Typhon immobilisait Échidna, son épouse, sous son imposant corps afin de l’empêcher de lui ravir son repas. Le couple de monstres géants avait un appétit tel qu’ils se partageait une quantité faramineuse de nourriture séparé en vingt-quatre portions. Si chacune de ces portions pouvait sustenter copieusement un homme adulte, elles laissaient les monstres géants sur leur faim. Il n’était donc pas rare qu’un moment d’inattention incite au vol de nourriture.

Le cas présent n’était atypique que par la raison derrière la distraction de l’homme-serpent-tigre. Une lettre, ainsi que du matériel d’écriture, venait d’apparaître dans le nid qui abritait le couple monstrueux. Une matérialisation subite d’objets, c’était une chose, mais la matérialisation d’objets de tailles et de formes adéquates pour les mains griffues de Typhon, s’en était une autre. Il n’en fallut guère plus pour que la femme-serpent-chatte se faufile sous le nez de son époux distrait. La taille démesurée de ces Hesshas géants ne permettait toutefois guère de subtilité. Typhon plaqua donc Échidna sous son ventre, visage contre terre, pendant qu’il lisait la lettre de nature magique. La salubrité du nid étant des plus discutable, la femme-serpent-chatte tentait de s’extirper, mais elle ne faisait pas le poids face au mâle plus grand et plus lourd qu’elle.

Une fois son repas sécurisé, Typhon s’écarta de la femelle, puis lui remis la lettre. En temps normal, Typhon ne lisait pas personnellement son courrier. S’ils étaient toujours officiellement mariés, Échidna avait perdu cette position. Elle avait une dette de servitude envers Typhon, conséquence d’un acte de trahison. La femme-serpent-chatte survécut au duel à mort qui s’en suivit et opta pour la servitude afin de réintégrer la meute qu’elle chercha à détruire. Typhon, comme pour bien des Evershas, accordait peu d’importance aux méfaits passés. Sa meute amoindrie avait plus à gagner à conserver la guerrière dans ses rangs qu’à la rejeter, alors c’est ce qui se produisit... avec les conséquences appropriées.

Se nettoyant rapidement le visage, Échidna prise la lettre et se mise au travail. Il s’agissait d’un lourd fardeau et d’une profonde honte pour un changeur de forme d’être ainsi privé de sa liberté, mais le déshonneur ne tuait pas. Éventuellement, la femme-serpent-chatte expierait sa faute… ou bien elle affronterait de nouveau son chef pour regagner sa liberté par la force. La loi du plus fort était la seule loi reconnue de tous les changeurs de forme. Sur ce point, toutefois, il n’y avait personne dans la meute de Gargantua qui pouvait prétendre rivaliser avec l’homme-serpent-tigre.

En tant que Grand Totem, Typhon recevait une quantité assez importante de courrier. Il s’agissait principalement des faits divers du Rocher au Clair de Lune, mais il y avait aussi des rapports d’espionnages. Et puis, en de très rares occasions, Typhon recevait aussi des lettres de l’entourage de la Déesse-Totem. Celles-ci lui dictaient les grandes lignes de la conduite à adopter en présence des autres peuples. La servitude d’Échidna consistait essentiellement à faire le tri dans les informations, faire les retours nécessaires, puis résumer le tout à Typhon.

«  C’est tout ? Questionna Échidna, confuse. Je suis censé répondre quoi à ça ?!?
— Aucune idée, répondit Typhon, tout aussi incertain. Je peux sentir que c’est écrit avec du sang, mais je ne perçois pas les auras typiques des Vampires. La lignée Ksenia, ça te dit quelque chose ? Je n’ai pas souvenir d’y avoir eu affaire pendant la guerre.
— Me regarde pas comme ça, je n’en sais pas plus que toi.
— Même avec ton éducation de Sorcière ?
— Je te rappelle que j’étais une gamine quand j’ai été rejeté des Sorciers. Éveil de mon Totem et tout… Si tu veux une comptine sur les méfaits de la vertu, je dois en avoir une douzaine en stock. Oh, je sais ! Je vais répondre avec des suggestions de malédictions.
— À bien y penser, je vais m’occuper de la réponse…  »

Il était rare pour Typhon d’écrire lui-même une réponse à son courrier. La femme-serpent-chatte était toutefois la seule membre de la meute à savoir lire et écrire le Grimwyn, la langue écrite des Evershas du Rocher au Clair de Lune. Les changeurs de forme de l’Antre des marais, lesquels constituaient le gros de la meute de Gargantua, ne connaissaient que la langue commune. L’homme-serpent-tigre se prêtait donc occasionnellement lui aussi à la tâche quand Échidna ne suffisait pas.

Petite Vampire assoiffée de sang,

Le monde est un endroit rude et impitoyable. Chasse, rassasie-toi et, si tu le peux, abandonne-toi à l’étreinte d’un bain chaud. Je suggère la patience, Petite Vampire, car la vie offre tout comme elle prend. En temps voulu, tu récolteras le fruit des graines que tu sèmeras.

En attendant, libère-toi de ta soif de vengeance, Petite Vampire. Une guerrière qui ne connait que la guerre finira prisonnière de la paix. Peut-être feras-tu comme moi, luttant incessamment d’un adversaire à un autre. Peut-être, je te le souhaite, trouveras-tu une autre voix. Dans tous les cas, j’espère que tu obtiendras ce qui fera ton bonheur.

Garde la tête haute, Petite Vampire assoiffée de sang ! De ton confident,

Croc-de-Lune

Lisant par-dessus de l’épaule de son mâle, Échidna se moqua de Typhon qui ne daigna pas signer de son nom. C’était la première fois que la femme-serpent-chatte constatait un tel geste de son époux. Non pas qu’elle désapprouvait, toutefois, car le geste était indéniablement plus prudent considérant les antécédents entre les Evershas et les Vampires. C’était simplement que Typhon, à l’image de son nom, s’encombrait rarement de la prudence.

«  Croc-de-Lune ? Depuis quand tu utilises un pseudonyme, toi ?
— Depuis que j’ai compris la valeur de l’anonymat.
— Très récemment alors ! Mieux vaut tard que jamais…
— Cause toujours ! Tu es loin d’être une référence en discrétion.
— Eh oh ! Je fais dans les 400 kilos et je mesure cinq mètres et demi ! Je NE PEUX PAS être discrète.
— 400 ? Tu as pris du poids.
— Pas autant que toi, monsieur 600 kilos. Et maintenant que tu mesures 6 m 25, je constate que tu grandis plus rapidement que moi. Je suis en pleine croissance, moi aussi, je te signale ! Si ça se trouve, je suis en carence. C’est certainement pour ça que l’écart se creuse…
— Essaies-tu de me donner des remords pour que tu puisses manger plus !?!
— Ça fonctionne ?
— Gourmande… Allez, fait passer le mot. Que le maître cuisinier augmente nos portions. S’il n’y arrive pas, alors nous irons conquérir le territoire d’une meute rivale !
— Hé, hé, hé !  »

1090 mots
1er message

Les trois estomacs de l’homme-serpent-tigre étaient bien remplis, mais le Hesshas réclamait toujours plus de nourriture. Une fois encore, Typhon venait de subir une défaite lors de son duel contre son rival. Une fois encore, c’était le poids qui avait fait la différence. Contre un adversaire de taille similaire, mais plus lourd et endurant, Typhon était sans cesse confronté à ce qui lui faisait défaut. En réponse, l’homme-serpent-tigre s’empiffrait toujours plus. Était-ce sage de s’engraisser de la sorte ? C’était difficile à dire. Son corps monstrueux était mal compris à la fois des soigneurs et de Typhon lui-même.

Le serviteur qui osa dire au Grand Totem qu’il avait eu sa part de nourriture pour la journée fut accueilli d’un grognement bestial. Ce n’était pas la tentation qui manquait de dévorer le jeune inconscient. Si l’épouse de Typhon avait été présente, elle l’aurait certainement encouragé à passer à l’acte afin de que l’Evergrim terrorisé se mêle de ses affaires. Mais elle était absente et l’homme-serpent-tigre préféra utiliser une autre méthode pour obtenir satisfaction. Et puis, une distraction était survenue. Le nécessaire de correspondance magique avait trouvé son chemin jusqu’au palais de Dhitys, au Rocher au Clair de Lune. Pour s’adresser au serviteur, Typhon roula sur le dos afin d’exposer ses deux abdomens gonflés, puis adossa son buste humanoïde contre un mur. Même dans cette posture vulnérable, la tête du Hesshas se trouvait à la hauteur des yeux du serviteur. L’homme-serpent-tigre exigea alors que le jeune homme s’approche.

«  Tu sais que je pourrais me repaître de ta chair et de tes os, s’il me prenait l’envie affirma Typhon en massant son énorme ventre. Je suis non seulement l’invité de la Déesse-Totem, mais aussi son Grand Totem. Alors qui es-tu, pour décider à ma place si je suis repu ou non ?
— Je n’ai pas peur de toi, monstre ignoble. Je suis Darkan de la dynastie des Shell. Mon sang est pur, ma force est digne de devenir Augure et mon Totem de lynx est bien plus noble que la pâle imitation de ta moitié tigrée. Tu ne mérites ni mon respect ni ma considération, Hesshas.
— Voilà qui a le mérite d’être clair, rota nonchalamment Typhon au visage de son interlocuteur. Alors, je vais te rendre la pareille. Tu vas m’apporter de quoi satisfaire mon appétit, ou je vais te dévorer.
— Si tu…
— Affronte-moi, ici et maintenant, ou apporte-moi mon prochain repas dans l’heure. Je n’ai pas l’habitude de parler à ma nourriture.  »

Réalisant qu’il ne sortirait pas vainqueur de cet affrontement, le serviteur cracha de dégout et quitta la pièce du palais où le monstre avait élu domicile. Typhon était sûr qu’il reviendrait avec un nouveau repas, alors il porta son attention à la lettre-réponse qu’il avait reçue. Si cette jeune Vampire avait commencé la correspondance, elle ne s’en était visiblement pas rendu compte. L’homme-serpent-tigre se plaisait d’avoir ce contact avec le monde extérieur… le monde normal. Dans l’imaginaire de la suceuse de sang, le Hesshas n’était qu’un simple « traître. » Il était un espion vers qui une fillette confuse se permettait de montrer les crocs. Si elle avait su, la dénommée Kaldra aurait certainement été beaucoup plus réticente à menacer ainsi le monstre de Durienrisda, dévoreur de Vampires. Cela dit, Typhon préférait conserver l’anonymat.

Non pas qu’il avait peur, il pouvait aisément traquer la Vampire. C’est plutôt cette impression de normalité qui apaisait le Hesshas. C’est pour le bien de conserver ce genre de relation que Typhon opta pour maintenir le silence quant à son identité véritable. Il écrivit donc une nouvelle correspondance à l’intention de sa Vampire favorite.

Petite Vampire assoiffée de sang,

Libre à toi de m’en vouloir de me voiler de l’anonymat. Mais que cela ne tienne ! Cet échange me plait et il serait déplorable d’y apporter une fin hâtive. Qui plus est, je ne puis accaparer le mérite des informations qui m’ont été transmises par ta main. Nous voilà malheureusement devant une injustice, Petite Vampire assoiffée de sang. J’en sais plus sur toi que tu en sais de moi. Mais peut-être est-ce mieux ainsi.

Le clair de lune m’en soit témoin, je ne suis pas plus l’auteur de tes malheurs que je suis impliqué dans la destruction de ta ligné. C’est pourquoi je me permets de te contredire. Assoiffée de sang comme tu l’es, je doute que tu disposes du temps comme d’une richesse. Semons plutôt la première graine qui permettra à la toi du futur de s’épanouir. Plutôt que de penser à ce que tu feras, pense à ce que tu peux faire, maintenant.

D’un guerrier à une guerrière, il n’est avantageux de se mesurer à plus fort que soit que lors d’un combat amical. Un ennemi, un vrai, utilisera tous les moyens à sa disposition pour survivre à ton détriment. Pour t’apporter le bonheur, je te suggère d’acquérir les moyens de tes ambitions. Si tu désires tuer et répandre le sang de tes propres mains, alors perfectionne ton art. Si tu désires triompher sur l’ensemble de tes ennemis, porte plutôt ton attention sur les alliés qui t’offriront l’influence qui te fait défaut.

Réfléchis bien, Petite Vampire assoiffée de sang !

Croc-de-Lune

Typhon compléta sa lettre en souriant. Prêchant par l’exemple, le guerrier se concentrait sur ce qu’il pouvait faire dans le présent pour vaincre son rival dans le futur. Pour ce faire, nulle stratégie miracle, nulle arme secrète et nulle magie défendue n’étaient requises. Le Hesshas géant allait se servir de son appétit insatiable pour ravir l’avantage du poids à son adversaire. En gagnant en graisses, Typhon pourrait gagner en muscles et en endurance. Rakel n’avait qu’à bien se tenir. Quand l’homme-crocodile perdrait l’avantage du poids, l’homme-serpent-tigre pourrait enfin le dominer.

985 mots
2e message

L’insatiable homme-serpent-tigre engouffrait toujours plus de nourriture dans l’immensité de son corps monstrueux. Il consommait les restes de table de tout le palais, s’empiffrait de viande avariée, se gavait de pain moisi et avalait tout rond fruits et légumes en décomposition… et tout ça, c’était en plus de ses cinq repas quotidiens. Chaque jour, Typhon était plus lourd que le précédent, et chaque jour, le mastodonte retardait sa défaite lors de ses nombreux duels contre Rakel. Si l’homme-serpent-tigre avait pu prolonger son séjour au palais de Dhitys de quelques mois supplémentaires, peut-être aurait-il pu enfin surpasser l’homme-alligator. Malheureusement, le séjour de Typhon tirait à sa fin, tout comme l’abondance auquel il bénéficia.

À quelques jours de la cérémonie lunaire, les vivres avaient été coupés pour le Grand Totem. Il devait désormais jeuner afin que son corps monstrueux se contienne. Pour cette cérémonie, le rôle de Typhon était de servir de « siège » pour la Déesse-Totem. D’un côté, il s’agissait d’un affront à l’autorité de Typhon. Un Grand Totem était l’une des positions les plus élevées de la hiérarchie des changeurs de forme. Que le rôle de Typhon se limite à accueillir les fesses d’Ava était indiscutablement disrespectueux. De l’autre, la volonté de la Déesse-Totem était la volonté de Phœbe. Les fesses d’Ava étaient, en quelque sorte, les fesses de Phœbe. Déjà que la présence d’un Hesshas au kiansha de Dhitys était controversé, ce traitement était probablement la meilleure façon d’éviter une contestation hostile.

Au bout du compte, Typhon se sentit satisfait de l’entente. En échange de son égo lésé, l’homme-serpent-tigre avait bénéficié de séances d’entraînement privées avec le clone de son rival. Qui plus est, le monstre reçut suffisamment de nourriture pour pratiquement doubler son poids lors de son séjour au palais. Et pour couronner le tout, briser la volonté d’un membre de la dynastie des Shell fut un plaisir personnel pour Typhon, dont la famille avait beaucoup souffert des ambitions de cette dynastie. Jour après jour, Darkan avait été forcé de répondre aux caprices de l’immense Hesshas. Et à chaque altercation, le jeune homme avait été forcé de méditer sur sa faiblesse. Car tout comme le puissant Rakel dominait Typhon, l’homme-serpent-tigre dominait le faible Darkan. Or, contrairement aux deux Grands Totems débordants d’égos, le jeune Gardien n’avait pas la force de personnalité nécessaire pour sortir indemne de cette expérience.

«  Darkan ! J’ai besoin d’un bain, annonça Typhon en se retournant nonchalamment sur le dos. Et profites-en pour me faire un massage.
— Ce sera tout ?
— Non, je veux une nouvelle pesée. Je veux connaître mon poids, le ventre vide.  
— D’accord.
— Oh, mais sourie ! Encore quelque jours et je repartirai à l’Antre des marais. Tu devrais être heureux !
— Je jubile de joie. »

Les réponses de Darkan étaient dénuées d’émotions. Il allait s’acquitter de ses tâches, puis retournerait dans son coin à attendre la prochaine demande en silence. Il avait échoué son épreuve de dompter l’homme-serpent-tigre et le jeune homme en avait accepté les conséquences. Vivre au sein d’une des Grandes Dynasties du Rocher au Clair de Lune était garant d’une vie aisée, de l’accès à un savoir exclusif et d’un entraînement de qualité. En contrepartie, rares étaient les membres de dynastie à pouvoir s’illustrer et gravir les échelons de la société. Seuls les Gardiens les plus exceptionnels pouvaient espérer devenir Augure et aspirer à un jour diriger la dynastie comme matriarche ou patriarche. Darkan n’était pas de cette trempe.

En cohabitant avec Typhon, Darkan avait compris qu’il n’avait pas ce qu’il fallait pour devenir Augure de la dynastie des Shell. Le jeune homme allait finir sa tâche, retourner chez les siens, puis rejoindrait une position plus adaptée à ses ambitions révisées. Les derniers jours de cohabitation n’étaient plus qu’un dernier mauvais moment à passer. C’est à ce moment qu’apparut le nécessaire de correspondance, détournant l’attention de Typhon. Darkan fut soulagé, cette distraction allait lui faciliter la tâche. Ainsi occupé, l’homme-serpent-tigre allait le laisser tranquille.

La lecture de cette nouvelle lettre choqua Typhon. D’abord pour son contenu, car la stupidité des propos frôlait le ridicule. Kaldra continuait de considérer son destinataire de traître, mais elle lui avouait par la suite son impuissance et lui demandait de l’aide. Ensuite, pour sa forme, car la lettre était inachevée. La Vampire n’était pas morte en cours d’écriture, l’homme-serpent-tigre en était certain. Cette lettre ne se transportait à son destinataire qu’une fois terminé. Le Grand Totem soupira. Tout comme avec Darkan, la joute écrite avec Kaldra n’était guère intéressante si elle s’effondrait de la sorte.

Découvrir l’emplacement de l’auteur de cette lettre n'avait pas été très difficile. Avec un nom, une race, sa lignée et un peu de magie, il n’était guère difficile d’obtenir la contrée d’où la lettre avait été écrite. Une localisation en bonne et due forme prendrait plus de temps et d’efforts, mais Typhon ne cherchait pas à traquer sa cible. Savoir qu’elle se trouvait dans l’Antre des damnés lui était suffisant pour le moment. Développer des relations avec le peuple Vampire intéressait peu le Grand Totem. Leurs deux peuples sortaient d’une guerre et il n’y avait guère de centres d’intérêts communs pour justifier un rapprochement. En revanche, sur une base personnelle, Typhon voyait un léger avantage à maintenir une relation avec cette jeune Vampire exilée.

Petite Vampire assoiffée de sang,

Je m’avoue déçu. Il va de soi qu’une correspondance vit et meurt par l’intérêt de ses correspondants. Il n’est donc pas plus pertinent d’énoncer l’évidence que de surestimer l’importance que je lui accorde. La guerrière que j’imaginais aurait agi par l’abstinence, mais voilà que l’agnelle captive agit en mendiante. Soit.

Tu m’as donné sans rien recevoir en retour. Peut-être puis-je offrir une contrepartie. Œil pour œil, dent pour dent, comme diraient certains. Voici donc de quoi mettre à l’épreuve ta motivation. Toi qui m’interpelles comme traitre et architecte de ton malheur, saisiras-tu l’opportunité que je t’offre ? Petite Vampire assoiffée de sang, voilà un défait à ta hauteur !

À l’Antre des damnés, tu trouveras les ruines de la tanière de Gal’ulm le Gourmand. Seigneur Démon trahi par la cupidité des siens, son domaine fut maintes fois pillé et mis à sac. Mais quel peut être le réflexe du riche avant de tout perdre ? La réponse, tu trouveras sous la latrine de l’ancien maître des lieux. Je pourrais m’en arrêter là en entretenant l’idée que le désespoir te plonge dans l’odieux, mais je m’amuse déjà à l’idée que tu ignores mon aide.

Comme toutes les latrines du domaine, le havre de paix du maître mène à deux cavités. N’en crois pas tes yeux, toutefois, car il s’agit d’une illusion. Le refuge du maître contient en vérité trois vides. L’espace additionnel, directement sous l’ouverture, abrite une partie de son trésor. J’avais prévu récupérer ces biens précieux, mais des obligations m’ont retenue ailleurs. Peut-être t’apporteront-ils le bonheur ?

Courage, Petite Vampire assoiffée de sang !

Croc-de-Lune

Cette dernière lettre amusait Typhon. Elle allait forcer Kaldra à affronter ses contradictions. Si elle tenait véritablement à sa vengeance, et qu’elle était aussi pauvre qu’elle l’affirmait, alors la Vampire allait avoir du mal à ignorer la promesse d’un trésor. Le domaine de Gal’ulm était non loin de Sceptelinôst, alors la tentation allait certainement être forte d’y faire un tour. Mais plus encore, Typhon savait précisément la forme que prenait le magot de Gal’ulm et ce n’était pas celle de l’or. Non moins précieux, toutefois, il n’était pas exclu que la colère qui aveuglait la jeune Vampire ne la pousse à abandonner, voire détruire sa trouvaille.

Notes:

1270 mots
3e message