Án traversait à grand pas les longs couloirs de la Terre de Feu, questionnant régulièrement ses comparses d'une même question. Avaient-ils vu la Grande Sage Frægr ? Elle comprenait la décision du Souverain d'avoir une nouvelle fois refermé leurs portes aux étrangers après la vision terrifiante qui s'était offerte à leurs yeux au-dessus même des têtes de leurs enfants. Mais depuis, rien de tel n'avait eu lieu sinon quelques âmes venues pour s'essayer à comprendre ce qu'il s'était passé. Probablement des proches de la victime ? Eux n'avaient pas même cherché à leur dévoiler ce dont ils avaient été témoins de crainte d'être mêlé à cette terrifiante affaire et de confronter le Petit Peuple au responsable. Mais cet enfermement avait trop duré. Elle ne voulait pas laisser leur terre cachée ainsi et voir son peuple se murer dans un idéal de facilité en sachant Alþjófr dehors, exposé à de tels êtres malveillant. Elle le refusait. Pourquoi aurait-il quitté sa patrie à deux reprise si c'était pour qu'elle se fasse à nouveau oublier du monde ? Ce n'était pas ce qui avait été décidé après sa première escapade. Aussi sages que pouvaient l'être les Sages, elle leur exposerait son avis et ferait tout son possible pour qu'ils en changent.

Lorsqu'enfin elle trouva Frægr, la Sage d'Estella à qui il fut confié la nouvelle de l'attaque, à conter leur Histoire à de jeune Nain, elle attendit patiemment en retrait que celle-ci eût finit afin de le prendre à parti. « Grande Sage Frægr. » l'interpella-t-elle en courbant légèrement l'échine durant le salut. « Án, bonsoir. Comment vas-tu ? ». La Naine marqua un temps. Elle était toujours étonnée de la connaissance des Sages et de l'Élu d'Estella vis-à-vis de leur peuple. « Plutôt bien. Les choses pourraient aller mieux toutefois. » souffla-t-elle doucement. « Tu m'en vois navrée. Et ton fils, comment se porte-t-il ? Il va bientôt entrer dans l'âge pour devenir un Guerrier, n'est-ce pas ? » continua l'aînée en invitant la Forgeronne à marcher à ses côtés. « En effet. Il n'a hâte que de ça, forger sa première arme. Mais son père lui manque. Il ne peut pas être totalement épanoui ainsi. » - « Je comprends. ». Un flottement silencieux suivit la réponse de la Sage. Elle voyait parfaitement où elle voulait en venir. Après tout, la Forgeronne était l'une des premières impactées par la décision de la réouverture de la Terre de Feu, donc de sa fermeture également. « Vous avez de ses nouvelles ? » - « Oui, régulièrement. Mais une lettre ne remplace en rien une présence. » - « Évidemment. ». Elle marqua une courte pause avant de reprendre avec un air presque nostalgique. « Alþjófr est courageux. Bon nombre de Nains ont été traités de fous le jour où ils ont quittés la Terre de Feu en compagnie de ces Voyageurs. » - « J'ai fait parti de ceux-là. » rétorqua la Naine avec une pointe de remord dans la voix. « Tu n'as pas à t'en vouloir. Nous sommes tous fascinés par l'inconnu. Et pourtant il est également terrifiant. Seuls quelques uns font exception à la règle et sont continuellement attirés par celui-ci, ne pouvant résister à son appel, comme une soif de découvrir toujours plus et d'aller toujours plus loin. Il est toujours difficile de retenir l'oiseau lorsqu'on ouvre la cage, surtout lorsque celui-ci passe son temps à regarder l'extérieur et ne rêve que d'y déployer ses ailes. Qui plus est, je soupçonne ces ères d'enfermement d'avoir quelques peu attisées ce sentiment les ayant étreints. » - « C'est possible. » répondit faiblement Án en songeant au regard brillant d'Alþjófr le jour où Ginarr l'eût mené pour la première fois à la Surface. C'était il y a longtemps. Elle se demanda alors si, même sans la venue des Voyageurs, il serait parti. « Tu comptes le rejoindre ? » - « Quand Jari saura vivre de façon autonome, oui, probablement. ». La Sage sourit. « C'est une bonne chose. ». La Forgeronne s'arrêta, fixant Frægr avec des yeux pleins d'incompréhension. Celle-ci se tourna vers Án. Évidemment, sa remarque pouvait paraître étrange au vu de la situation actuelle de leur peuple. Aussi l'invita-t-elle à reprendre son chemin avant de s'expliquer. « Il n'y a plus personne pour parler du temps jadis. Pour la génération présente, notre peuple n'est voué ni à s'exposer à la lumière du monde, ni à y évoluer. Vivre confiné, voilà ce qui est normal, car c'est là ce qu'ils ont toujours connus. » Án leva la tête alors que l'obscurité les engloba. Plongée dans la conversation, buvant chacune des paroles de son aînée, elle n'avait pas prêté attention au lieu dans lequel elle la menait. Le temple de Shaana. « Il fut pourtant un temps lointain où nous n'étions pas un simple mythe et où nous revendiquions notre Art et notre Voix auprès du reste du Monde. Un temps où le Soleil était connu même des plus jeunes et où le commerce se faisait même à l'étranger. Ce temps est malheureusement oublié et ignoré. » continua la Sage devant les deux stèles ornant le centre du Temple. « Je ne comprends pas. Vous semblez en désaccord avec la politique d'isolement du territoire. Alors pourquoi ?... ». Elle n'eut pas l'occasion de finir sa question. « Ma voix n'a de vocation qu'à conseiller l'Élu d'Estella. Et tout le monde n'est pas encore prêt à se montrer aux autres Races peuplant la Surface avec la même facilité que nos explorateurs. » lui dit-elle en se tournant vers elle avec un sourire amusé. « Toutefois je parlerai avec les autres Sages. Il est peut-être temps de proposer à notre Roi l'éventualité de rouvrir la Terre de Feu. Il ne faudrait pas basculer à nouveau dans un âge de ténèbres. » ajouta-t-elle avec un sourire rassurant avant de faire demi-tour. « Merci Grande Sage Frægr. » la salua-t-elle une dernière fois avec un même sourire. Finalement, elle n'aura pas eu le besoin de débattre. Elle jeta un dernier regard sur chacune des stèles luisant à la lueur des chandelles, puis quitta à son tour le Temple, non sans un rapide salut à l'Aether.