Je courais dans les couloirs, mon fleuret à la main et mon masque encore sur la tête. Ma première séance d’escrime avait été éprouvante. Je n’y connaissais rien et m’étais fait battre à plate couture toutes les fois où nous avions été amenés à pratiquer. Pire, le cours avait débordé et j’étais à présent en retard pour mon rendez-vous avec Hélène à la bibliothèque. J’avais décidé de devenir plus forte, pour Alcide, pour l’avenir et, aussi, grâce à Susannah. Notre première et dernière rencontre avait été un déclic de plus. Je devais devenir la personne qui hantait mes rêves et mes espoirs. J’en étais pourtant très loin. J’aimais la tenue d’escrime. Elle me permettait de bouger bien plus que les robes. L’immobilisme imposé au corps chez les Sorciers immobilisait aussi l’esprit. Je n’arrêtais pas de songer que tout serait bien plus simple si j’étais un garçon. Ça m’avait d’ailleurs choquée, que Susannah évoquât le fait que les garçons n’étaient pas admis dans son groupe. Les garçons étaient admis partout. Lorsqu’ils n’étaient pas souhaités, ils s’imposaient quand même. Pourtant, je ne pouvais pas ignorer le fait que les Sorciers et les Sirènes fussent ennemis. Les mœurs de nos deux peuples étaient irréconciliables. Peut-être ne serait-ce pas une bonne chose que j’avouasse à Susannah que j’aurais aimé être un garçon.

« Hélène ! » l’interpelai-je, essoufflée. Mon commentaire fut ponctué de plusieurs protestations. « Ah oui mince… » Nous étions à la bibliothèque. J’attendis comme une carotte plantée dans la terre deux secondes avant de percuter que je n’avais enlevé ni mon casque, ni mes gants. Je fis donc glisser ces derniers sur mes doigts et les posai sur la table avant d’enlever mon masque. Mes cheveux, attachées en queue de cheval, tombèrent sur mon dos. Le haut de mon crâne était constellé de mèches rebelles qui s’étaient relevées, par frottements prolongés avec le tissu. Je m’assis à côté d’elle et posai mon fleuret sur le sol. « Tu vas bien ? Désolée pour le retard, j’avais cours d’escrime ! » mumurai-je. « Je suis trop contente d’aller à Seaghdha. Je pensais que mon père n’accepterait jamais. » J’avais conscience que mon père et son père étaient au centre de nombreuses rumeurs. Le fait qu’Elias eût protégé l’Aile d’Acier à Amestris et que celle-ci eût été donnée à Jun Taiji avaient fait couler beaucoup d’encre. De même, la rupture de Kaahl avec Laëth défrayait les chroniques magiciennes, toujours avides de drames. Néanmoins, Hélène et moi étions amies et je ne voulais pas que nos parents fussent des murs entre nous. « Un peu comme les rencontres qu’il y a eu… Je n’ai pas pu participer. Tu y es allée toi ? Je sais qu’Alcide y était mais j’ai pas encore eu le temps de lui demander si c’était bien. Avec son entraînement et tout ça… »

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Je me mis à balancer mes jambes tranquillement. « Le bal… » Je passai ma main derrière mon oreille. Mon père m’avait interdit d’y aller mais, lorsque j’en avais parlé à Érasme, il m’avait dit qu’il pourrait m’y accompagner si je le souhaitais. « Peut-être que je vais pouvoir y aller si je suis accompagnée de mon frère. Il faudrait que je demande à mon père. Il ne voulait pas que j’y aille, dans sa dernière lettre. Peut-être que la présence d’Érasme pourra le faire changer d’avis… Ou alors je demande à Érasme de le convaincre… » Je réfléchissais presque à voix haute. Une infime partie de moi espérait qu’Érasme se chargerait de régler le problème. Une encore plus infime part se doutait que le Sorcier risquait de passer outre les commandements de notre père, quitte à avoir de gros problèmes ensuite. « Je ne sais pas si le Duc Taiji voudra qu’Érasme aille au bal… » Parler de Val’Aimé me fit frissonner. « Avant Cyrius Windsor était son mentor mais, puisqu’il est Roi maintenant, le Chef des Armées a pris la relève. Il me fait un peu peur… » avouai-je. Un peu beaucoup. En réalité, Cyrius aurait pu continuer à enseigner à Érasme mais je n’avais aucune idée des jeux de pouvoirs et problématiques qui avaient entouré la question de l'éducation de l'ancien Prince. « Moi ça me va bien que mon père ne soit plus Empereur… même s’il semble encore plus occupé qu’avant… » Depuis le procès, il était réputé être en voyage pour le compte de la Couronne. Je n’avais aucune idée d’où il se trouvait. Certains murmuraient qu’il purgeait sa honte à l’étranger. D’autres appelaient vivement à son retour.

« Oh tu fais partie de l’équipe aussi ? Je ne savais pas ! C’est trop chouette ! » m’exclamai-je, ce qui me valut d’autres froncements de sourcils rageurs. Je fis une grimace. « Mince… les bibliothèques c’est vraiment pas fait pour moi… » J’avais été bien éduquée mais, chez les Sorciers, la famille royale avait toujours raison. J’avais donc eu la possibilité de parler à voix haute où que je fusse. Ça avait toujours été aux autres de s’adapter. « Aäron ? Alcide est intéressé par les garçons ? » demandai-je, avec surprise. On n’en parlait jamais. Le mariage était un sujet que je n’osais pas aborder avec lui. Il semblait à des kilomètres de ne serait-ce que l’envisager, là où sa menace grondait déjà à mes oreilles. Je savais que mon mariage serait politique, comme ceux d’Érasme l’avaient été. Réta n’était pas encore promise mais ça ne saurait tarder. « Et y en a un qui t’a plu ? » la questionnai-je, avant de répondre à sa question. « C’est épuiiisant. Mais j’aime bien pour l’instant. » Je repris le ballet de mes jambes sous la table et tournai les yeux vers les livres. Ce n’étaient pas vraiment mes objets favoris, hormis les romans d’aventures et les contes. Dans tous les cas, je préférais qu’on me fît la lecture plutôt que de lire moi-même. « Ah oui… Et tu crois qu’il y a un livre sur des légendes épiques qui concernent les Vampires ? Ou sur les guerriers vampiriques ? »

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