Coussins et pelotes de laine

Georgia Twinn - You Shouldn’t Have F****d With Me

Les lèvres déformées par une moue contrariée – elle était hésitante, mais quand on la regardait elle semblait contrariée – Mazda fixait le petit encart fixé en haut de la porte. Le pli entre ses deux sourcils se creusait au plus elle restait plantée ici. Elle avait déjà lu l’intitulé de cette porte plusieurs fois. Elle l’avait très bien compris au bout de la troisième. Le problème, c’était qu’elle ignorait s’il la satisfaisait :

“CLUB DE TRICOT”

Elle ne savait pas. Ce n’était pas le terme qu’elle avait eu en tête en se mettant à la recherche – à la demande d’une professeure inquiète de sa timidité maladive qui n’était d’ailleurs pas de la timidité, c’était juste que personne n’y comprenait rien à sa vie et ne comprendrait jamais – d’un club qui lui correspondrait et où elle pourrait se faire des amis.

-Il n’y a pas quelque chose qui t’intéresse dans la vie ? Une activité ? Avait demandé la professeure avec ses grosses lunettes, en se penchant vers elle comme si cette dernière n’avait eu que cinq ans.

Mazda s’était renfrognée. Si elle avait voulu être sincère, elle aurait répondu qu’elle aimait dormir toute la journée, mais on s’était déjà moqué d’elle deux semaines plus tôt lorsqu’elle avait l’avoué à ses camarades de classe.

-Faire du jardinage, par exemple ?

L’adolescente avait grimacé. Puis, elle avait baissé les yeux vers l’objet qu’elle serrait contre elle.

-J’aime bien les coussins.

Cela avait surpris la dame – elle devait sûrement être bête – qui s’était mise à sourire. Mazda avait eu peur qu’elle ne se mette à rire elle aussi, mais ça n’était pas arrivé.

-Eh bien il y a un club pour ce genre de choses ! S’était-elle réjouie.

Et c’était ainsi que Mazda s’était retrouvée devant la porte du club de tricot. Poussant un bref soupir, elle frappa. Un garçon entrouvrit et s’illumina aussitôt de ravissement à la vue d’une nouvelle tête.

-Bonjour ! Tu as besoin de quelque chose ?

-Je veux rejoindre le club.

La joie immense, presque jubilatoire de son camarade fut à deux doigts de l’horrifier. Elle ne comprenait pas les émotions extravagantes des humains qui les poussaient à crier et à gesticuler partout. Le garçon l’invita à rentrer et elle serra son coussin contre son ventre.

-Alors, tu veux apprendre à tricoter ou est-ce que tu sais déjà faire ? Qui c’est qui t’a appris ? Haha, désolé, c’est une question qu’on pose à tous les nouveaux.

Mazda était obnubilée par les pelotes de laine multicolores parfaitement rangées et triées sur les grandes étagères qui couvraient les murs. Elle voulait les mêmes dans son lit pour dormir dessus.

-Je ne veux pas tricoter, je veux coudre.

Elle lui désigna le coussin rond et jaune qu’elle transportait toujours avec elle. C’était celui qu’elle avait volé à ses parents et qu’elle avait mis dans ses valises avant de partir pour Basphel. Elle en avait pris un autre de la même forme, mais en violet.

-Il y a des trous sur celui-là et je veux en faire d’autres.

Elle voulait vivre dans un monde fait de coussins de toutes sortes.

-Oh…

Le garçon se gratta le haut du crâne. Mazda poursuivit son examen de l'endroit. Elle repéra Jasmin, qui se trouvait dans la pièce à son grand étonnement – elle ne s'intéressait pas beaucoup à la vie des autres, même de ses pairs – et s'approcha instinctivement de lui. Elle ne se sentait pas très bien aux côtés de ce tricoteur du jeudi après-midi et préférait de loin la proximité d'un autre chat.

-Nous ne faisons pas de couture ici. Seulement du tricot. Éventuellement, si tu as un trou dans un pull en maille, on peut le réparer.

-Non. Rétorqua Mazda. Je veux faire des coussins.

Ne pouvait-elle pas utiliser les pelotes de laine pour faire du rembourrage ? Elle s’assit sur une chaise à côté de son comparse. Elle aimait bien cet endroit mais cet enfant commençait à devenir indésirable.

-Dans ce cas-là, il faut aller au club de couture. D'ailleurs, il y a bien un club de couture ? Demanda-t-il aux autres étudiants qui trainaient autour.

Il avait l'air de vouloir montrer la sortie à l'Eversha, mais tout ce qu'elle fit fut de le considérer avec plus de défiance et de se coller à Jasmin. Elle ne lui avait même pas adressé la parole. Elle voulait rester ici. Cette pièce était confortable et il y faisait plus chaud que dans les couloirs. La laine omniprésente donnait une sonorité très calme qui la rassurait.

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Coussins et pelotes de laine

Echosmith - Cool Kids

« C'est un drôle de nom ça, Jasmin. » Le concerné haussa les épaules. Il ne trouvait pas ça plus étrange que son prénom à elle. Arabelle. Déjà, ça ne lui allait pas du tout, parce qu'il y avait le mot belle dedans, et que ce qualificatif ne pouvait pas être utilisé pour la décrire. Il se garda bien de le lui dire - ses parents lui avaient appris à ne pas critiquer sur le physique, quand bien même il ne pouvait s'empêcher de penser toutes ces choses évidentes. Il ne comprenait pas toutes ces précautions liées à l'apparence. Chacun ses goûts, ce qui compte c'est la beauté intérieure, il faut de tout pour faire un monde. Peut-être. M'enfin, cette fille-là, elle avait surtout un gros nez qui lui donnait une face de cochon. Ce n'était pas grave. Jasmin, lui, adorait le cochon. C'était vachement bon. Et puis, même si elle était moche, sa camarade avait plein d'autres qualités. Par exemple, elle savait super bien le caresser, pile au dessus de la queue, à ce spot qui le faisait se tortiller de façon incontrôlable et qui lui faisait regretter qu'elle s'arrête à chaque fois. A force de se faire gronder, il avait cependant fini par comprendre la leçon : on ne parle pas de l'apparence des gens, à moins de chercher la baston. Cette fois-là, il était trop bien installer pour essayer de mettre la pagaille. « Maman aime bien les plantes. » se contenta-t-il d'expliquer avant de s'étaler de tout son long sur le canapé, s'imposant sur les cuisses de la blonde. « Oh, t'es lourds. » se plaignit-elle sans le repousser. Il en profita pour jouer avec la pelote couleur prune qu'elle utilisait pour tricoter sa peluche.

Lorsqu'il aperçut Mazda s'approcher de lui, le Halloy haussa les sourcils. Qu'est ce qu'elle faisait ici ? Non pas que l'idée lui déplaise, il était simplement surpris par sa présence. Il esquissa un sourire puis se redressa à nouveau, arrachant un claquement de langue exaspéré à l'humaine dont il avait occupé les jambes, et qui devait de nouveau s'interrompre pour le laisser se mouvoir. « T'as pas fini de bouger, dis ? » ronchonna-t-elle, mais le rouquin ne lui prêtait déjà plus attention. Dès que la chatte se fut installée à ses côtés, il se colla à elle. Il trouvait toujours dommage qu'elle ne posséda pas d'oreilles féline sous sa forme humanoïde, comme lui, parce qu'il ne pouvait pas jouer avec. A la place, il passa ses bras autour de ses épaules. Il écouta sa discussion avec le membre du club. Des coussins, toujours des coussins. C'était un peu son obsession. Tout le monde en avait une, et le Maine Coon comprenait parfaitement l'attrait des polochons et des oreillers. C'était tout moelleux, tout confortable et réconfortant.

Finalement, ignorant l'odieux adolescent qui faisait la morale à sa colocataire, Jasmin redressa et alla chercher une peluche qu'une adolescente avait tricotté. « Mmh, oui, il doit bien y avoir ça. » répondit un garçon. « Ou bien il y a le club de costumes, ils doivent avoir pas mal de chutes de tissu. » enchaina un autre. L'Eversha rapporta sa trouvaille, s'installa de nouveau sur le sofa, positionna l'objet sur ses genoux, puis passa une main sur le côté de la tête de la brune. Délicatement, sans prendre la parole, il l'invita à se cocher sur ses genoux. L'homme-bête avait découvert ça récemment. Ca ressemblait à un doudou en forme d'abeille, mais son utilisation pouvait facilement être détournée. Comme pour apaiser sa camarade - il savait qu'elle n'aimait pas trop les gens - il se mit à lui caresser les cheveux, et aussitôt, il commença à produire un étrange renâclement de gorge. Sous sa forme féline, on appelait ça un ronronnement. Lorsqu'il ressemblait à un bipède, on lui demandait d'arrêter de se comporter bizarrement. Il détestait cette ambivalence de traitement. « Mazda reste. » déclara insolemment le roux. Son regard, qui s'était mis à fixer celui qui avait accueillit la brune, prenait une allure de défi. Si on refusait son caprice, il se ferait un malin plaisir d'aller planter ses griffes dans toutes les confections des autres membres qui ne supporteraient pas son avis ; il arracherait malencontreusement des aiguilles à tricoter des projets en cours ; il emmêlerait toutes les pelotes entre elles ; il ferait pipi sur celles qu'il n'aurait pas eu le temps de débobiner... Le potentiel de bêtise était l'une des principales raisons qui l'avaient motivé à rejoindre ce club - ça, et les caresses qu'on lui donnait volontiers lorsqu'il invoquait une laine d'une couleur manquante. Et puis, on lui laissait parfois essayer des vêtements bien douillets. « Tu aimes cet oreiller ? » demanda-t-il à son amie.

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Coussins et pelotes de laine

JVKE - this is what autumn feels like

L’étreinte chaleureuse de Jasmin la rassura et son souffle lourd se calma. Elle se laissa basculer sur le côté lorsqu’il lui intima de s’allonger sur ses genoux et aussitôt, son larynx se contracta pour émettre ses premiers ronronnements. Elle leva les yeux en direction de la peluche que son homologue avait dégotée. Elle la toucha du bout des doigts. Elle était en mailles serrées et épaisses, ce qui lui donnait une texture étrange, mais terriblement attrayante. Elle l’accueillit entre ses mains pour la presser et en appréhender la consistance. La peluche ressemblait à une version plus grosse d’une bestiole qu’elle avait déjà vue à l’extérieur : une abeille. Ses parents lui avaient appris l’existence de ces créatures ce jour où Lupio était rentré en trombe dans la maison, braillant et pleurant comme un sauvage en tenant son doigt. Ça l’avait réveillée et mise de mauvaise humeur. Elle avait ensuite reçu une leçon sur ces insectes striés qui pouvaient s’avérer dangereux.

Déjà, Mazda n’écoutait plus les discussions alentour. Il était de toute façon évident que personne ne trouverait réponse à sa demande, alors elle préférait se laisser bercer par le son de ses propres ronronnements et le vrombissement doux au fond de sa gorge.

L’étudiante pivota sur le dos pour retrouver le visage de Jasmin.

-Oui. Répondit-elle à sa question.

Elle se remit sur le côté et serra fort son bien précieux. Elle ne quittait son coussin pour rien au monde, ou alors simplement pour le remplacer par son autre coussin préféré : le violet.

-Ca me rappelle la maison.

Elle se fichait pas mal de ses parents. La maison en revanche, ce lieu grand mais pas trop, calme et confortable, à l’odeur si agréable et familière, lui manquait beaucoup. Elle exécrait devoir partager son territoire avec des inconnus. Les humains puaient et étaient bruyants. Certains de ses colocataires – pas Jasmin en l’occurrence – étaient stupides et futiles, bien qu’elle les supportât mieux que les autres étudiants. Otoris, Blu et Lupio étaient aussi des exceptions : les deux premiers savaient respecter sa zone de confort ; quant au dernier, il se révélait être un excellent coussin chauffant quand il se mettait en boule dans son panier.

Mazda bâilla aux corneilles, dévoilant ses canines acérées. Elle leva les bras vers son camarade pour attacher ses mains derrière sa nuque. Elle voulait caler sa joue contre la sienne et dormir avec lui.

-Tu es ici depuis longtemps ?

Elle voulait dire, depuis quand fréquentait-il ce club, mais depuis sa première transformation en humaine, celle-ci ne quittait pas ses formulations rudimentaires. La réponse de Jasmin l'intéressait car il était gentil avec elle. Mazda connaissait assez peu ses colocataires. Outre le fait qu'ils n'étaient pas à Basphel depuis longtemps, la chatte passait la majorité de son temps en retrait. Jusqu'ici, elle avait classé ses homologues dans deux catégories : les gentils – Jasmin, Eden – et les fatigants – Milo, Calypso. Ses parents lui avaient expliqué qu'il ne fallait pas s'arrêter au premier à priori que l'on se faisait sur une personne, mais Mazda n'en avait rien à faire. Les à priori l'arrangeaient en ce sens qu'ils n'étaient pas fatigants. Admettre s'être trompée ne lui faisait pas peur puisqu'elle avait tout de temps raison de toute manière.

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Coussins et pelotes de laine

Echosmith - Cool Kids

Jasmin toisait les deux adolescents en face de lui avec un sourire insolent, presque provocateur, comme s’il les défiait d’essayer de chasser sa camarade. L’un des membres du club de tricot se contenta de hausser les épaules et de s’en aller. L’autre, en revanche, les toisant en fronçant les sourcils. Il finit par tourner les talons, mais non sans maugréer un « on ne va quand même pas accueillir tous ces chats errants » délibérément audible. Le sourire du rouquin se crispa légèrement. Puisque c’était comme ça, il allait se faire un malin plaisir d’inviter toute sa fratrie. Eden n’hésiterait pas une seule seconde s’il lui promettait de le laisser faire des bêtises. Calypso se laisserait convaincre s’il lui assurait qu’elle pourrait rencontrer plein de gens et qu’elle pourrait leur casser les oreilles – et puis au moins, comme ça, ce chieur d’Eugène ne râlerait plus à cause de tous ces poils qui le font éternuer et pleurer (non mais quel gros bébé, celui-là, pleurer à cause de poils, ces bipèdes étaient vraiment fragiles) puisque la chauve n’en possédait aucun. Quant à Milo, il trouverait bien un moyen de le faire venir aussi. Le chat de gouttière était parfois trop imprévisible pour que le Halloy ne sache exactement comment l’amadouer, mais il n’avait pas encore abandonné.

La maison. Il était amusant de voir que beaucoup d’entre eux avaient grandis dans des foyers pas si éloignés que ça les uns des autres. Jasmin pencha la tête en arrière. Est-ce qu’il avait quelque chose qui lui rappelait sa maison ? Il y avait Lazare, pour sûr. Mais ça ne comptait pas vraiment – c’était son humain de compagnie – un esclave bien éduqué sachant répondre à ses envies – il valait tout de même plus qu’un simple objet. Et puis, un Lazare, ça ne se cassait pas.

« Mmh ? » fit le roux en entendant la question de sa sœur. Il ne comprenait pas véritablement l’interrogation. Parlait-elle du club en général, ou bien de cette réunion en particulier. Puisqu’il s’y était planqué depuis plus d’une demi-heure déjà, la réponse restait la même dans les deux cas. « Oui. » répondit-il simplement. Mazda était tout aussi avare en mots que lui, ce qui lui convenait parfaitement. Le garçon du Charbon changea de position, de sorte à adopter une configuration qui semblait incongrue chez un humain mais qui paraissait acceptable pour un félin – le problème restant qu’il n’était pas sous sa forme de chat. Une fois que Mazda se fut adaptée à son mouvement, il posa sa tête sur elle et lâcha un long soupir satisfait. Pressée à l’autre bout du canapé, Arabelle les toisait avec un regard courroucé. « J’imagine que je devrais aller me trouver une autre place. » fit-elle avec un ton pincé empli d’ironie. L’Eversha l’ignora sciemment. « Bonne idée. » fit-il avant d’agiter son fessier pour illustrer le fait qu’il était parfaitement installé et ne comptait plus bouger avant la fin de sa sieste. La magicienne lâcha un gros soupir contrarié mais fini par s’extirper d’entre les pieds et l’accoudoir pour trouver un autre coin, plus adapté à son activité initiale.

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