« Il faut que tu retournes à Lua Eyael. » décréta Ulrich en observant sa disciple. Elle se tenait debout devant la bibliothèque, la tête penchée sur le côté pour lire les titres des ouvrages avec davantage de facilité. A côté d’elle, le balai bougeait paresseusement, seul, animé par sa magie. Un peu plus loin, la balayette s’activait frénétiquement, faisant tomber quelques moutons de poussière sur le sol. « Tu as encore beaucoup de choses à apprendre et rester ici trop longtemps n’est pas bon pour toi. » « Mmh… » La jeune femme posa sa main sur l’un des livres parlant de mécanique et de lois physiques. Lentement, elle le retira de son rayon et l’ouvrit pour le feuilleter distraitement. « C’est toi qui m’a amené ici… » « Oui, car c’était ta place. Ca l’est toujours. Mais pas seulement. Rester coupée des nôtres trop longtemps n’est pas raisonnable. Tu dois y retourner plus régulièrement. » La jeune femme laissa son doigt glisser sur un schéma semblant particulièrement complexe. Elle soupira avant de refermer le manuel d’un geste sec. Elle releva ses yeux verts, vifs, sur l’homme assis à son bureau. « Rhea remarquera mon absence, si je m’absente trop longtemps. » argua la plus jeune. Elle n’avait pas l’air embêtée par l’idée de rejoindre la Capitale, mais un nombre non négligeable de paramètres la poussaient à objecter. « Elle ne sera pas contre me laisser un peu d’intimité si besoin. Mais ces voyages seront réguliers et cela risquerait d’affecter son opinion sur moi. » continua la Caeli d’une voix monocorde. « Je crois qu’elle m'apprécie. Il serait sot de gâcher cet atoût, tu ne crois pas ? »

Un sourire énigmatique s’était peu à peu dessiné sur le visage du Maître en entendant les paroles de la jeune femme. Elle n’avait pas tort. Il avait déjà envisagé tous ces tracas qui la rendaient récalcitrante et avait trouvé une parade pour chaque argument. Silencieusement, il se leva puis marcha jusqu’à une grande armoire, dans le fond de la pièce. Le vantail de la bonnetière avait été recouvert d’un miroir de pied. Ulrich en effleura la surface froide un instant puis sa main s’enfonça dans le reflet, jusqu’au coude. L’homme sembla chercher quelque chose de l’autre côté. Lorsqu’il se retira, il tenait un cordon entre les doigts. Au bout de la laisse, un chien de petite taille au pelage soyeux. Le visage lunaire de la Rehla laissa transparaitre sa surprise. « Junon ! » Avec un petit rire, elle s’accroupit pour accueillir la chienne qui s’était mise à lui tourner autour pour la saluer, jappant et sautillant sur ses jambes. Usant de ses ongles, elle passa ses doigts à travers son pelage. « Pourquoi l’avez-vous… » La question se perdit sur ses lèvres tandis que Babelda se souvenait d’une vision, qu’elle avait eu il y a longtemps. Elle fronça les sourcils. « Elle n’est pas prête. » « Pas encore. » confirma l’homme. « Mais bientôt. Très bientôt. » Le Destaty claqua des doigts.

Comme si elle avait reçu un ordre, la chienne s’immobilisa. Pendant un instant, rien ne se passa. Puis son corps se changea en fumée. Elle était inodore, à peine chaude. La masse brumeuse se mouva, commença à grossir. Puis la matière sembla se rendre à nouveau compacte. Une femme se tenait accroupie : elle était habillée dans des vêtements trop larges pour sa petite taille ; ses cheveux négligemment attachés en tresse d’où ressortaient quelques mèches indomptables reposait sur son épaule ; son visage lunaire était inexpressif, si l’on omettait son regard vert et vif, qui semblait capable de transpercer tous les secrets. Babelda se releva lentement : la silhouette face à elle en fit de même. Comme si elle n’y croyait pas, elle fronça les sourcils ; l’autre l’imita. Elle leva une main et l’approcha de la silhouette, qui lui répondit de façon similaire. C’était comme être face à un miroir, observer son reflet parfait. Finalement, elles esquissèrent un sourire. « Depuis quand est-elle capable de se métamorphoser aussi bien ? » demanda l’originale en tournant la tête vers son mentor : cette fois-ci, la copie resta statique – peut-être un peu trop pour paraître authentique. « J’ai débuté il y a plus d’un an. Mais ta métamorphose était complexe. Je ne la maîtrise aussi bien que depuis quelques semaines. » répondit le Reflet. Entendre sa voix de l’extérieur arracha une grimace à la Rehla : c’était étrange. Junon sourit. « J’ai toujours beaucoup à apprendre. J’ai besoin d’en connaître davantage sur ta façon d'être,de penser, pour devenir la copie parfaite. » continua-t-elle à expliquer. « Je dois t’observer, et plus seulement au travers d’un miroir. » conclut la doublure en se tournant vers le miroir d'où elle était sortie. Cette fois-ci, ce fut au tour de l’originelle de suivre le mouvement. Dans le miroir, on ne voyait plus le reflet de la pièce mais un homme aux cheveux bruns en bataille. Le Mur de Babelda s’inclina respectueusement. « Mmh… Tu m’observais depuis tout ce temps, depuis chez moi ? » La réplique acquiesça. La disciple fronça les sourcils mais ne dit rien.

« Comment allons-nous procéder pour que tu puisses m’observer ? Je ne suis pas certaine que les animaux de compagnie soient acceptés sur le navire. Pas pour les Mousse en tout cas. » « Nous avons déjà tout prévu, ne t’en fait pas. » rassura l'homme.  Junon tendit la main devant elle, invitant son modèle à en faire de même. Une fois leurs mains liées, la brume se métamorphosa une fois de plus. Dans la mains de la brune se tenait désormais un médaillon.

Fin.