Otoris le Sorcier Magicien

Susannah poussa un soupir de lamentation à en faire rougir les fantômes de Basphel. À sa droite, des livres. À sa gauche, un peu plus de livres. Au dehors, un croissant de lune riait en silence de la nuit studieuse qui attendait la fille de l'Obsidienne. Méduz blottie sur sa tête, un filament irisé dansant paresseusement près de son oreille, l'étudiante inspira pour se donner du courage et prit le premier livre sur la plus grande pile. Une plume arma sa main, déjà humide de sang noir, prête à en découdre avec les intraitables traités les plus complexes et connus ayant été conclus par les Démons et ayant changé la face du monde. Comme si ces mochetés difformes pouvaient faire autre chose que pousser des grognements incompréhensibles en cherchant des bipèdes encore plus stupides qu'eux-mêmes pour signer leurs ridicules Pactes. Elle secoua la tête, prise de pitié pour ces individus que tout le monde tolérait pour une raison qui lui échappait, et ouvrit l'ouvrage au chapitre qui serait visé à l'examen. Sa plume s'immobilisa. Interdite, Susannah fixa le parchemin lové en guise de marque page sans faire mine d'y toucher. Ces derniers mois, la Sirène s'était fait quelques ennemis. C'était un peu la même chose que des amis, dans le sens où les deux catégories lui apportaient des cadeaux. Ceux offerts par la premier groupe étaient juste rarement à son goût. De quoi s'agissait-il cette fois ? Une poudre acnéique ? Un insecte qui allait lui sauter à la figure ? Un gaz qui relâcherait ses flatulences dans le dortoir pendant plusieurs jours ? Suspicieuse, l'Ondine chatouilla l'intrus avec l'extrémité de sa plume jusqu'à parvenir à l'entrouvrir. Les rangées soigneuses de mots qu'elle entraperçut raviva son intérêt. Une lettre d'amour ? Une lettre de menaces ? Elle serait heureuse dans les deux cas. Chassant sa paranoïa, elle ouvrit en grand la lettre et l'étala à plat pour la lire. Les quelques secondes nécessaires pour parcourir les quelques lignes suffirent à doucher son enthousiasme. Ce n'était ni l'un ni l'autre. En réalité, elle ignorait de quoi il s'agissait. Un tissu de mensonges ? Ou était-elle réellement tombée sur la perle de sa vie ? Celui qui saurait la tirer vers le haut ? Une lueur d'espoir alors qu'elle perdait espoir au milieu de cette nuée d'incompétents dont la médiocrité faisait pourrir Basphel jusqu'aux fondations ? Cette pensée eut le don de rosir ses joues et d'accélérer les palpitations de son coeur. Et si ?

Repoussant livres et fiches de révisions, Susannah prit un parchemin propre et mit face à elle sa plus belle encre indigo, celle qui brillait comme le gloss de Lana et sentait la pêche. Elle coûtait cher mais c'était important de faire bonne impression dès le départ. Bien entendu, cet Émiloris devrait s'estimer heureux qu'elle daigne donner suite à sa missive car il était notoire qu'elle ne répondait jamais à ses lettres.

« Émiloris,

Si vous êtes aussi brillant que vous le prétendez, alors c'est le destin qui a voulu que votre lettre tombe entre mes mains. Mais avant toute chose, j'ai le regret de vous annoncer une triste nouvelle. Sur le piédestal de la réussite, seule une femme peut prendre place. Mais n'ayez crainte, je saurai reconnaître vos efforts et vos aptitudes, lors d'une batterie d'examens préalables qu'il vous faudra passer pour prouver votre valeur. J'imagine que cela ne devrait être qu'une formalité pour un homme aussi formidable et avec un sang aussi pur que le vôtre.
Je commencerai par une série de questions simples :

* Quelle est votre routine matinale ?
* Quels sports pratiquez-vous ?
* Avez-vous déjà tué ? Si oui, combien ?
* Jouez-vous d'un instrument ? Plusieurs ? Lesquels ?
* Est-ce que vous savez danser ?
* Est-ce que vous savez nager ?
* Quel est votre goûter préféré ?

En fonction de vos réponses, j'étudierai votre candidature et peut-être vous laisserai-je emprunter ma main le temps d'une danse dans ce gala que vous évoquez.

Je me nomme Susannah, de la Précieuse Lignée des Dæloran. La promesse d'un avenir illustre m'a arrachée à l'Océan afin d'étudier à Basphel pour montrer la voie aux pauvres bipèdes à la cervelle molle et fragile. On dit de cette école qu'elle est la meilleure. Je dis que cet écrin ne fait qu'étouffer mon véritable potentiel. Saviez-vous que le meurtre était proscris ici ? Voici d'ailleurs une question supplémentaire que je vous soumets. Considérez cela comme un problème bonus qui vous vaudra un meilleur taux d'acceptation si votre réponse me plaît : Comment tuer sans se faire prendre ?

Susannah Dæloran.

PS : Dites m'en davantage sur vos origines et le nom de cette puissante lignée. J'aimerai étudier votre arbre généalogique et vérifier la grandeur des actes de vos ancêtres. »

Message I | 824 mots

Émiloris, l'apprenti assassin

« Il faut ramasser le crottin de ton poney, Susannah. » Pépia Cerise, une cavalière de son groupe qui passait par là. Sans paraître remarquer les ondes d'animosité qu'éveillèrent son injonction, elle expliqua patiemment. « Ça nous apprend à nous responsabiliser. Même s'il y a des palefreniers pour nettoyer régulièrement les écuries, c'est plus poli de nettoyer derrière toi à chaque fois que tu t'occupes de ton poney. » Le bouchon qui massait l'épaule de l'équidé ralentit tandis que Susannah levait lentement les yeux sur la fille, une cruche de la Craie. Elle l'observa froidement quelques secondes, leva un sourcil, puis revint à sa besogne sans prendre même la peine de lui répondre. Les Gælyan croyaient parfois avoir droit au respect, il était donc du devoir de l'Ondine de leur rappeler leur place de temps à autre. Loin de se laisser décourager, Cerise s'avança jusqu'à caresser familièrement le nez velouté du poney, ce qui ne manqua pas de hérisser sa propriétaire, à deux doigts de tester la théorie selon laquelle sa brosse était trop grosse pour la narine de sa camarade. « Comment s'appelle-t-il ? » S'enquit innocemment la fillette, des paillettes dans les yeux quand elle vit sa paume gratifiée d'une sainte léchouille. « Crasse. » Lâcha la bleue du bout des lèvres. Elle nota du coin de l'oeil l'expression éberluée de son interlocutrice et en tira une satisfaction féroce. Ce qui avait été un surnom était devenu le nom officiel de sa monture. « Oh ! Euh... C'est mignon je suppose ! » Répondit-elle après une courte hésitation. Susannah soupira et leva les yeux au ciel. « Tu veux quelque chose ou il faut que je te mette la tête dans le crottin pour que tu dégages ? » Elle s'était arrêtée de panser Crasse pour darder une œillade polaire sur celle qui persistait à lui parler. L'air pincé, celle-ci se raidit et lui tendit brusquement une enveloppe. « Il y avait ça sur ton casier. Bonne journée. » « C'est ça. » L'Ondine fit comme si elle n'existait pas et décacheta l'enveloppe pour lire la lettre qui y était contenue. Ses yeux bondirent de phrase en phrase avec un plaisir nourri par les mystères contenus sur le papier. La flatterie finale manquait de subtilité mais c'était déjà plus que le traitement auquel elle avait droit chaque jour depuis son arrivée à l'école. Sa curiosité ravivée, elle fourra la lettre dans sa poche, bâcla le pansage de Crasse et se hâta vers les dortoirs sans toucher au crottin trônant au beau milieu de l'allée.

« Émiloris,

Comment pouvez-vous ne pas connaître Basphel ? Même ces arriérés d'Humains en ont connaissance, sauf si vous venez d'un de ces villages infestés de puces où il y a plus de moutons que de neurones. Votre ignorance est choquante et je vous prierai de bien vouloir vous renseigner pour nos prochains échanges si vous ne souhaitez pas me contrarier davantage. Si vous ne le faites pas pour moi, faites-le par respect pour vous-même.

Vos statistiques de meurtre sont acceptables... pour un jeune homme approchant de l'âge adulte. Quel âge avez-vous ?
Vos qualités d'assassin sont peut-être discutables, mais j'apprécie votre philosophie. En ce qui me concerne, le reste du monde sont mes rivaux, ce qui est logique quand c'est le sommet du monde que l'on vise. Et vous, quelles sont vos ambitions ? Bien sûr, vos options sont limitées en tant que bipède mais avec des efforts et un peu de bon sens, vous arriverez peut-être à avoir une vie convenable dont vous n'aurez pas honte en mourant.

Peut-être devriez-vous revoir votre notoriété à la baisse et briguer l'excellence au lieu de seulement vous en vanter car non, je ne connais pas de tel ballet mais ce n'est guère étonnant. Dans tous les domaines aquatiques, nous les Ondins, sommes les maîtres incontestés. Même les Orines peinent à se mettre à notre niveau, il n'y a donc pas de honte à avoir être oubliable dans cette discipline. Peut-être faudrait-il concentrer vos efforts ailleurs ? Les bipèdes sont relativement bons dans des postes de service aux autres, sans doute quelque chose dans vos gènes qui vous prédispose à faire ce qu'on vous dit de faire. Vous semblez avoir des prédispositions pour devenir assassin, même si un bon assassin ne révèle pas son identité. Mais rassurez-vous, je garderai votre secret, en échange de vos services le jour où j'en aurai besoin.

Enfin, pour répondre à votre question, la liste est trop longue pour cette simple lettre, je vais donc me concentrer sur les deux éradications les plus urgentes. Basphel est infestée par la saleté. Je commencerai par Johannês, un sale Magicien qui travaille à la cantine. Sa simple vue me retourne l'estomac. Sa place est bien entendu parmi les cochons, ou bien sous terre car il ne mérite pas la noyade (une mort trop honorable pour son engeance). Son insolence est révoltante et il me coupe l'appétit. Je le connais depuis longtemps et je ne supporte plus de respirer le même air. Je ne sais même pas ce qu'il fait ici, tout le monde sait qu'il a des mauvaises notes, c'est pourtant évident quand on le regarde qu'il a les capacités intellectuelles d'un mollusque en fin de vie. En plus, il ne fait que se battre comme un imbécile, je parie qu'il perd tous ses combats si j'en juge des bleus sur son visage. J'espère qu'un jour, il se suicidera pour m'épargner la peine de le tuer moi-même.

Quant à l'autre, cette moisissure des abysses de Claer, figurez-vous qu'elle a l'audace de vouloir me voler mon petit copain (il s'appelle Titouan, un très bon joueur de Puff-puff Ball et pas trop disgracieux pour un bipède). J'ai déjà tenté de la noyer mais elle s'accroche à lui comme une moule à son rocher, c'est insupportable, je veux qu'elle meure dans de terribles souffrances. Le problème, c'est que Titouan l'aime bien, il la considère comme son amie et nous nous sommes déjà disputés à ce sujet. C'est un imbécile aveugle et l'unique raison pour laquelle je le garde est qu'il m'apporte chaque jour un goûter. Pour en revenir à Claer, cette dinde adore les animaux qui n'existent pas, elle est ridicule et tout le monde sait qu'elle est folle. Ce ne serait que miséricorde de mettre fin à ses jours.

Susannah Dæloran.

PS : Vous devriez changer le nom de votre valet. Personne ne vous prendra au sérieux avec un domestique de ce nom. Appelez-le sire Tempête ou ne le nommez pas du tout, c'est un valet, pas votre égal. Et pourquoi votre valet est-il est un sire ? Est-ce une façon de vous moquer de lui ?

PS 2 : Je n'aime pas les devinettes. Donnez-moi le nom de votre dynastie ou j'en conclurai que vous en avez honte. Ne vous inquiétez pas, je suis bien consciente que vous n'êtes pas à moitié aussi exceptionnel que vous le prétendez, je n'ai jamais attendu d'un Gælyan qu'il m'impressionne. Soyez en paix avec votre banalité. »

Message II | 1235 mots

Encore un Taiji ?

☙ Gary Glitter - Rock 'n' Roll (Part 2)

« Voyons voir, qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? » C'était une question purement théorique. Susannah savait aussi bien que lui ce que son panier contenait. L'avantage avec les Ondins, c'était qu'ils comprenaient plus vite que ses autres victimes ce qu'elle attendait quand elle les coinçait dans un couloir sombre à l'abri des regards. Même au jeu des persécutions, les Gælyan étaient inférieurs aux Sirènes. Il y avait deux catégories : ceux qui la regardaient avec des yeux globuleux comme si elle venait de leur parler en Valærian ; et ceux qui avaient le malheur de s'offusquer et de lui résister. Les deux l'irritaient profondément, aussi pour aujourd'hui, affrontant une petite baisse d'énergie, Susannah avait ciblé l'un des siens pour palier aux grondements de son estomac. Ayrel, en bon petit Ondin docile, qui plus est en première année, bref du menu fretin, s'était empressé de s'exécuter, non pas par peur de la bleue, mais parce qu'il savait qu'il était inutile de lutter et tout à fait naturel de céder à ses exigences. Fataliste, il souleva le pan du panier pour dévoiler à la vision de la gourmande la nature précise du goûter convoité.

Sans attendre, Susannah plongea une main à l'intérieur pour se servir. À la place d'un gâteau, c'est une enveloppe qu'elle en ressortit. « Qu'est-ce que - » Elle s'interrompit en voyant son nom sur l'enveloppe. Une seconde de flottement passa, le temps que l'information mute en conclusion. « Tu voles mon courrier ? » Siffla-t-elle d'une voix dangereusement calme. L'adolescent blêmit, avant de verdir. « Non ! Pas du tout ! Ce n'était pas là tout à l'heure ! » Elle le gifla avec la lettre. « Sale menteur ! » Il ouvrit la bouche pour se défendre mais il n'en sortit qu'un cri de douleur quand le pied de la Sirène percuta son tibia. « Depuis combien de temps ça dure ? » « Mais je jure que je n'ai rien volé ! » « Si c'est une lettre de ma famille, je t'arracherai tes écailles une par une et je m'en ferai une jupe. » Sur cette promesse, elle décacheta l'enveloppe et son regard descendit directement sur la signature. Reconnaissant l'inconnu, suivi d'un nom bien moins mystique que son identité, elle fut à la fois déçue qu'il ne s'agisse pas de ses proches, mais excitée de voir ce qu'il avait à répondre. « Dégage. » Dit-elle à Ayrel sans même le regarder, se plongeant dans la lecture de sa réponse et il détala sans demander son reste. Elle ne s'aperçut même pas qu'il repartait avec son panier.

Ses sourcils se froncèrent quand elle eut terminé sa lettre. Que penser d'Émiloris ? Est-ce que ce fou se payait sa tête ? À quoi le continent étincelant faisait-il allusion ? Un continent n'avait rien d'étincelant, ce n'étaient que de grossiers lopins de terre infestés de vermine tout justes bons à être submergés par les eaux pour réguler la population mondiale, ou juste pour s'amuser.

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« Émiloris,

Comme nous avons le même âge, et que ton statut de noble est caduque à mes yeux, je ne crois plus nécessaire de te vouvoyer.

Finalement, ton nom n'est pas si remarquable. De nos jours, même un chien galeux peut porter le nom Taiji, j'en ai la preuve chaque jour à Basphel. Or, tout le monde sait que c'est de la rareté que vient véritablement la valeur d'une chose. S'il y a autant de Taiji que de cailloux, alors un Taiji ne vaut pas mieux que ça. Je suis déçue. Je caressai l'espoir d'avoir trouvé la perle rare, un bipède qui s'élèverait au dessus de la fange, mais tu es finalement banal, comme je m'y attendais. C'était sans doute idiot de ma part d'avoir cru qu'un Gælyan pouvait avoir du potentiel. Tous ces longs mois passés loin de l'océan doivent m'adoucir. Ma plus grande peur est de devenir une dryade, condamnée aux cours d'eaux boueux de ces terres.

Si tu souhaites me faire changer d'avis, tu sais ce qu'il te reste à faire. Si le châtiment infligé à Johânnes et Claer me satisfait, je consentirai peut-être à étudier cette prophétie pour voir de quoi il en retourne. Savais-tu que j'avais de l'expérience en tant que Souveraine ? Et plutôt deux fois qu'une. Je possède une île dont je suis à la tête, j'ai même mon esclave personnel, qui est aussi à Basphel, il se nomme Ikar même si son nom n'a que peu d'importance. C'est un Ondin mais il n'a pas reçu une éducation complète dans notre peuple alors j'essaie de corriger ses lacunes, c'est un peu fatiguant mais je le fais par patriotisme. De plus, il y a aussi un Conte récemment publié par les Faes et il est évident qu'elles se sont inspirées de moi pour l'un des personnages, une princesse assez forte pour soulever des montagnes ! Forte de ces expériences, je suis donc la plus à même de te conseiller sur ton destin. La bonne nouvelle, c'est que tu as l'air d'avoir de l'ambition, c'est louable mais tout dépend de tes capacités réelles. J'ai bien peur qu'à quinze ans, la seule chose de remarquable à noter sera ton excès d'acné.

Susannah Dæloran.

PS : Il y a un bal organisé par les Vampires à Seaghdha prochainement. J'y serai, et toi ? »

Message III | 943 mots

Avec toute mon affection

☙ Michael Bublé - Haven't Met You Yet

Suite de ce rp

Susannah exhala un soupir. Ses doigts massèrent ses yeux fatigués. Assurer la présidence de l'association caritative d'aide aux élèves souffrant de handicaps n'était pas de tout repos, surtout quand son projet n'en était qu'au stade embryonnaire, qu'en discutant avec le médecin de Basphel, elle avait appris l'existence de troubles mentaux et avait aussitôt estimé capital d'étendre à ces derniers les futurs bienfaits de l'association, et surtout quand elle était l'unique membre actuelle du club nouvellement éclos.

Les yeux toujours clos, une de ses mains s'aventura à tâtons sur son bureau pour voler un bonbon, comme si elle le dérobait à l'insu d'elle-même. Elle le goba et les saveurs sucrées se répandirent sur son palais en même temps qu'une vague de culpabilité l'étreignit. La bleue était au régime. Il avait fallu demander au personnel scolaire de lui donner un uniforme une taille au dessus et s'en trouvait encore mortifiée. Comment avait-elle pu autant se laisser aller ? Elle se lamentait, absorbant un nouveau bonbon afin de se réconforter. Assurément, elle n'en était plus à un près.

Quand elle rouvrit les yeux, une lettre pliée trônait au milieu des cartons qu'elle préparait pour attirer des membres à son club. Ses mains sautèrent à sa bouche entrouverte. C'était lui ! Son mystérieux correspondant ! Rendus tremblants par l'impatience, ses doigts peinèrent à déplier le parchemin qu'elle lissa ensuite soigneusement avant de lire les quelques lignes manuscrites. La bleue ponctua sa lecture de petits éclats de rire réjouis, de « Olala ! » tantôt choqués, tantôt ravis. Sitôt qu'elle eut fini de lire, elle débarrassa son bureau encombré pour prendre une feuille propre et y jeter la réponse qui s'était formée dans son esprit à mesure qu'elle avait prit connaissance du contenu de la lettre.

« Très cher Émiloris (je ne suis pas certaine, dois-je t'attribuer un titre noble ? Lequel ?),

Quel plaisir de te lire ! Tu as le don pour tourner tes phrases d'une façon qui ne peut qu'enchanter mes yeux. Tu dois être un excellent poète, j'espère un jour lire tes publications !

Je suis bien attristée que tu ne puisses venir au bal. Tant pis, je promets d'imaginer que tu y seras, et que c'est à ton bras que j'exécuterai au moins une danse. J'espère simplement que tu ne ressortiras pas trop épuisé de tes tâches. Si je puis être utile d'une quelconque façon, fais-le moi savoir et je m'y emploierai à la seconde où je recevrais ta réponse !

Il n'y a qu'une seule ombre au tableau. Émiloris. En tant qu'amie, je me dois de t'ouvrir les yeux. Cette fille que tu crois être l'élue de ta prophétie n'est nulle autre que mon ennemie jurée, Claer Risva ! Elle est vraiment odieuse avec moi, nous nous sommes même battues l'autre jour, tu imagines ? Je pense qu'elle passe tellement de temps avec ses animaux étranges qu'elle finit par devenir aussi sauvages qu'eux. Je pense que tu fais erreur, la prophétie concerne nécessairement quelqu'un d'autre. Je peux peut-être tenter de la déchiffrer pour toi ? Peux-tu me la recopier ? Je mènerai l'enquête de mon côté pour qu'à ton arrivée, tout soit prêt pour que tu puisses accomplir ton glorieux destin.

J'ai hâte que tu arrives, il y a tant de choses dont je veux te parler de vive voix ! Je suis trop gênée pour écrire les détails mais, actuellement, il y a un garçon qui me plaît énormément. Je lui ai offert des gâteaux, à plusieurs reprises en espérant qu'il comprenne mais c'est un Déchu de l'Envie alors il est à chaque fois obnubilé par mes sucreries. Il s'en empare, puis il s'en va. Je ne sais pas quoi faire. Je n'ose pas lui avouer mes sentiments, j'aurais trop honte ! Toi, tu dois avoir de l'expérience, est-ce que tu sais comment je peux l'amener à m'apprécier ? Mais il y a pire. Je suis grosse, énorme. Il ne voudra jamais de moi. J'ai décidé d'entreprendre un régime et je vais beaucoup au sport, j'ai un poney que je monte souvent ! Il faudrait que je le renomme, actuellement il s'appelle Crasse, ce n'est pas très gentil pour ce brave animal. Je crois qu'il ne m'aime pas beaucoup, il me fait tomber à chaque cours. J'ai donc pris la décision de lui donner à lui aussi des gâteaux, seulement je me suis faite fâcher par le gérant des écuries. Il dit que c'est très mauvais de donner des sablés à la framboise aux chevaux. Ce n'est pas évident mais je trouverais bien une façon de me faire aimer de Crasse ! Et toi, tu sais monter à cheval ? Je t'apprendrai quand tu viendras si tu veux !

J'attends avec impatience ta réponse !

Avec toute mon affection,
Susannah Dæloran.»

Message IV | 847 mots

Avec toute mon affection

☙ MOMOLAND & CHROMANCE - Wrap Me In Plastic

« Très cher Émil●ris,

Je profite d'avoir un peu de temp● pour te répondre. Le départ pour Seaghdha est imminent et il y a tant de choses à faire que je ne sais plus où donner de la tête. Mais je devais t●écrire avant car j'ai suivi tes conseils et je crois que je ne vais plus le faire. Voici pourquoi.

●Pour commencer, j'ai mangé tellement de boulettes de riz sucrées à la suite (il n'y avait plus de sablés) que j'en ai eu la nausée. J'ai eu des maux d'estomac toute la nuit qui m'ont empêchée de dormir et le pire, c'est que cela ne m'a pas d● tout dégoûtée de grignoter. J'ai donc décidé de faire davantage d'exercice ! Le Puffball et l'équitation ne suffisent pas, alors je vais essayer de rentrer dans mon emploi du temps une autre activité, tu as des suggestions ? On m'a conseillé la course mais je ne crois pas avoir le ph●●ique pour ça. J'aurais aimé faire du Vol - Volley pour être plus proche de Melvyn mais je n'ai pas d'ailes et j'ai peur qu'il me trouve ridicule. Et s'il venait voir un de mes matchs de Puffball ?????●???? Peut-être que je devrais me désinscrire de l'équipe.

Et en parlant de Melvyn, j'ai tâché ces derniers jours de l'éviter, comme tu me l'as c●nseillé. Je ne suis pas allée le voir une seule fois pour lui proposer des gâteaux, je ne le regardais jamais (sauf quand j'étais sûre qu'il ne pouvait pas voir que je le regardais, ce qui m'a permis de constater qu'il a un dos à se damner, mais je digresse)● Il ne s'est à aucun moment aperçu d'un changement, ou il l'a très bien caché, mais j'en doute. Je crois qu'il ignore en fait tout de mon existence.

Émiloris, c'est affreux. Mais tu es mon seul ami, cel●i auquel je sens que je peux tout confier. Je crois que je fais une dépression. Je me sens triste à en mourir. J'ai trop de devoirs, je suis épuisée par les entraînements de Puffball, et hier, Crasse m'a marché sur le pied et a fait un crott●n après que j'ai passé le balais. Méduz me manque, l'Océan et ma famille me manque. Tout le monde me déteste à cause de mon comportement par le passé. Parfois, je me dis que tout irait mieux s● je me jetais par la fenêtre comme Sarah la Sirène l'a fait, selon la légende en tout cas. Peut-êt●e que c'est comme ça que les Sirènes meurent de chagrin d'amour, en se jetant dans le vide ?●●

Tu vas trouver que je m'apitoie sur moi-même, et tu auras raison, mais je suis simplement exténuée. J'espère que quand je reviendrai de Seaghdha, tu seras arrivé, sain et sauf et sans autre difficulté. Il me●tarde d'entendre de vive voix tes péripéties et de mettre un visage derrière ces lettres, et en même temps, j'appréhende aussi ce moment ! Je me suis imaginé beaucoup de choses à ton sujet, et j'im●gine que toi aussi, et si tu étais déçu ? Et si nous ne nous entendions pas ? Je sais que tu vas chercher à rencontrer Claer, et j'ai peur que tu la préfères à moi. Elle va certainement te raconter des horreurs sur mon compte, je te prie de ne p●s l'écouter. Beaucoup de monde raconte des tas de menteries à mon sujet. Il y a parfois du vrai, mais c'était le passé et je fais tout pour me racheter.

Avec toute mon affection,
Susannah Dæloran.»

PS● : Désolée pour les tâches, je sortais de la piscine et mes cheveux ont goutté sur la lettre, je n'avais le temps de●la réécrire.

PS2 : Je n'ai pas eu le temps de décrypter le vers extr●it de la prophétie, on pourra le faire ensemble si tu veux. Il y a une grande●bibliothèque à Basphel, je la connais comme ma poche.

Message IV | 697 mots

Ding Dong, c'est l'heure de préparer ton testament

☙ Seatbelts - Cat Blues

Méduz était revenue. Comme si de rien n'était, elle s'était juchée dans un silence humide sur la tête de la Sirène qui avait caressé un instant l'idée de bouder l'animal avant de décider que ce ne serait qu'une perte de temps. Il y avait plus urgent à traiter, comme l'épouvantable situation dans laquelle elle se trouvait, victimes de rumeurs - car il devait s'agir de rumeurs, n'est-ce pas ? - et devenue en peu de temps la cible de ricanements dans les couloirs. Pire que ça, certains avaient osé l'approcher pour lui proposer de manger ensemble, comme elle l'aurait apparemment proposé. Le pire, c'est que Susannah se souvenait l'avoir fait. Nerveusement, elle repoussa en arrière une tentacule qui lui tombait devant les yeux. L'absence de loyauté de Méduz ne serait pas oubliée, ni son manque de jugeote criant. Avoir préféré coller Johannês, entre tous ? Cette bestiole n'avait pas de cervelle et poursuivait potentiellement de noirs desseins, tels que celui de l'humilier. Pourtant, elle pensait sincèrement Méduz incapable d'une telle réflexion car elle semblait surtout obéir au besoin de s'humidifier constamment. Tel un blob, elle existait sans posséder de réel intérêt ou d'utilité. Aucune forme d'intelligence ne paraissait l'animer. Et en parlant de créature idiote, Susannah lorgna le petit chien qui venait de s'endormir sur ses pieds et avait même l'indécence de ronfler. Son nez se fronça de mécontentement. Nagra avait uriné sur ses draps plus tôt dans la journée et il avait failli voler par la fenêtre quand l'Ondine s'en était aperçu. C'était avant que la lettre n'apparaisse sur son bureau et ne la détourne du meurtre en cours. Elle avait alors relâché son sort de lévitation sur l'animal juste avant qu'il ne dépasse le cadre de la fenêtre et l'avait laissé tomber sur le sol en ignorant son couinement.

Le processus de cette correspondance atypique devenait familier. Ce qui l'était moins, c'était la nature de ses dernières réponses. Qu'est-ce qui lui avait pris de chouiner auprès de ce crétin d'Émiloris ? Qu'est-ce qui lui avait pris de se plaindre ? Qu'est-ce qui lui avait pris tout court ces derniers jours ? Lui avait-on jeté un sort de confusion ? Est-ce qu'elle devenait complètement folle ? Elle avait entendu parler du trouble de dédoublement de la personnalité et, inquiète, s'était rendue à l'infirmerie. Cette incompétente d'infirmière l'avait reçue et avait gardé un silence ponctué de "Mmh mmh" durant toute la séance avant de lui faire prendre un rendez-vous pour la semaine suivante. Susannah l'avait injuriée de tous les noms en sortant. Jamais elle n'y remettrait les pieds.

En proie à l'irritation la plus féroce, Susannah décocha un regard noir à la lettre encore cachetée. Son correspondant ne montrait toujours pas le bout de son museau malgré ses promesses. Un couard, un lâche, voilà ce qu'il était, comme tous les Gælyan qui polluaient les terres de Sympan. Il n'osait pas se présenter à elle maintenant qu'il comprenait ô combien il était ridiculement inférieur à elle. Un prince venu d'ailleurs, vraiment ? Des bobards. Le prince des menteurs surtout oui. Elle y croirait lorsqu'il le lui prouverait en se tenant devant elle. Au début, Susannah avait voulu y croire, mais il était manifeste que tout cela n'était qu'une monumentale arnaque et qu'elle était la victime d'une farce. Si ses soupçons se vérifiaient, elle se chargerait elle-même de noyer ce petit comique d'Émiloris en lui enfonçant la tête dans les toilettes. Elle l'y maintiendrait jusqu'à ce que son faciès se gorge d'eau et enfle, encore et encore, comme une grosse citrouille tuméfiée. Voilà tout ce que méritaient les Gælyan.

« Écoute-moi bien espèce de gros crevard,

Ma patience arrive au bout de ses limites et je suis surprise d'avoir tenu si longtemps avant d'agir. J'ignore qui tu es, cette personne anonyme, Émiloris ou autre, et je m'en moque. Tu crois que ton espèce de vers de terre m'intéresse ? Vous êtes tous pareil à mes yeux, indignes d'exister et de respirer le même air. Tu ne mérites même pas le temps que je passe à écrire ces mots, et sache que ce sera la dernière chose que tu recevras de ma part. Non, c'est un mensonge. J'ai encore un cadeau pour toi, et ce sera mon poing dans la figure dès que je te trouve - et je te trouverai. J'en fais une affaire personnelle, tu vas regretter de m'avoir menti tout ce temps. Tes explications iront avec toi dans la tombe, où j'espère qu'elles te tiendront compagnie.

Susannah Dæloran.»

Susannah fixa Nagra et d'un coup de pied, réveilla le chien. Elle fit taire ses jappements surpris et outrés d'un ordre bref. « Les chiens, ce sont des traqueurs, non ? » Il lui retourna un regard embué d'amour inconditionnel et sortit la langue. « Est-ce que tu vas finalement m'être utile ? Tu as beaucoup à te faire pardonner. » La veille, elle avait retrouvé ses plus jolis souliers à un stade de mâchonnement surprenamment avancé compte tenu de la petite mâchoire de Nagra. « Tu as intérêt à réussir cette mission, sale bête pleine de puces. Allez, renifle-moi cette lettre et trouve son auteur. »

Message V | 917 mots