Parfois il n'y a pas de robes, pas de rose, pas de bonbons ni de gâteaux
Ce sujet aura sûrement pour unique but d'illustrer les moments où Kitoe est en grosse déprime. Parce que j'en parle jamais, mais y'en a /sbaf/
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Encore enveloppée dans les brumes de son rêve, Kitoe était étendue dans son lit, un sourire doux flottant sur ses lèvres. L'une de ses jambes, nues, était passée par-dessus sa couette comme pour s'accrocher à elle, et ses bras enlaçaient son gros oreiller, sur lequel était encore posée sa tête. Elle sentait qu'elle se réveillait petit-à-petit. Poussant un gémissement, elle se tourna pour terminer sur le ventre et enfonça sa tête dans les plumes. Malheureusement, cela ne la fit pas replonger dans ses songes. Ses sens devenaient, inévitablement, de plus en plus clairs. Elle maintenait ses yeux clos. Elle gardait quelques sensations quelques sons et quelques images, comme l'excitation, le sang, la chair, la voix et la présence chaleureuse d'un homme à ses côtés. Sa main glissa sur son corps pour imiter une caresse, qui monta jusqu'à ses cheveux, qu'elle tira doucement, pour essayer de se rappeler de lui. La Démone s'accorda encore quelques secondes à ce sentiment doux, étirant doucement ses jambes. Lorsqu'elle finit par se questionner sur la présence réelle et tangible d'un partenaire, car elle ne voulait pas croire à l’inverse, elle ouvrit les yeux.
Rien. Etalée sur toute la diagonale de son matelas, Kitoe était seule. Ses mains parcoururent désespérément la zone à la recherche de quelque chose, un corps chaud, un souffle. Mais il n'y avait rien. L'angoisse bondit et lui noua le ventre. La jeune femme s'aida de ses coudes pour se redresser. Ça n'avait été qu'un rêve. Un rêve puissant, si puissant qu'il avait semblé réel. Mais la vérité, c'était qu'il n'y avait rien. Pas d'homme avec qui partager un dessert, avec qui fantasmer. Elle n'avait embrassé personne. Elle n'avait mangé personne. Elle n'avait déshabillé personne. Elle n'avait couché avec personne. Elle n'avait pas joui. Personne ne l'avait aimée et elle n'avait aimé personne. Cet homme dont elle avait rêvé n'avait aucun sentiment pour elle, pas même de l'affection, car il n'existait pas, tout simplement. Tout cela n’avait été que le vaste fruit de son imagination, et tout cela mourrait pitoyablement comme un souvenir sans importance. Elle était l’unique chose qu’il restait de ce rêve et honnêtement, elle aurait préféré disparaitre avec lui.
Ses lèvres se pincèrent. Son sourire s'était transformé en moue. Ses yeux avaient perdu cet éclat épanoui, ce désir qui avait animé sa nuit. Sa respiration s'était amplifiée, son cœur s'était emballé, trop mécontent pour pourvoir retenir sa colère plus longtemps. Quand les larmes lui montèrent, Kitoe n'essaya même pas de les retenir. Elle hurla.
Elle enfonça de nouveau son visage dans son oreiller pour étouffer son cri. Le tissu peinait à sécher ses yeux mouillés. Elle serra la mâchoire. Son poing frappa le matelas, une première fois, qui fut suivi d'autres coups plus rapprochés.
Elle se haïssait.
Elle aurait tellement voulu que ce fut vrai. Kitoe manquait de sexe, de vrai, qu'il fusse pur ou malsain. Elle manquait d’être désirée véritablement. Elle avait déjà couché ou violé. Ce dernier acte était plus récent et récurrent, là où coucher constituait moins du quart de ses relations, car c’était trop compliqué à entretenir. Cependant, elle manquait de cette marque d'affection, ou au moins, de considération. La Démone réalisait que sa vie sexuelle était chaotique. Au mieux dernièrement, elle avait touché son Reflet. Mais rien d'autre. On n'avait ni posé les mains, ni les yeux sur elle depuis une éternité. Kitoe était mignonne, bien qu’elle ne fût pas la plus belle femme du monde. Elle pouvait être une bonne amante, de celles qui s’adaptaient, penchaient pour la brutalité de l’acte mais s’adonnaient à la douceur de l’issue et gémissaient exponentiellement au taux de plaisir procuré. Elle était affectueuse et tactile, pas difficile dans l’ensemble. Mais on la trouvait trop étrange, folle, instable et dérangeante pour vouloir s'abandonner au plaisir de la chair avec elle. Elle n'avait pas beaucoup de succès et n'en avait jamais eu particulièrement. Pourtant, elle en avait besoin. Au fond, elle savait qu’elle le méritait ; elle ne comprenait pas pourquoi elle ne l’obtenait pas. Était-ce si compliqué de voir autre chose que sa maladie ? Elle voulait qu'on lui rappelle qu'elle était bien. Pas bénéfique, ça elle ne l'était évidemment pas. Mais bien. Désirable. Elle voulait qu'on la touche et qu'on la caresse, qu'on lui chuchote à l'oreille, un souffle, que l'on prenne son visage dans ses mains, qu'on l'embrasse, qu'on la serre, qu'elle puisse se blottir. Elle voulait un corps contre le sien, qu'on lui donne des frissons exprès pour la torturer. Avec ce songe, elle avait cru faire fantasmer un homme, pouvoir fantasmer de lui au point que c’en devienne insoutenable. Rien de tout ça n'était arrivé. La frustration engendrée par l’impression de s’être trompée, d’avoir tant espéré pour rien, était insupportable.
Kitoe hoqueta. Ses pensées la tiraient vers le bas. Elle détestait ces moments où tout devenait insipide et qu'elle se souvenait que sa vie était une véritable catastrophe, son esprit un cataclysme inarrêtable. C’était de sa faute, de la faute de ses personnalités, de la faute du monde et de la façon dont tout s’était produit. Ensemble, ils avaient tout fait pour la briser. Mais qui pouvait-elle blâmer, au final ? Tout le monde, vraiment ? Jeter la pierre sur ceux qu’elle détestait était-elle une solution ? Non. Quant à Lia, Ellie et Kraa, elles avaient beau être la source du problème, elles n’y étaient pour rien. Alors, il n’y avait rien à faire d’autre que constater les dégâts :
Elle était seule. Répugnante. Indésirable. Sans intérêt. Désespérée.
Le Reflet sous la forme d’Ellie avait fait irruption dans la cuisine en entendant l'immense fracas qui y avait retenti. Le bruit l'avait crispée et extirpée de sa somnolence tandis qu'elle terminait de fumer sa cigarette. Si elle avait entendu la Démone pousser un juron pour se maudire de sa maladresse, elle ne se serait pas inquiétée et aurait pesté avant d'essayer de retrouver l’état confortable qui précédait la sieste. Mais puisqu'elle n'avait rien perçu, elle avait trouvé la foi de se lever pour s'assurer que l'autre débile ne s'était pas juste tuée en trébuchant avec un couteau dans les mains.
En arrivant dans la pièce, Ellie ne vit pas tout de suite la jeune femme. Ses sanglots – et le carnage de nourriture et d'ustensiles cassés et étalés partout – la guidèrent jusqu'à elle : Kitoe s'était effondrée derrière la grande table de la cuisine. Ses mains étaient plaquées contre le sol, écorchées par les bris de verre. Elle tremblait comme une feuille, en larmes, le teint blême, les yeux exorbités rivés sur le sol.
-Qu'est-ce que tu fous ?
C'était sa manière de demander si tout allait bien. Le manque de répondant de son modèle l'agaça. Elle croisa les bras. Elle ne comptait pas l’aider à se relever, à moins que celle-ci ne fût dans un état critique. Qu’elle se comporte comme une mère poule, il ne manquait plus que ça !
-Kitoe. Rappela-t-elle.
-... Kitoe ?
La voix chevrotante était très loin qui couinement auquel le Reflet s’était attendu. La jeune femme s'empara d'un couteau de cuisine. Ce n'était pas Kitoe. Ni aucune d'entre elles.
-Vous êtes qui ?
Celui ou celle qui était à terre était vraisemblablement en état de choc. Iel essayait de réguler son souffle et ses sanglots, mais c’était difficile.
-Je ne suis pas censé être là...
-Vous êtes qui, bordel ? Gronda Ellie en l'attrapant par le col.
Elle n’en avait rien à foutre de ses états d’âme. Son modèle n'avait pas changé d'apparence, elle était toujours Kitoe physiquement. Mais elle n'avait plus rien de celle-ci. Ce regard perdu et apeuré, ces yeux noyés de larmes, cette voix grave pressée par la détresse... elle ne reconnaissait rien de tout ça. Puisque l'inconnu.e ne répondait pas, Ellie la poussa contre la table. La blesser accidentellement était le dernier de ses soucis. Elle voulait une réponse. Après tout, cette nouvelle personnalité pouvait très bien être dangereuse pour elles. Si tel était le cas, elles devraient la museler au plus vite, faire en sorte qu'elle ne revienne pas, ou peu.
-Vous. Êtes. Qui ?
L'inconnu.e était couché.e sur la table dans une position inconfortable, le dos contraint par la nourriture et les plats qu'iel écrasait. Iel regardait Ellie droit dans les yeux, terrifié.e. La jeune femme maintenait la pression, en même temps que cette expression révulsée et pleine de haine. Elle voulait qu'iel avoue.
-Je ne sais pas. Souffla-t-iel finalement avant de balbutier. Est-ce que c'est vrai ? C'est ça le vrai monde ? Ce n'est pas un rêve ? Je ne suis pas censé être ici.
-Comment ça, tu n'es pas censé être ici ?
Pourquoi la considérait-iel comme si c’était évident ?
-Je... Je suis mort...
Elle n'en crut pas ses oreilles. On ne la lui avait jamais faite, celle-là. Leur système avait vu et entendu beaucoup de choses, mais ça...
-Bien sûr que non, tu n'es pas mort.
Les morts disparaissaient. S'ils ne se réincarnaient pas, comme Kitoe, ils disparaissaient. Puisque lui était visiblement une nouvelle identité, il ne l'était évidemment pas. A son avis, il s'agissait plutôt d'un illuminé. Ça la fatiguait d'avance. Leur vie était déjà un bordel à quatre, alors si en plus ceux qui se rajoutaient étaient comme lui...
-... Si, je suis mort... je suis mort... il m'a déjà tué.
-Qui ?
Ses énigmes la faisaient chier. Elle voulait cerner le personnage rapidement, en tant qu'Ellie et que Reflet. Quand elle comprit qu'il réfléchissait et qu'il en aurait pour un moment, elle le lâcha. L'inconnu se redressa, reprit ses esprits. Ses sanglots avaient cessé. Le regard dans le vague, il s'efforçait de se souvenir, mais il avait été enfoui pendant tellement de temps, au point de ne pas avoir conscience de lui-même, que ses idées étaient floues. Au fur et à mesure qu'il les remettait en place, son expression passait de la peur à la colère. Il tremblait toujours, mais cette fois, c'était parce qu'il bouillonnait intérieurement. Ses doigts s'étaient resserrés sur le rebord de la table, ses ongles grattaient le bois pour s'y faire une place.
-Je ne m'en souviens plus.
Ellie leva les yeux au ciel, serra la mâchoire pour étouffer quelques insultes.
-Je sais juste qu'il m'a tout pris. Il m'a volé mes amis, mon apparence et mon identité. Il a fait croire à tout le monde que je suis une ordure et que j’étais l’imposteur, alors que c’est lui. Puis il m'a tué. Il a pris ma vie et l'a façonnée à sa manière. Et tout le monde le croit.
Sa réponse sembla calmer la jeune femme. Elle se sentit presque mal : sa condition de Reflet l’obligeait à se sentir directement visée par ses accusations. Certains anéantissaient bien leur modèle pour prendre leur place. Kitoe avait-elle croisé le chemin d’un compatriote au cours de sa vie ? Si tel avait été le cas, elle l’aurait su.
-Et tu souhaites te venger ?
Il acquiesça. C’était l’objet exact de son existence.
-Je veux qu'il paye.
En revanche, la raison pour laquelle il n'était intervenu que maintenant, ou alors si tôt – elle l'ignorait – était un mystère. Kitoe avait dû penser à quelque chose de suffisamment puissant pour l’amener à prendre le contrôle, lui qui n’avait, sans mauvaise blague, jamais montré signe de vie...
-Tu détiens tes souvenirs de ceux de Kitoe ?
Ellie demandait, car ses barrières amnésiques étaient plus épaisses que les autres personnalités entre elles. De ce fait, elle ne savait pas tout. Kitoe avait plus de souvenirs communs avec Lia qu'avec elle.
-Je ne suis pas sûr de savoir qui est Kitoe...
Ses barrières à lui devaient être encore plus épaisses.
-C'est l'hôte.
Il ne comprenait pas, mais il devina qu'il valait mieux ne pas en demander trop. Il aurait tout le temps de le faire plus tard.
-Et toi tu es... ?
-Ellie.
Il la regarda faire les cent pas.
-En attendant de retrouver ton véritable nom, ça serait bien que tu en choisisses un autre. Qu'on puisse mettre un nom sur... toi.
-Je vais y réfléchir.
-Et la prochaine fois que tu viens, utilise ta propre apparence. J’aimerais ne pas avoir à t’agresser à chaque fois que tu apparais.
Il parut gêné.
-Je n'ai pas d'apparence. Je suis mort et on me l'a volée.
Il s'imaginait comme une sorte d'ectoplasme blanchâtre à la silhouette vaguement humanoïde. Elle fit claquer sa langue contre son palet. Il était con, ou bien ?
-Je m'en fous. Prends l'apparence que tu devrais avoir, celle qu'on t'a volée.
Il détenait probablement son apparence d’origine de quelqu’un que leur système connaissait déjà. Le meilleur moyen de comprendre ce type, c’était de savoir à qui il ressemblait. Le nouveau hésita, mais il ressentait en cette Ellie une hostilité qu'il ne voulait pas réveiller. Il ne voulait pas d'ennemis. Il en avait déjà un, et il était suffisamment gros pour justifier l'entièreté de son existence. Alors il replongea dans ses souvenirs pour retrouver sa physionomie, les traits de son propre visage. Cela lui demanda du temps, car il avait perdu son identité depuis ce qui lui semblait être des siècles. Il n'était pas sûr de tous les détails, mais au moins, il essayait.
-Je crois que ce serait à peu près ça... Dit-il pour attirer l'attention d'Ellie, qui s'était mise à fouiller distraitement dans le placard à épices de Kitoe pour s'occuper.
Lorsqu'elle se retourna vers lui, elle manqua de s'étouffer avec sa propre salive.
La jeune femme était forte de caractère, mais ça oui, ça la déstabilisait. Son sentiment frôla la peur. Elle ne savait pas comment appréhender l'arrivée du premier homme de leur système. Il allait tout foutre en l'air. Ce n'était pas bon. Kitoe allait vriller. Tout leur système allait en pâtir.
