La Rose Assoiffée

Musique : Slave of Fear de Health

« Je te sens distraite, Svana. » Álmos se déplaça jusqu’au corps de sa femme. Elle regardait par la fenêtre. Celle-ci ne laissait filtrer que très peu de lumière. L’accès à la pièce ne pouvait se faire depuis l’extérieur. Un alliage solide formait des arabesques métalliques. Elle aurait souhaité échapper à un incendie – ou simplement fuir – qu’elle ne l’aurait pu. « Je m’inquiète pour notre avancée. » déclara-t-elle. Elle mentait en partie. Elle était inquiète pour son amant. Cela faisait un moment qu’il était parti en mer. Dès qu’il quittait Drosera, la peur la tiraillait, celle qu’il ne revînt jamais. Álmos sourit en s’approchant de son cou. Son souffle lui semblait être un outrage. Elle déglutit, sans aucun bruit. « Il vaut mieux s’inquiéter qu’être trop confiant mais ne t’inflige pas des tourments trop conséquents. Je crois que nous pourrons bientôt trinquer à notre succès commun. » Son index passa sur sa clavicule. Elle aurait préféré que ce fussent ses doigts, à lui. Elle ne pouvait pourtant se soustraire à son mari si facilement. Dans son dos, sa présence l’écorchait presque. Pourtant, ils s’étaient choisis, tous les deux. Ils s’étaient mariés dans un objectif commun de réussite. L’union avait été préméditée. Il ne l’avait jamais forcée sur cette voie. Elle l’avait désirée, autant que lui. Ils s’étaient jurés de s’entraider. Néanmoins, malgré toutes ces années, elle songeait que ni lui ni elle ne se faisaient vraiment confiance. Il l’écraserait à partir du moment où sa propre réussite ferait de l’ombre à la sienne. C’était ainsi que fonctionnait la Majestueuse. Tout n’était qu’une question de manipulation et de politique. L’art et le poison habillaient parfaitement cet état d’esprit. Ça lui avait paru être le mode de vie le plus adapté longtemps, avant qu’elle ne le rencontrât. Il s’était autant engouffré dans les plaies que l’ennui et la course au pouvoir avaient creusé dans son psychisme qu’entre ses cuisses. À présent, elle était une femme infidèle, en quête de frissons et d’aventures. Elle s’était sentie revivre dans les bras d’un autre, parce que son souffle éveillait tous ses sens et qu’elle le désirait ardemment, plus que la gloire, plus que le pouvoir.

Álmos déplaça doucement les cheveux de sa femme. Il avait envie d’elle. Il avança davantage, ce qui colla l’Alfare contre la vitre. « Álmos, tu… » « Oui ? » « Tu n’avais pas un rendez-vous ? » « Si. » murmura-t-il, en plaçant ses doigts sur la taille de Svana. Il aurait pu la soulever sans difficulté. Au lieu de cela, il la retourna pour qu’elle lui fît face. « Je ne vais pas te toucher longtemps. Tu as raison. Il serait regrettable que je me mette en retard et que je froisse mes vêtements. » Il lui sourit. C’était dur. Il n’avait pas que des mauvais côtés. Elle ne l’aimait juste pas. Là était toute la différence. Elle le trompait. Elle le trahissait. Peut-être faisait-il de même ? Elle aurait préféré que ce fût le cas. « Je voulais simplement t’offrir un présent. Il est terrible et je pense que tu n’auras jamais à l’utiliser mais il est beau. » Lentement, il lui présenta une fleur, une rose blanche qu’il était rare de voir s’épanouir à l’intérieur de la cité. « Ce n’est pas une fleur comme les autres. Elle paraît belle et pure mais elle est traîtresse. » Un instant, elle pensa qu’il était en train de parler d’elle. Elle retint son souffle. « Elle ne meurt pas. Il faut faire attention à la laisser dans une pièce bien éclairée. Si la lumière s’éteint, elle se met à ramper, doucement, vers ceux qui dorment, afin de se repaître de leur sang. La première fois, elle n’en prend qu’un peu puis, petit à petit, elle prend ses aises, jusqu’à planter ses épines dans la chair et ne plus laisser partir sa victime. Elle l’enrobe d’un cocon et la dévore de l’intérieur. » Elle frissonna, les lèvres de son mari si proches des siennes qu’elle pouvait sentir son haleine. Elle était fraîche. Il sourit. Une lueur meurtrière passa dans son regard. « J’espère que tu n’essaieras pas de l’utiliser sur moi. » Il mettait dans les jolies mains de sa femme des armes dangereuses. Il ne doutait pas qu’elle l’était tout autant, mais il était aussi certain d’être un bien plus gros problème qu’elle. Elle était distraite, dernièrement. Il n’aimait pas ça. Il trouverait le problème car, visiblement, il y en avait un.

En essayant de quitter Drosera, plus tard, Svana avait pris soin de faire sortir cette rose de son existence. Elle l’avait jetée au milieu des Côtes de Maübee.

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Cadeau pour Calanthe: