives. Comme toute jeune fille, Wakiya ne dérogea pas à la règle et encaissa l'éducation avec droiture et assiduité. S'imprégner des coutumes de son peuple ne fut pas la partie la plus difficile, ce fut plutôt la révélation de son Art Divin qui lui causa bien des tracas. Rares furent les Orines à se détacher du monde de la musique et de la danse pour se consacrer à un savoir-faire plus tribal. Wakiya ne saurait se rappeler quand ses doigts épousèrent pour la première fois la matière fibreuse, une avidité singulière naissant dans son âme. Tordre, nouer, attacher... Manier une corde lui semblait si naturel que de respirer. Mais que faire de nœuds s'ils n'étaient destinés qu'à un lien solitaire ? Comment rendre une attache moins rugueuse, plus attrayante ? En cachette, Wakiya profita de ses temps de repos pour se familiariser avec les cordes, à leur donner des formes étranges, consolidées ou non. Puis, à se questionner sur comment adoucir son toucher, sous quel angle travailler le lien. L'Orine eut une chance inouïe de pouvoir expérimenter son idée sur une collègue, une amie qui comprenait son embarras et sa position. Avec appréhension, Wakiya usa des liens pour attacher l'autre fille et... ce qu'elle vit sous ses yeux la stupéfia ; cela ne dura qu'un court moment, mais admirer la soumission de la liée lui rappela quelques toiles de ses aînées. Son amie embrassait un état spirituel qu'elle eut du mal à lui décrire après coup. Tout ça, juste avec des cordes et une excessive prudence. L'art du Shibari devenait une évidence. Toutefois, il l'intimida par bien des aspects, car sa propre emprise sur l'œuvre pourrait effrayer son futur Maître, ce devrait être elle qu'on devrait soumettre... Cette idée trotta dans sa tête, longuement, mais ses mains continuaient inlassablement de trouver de nouvelles figures, de transmettre d'autres messages par ce talent. L'apprentie ne se contentera que de mannequin comme support pour la suite de son enseignement. Peut-être que les Muses comprirent toute la portée de son Art Divin, par un simple jeu de doigts ?

Ironique, étant donné sa position actuelle. Wakiya quitta Maëlith en saluant sa mère une ultime fois, tout cela pour finir par être la convoitise de malfrats. De nombreux mythes portaient les Orines comme des créatures rares et exquises. Rien de plus n'était nécessaire pour alimenter les plus vils esprits. En entrant dans cet établissement, cette simple auberge du plateau de Lesmac, la Hanatsu n'aurait jamais pensé que la violence prendrait place sur la raison. On voulut la toucher, la kidnapper pour l'user à des fins ignobles, cela déplût à certains. Avec un naturel effroyable, Wakiya vit les Hommes se jeter les uns sur les autres et plonger dans une mare de sang. L'Orine vécut la peur de sa vie, désemparée par l'égoïsme de ces étrangers. Le pire s'ensuivit lorsque d'autres passants s'aventurèrent en ces lieux pour constater qu'elle était la seule survivante. La Meurtrière, la Massacreuse, le Monstre de Lesmac, tant d'insultes éhontés vociférèrent à son attention alors que sa pureté continuait d'éclater en son cœur !

Soudain, un homme différent entra et vit, en tout premier lieu, une pauvre jeune femme sur le point d'être maltraitée par des fous à lier. Il tira l'épée au clair et s'interposa, glissant une arme par précaution entre les mains innocentes de l'Orine. Le reflet de son visage souillé sur la lame fut son dernier souvenir... Avant que son sauveur revînt à elle, victorieux malgré lui de cette rixe. Ce furent ses mots et son toucher qui marquèrent à jamais l'esprit de l'Orine.