Les nuages, et après ?
Wakiya & Andrea

☙ Hans Zimmer - A Time of Quiet Between the Storms

Le nez en l'air, je suivis le tracé en V d'oies sauvages jusqu'à ce qu'elles disparaissent, avalées par des nuages d'un blanc aveuglant sur la toile azur. La contemplation était de loin mon passe-temps favori. Plus que ça, cet état méditatif m'était aussi naturel que respirer. J'aimais m'attarder sur les détails dans ce que j'observais, surtout les plus anodins, les plus discrets, et de là, tisser un maillage de songeries qui, à la fin, n'avaient plus rien à voir avec celle qui lui avait donné naissance. Pourtant aujourd'hui, je ne parvenais pas à garder ma concentration plus de quelques minutes. Irréversiblement, je revenais boucler sur la même pensée obsédante, ou plutôt, sur la même personne. Je jetai un coup d'oeil dans les diverses ruelles qui convergeaient vers la place, espérant y discerner la silhouette familière de Wakiya. Allait-elle venir ? Rien n'était moins sûr, tout pouvait avoir changé depuis la dernière fois. Moi, mon cœur m'apprenait par sa valse fébrile que peu importait ce que j'avais vécu, il ne s'était pas apaisé. Et si elle ne venait pas, que faudrait-il en conclure ? Que finalement, cette distance qui nous séparait ne lui convenait plus ? Qu'elle avait peut-être aussi rencontré quelqu'un ? Je ne craignais cette dernière possibilité que si elle sous-entendait qu'elle ne puisse se consacrer qu'à une seule et unique personne. Je ne la voulais pas exclusivement, elle n'était pas quelque chose que je pouvais posséder de toute façon. C'était libre et épanouie que je l'aimais, pas autrement. Je repensais à cette fois où elle avait évoqué que nous pouvions vivre ensemble, un jour, juste tous les deux, un endroit à nous, où nous pourrions nous retrouver lorsque la lassitude de voyager se ferait sentir ou que le manque de l'autre serait devenu insupportable. C'était un rêve qu'il me plaisait de développer parfois, sans doute bêtement, mais j'avais même dessiné quelques plans sur mon carnet. Sur le mur coulissant séparant une chambre de la pièce de vie, j'y aurais dessiné les branches tortueuses d'un magnolia en fleurs, là, il y aurait une plante d'intérieur suspendue à un crochet et ses feuilles nous chatouilleraient le visage quand l'un de nous chercherait à attraper un livre sur l'étagère. Je secouai la tête. Ce rêve pouvait-il se concrétiser ? Le voulait-elle ? Le voudrions-nous encore, demain ?

Je baissai les yeux sur le petit pot en terre qui patientait à mes côtés. Une pousse, à peine plus haute que deux paumes de main, pointait timidement vers le ciel. J'en détachai mon regard pour scruter de nouveau les passants, encore nombreux avec les festivités qui animaient la ville. Je fus récompensé cette fois et me relevai comme monté sur un ressort. Elle était venue ! J'ignorais pourquoi j'avais douté, mais ça n'avait plus d'importance. Un large sourire s'imprima sur mes lèvres et je partis la rejoindre à mi-chemin, oubliant d'un seul coup la plante sur le banc. Arrivé à son niveau, pris dans mon élan irréfléchi, je failli céder à mon impulsion première de l'embrasser sans attendre mais je fus piégé à la dernière seconde par une lâcheté timide qui me fit hésiter. Le moment propice s'envola, hors de portée. Je me sentis rougir, trop proche d'elle pour que ce soit confortable ou naturel, mais impuissant à achever quoi que ce soit. « Bonjour. » articulai-je misérablement. « Je t'ai pris quelque chose. » Mais j'avais les mains vides et la tête tout autant.

Message I | 615 mots

Les nuages, et après ?
Wakiya & Andrea

☙ Hans Zimmer - A Time of Quiet Between the Storms

Bénéficiant de cette proximité devenue gênante de n'avoir été comblée jusqu'au bout, je fus témoin de tous les tourments qui tourbillonnèrent dans le verdoyant des iris de Wakiya. Je notai avec une pointe d'inquiétude le voile qui étouffait la lueur pétillante qui illuminait mes souvenirs. « Ah... » Isley ne lui en avait-il pas parlé ? L'Ange avait-il des raisons de ne pas vouloir de nos retrouvailles ? Il ne m'avait pas paru hostile lorsque nous avions parlé et je cessai de nourrir des soupçons à son encontre, trop bancals pour être retenus. Ce n'était pas important, elle était là malgré tout et c'était tout ce qui comptait.

Je hochai lentement la tête. Était-ce moi ou sa voix dissonait, comme une fausse note ? « Est-ce que ça va ? » lui demandai-je finalement, une ride d'inquiétude creusant mon front. Je pressentais que la réponse n'était pas celle que j'aurais voulu entendre. Au premier frémissement de ses épaules, je sentis mon cœur se décrocher. « Wakiya ? » La voix aussi blanche que le teint, je sentis mon sourire initial s'évanouir. Quelque chose n'allait pas du tout. J'ignorais tout des raisons, et pour le moment, ça m'était égal. Mes hésitations premières étaient oubliées et je m'avançai pour passer une main dans son dos et la rapprocher de moi quand je ne pus plus supporter le spectacle de ses larmes. Mes bras l'enveloppèrent et je la serrai comme si je pouvais transférer son mal-être en moi par cette simple pression des corps, l'absorber et la libérer de cette camisole de tristesse. Le reste du monde s'étouffa et je ne vis plus tous les témoins de cette étreinte. Ils passaient sans que je les visse, j'étais aveugle, délaissant tout ce qui n'était pas elle.

Au bout d'un moment, sans cesser mes caresses sur son dos, je murmurai, la bouche près de son crâne. « Allons dans un endroit plus calme. » Je ne demandai pas d'explications. Pas maintenant. Je me détachai d'elle mais gardai un lien en prenant sa main. L'entraînant avec moi, je récupérai mes affaires délaissées sur le banc et nous fit quitter la place pour nous diriger vers les remparts encerclant la cité, loin du tohubohu des festivités et du peuple qui s'y amassait. Une fois parvenus en haut par un escalier, je pris une longue inspiration de l'air frais et accordai à la vaste ligne d'horizon quelques respectueuses secondes d'admiration avant de me tourner vers Wakiya. Je ne souhaitais pas la brusquer avec des questions bien que la curiosité me démangea sérieusement. Le moment était aussi mal choisi pour lui présenter mon cadeau, le citronnier délaissé au creux de mon bras. J'aurais donné beaucoup pour savoir quoi faire pour la consoler, trouver les mots qui réchaufferaient son visage d'un sourire sincère. « J'ai croisé Isley, hier. Nous avons un peu bavardé et à la fin, je lui avais demandé de te dire que j'étais ici, si tu voulais me voir. Ça fait si longtemps. » Et malgré nos efforts respectifs, la distance entre nous avait réussi à creuser un fossé entre nous car j'ignorais tout de ce qui l'avait tant changée. « Tu m'as manqué. Énormément. » confiai-je en cherchant son regard. « J'aurais dû revenir te voir avant. » Cela n'aurait peut-être rien changé, je n'étais pas celui qui protégeait et je n'aurais sans doute pas pu empêcher ce qui la chamboulait, mais au moins, j'aurais été là.

Message II | 601 mots