La Professeure Magrith posa les yeux sur moi. Un sourire amusé ne tarda pas à décorer ses traits. « Toujours aussi chétif, à ce que je vois. » J’acquiesçai avec autodérision. Ce qui me posait un sacré problème quelques années en arrière ne m’incommodait plus tant que ça. Bien sûr, lorsque je me comparais à des hommes comme Raeden Liddell, ma frustration ne connaissait plus de limites. J’avais envie d’être musclé et imposant. Cependant, il semblait que mon corps n’avait pas les mêmes priorités que mon esprit. Malheureusement, j’avais eu une poussée de croissance fulgurante quelques lunes plus tôt, mettant totalement à mal les heures de sport que j’avais pratiquées en compagnie de Christian. La fin de ma scolarité à Basphel m’avait valu des journées complètes au fond de mon lit, à me morfondre à cause de différentes douleurs. Mes genoux m’avaient fait souffrir, à l’instar de mes bras. Je m’étais senti faible et malade un temps, malgré les soins apportés. L’énergie m’avait manquée et, finalement, j’avais terminé mes études en devant m’accommoder de ce corps devenu trop grand et pas assez large. En d’autres termes : je ressemblais à une asperge. Sans vêtement, les traces de muscles fins et ficelés se dessinaient tranquillement. Cela étant, on ne me voyait pas souvent nu. Ce n’était, de toute façon, pas le but. Ce que je recherchais, c’était une stature. Le fait de n’en avoir aucune m’agaçait. Je ne pouvais convaincre personne et avoir obtenu la main de Viviane était une consolation moindre lorsque je voyais que d’autres hommes provoquaient l’admiration dès qu’ils apparaissaient quelque part. La Guerre Divine se profilant avec de plus en plus de force, je savais déjà que je n’aurais aucun poids dans cette dernière. Je ne pensais pas y participer. Il fallait que j’apprisse à enseigner. C’était pour cela que je rencontrais la Professeure Magrith, une femme de caractère d’un âge inconnu, qui m’avait appris bien des choses, dont la souffrance physique.

« Heureusement que ce n’est pas Professeur de sport que vous avez envie de devenir. » Ce qu’elle était. Demander à un Sorcier d’être bon en endurance relevait de la bêtise. Même si j’étais réputé Magicien, il n’en demeurait pas moins que je préférais utiliser ma tête. J’avais pourtant conscience de cette faiblesse toute particulière. Il me faudrait la combler. Le phénomène ne se réaliserait qu’au prix de nombreux efforts. Certains avaient une appétence toute particulière pour l’exercice physique et l’exercice physique avait l’air de les aimer aussi en retour. Ce n’était pas mon cas. Je n’aimais courir qu’en compagnie de Christian, pour une raison profondément dissimulée dans mon déni. Je pouvais me raconter ce que je désirais, sur la sympathie de sa compagnie, sur la nécessité de l’exercice pour mes objectifs personnels, sur le fait qu’il était bien de côtoyer un garçon si populaire, la vérité était celle-ci : je courais avec lui simplement pour avoir le plaisir de fixer ses fesses et son dos lorsqu’il trottait devant moi. Son odeur restait délicieuse, même après l’effort. Je tolérais les plis sur ses habits et ses manques d’hygiène occasionnels, ce qui, chez moi, relevait d’un amour profond pour la personne. « Vous avez beau me pointer du doigt, vous n’êtes pas musclée non plus. » dis-je, avec un œil taquin. « Vous ne connaissez pas ma véritable apparence, cher Kaahl. » « C’est vrai. » Les Déchus étaient particulièrement insaisissables sur le sujet. Malgré son corps frêle, sa poigne avait quelque chose de renversant. Elle pouvait mettre n’importe quel adolescent, même les plus costauds, par terre en deux mouvements à peine. Elle n’avait pas besoin de magie pour défoncer les portes et il ne valait mieux pas être pris à se cacher derrière un arbre au lieu de courir le parcours correctement. Honnêtement, cette femme me terrorisait, à cause des trop nombreux cours où j’avais craché mes poumons, ma gorge brûlante et mes pieds en charpie. Elle m’avait conditionné, inconsciemment, à la craindre. La Colère qui l’habitait était entièrement maîtrisée mais elle ressortait dans la compétition sportive. À Basphel, elle était particulièrement connue pour ses exploits en la matière. Je ne savais pas si c’était le cas à Avalon mais on la disait victorieuse à plusieurs épreuves de la Coupe des Nations.

« Bon. Je ne vais pas vous enseigner la pratique sportive, puisque j’ai bien vu que ce n’était pas votre fort. » Elle rit. Elle plaisantait beaucoup sur le ton de la provocation. C’était son moyen de tester ses interlocuteurs. J’aurais d’autres occasions de le constater au cours de mon parcours. « Ce n’est pas le but en plus, même si vous auriez besoin de vous élargir un peu, si vous voulez mon avis. Un coup de vent et il faudra vous trouver un remplaçant. » « Très drôle. » « Détendez-vous, Paiberym. Je sais que vous avez un balai dans le cul mais il va falloir le sortir de là si vous voulez enseigner. Les étudiants ne sont pas des petites bêtes dociles. Ils risquent de chambouler votre existence et de vous sortir des gros mots qui feront se retrousser vos poils trop lisses de Magicien. Vous devez être préparé à ça et je suis là pour vous y aider, dans la sueur et le sang si c'est nécessaire. »

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