Sæl fermait un oeil, alors que le vent soufflait avec brutalité sur son minois. Elle pivota légèrement la tête vers la droite, comme pour mieux résister à cette brise glacée. Ses mèches ondulées balayaient l'air derrière elle. Devant, un homme était accoudé sur un demi-mur. Il amenait une cigarette à sa bouche. La fumée qu'il expirait s'évaporait lentement, formant un nuage opaque.
"Monsieur Tuvache ?" demanda Sæl quand elle arriva à sa hauteur. L'homme tapota sa cigarette au dessus du vide. Le mur, sur lequel il était accoté, était la seule barrière entre lui et le flanc de la falaise.
"Mademoiselle Song." fit-il avec une voix abimée par des années de fumette. Il pivota nonchalamment sa tête vers elle, avant de reprendre une bouffée de sa cigarette.
"Vous n'avez pas trop froid ?" demanda-t-il, tout en expirant la fumée.
"C'est vivifiant." Sa voix était timide. En réalité, elle avait toujours aimé le froid.
"Tenez." La clope entre les dents, il fouilla dans une poche de son manteau. Il en sortit une petite boite en bois, dans laquelle il rangeait ses cigarettes. Il en extirpa une et la proposa à la jeune adolescente. Sæl la prit sans hésitation avant de la porter à sa bouche. Elle laissa l'homme allumé le bout avec une flammèche qui lui sortit du doigt. Bien qu'elle fusse jeune, elle avait appris à fumer à chaque fois qu'elle voyait le dénommé Tuvache. Il le lui avait proposé une fois et elle n'avait pas eu le courage de dire non. Aussi, il le lui en offrait une à chaque entrevue, amicalement.
"Si j'ai bien compris, ceci est la dernière fois que nous nous voyons ?" Sæl hocha timidement la tête, avant de s'accouder elle-même au demi-mur. Elle n'avait pas le vertige.
"Oui... Je n'aurais plus les moyens de payer vos services." L'homme marqua un temps, semblant réfléchir. "
Hum. C'est bien fâcheux." "En effet." Il se retourna, pour faire dos au vide, mais son coude reposait toujours, derrière lui, sur le mur. Il reprit une inhalation de cigarette, que Sæl imita.
"Ca ne me regarde pas mais il va falloir que vous songiez à trouver un emploi." Sæl eut un rictus, un peu mauvais. Elle ne montrait jamais cette facette d'elle-même aux autres.
"Ma mère deviendrait folle si elle savait que j'en suis rendue à travailler pour vivre." Comme le commun des mortels en soit.
"Votre mère n'est peut-être plus en vie, mademoiselle." Sæl fronça les sourcils et lui jeta un regard mauvais. Elle tira une bouffée de sa cigarette. Tuvache se contenta de hausser les épaules.
"Vous ne me payez pas pour vous abreuver de faux espoirs, mademoiselle, mais pour trouver des indices sur la disparition de votre mère." Il était détective. Sæl soupira, soufflant sa fumée devant elle.
"Et donc ? Qu'avez-vous trouvé de plus ?" demanda-t-elle en regardant le vide.
"Malheureusement, pas grand chose, ce mois-ci. C'est aussi décevant pour moi que ce doit l'être pour vous." Sæl continuait à fumer.
"Donc, tout ce que l'on sait, c'est que des cadavres de Sirènes en décomposition sont retrouvés, dans des zones de plus en plus étendues ? Et que l'on a de moins en moins de contact avec les cités-bulles, parce qu'en plus d'être avares en informations, les Ondins ne peuvent plus plonger trop loin sous la surface ?" Tuvache secoua nonchalamment la tête de gauche à droite, pour opiner.
"C'est déjà beaucoup pour une race aussi secrète que celle de votre mère, croyez-moi." Comme il arrivait au bout de sa cigarette, il écrasa l'extrémité de celle-ci sur le demi-mur, puis coinça une nouvelle cigarette entre ses lèvres.
"Mademoiselle, des scientifiques sont aussi en train d'examiner l'eau. C'est assez compliqué mais, si j'en crois mes recherches, ils auraient trouvé des traces possibles de Sauge." "De Sauge ?" "Cette information n'est pas connue et, il vaut mieux que cela ne s'ébruite pas. D'autant plus, qu'elle n'ait pas tout à fait certaine." "Mais... pourquoi ? Pourquoi ne pas plus chercher à creuser cette piste ? A interroger plus de scientifiques ?" Tuvache, tout en gardant la tête immobile, pivota ses yeux sur Sæl.
"Pourquoi ? Ne l'avez-vous pas encore appris ici ?" Il laissa une petite seconde trainer.
"Les raisons sont politiques." "Politiques ?" reprit-elle.
"Vous n'êtes qu'une enfant ; on ne donne pas gratuitement un coup dans une fourmilière." Elle était de plus en plus perdue.
"Le fait que la Sauge agit comme un poison pour les Sirènes est-il connu ?" Sans s'en rendre compte, Sæl portait la cigarette machinalement à ses lèvres, sans fumer pour autant.
"J'imagine, oui." Elle n'était pas sûre.
"Et, d'après vous, qui pourrait fomenter un piège mortel à l'ensemble des Sirènes ? Qui sont leur ennemi depuis toujours ?" Sæl fronçait les sourcils.
"Votre question est bien facile. Vous voulez que je dise "Les Sorciers", comme les livres d'histoire nous l'on apprit, mais ce n'est pas aussi simple. Il y a de la diplomatie et..." "Si, mademoiselle. C'est parfois aussi simple que cela." Il claqua des doigts.
"Ou du moins, c'est ce que les personnes moins instruites pourraient penser." Cette fois, il se tournait complètement vers elle.
"Vous commencez à voir où je veux en venir ?" Sæl reprit une dernière bouffée ; sa cigarette était finie.
"Si je commençais, moi qui suit un détective, à poser des questions dérangeantes sur cette Sauge, cela m'attirera des problèmes. Mais aussi, ce n'est pas par simple lâcheté. Si je commence à remuer tout cela, les gens, de moindre intelligence, vont aussi commencer à se poser des questions. On criera au meurtre, ou à l'incident diplomatique. Imaginons même une guerre en guise de représailles ! Ceci peut aller très loin, mademoiselle." Sæl baissait les yeux.
"Mais alors... Je dois arrêter de chercher des réponses ? Juste comme cela ?" Cette fois, ce fut elle qui claqua ses doigts.
"Ce serait plus simple, oui." Elle observait la cendre s'étaler alors qu'elle écrasait sa cigarette contre la muraille. Le détective pivota encore pour faire face au vide, comme elle. Un long silence s'installa. Ils observaient l'horizon.
"Si vous voulez un conseil..." Tuvache brisa le son du vent.
"Vous devriez vous rapprocher de cette personne." Le détective coinça sa cigarette entre ses lèvres et fouilla dans les poches intérieures de son long manteau. Sæl le regardait faire, d'un air curieux. Enfin, Tuvache extirpa une feuille vieillie et froissée, pas plus grande qu'une petite cuillère.
"Aliénor Vaughan ?" C'était le nom qui était marqué sur ce bout de papier.
"Oui, c'est ..." "Je sais qui elle est." le coupa net Sæl. Pourtant, il continua de lui parler de cette personne, comme s'il ne l'avait pas entendu. L'Orisha l'ignora pour se concentrer sur ce nom.
"... et comme elle est chez les sorciers, je pense que vous pouvez commencer par là." finit-il enfin. Puis, avec la paume de sa main, il frappa le haut du garde-corps en pierre.
"Et bien, nous y voilà. Il est temps de ce dire au revoir. Je vous souhaite de trouver une réponse à vos question. Prenez soin de vous." Sæl le salua, quelque peu distraite. Elle le regardait partir alors que le vent glacial était le seul à rester en sa compagnie.
Elle resta un moment sur la muraille, avant de rentrer, en direction de sa chambre. Là, elle s'installa à son bureau. Il était parfaitement ordonné et rangé. Doucement, elle extirpa, d'un des tiroirs du meuble, une jolie feuille à lettres. Elle allait suivre le conseil qu'on lui avait donné.
"A Dame Vaughan,
Nous ne nous connaissons pas. Je me nomme Sæl Song, fille d'Aylivæ Song.
Si je vous écris aujourd'hui, c'est parce que ma mère a disparue depuis plusieurs lunes. Je n'ai plus de nouvelles de sa part et, pour tout avouer, je ne sais même pas si elle est encore en vie. Cette annonce doit vous laisser des plus perplexes et sans doute devez vous vous demander ce que vous avez à voir avec cette histoire. Laissez-moi vous éclairer au plus vite : Je vous demande humblement votre aide.
Comme vous devez le savoir, la rumeur, comme quoi l'océan est devenu empoisonné pour le peuple de l'eau, s'étend. J'ai engagé une personne pour vérifier les faits, mais elle doit arrêter son enquête, faute de moyen financier. Cependant, ses dernières découvertes indiquent que la rumeur précédente est des plus fondées. Je ne sais par quel procédé alchimique mais des traces de Sauge ont été potentiellement identifiées dans l'eau. La personne qui me l'a dit n'en est pas certaine et m'a ordonné de prendre cette information avec des pincettes. Mais je suis désespérée. Je n'ai pas le luxe des pincettes et je ne peux tout simplement pas ignoré ce que j'ai entendu, ou la moindre information.
Aussi, je viens vers vous. Vous êtes sans doute mon dernier espoir. Comme tout le monde le sait, Sirène et Sorciers sont de vieux ennemis. S'il y a un poison pour l'un, l'autre pourrait s'en servir. Je dis bien pourrais. Comprenez bien que je n'accuse pas. Ni un peuple, ni personne. Je recherche simplement des réponses. Et peut-être en trouverais-je chez les mages noirs.
Étant l'épouse de l'un d'eux, vous devez être bien plus familière avec ce peuple que moi. Pourriez-vous de me donner la moindre information qui pourrait, selon vous, m'aider ? Je vous en prie.
En gage de mes sentiments les plus amicales, je vous offre cette pièce en or. C'était un cadeau de ma mère. Il s'agit d'une pièce faisant partie d'un trésor de pirate. Il s'agit aussi d'un porte-bonheur. Elle attire le bon sort et, en la portant à chaque examen, je n'ai jamais échoué. Je vous la confie à présent.
Avec toutes mes prières,
Sæl Song"
1710 Mots
JOYEUX NOËL (enfin réveillon et après noël) !
Voici ton cadeau :
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La pièce porte-bonheur | Il s'agit d'une pièce en or. Sur une face, le profil d'une jeune femme à chignon est gravé. Son l'autre, c'est le profil d'une tête de mort. Ils peuvent symboliser la mort et la vie, éternellement ensemble et séparés. La pièce appartenait à un ancien pirate, qui aurait béni son trésor. Elle apporte bonne fortune à son possesseur, réalisant ses souhaits sans vilénie. Cependant, malheur éternel a celui qui l'égard.
