Vendre ses produits sur un marché demande beaucoup d’énergie. La tâche était rendue d’autant plus ardue à Amestris, où les civils sont aussi dangereux que l’armée. Le marchand devait constamment surveiller les fruits de son étal, pour empêcher les enfants sociopathes de les empoisonner lorsqu’il avait le dos tourné. Il ne pouvait pas se permettre de lier ses produits à un meurtre : sa réputation serait ternie. Oh oui, il rêvait souvent de retourner à l’époque où les gens venaient à sa boutique de primeur directement. Malheureusement, un petit morceau de lune s’était effondré sur son local. Ce sont des choses qui arrivent.

Alors, il était là, à attendre que les passants viennent à son étal. Il espérait également que d’autres déguerpissent. Une cliente en particulier était là, figée devant des légumes depuis maintenant quelques minutes. Son regard semblait inspecter chaque produit pour trouver des défauts, ce qu’il n’appréciait pas particulièrement. « Je peux vous aider, madame ? » La vieillarde se mit à ricaner. « Oui. J’aimerais ce topinambour. » Miracle ! Elle s’était enfin décidée à acheter quelque chose. « Ce sera dix pièces de bronze. » – « Un très bon prix, mais… je n’ai pas de sous. » Il n’était pas certain de savoir comment réagir. « Je ne donne pas de produit gratuitement. »

« C’est important. J’en ai besoin pour une potion. » – « Une soupe, vous voulez dire ? » Le topinambour n’avait, à sa connaissance, aucune propriété magique. « Visiblement, je parle à un amateur. Tout le monde sait que c’est l’ingrédient clé de tout élixir d’invocation de princesse captive. » – « Élixir de… quoi ? » – « Vous m’avez entendue correctement. J’énonce mes mots aussi bien que mes sorts, alors soyez gentil et donnez-moi ce légume avant que je ne vous transforme en souris. » Le marchand était vaguement amusé à l’idée d’être menacé par ce qui était visiblement une grand-mère sénile.

« Je peux savoir qui vous êtes ? » La dame lui répondit en lui tendant une carte de visite. Elle semblait avoir été copiée à la main. On pouvait y discerner un dessin de croissant de lune, une main crochue s’apparentant plus à une patte de poulet ainsi qu’un court message. « Endora, sorcière émérite, vous offre ses services pour soigner des gallinacés, faire pousser des verrues et sauver des princesses. Disponible les mardis et les jeudis après-midi. » Le marchand put également lire une adresse. Il connaissait la ville par cœur, et savait qu’il s’agissait d’un quartier relativement aisé. Pourquoi est-ce que cette vieillarde n’avait pas d’argent si elle vivait là-bas ? Lorsqu’il leva les yeux de la carte pour le lui demander, elle avait disparu, ayant emporté avec elle un précieux topinambour.

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Endora avait disséminé son message dans chaque recoin de la ville. Elle avait de justesse évité d’être enlevée et réduite en esclavage, dans les rues contrôlées par les sbires des Mayfair. Ils l’avaient libérée, après avoir décidé qu’une grand-mère excentrique n’avait aucune valeur commerciale. La fausse sorcière n’était pas secouée par ces événements, et conservait sa volonté. Cela faisait maintenant une semaine qu’elle cherchait une princesse à secourir, sans succès. Les princesses enfermées devaient être une espèce en voie de disparition. Elle aurait bien essayé de s’introduire dans le château des dames noires, mais l’accès lui était interdit.

Endora avait dû voler le mauvais légume, car la potion à base de topinambour n’avait pas fonctionné. Elle était pourtant certaine de la recette, qui lui était parvenue en rêve il y a quelques semaines. Bien que ses efforts n’aient jusqu’ici pas porté leur fruits, elle ne perdait pas espoir. Ce jour-ci, comme chaque mardi et jeudi après-midi, elle restait dans l’appartement inoccupé de Siruu, et imaginait qu’un client vienne toquer à la porte. Le journaliste n’apprécierait certainement pas que son domicile soit utilisé comme local pour charlatan, mais il était si rarement présent qu’il ne remarquerait probablement jamais les actions d’Endora.

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Les fabuleuses aventures d'Odette
Avec la plus vilaine des enchanteresses

« Mmh... » Mertle lorgna sur la maison avec un air dédaigneux, comme elle savait si bien le faire. Le jugement qu'elle portait sur le bâtiment n'était, de toute évidence, pas du plus approbateur. « Tout cabinet de sorcellerie qui s'respecte d'vrait avoir des gargouilles pour surveiller l'entrée. Tout l'monde sait ça. » La devanture de la bâtisse était trop sobre à son goût : elle n'inspirait pas assez la terreur au pauvre hères venant quémander l'aide de l'illustre sorcière qui s'y cachait. Selon la professionnelle, il fallait impressionner sa clientèle au premier coup d’œil. La première opinion était tenace, et si on se loupait, comme c'était le cas ici, les choses étaient plus compliquées pour regagner de l'assurance et la confiance de ses acheteurs. « Pas d'inquiétude, Belle-Maman : elle a laissé une carte de visite au marchand de potimarron. C'est qu'elle est suffisamment reconnue ! On n'investit pas dans ce genre de choses si les affaires ne marchent pas, n'est ce pas ? » relativisa Odette, qui contrairement à sa marâtre, se trouvait très impressionnée de se trouver devant le repère d'une si brillante enchanteresse. Ses compétences n'étaient pas à la portée de tous : s'occuper des gallinacés ne semblait pas être de tout repos ; Mertle savait faire pousser des verrues également et la magicienne savait d'expérience qu'il s'agissait d'une tâche laborieuse ; quand à sa dernière spécialité... Et bien, c'était précisément la raison qui avait poussé la jeune femme à se rendre là. Sauver des princesses. L'honorable Endora saurait-elle lui venir en aide, ou bien son cas était-il trop désespéré, même pour la vilaine ? Le cœur battant, la mage blanche se mit en avant.

Un raclement de gorge protestataire interrompit cependant sa démarche : « Oh oui, pardonnez-moi Belle-Maman, j'avais oublié ! » La blonde s'empressa de revenir près de la vieille chouette et commença à pousser la chaise roulante, qui alourdissait d'autant plus le poids de la convalescente. Il s'agissait de son moyen de locomotion, depuis que sa santé s'était dégradée. « Mmh... T'as pris rendez-vous avec elle, n'est ce pas ? I'faut t'jours prendre rendez-vous. S'elle est si douée qu'tu l'prétends, l'aura une file d'attente longue comme celle d'marché, et t'sais qu'j'ai horreur d'attendre. » Surtout, elle adorait passer sous le nez des badauds qui n'avaient pas pris soin de réserver leur créneau. Elle les narguait d'un sourire en coin qui lui avait déjà valu quelques déconvenues. Une fois, elle avait même été maudite et n'avait pu parler qu'en air d'opéra... Le sortilège ne s'était épuisé qu'une fois qu'elle avait contracté une extinction de voix. « Et dans l'cas contraire, ç'veut dire qu'elle casse pas trois pattes à un canard et qu't'm'as fait perdre mon temps. Et t'sais c'qu'arrive, lo'squ'tu m'fais perdre mon temps. » La mégère fit passer sa main sur le manche de son balais d'un air menaçant. « Oui oui oui, j'ai pris rendez-vous ! » pépia la blonde d'un air joyeux. Plutôt qu'une prise de rendez-vous, elle avait dépêché un coursier pour aller informer Endora de son arrivée. La jeune femme espérait de tout cœur qu'elle avait bien reçu son message. « Mouai... Bon, allons voir c'qu'elle vaut, celle-là. » grogna Mertle d'un air maussade, comme si elle était déçue de ne pas avoir pu distribué de coup de balais sur son souffre-douleur. Odette toqua trois coups à la porte.

614 mots

Endora arrachait les pages de son grimoire, cherchant frénétiquement la recette d’une potion pour protéger des arrêts cardiaques. Elle était en train de mourir de joie. Une cliente, enfin ! Princesse, qui plus est. C’était dur à trouver, dans ce contexte de plus en plus austère. Amestris n’était plus la ville rayonnante qu’elle fut autrefois. L’avait-elle déjà été ? Pas vraiment, mais la fausse sorcière se plaisait à imaginer qu’il s’agissait auparavant d’une gigantesque cité couverte d’or, remplie de princesses hurlant à l’aide depuis le sommet de leurs tours. C’est sans doute pour ça que l’endroit était autant tombé en désuétude. Ce n’est pas facile, de baser toute une économie sur le sauvetage de demoiselles, et l’entretien des dragons gardiens devait coûter cher. Alors, désormais, La Vorace était morne et ennuyeuse.

Néanmoins, Endora avait bon espoir que le vent tourne en sa faveur. En effet, avec l’argent de cette première cliente, elle serait capable de se payer un aller simple vers… et bien, elle ne le savait pas encore. Elle verrait en temps voulu. Pour le moment, il fallait impressionner son invitée, qui n’allait pas tarder à venir. Les feuilles tapissant le sol lui donnaient l’air intellectuelle, quoique folle. C’était un bon début, mais il manquait encore quelque chose pour parfaire sa présentation. « Jorderunn ! Arrête les réparations et viens ici s’il te plaît ! » L’esclave était déjà à ses côtés, marteau de construction à la main, mais elle ne l’avait pas remarqué. « Oui. » – « Oh, tu m’as fait peur. » – « Désolé. » Il était capable de comprendre et même de parler le langage commun depuis plusieurs mois déjà, mais continuait à faire l’idiot devant Siruu.

« Je peux te demander un service ? Ma cliente va arriver, tu peux faire le mort ? Je veux avoir l’air intimidante et… » Jorderunn n’attendit pas la fin de sa phrase pour se frapper avec le marteau. Au début, se réincarner était désagréable, mais maintenant, c’était devenu sa spécialité. « Non non non, pas ça, mon pauvre ! » La magicienne lui retira l’objet des mains, le regard consterné. Elle n’aimait pas qu’il se fasse du mal. « Essaye quelque chose de sans douleur. » Elle lui tendit un scalpel peu propre, qui traînait entre un alambic et un chaudron. Ils étaient deux servants à vivre dans un petit appartement qui, pourtant, il n’était jamais propre. Cela n’allait certainement pas s’arranger maintenant que Jorderunn se fût tranché la gorge et se vidait de son sang sur le plancher. Pas grave, ils nettoieront tout ce bordel plus tard.

« Double, double, toile et trouble ; Le feu brûle et le chaudron bouillonne ; Double, double, toile et trouble  ; Quelque chose de maléfique est en chemin ! » Elle n’avait pas besoin de faire des discours pour lancer de sort, mais il fallait bien avouer que ça rendait sa profession plus classe. « Oeil de triton et orteil de grenouille… fourrure de chauve-souris et langue de chien, crocs de vipères et venin de vers de terre, pattes de lézard et aile de chouette ; Double, dou- » Un bruit, et son souffle était déjà suspendu. Quelqu’un avait toqué à la porte. Il n’y avait que deux possibilités : soit c’était les créanciers de Siruu, soit c’était la princesse. Dans tous les cas, le sang devrait aider à faire bonne impression.

Endora se précipita sur la porte. Elle essayait d’aggraver sa voix. « Qui ose déranger la terrible Endo- ah, des clients ! » La magicienne réajusta son bandeau avant d’offrir son plus beau sourire. « Je vous connais, même si nous ne nous sommes jamais rencontrées. J’attendais votre visite, comme si mon esprit avait invoqué le vôtre. Vous êtes Odette, n’est-ce pas ? » Autrement dit : le coursier était venu et avait transmis l’information. Ce gamin avait même eu l’audace de demander une pièce en plus pour le temps perdu à trouver l’adresse. Elle avait essayé de le payer en soupe, mais il refusait. « Et vous, c’est… ? » Elle se tournait vers celle qui accompagnait sa cliente. Endora avait hâte de devenir aussi vieille qu’elle. « Mais où sont mes manières. Entrez, ne soyez pas timides ! Ne faites pas attention au désordre, j’étais en train de faire un rituel pour transformer les murs en pain d’épice. » La fausse sorcière ne mentait jamais : cette fois-ci, elle se créait simplement une réalité alternative dans laquelle elle était persuadée de vivre. « Asseyez-vous ici, je vous en prie ! » Elle pointait du doigt deux pauvres tabourets, à côté du cadavre de Jorderunn.

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