Presque prise par surprise, Bunny manqua de finir en rôti dès la première attaque de la torche humaine. Une pirouette au bon timing lui avait permis d’échapper à son sort avec quelques poils en moins. Rien de grave, sauf pour son agresseur, qui ne faisait que l’embourber dans un état de haine et de colère qui frisait un changement de personnalité peu recommandable. Il avait de la chance qu’elle ait d’abord un dragon à tuer : cela lui accordait quelques minutes supplémentaires d’espérance de vie. Des minutes qui s’égrainaient néanmoins au fur et à mesure qu’elle revoyait son sens des priorités. L’abruti la bombardait tellement qu’elle n’avait pas une seule seconde pour elle. Bientôt coursée par le dragon, comme si ce n’était pas suffisant, le lapin s’empara de quelques explosifs présents dans son inventaire, qu’elle jeta directement sur la bête. L’effet fut immédiat. Combiné aux tirs plus ou moins approximatifs de celui qui l’avait prise en chasse, Gragrou se prit donc un tas de projectiles dans la tronche, qui eurent tôt fait de lui exploser la cervelle. Satisfaite, Bunny-Bunny se tourna vers sa prochaine victime, qui était déjà arrivée à sa hauteur. Ses yeux s’agrandirent en découvrant le poing qui lui était adressé, et elle eut tout juste le temps de se pencher en arrière pour ne pas se prendre le boulet de canon en pleine poire. Il ne fallait pas le cacher, la chaleur la fit transpirer et son masque de lapin ne s’en sortit pas indemne : noirci et éraflé sur presque toute sa surface, il lui donnait de plus en plus une allure effrayante. Dès qu’elle le put, l’aventurière s’éloigna du brasier pour éviter de cuire sur place, oubliant l’idée de l’attaquer au péril de sa vie. L’homme pouvait s’estimer chanceux, car nul doute que Kitoe n’aurait pas hésité une seule seconde à perdre ses deux mains pour lui couper les jarrets.
Le paysage changea subitement et Bunny-Bunny se retrouva à l’orée d’une forêt trop verdoyante pour être vraie. Méfiante, elle analysa le nouvel environnement. Non loin, posée sur une plateforme que les plus érudits auraient appelé un autel, les autres une table, reposait une arme. S’étant assurée que cela ne relevait pas d’un piège, le lapin s’empara de l’épée, après quoi elle osa faire un tour sous la cime des arbres. Elle ne prit pas longtemps avant de croiser la grognasse, qui lui proposa une alliance, le temps de dézinguer leur emmerdeur commun.
-Ça me va. Répondit-elle aussitôt, sans même prendre la peine de réfléchir.
Elle était plutôt solitaire et méfiante en temps normal, mais la situation était critique et il n’y avait donc pas lieu d’être réticente : l’autre con les leur brisait suffisamment pour qu’elles s’entendent là-dessus. Après quoi, elles pourraient s’entretuer en toute tranquillité bien sûr. La contrepartie de la jeune femme ne l’intéressait pas, en ce sens où elle aurait accepté quoi qu’il arrive, mais elle n’allait pas cracher dessus si elle avait moyen d’en tirer un bon prix plus tard. Bunny possédait son propre cristal d’elle ne savait trop où – il était apparu peu après le changement de paysage. Elle avait du mal à saisir à quoi il servait exactement, mais elle savait qu’elle ne comptait pas se séparer du sien : il y avait un lien entre elle et ce caillou, au point que le céder lui paraissait dangereux. Si cette alliée temporaire n’avait pas ce même pressentiment, c’était son problème. Sans plus de paroles, elle et la rousse se séparèrent. Comme le plan lui allait très bien, Bun-Bun prit le temps de faire le tour de leur nouveau terrain de jeu, le temps que l’attention du Lyrienn soit pleinement attirée par l’intervention de sa complice.
-Puisqu’on est dans les jeux de mot… Commença-t-elle tout bas, pour elle-même.
Elle était, exactement, dans le dos de la brute. Louve se prenait une sacrée torgnole, mais c’était le cadet de ses soucis. D’une impulsion puissante et rapide, le lapin bondit. Epée brandie au-dessus de sa tête, elle se concentrait sur le point où elle allait atterrir : en plein dans le foyer.
-… Attention au coup du lapin.
Elle abattit sa lame, visant la nuque, avec puissance et rapidité. De retour au sol, Bunny-Bunny s’éloigna aussitôt pour reprendre de l’élan tout en évitant les flammèches de son adversaire. Avec une agilité remarquable, elle fondit sur lui. Elle était décidée à le découper en morceaux, quitte à subir quelques brûlures.
Au mépris de ses prévisions les plus optimistes, le lapin pointa le bout de son museau au moment opportun. Louve vit sa silhouette projeter une ombre sur celle du cuirassé de feu. Réjouie par la perspective de sa disparition prochaine, elle délaissa le bâton qui la gênait plus qu’il ne l’aidait, et décida d’attaquer à la force de ses poings. La clairière s’était transformée en arène, et en dépit des ecchymoses sur sa peau, elle comptait bien être la dernière debout. Employer des méthodes déloyales pour y parvenir tombait sous le sens ; elle espérait que l’autre ne se formaliserait pas de sa trahison à venir. Son corps s’arc-bouta pour éviter une langue infernale, qui cherchait un peu trop familièrement à lui lécher le visage. Dans le feu de l’action, elle aperçut entre les flammes de son assaillant une zone à découvert. Joyeusement, elle partit la conquérir. Le combat ne pouvait s’éterniser, sans quoi elle risquait fort de s’effondrer de fatigue. Le poing du guerrier s’enfonça dans son ventre. Rongé par cette caresse, le lin laissa apparaître son flanc. Indifférente à la chaleur qui effleurait son nombril, elle déploya sa magie. De leurs épines acérées comme des lames de poignards, les ronces déchirèrent le costume pour s’engouffrer dans la chair. Prolongements de ses doigts, elles fouillaient avidement leur nouveau territoire, à la recherche d’organes à comprimer. Confiante en sa victoire, la jeune femme ignora la brûlure qui, d’un instant à l’autre, la priverait de l’usage de son bras. Derrière eux, une fissure lézarda le cristal.
Et puis, la déception s’invita sur les traits de Louve. Au lieu de rencontrer matière à perforer, ses phalanges ne touchèrent que le vide. Devant ses yeux médusés, l’ennemi explosa. De toutes les couleurs, un millier de pétales saluèrent son départ. Battant des cils, elle en attrapa quelques-uns. C’étaient des cercles en papier, d’une finesse ridicule. Rien de vendable. Contrariée d’être privée de l’occasion de lui vider les entrailles _ et surtout, de lui dérober ses possessions _, Louve pesta. Il lui faudrait trouver une autre solution pour se remplir l’estomac. Dépossédée de son jouet, elle reporta son attention sur le lapin. Regrettant de n’avoir pas le temps de vérifier l’état du bijou dans sa poche _ elle avait fini par comprendre que le céder aurait entraîné sa disparition en flocons, et personne ne méritait un tel sort _, elle ramassa l’épée de l’enflammé. « Bon. Qu’est-ce qu’on fait ? On traite, ou on se fâche ? » Guettée par l’épuisement, elle espérait sincèrement que le lapin serait d’humeur pacifique, et qu’il retournerait sagement sucer des carottes dans son terrier. En l’état, elle pressentait que la bestiole ne ferait qu’une bouchée d’elle. Un comble pour un végétarien. Loin de ses ambitions violentes, la rousse désirait seulement trouver la rivière la plus proche, et offrir à sa brûlure une petite baignade. Cependant, un détail imprévu perturba son programme. Quelque chose siffla à côté de son oreille, avant de se perdre à l’horizon. Dans leur fureur, les trois protagonistes avaient oublié qu’ils n’étaient pas seuls.
De toute évidence, la faune locale n’appréciait guère leur compagnie. Parmi les extravagances dont la forêt regorgeait, une foule de créatures minuscules, faites d’argile et de branchages, venait leur rappeler qu’elles n’étaient pas les bienvenues. La jeune femme identifia immédiatement à quelle espèce tordue elles appartenaient : Mara lui avait parlé des Faes. Seules, elles ne représentaient pas le moindre danger, mais en groupe, elles pouvaient se révéler ennuyantes. « Sympa, le comité d’accueil. On ne peut même pas en faire des brochettes. Toi, au moins, t’es comestible, et j’ai une faim de loup. » Les nouvelles venues employèrent une technique tout à fait inédite. Leur assaut consista à grimper sur les membres des indésirables. La rousse secouait son corps pour les détacher ; elles revenaient toujours plus nombreuses. Très vite, elle perdit le contrôle de ses jambes, et constata avec horreur qu’elle se dirigeait vers l’inconnue. S’agissait-il de petits monstres à son service ? Sa théorie tomba à l’eau ; elles se trouvaient dans la même situation, contraintes à avancer l’une vers l’autre. Hélas, sa magie ne produisait aucun effet sur les assaillantes. Lorsqu’elles furent réunies, les perfides gardiennes du sous-bois les obligèrent à s’enlacer chaleureusement. Cherchaient-elles à éteindre toute volonté de se mettre sur la figure ? Leur tentative échoua lamentablement. « T’as le poil soyeux, Lapinou. Tu ferais une bonne couverture. » Sa remarque engendra un mouvement pour le moins regrettable. Son corps s’éleva dans les airs sans qu’elle ne pût réagir, et s'abattit contre un arbre. Sonnée par le choc, Louve s’évanouit.
758 mots | Post V
Kitoe ~ Démon ~ Niveau II ~ ◈ Parchemins usagés : 1704 ◈ YinYanisé(e) le : 09/11/2016
Ce fut plus facile que ce qu’elle aurait cru. Apparemment, la stratégie de la rousse avait fonctionné et le lance-flamme se retrouva rapidement en difficulté. A partir de la seconde où elle lança son attaque, Bunny-Bunny ne laissa pas une seule seconde de répit à son adversaire – de même pour la rousse, si bien qu’il finit par éclater en une multitude de confettis au bout de quelques secondes. Le résultat l’étonna, pour ne pas dire qu’il la déçut. Lui qui avait été si virulent et insolent dès le début de la partie, voilà qu’à elles deux, elles l’avaient éliminé trop facilement. Il n’y avait pas eu une seule effusion de sang, ni même de cri. Le Lyrienn avait tout bonnement disparu, de la même manière qu’il aurait pu se téléporter. C’était louche. Le lapin resta sur ses gardes, au cas où tout cela ne serait qu’une sorte de leurre. Son niveau de colère avait néanmoins baissé de plusieurs échelons depuis que la boule de feu n’était plus à proximité. D’un même mouvement que la jeune femme, elle focalisa son attention sur cette dernière. Il n’y avait plus qu’elles deux et le lapin n’avait pas l’intention de laisser sa rivale sauve. La trêve était levée. Epée bien en main, elle était prête à foncer sur elle pour l’embrocher. Bunny avait l’avantage. En voulant jouer aux appâts, la jeune femme avait fini bien amochée. Confiante, elle avança vers sa proie comme un loup affamé. Si elle avait connu le nom de son adversaire, nul doute que cela l’aurait amusée, mais les conditions faisaient qu’elles n’avaient pas encore eu l’occasion de se présenter. En attendant, Bunny-Bunny sentait de nouveau sa personnalité changer. Sa colère passée laissait place à la caresse de la distraction, doucement. L’ombre d’un sourire, que nul ne pouvait voir sous son masque, se dessinait sur son visage.
Malheureusement, de nouveaux individus vinrent interrompre l’écriture du destin tout tracé de la rousse. A l’apparition de ces minuscules insectes, l’excitation de Bunny retomba comme un soufflé. D’un geste de la main, elle balaya deux bestioles qui étaient venues se poser sur son nez.
-Tu ne me le fais pas dire. Rétorqua-t-elle.
La réflexion était chargée de sarcasme, signe qu’elle avait malgré tout changé d’attitude. En dépit de l’invasion de Faes autour d’elles, le lapin maintenait son attention sur son adversaire. Elle était curieuse, maintenant, de savoir si cette dernière avait parlé de la dévorer au premier degré, ou si cela n’était qu’une image. Car de son côté, il allait de soit que non. Bun-Bun n’était jamais contre rencontrer des collègues. Ils étaient assez rares, certes dangereux, mais intéressants. C’était une manière comme une autre de se faire des amis, des ennemis, et surtout d’améliorer sa cuisine ou ses techniques de chasse. En d’autres termes, c’était toujours bon à prendre. Ce fut lorsqu’elle décida d’ignorer les créatures volantes et d’attaquer de plein front la femme aux ronces que ses mouvements furent comme interceptés. Surprise, elle pesta. La rousse encombrée, cela aurait été une occasion parfaite pour l’éventrer, mais les Faes autour d’elles en avaient décidé autrement. Quelques-unes s’immiscèrent entre ses doigts, la forçant à laisser tomber son épée, tandis que d’autres s’affairaient à prendre le contrôle de ses jambes et de ses bras. Comme deux marionnettes, les deux joueuses s’enlacèrent. Bunny resta un instant stupéfaite. Puis, humant l’odeur de sa victime, elle se mit à se mordiller la lèvre. Il lui suffisait d’ouvrir la bouche pour en faire son repas. Malheureusement, leur étreinte prit subitement fin.
-Oh, merci les Faes.
Dégainant un couteau de boucherie, elle s’avança vers sa victime inconsciente. Finalement, ces petites créatures lui avaient facilité le travail. Ce ne fut que lorsqu’elle atteignit la jeune femme que l’essaim la retînt.
-Qu’est-ce que vous voulez à la fin ?
Elle allait commencer à s’agacer. Les bâtons dans les roues, c’était pas trop son truc et ça commençait à faire beaucoup pour aujourd’hui. Lorsqu’elle fut maintenue parfaitement immobile, quelques Faes s’engagèrent à lui confisquer son cristal, tandis que d’autres fouillaient les poches de l’inconsciente pour faire de même. Ensemble, elles réunirent les deux pierres, qui fusionnèrent en un éclat.
-Qu’est-ce que vous faites ?
Elle connaissait la réponse. Elle la sentait. C’était ce qui l’inquiétait le plus.
-Vous étiez si belles à vous battre ensemble ! S’écria la voix fluette de l’une des petites créatures.
Elle n’eut le droit à plus d’explications. Les insectes s’éparpillèrent et le paysage s’assombrit. Les abords de la clairière devinrent particulièrement menaçants, et des créatures grondèrent tout autour sans que Bunny-Bunny ne puisse les voir. La situation puait, vraiment. Attrapant le bras de la rousse, à laquelle elle était à présent liée contre son gré, elle la traîna au centre de la clairière pour éviter qu’elle ne se fasse happer par un monstre. Lorsque ce fut fait, elle la lassa négligemment tomber par terre en espérant que le choc suffirait à la réveiller.
-Allez, debout !
De son côté, elle s’armait, prête à zigouiller le moindre truc qui oserait franchir la ligne de leur territoire. Vu le nombre de rugissements et de grondements qu’elle entendait, ce serait compliqué à gérer toute seule, alors elle comptait sur l’autre chochotte pour se remettre sur pieds. Auquel cas, elle serait forcée de la manger, pour ne faire qu’un avec elle et ainsi, protéger leur cristal.
885 mots Je tente une amitié, on la brise quand tu veux /sbaf/
