J’avais été obligée de quitter la chambre que j’occupais auparavant, après que Pandore se fût énervée sur l’une des filles du dortoir. Cette dernière se vantait d’avoir embrassé un garçon avec la langue, ce qui avait fait soupirer mon autre. Elle avait qualifié de « ridicule » l’acte en question, l’appelant à se reprendre puisque, après tout, embrasser quelqu’un n’était pas une victoire en soi. Selon elle, n’importe qui savait le faire et il n’y avait que les bébés qui en ressentaient une quelconque satisfaction. La jeune fille, la fille d’un Chancelier des Ténèbres, n’avait pas apprécié la plaisanterie et avait sommé Pandore de s’expliquer et de s’excuser. Celle-ci avait alors poussé la concernée sur son propre lit, avant de la bloquer et de l’embrasser. Elle avait déclaré : « Tu vois, rien de compliqué. ». Bien sûr, la Sorcière n’avait pas apprécié. Elle avait demandé que Pandore, et moi par extension, fût virée de la chambre. Elle avait, bien entendu, omis d’indiquer les raisons exactes de la dispute. Qu’une Mage Noire pût embrasser un Ondin ne devait pas se savoir. Elle avait également, dans toute la version de l’histoire, oublié de dire qu’elle avait dû l’embrasser de force et qu’aucune langue n’était entrée dans aucun orifice, puisque le garçon en question s’était débattu et avait failli la frapper.

Je soupirai en passant la porte du dortoir. Malgré la contrariété, j’avais conscience que je devais m’estimer heureuse. Pandore aurait pu lui faire pire. Elle avait déjà mis un doigt à une autre élève. Les circonstances me paraissaient floues mais je savais qu’elle l’avait fait. Il n’y avait pas eu de problèmes après, sans que je ne susse si c’était parce que l’acte était désiré ou si c’était parce que l’élève en question avait eu peur de moufter. Au quotidien, j’avais toujours l’impression que ma vie ne m’appartenait pas. Mes absences laissaient dans leur sillage des interrogations multiples.

Je posai ma valise sur le lit qui m’avait été destiné. La chambre était plutôt grande et pourvue de bureaux qui servaient à étudier. Je me demandais si elle était comme mon ancien dortoir : avec une salle à l’étage, accessible via un escalier caché derrière un tableau. Dans cette pièce, il y avait plusieurs bibliothèques, remplies de livres mais également de jeux divers. Deux canapés s’y trouvaient, entourant une cheminée magique. « Oh... bonjour. » fis-je, lorsque je m’aperçus que je n’étais pas seule. « Je suis Gyzyl. J’ai dû changer de chambre. » J’abandonnai ma valise et allai vers ma nouvelle colocataire. Il me semblait l’avoir déjà aperçue mais n’importe quel élève m’aurait sans doute fait le même effet. « Tu veux bien me faire visiter le dortoir ? » l’interrogeai-je, en m'arrêtant devant elle.

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☙ Billie Eilish - True Blue

« Rah ! » Un juron siffla entre les dents de Susannah et le livre qu'elle jeta sur son lit manqua de peu de heurter le dôme iridescent de Méduz. Celle-ci, hermétique aux émotions de la bleue et inconsciente de l'attentat qu'elle venait de frôler, continua de flotter à quelques centimètres au dessus de la couverture, apparemment perdue dans ses rêveries, ou juste endormie. C'était difficile à dire, elles n'entretenaient aucune forme de communication, la méduse se contentait de coller la Sirène et semblait subvenir à ses propres besoins. Elle existait juste. Au départ, la Næphina s'était enthousiasmée à l'idée de posséder une nouvelle arme - elle se souvenait encore douloureusement des décharges électriques que ses filaments étaient capables de produire - mais Méduz n'obéissait pas aux ordres ou aux menaces proférées par la bleue. Désabusée par l'inutilité de l'invertébrée, Susannah s'était désintéressée d'elle et tolérait sa présence car elle ne lui laissait pas le choix.

Un nouveau juron filtra à travers ses lèvres et elle se mit à genoux devant la commode pour faciliter l'accès aux tiroirs. Elle ignorait qui avait fouillé dans ses affaires mais si jamais elle l'attrapait, elle lui raserait la tête et lui enfoncerait ses cheveux dans la gorge. Elle n'avait déjà pas beaucoup de temps pour rejoindre la bibliothèque après ses cours, et il avait fallu qu'ils travaillent sur des bulbes qui ne se développaient que dans une fange à l'odeur infecte et à l'aspect non moins repoussant. Un imbécile l'avait bousculée, soi-disant sans faire exprès, et elle était tombée dans l'immense baquet à quatre pattes. Dans l'obligation de se changer, elle fouillait dans ses affaires à la recherche d'un uniforme propre quand la porte du dortoir s'ouvrit. Susannah n'y prêta pas attention et poussa un cri de victoire en extirpant une jupe froissée du tiroir. Elle se retourna en entendant une voix s'adresser manifestement à elle. Après un certain silence qu'elle mit à profit pour détailler la nouvelle venue des pieds à la tête, elle lui retourna sa salutation du bout des lèvres. « Bonjour. »

La Lyrium se remit debout et se défit de sa jupe qui tomba au sol. Elle s'écarta et la repoussa du pied en fronçant le nez de dégoût à l'odeur que fleurait le vêtement. « Moi c'est Susannah. » Fit-elle en faisant remonter sa jupe propre sur ses hanches. Elle procéda de même avec son haut et lorsque sa tête émergea du pull, elle aperçut Gyzyl qui s'était rapprochée. Si elle l'avait déjà vue, elle n'en gardait pas le moindre souvenir. Les yeux levés au ciel à sa demande, l'adolescente souffla. « J'ai autre chose à faire. » Râla-t-elle sans se soucier de paraître grossière. Après avoir poussé Méduz d'un geste impatient, elle s'assit sur son lit et laça ses chaussures. Pliée en deux, elle lui lança. « Tu risques pas de te perdre de toute façon. Pourquoi t'as dû changer de dortoir au fait ? »

« D’accord. Enchantée. » lui dis-je, en la regardant se rhabiller. Pandore aurait bien voulu être là. Elle trouvait les jambes de la bleue particulièrement savoureuses, et plus si affinité. J’avais l’habitude de ressentir ses envies, sans pour autant y adhérer pleinement. C’était étrange, comme si chacun d’eux faisait partie intégrante de moi et que je pouvais ressentir tous leurs désirs et toutes leurs pensées à la fois. Persée était tout le temps dégoûté par la bisexualité de Pandore. Quant à moi, je me sentais fade, comme si je n’avais pas réellement de personnalité, comme si j’étais un mixe changeant de tout le monde et que mon avis ne comptait pas ou n’existait pas. « Ok… » laissai-je flotter. Je sentis Persée, à l’intérieur, avoir soudainement envie de sortir pour faire taire cette affreuse créature. Il jugeait de façon particulièrement flagrante la couleur de ses cheveux. Je passai une main sur ma nuque. C’était peut-être naturel mais je savais que le naturel ne comptait pas pour lui. S’il avait eu une chevelure semblable, il l’aurait rasée ou l’aurait fait teindre. Quant au reste, il la trouvait vulgaire. Pour qui se prenait-elle ? Qui se déshabillait ainsi devant autrui, hormis les prostituées ? « Pourquoi ? Oh… » Comment dire ça ? Il fallait que je formulasse le méfait comme s’il était le mien. C’était une responsabilité que je devais assumer à chaque fois que je reprenais le contrôle. « Disons qu’une Sorcière orgueilleuse se la pétait d’avoir embrassé un type… » J’attrapai mes cheveux et les ramenai sur le côté pour mieux passer mes doigts dedans. « Alors je lui ai dit qu’il n’y avait que les pisseuses qui se vantaient de ce genre de choses, que si elle n’avait fait qu’embrasser quelqu’un, il n’y avait pas de quoi la ramener. Elle m’a pris la tête ensuite alors je l’ai poussée sur son lit et je lui ai roulé une pelle. » Autant être franche. De toute façon, j’étais sûre que la nouvelle allait faire le tour de Basphel. « Elle a fait tout un foin pour que je quitte sa chambre… Au fond, je suis sûre qu’elle a bien aimé. » lâchai-je. Les dernières paroles n’étaient pas franchement de moi. Pandore, encore cruellement amusée par cette histoire, se faisait plus pressante à chaque fois que j’y pensais. « Puis bon, ce n’était qu’un baiser. J’aurais pu lui mettre un doigt. » finis-je. Puis, comme si de rien n’était, je l’interrogeai. « Tu es en retard pour un cours ? Pour le dortoir, ne t’inquiètes pas, je vais me débrouiller toute seule. Je prendrai un lit vide. » J’ajoutai néanmoins… « Ou celui que je préférerais. » C’était clairement Persée qui ne supportait pas de devoir se contenter du menu fretin. « Hâte de voir les autres. » Mon regard s’arrêta sur la méduse, ce qui créa le dégoût chez le Sorcier mais une curiosité maladive chez Aphrodite et quelques autres personnalités. « Elle est à toi ? »

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☙ Billie Eilish - True Blue

« ... » Susannah révisa en un clin d'oeil son jugement de la nouvelle pour la classer dans celle, déjà bien chargée, des "fouteuses de merde". « Je comprends mieux pourquoi t'es dans ce dortoir. » Se contenta-t-elle de commenter d'un ton aigre. À part Kiara, la majorité des filles du dortoir n'avaient rien de recommandable. C'était un miracle qu'elles ne se soient pas encore écharpées. Appartenir à la même race aidait à une forme factice de paix.

« Je crois qu'on fonctionne pareil toi et moi. Si je te fous la paix, tu me fous la paix, et vice versa. C'est pas une règle très compliquée donc tu devrais arriver à t'en souvenir. » Et si elle essayait de l'embrasser comme elle prétendait l'avoir fait, l'Ondine se ferait un plaisir de la lui arracher. Certaines Sirènes étaient dévoreuses de chair humaine et elle ne voyait pas où était le problème : il fallait bien trouver une utilité aux Gælyan les plus dépourvus de qualités, même si l'intoxication alimentaire était un risque.

« Quoi ? » Deux tâches d'un rouge soutenu apparurent sur ses pommettes. Elle toussa pour masquer sa gêne. Si elle voyait à quoi Gyzyl faisait référence, ce n'était pas pour autant qu'elle avait l'expérience de son côté pour cueillir tranquillement l'information. Elle détestait qu'on lui rappelle, même involontairement, ce qu'elle considérait comme une preuve d'infériorité. Il lui faudrait s'activer pour ne pas prendre du retard sur ce domaine là, quitte à abaisser ses standards pour les bipèdes puisque l'école en était malheureusement truffée. Les seuls Ondins qu'elle connaissait n'étaient guère envisageables. L'un était le frère de Lana, et était un sujet si épineux qu'il en devenait presque tabou en la présence de la blanche, l'autre était un niais et elle aurait préféré avaler de l'acide qu'imaginer faire quoi que ce soit de tactile avec ce spécimen honteux de mâle.

« Non, je travaille à la bibliothèque, et je suis déjà en retard. » Rappela-t-elle, un ton en dessous de celui pris originellement pour lui faire comprendre ne pas avoir de temps à lui accorder. « Ouais je m'en fiche, fais comme tu veux mais touche pas à mon lit ni à mes affaires ou je t'arrache les dents pour m'en faire un collier. » C'était moins joli que des perles, mais bien plus impressionnant. Elle jeta un coup d'oeil à Méduz. « Oui. Je te déconseille de t'approcher d'elle, elle est vénéneuse. Tu mourrais en moins de deux minutes. » C'était un mensonge mais l'idée que cette fille dérangeante touche à la méduse ne lui plaisait pas du tout. « De toute façon, elle me suit presque partout. Moi je suis immunisée comme je suis une Sirène. » Mentit-elle à nouveau. Son sac sur l'épaule et l'invertébré perché sur sa tête comme un chapeau, Susannah quitta le dortoir non sans envoyer une œillade suspicieuse à la nouvelle venue.

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