Une nouvelle fois, Alþjófr se retrouva les fesses sur le sol, ronchonnant et le coccyx en souffrance. En voyant la main tendue de son maître, il l'accepta avec joie, doutant de pouvoir se lever seul tant ses muscles étaient endoloris. « Allez, encore un effort et bientôt tu sauras taper juste. » fit Ginarr en même temps qu'il tirait son disciple pour le remettre sur pied. Passer le baume sur la coupure qu'il avait lui-même infligé, Alþjófr avait fini par s'y habituer. Il ne faisait que ça depuis quelques temps. « Tu es prêts à reprendre ? » - « Pas de suite, non. » répondit le Guerrier d'Estella, essoufflé. « Haha ! Prends ton temps va. » fit Ginarr dans un rire gras face à la réponse franche de son élève.  Aussi ce dernier finit-il par retrouver le confort de la pierre. Le Forgeron avait pu voir depuis le temps qu'Alþjófr n'était pas de ces jeunes Nains téméraires qui voulaient à tout prix montrer à leurs aînés ce qu'ils avaient dans le ventre, et qui reprenaient l'épée à la moindre provocation. Il était plutôt de ceux qui avançaient doucement, quitte à reculer au contraire pour avoir une meilleure vue de l'ensemble. « Ginarr ? » - « Hum ? Qu'est-ce qu'il y a ? ». Le Guerrier hésita à reprendre, mais son maître le fixant de ses yeux naturellement sévères, il continua à développer le fil de sa pensée. « Je me demandais si tu étais déjà allé à la rencontre des peuples d'En-Haut ? ». Cette fois ce fut au Forgeron de garder le silence pendant de trop longues secondes aux yeux du jeune Nain. « Pourquoi ça ? » - « En fait... ». Alþjófr marqua de nouveau un temps. Vraiment, il n'aurait pas dû s'engager sur ce terrain maintenant qu'il y songeait. Mais il était trop tard pour faire marche arrière à présent. « Je me demandais si, depuis tout ce temps, on continuait à nous enseigner des techniques ancestrales en ignorant la Surface ou si des Nains allaient de temps à autre à la rencontre d'autres populations afin d'apprendre d'eux, ou de se renseigner sur leurs techniques pour améliorer les nôtres ? » - « Hum. ». Ginarr rangea son épée et prit appui dessus tandis qu'il vint caresser sa longue barbe de son autre main. En fait son apprenti avait prit bien plus de recul qu'il ne l'avait imaginé. Trop peut-être. Il avait une vision périphérique des choses bien trop large pour son âge et, surtout, pour son bien-être. Il n'avait pas tout à fait tort pourtant, ils étaient nombreux à avoir envisager la chose déjà. Mais se confronter à un peuple de la Surface restait trop dangereux, surtout à l'heure actuelle, même pour un gain comme la connaissance. « Non je n'ai jamais rencontré un peuple vivant sur les terres du dessus. Personne sur la Terre de Feu n'en a rencontré aucun. Si un Nain devait croiser l'un de ces êtres, ce serait par hasard lors d'une sortie. Mais même dans cette situation, le contact ne serait pas établi. » - « Je pensais qu'il y avait au moins un Nain qui faisait le relais entre le monde extérieur et nous. Un peu comme un espion ou je sais pas. ». Un sourire amusé se dessina sur les lèvres du Forgeron. « Non. Par le passé nos histoires ont été liés, oui. Mais aujourd'hui nous n'assistons plus à leurs batailles. ». Alþjófr ne dit rien à cela, le regard plongé dans la pierre sombre de la salle tandis que le fer de deux lames s'entrechoquant résonnait à leurs oreilles. « Il y a encore autre chose ? Ça faisait longtemps que tu m'avais pas harcelé comme ça de questions. » ajouta le Nain avec ironie, ce à quoi le Guerrier répondit par de vives excuses. « T'as pas à t'excuser va. Alors, t'as autre chose à me demander, non ? ». Nouvelle hésitation. Mais oui, il y avait encore autre chose. « Si on ne se mêle pas à la Surface, ni à leurs batailles, ni rien... Pourquoi passer tout ce temps à être si assidu à apprendre à se battre ? C'est bizarre. » - « Je vois. Quelle utilité si au final on ne prend pas les armes, c'est ça ? ». Le jeune Nain confirma d'un signe de tête. « Chacun de nos actes reflète un pan de notre Histoire. Tu te souviens de cette histoire que te racontais les Sages d'Estella ? Celle de Órdyn et Leiðrr. ». Évidemment. C'est probablement l'une des histoires qu'il avait le plus entendu. « C'est cette histoire de ce puissant Chef Nain et de cette Naine qui n'avait forgée qu'une seule épée de sa vie ? » - « C'est celle-là. ». Le Guerrier marqua un temps alors qu'il dévisageait son maître. Il avait l'impression d'être revenu sur les bancs de l'école. « Je vois pas le rapport. » - « Alors je te conseil de le relire. » rétorqua le Forgeron d'un air sévère avant de reprendre. « Dans le conte, Órdyn ne jure que de sa force et ses capacités pour défier ses adversaires et guider son peuple. Leiðrr prend plusieurs jours pour créer une unique épée qui lui servira à se confronter à Órdyn dont elle juge les actes dangereux pour les siens. Une épée capable de défier le talent brut du combattant qu'était ce Nain. ». Alþjófr ouvrit des yeux ronds. « Le Dnoûde ? ». Ginarr approuva, un sourire aux lèvres. Il n'avait jamais fait le lien auparavant. Naïf, il était simplement parti du postula qu'il fallait une fin heureuse à l'histoire et que Leiðrr avait bénéficié d'un soutien divin, ou quelque chose dans le genre. « Ce conte raconte comment notre peuple a choisi de continuer à suivre la philosophie de Leiðrr, qui n'aurait jamais pu apporter la paix si elle n'avait jamais apprit à tenir une arme correctement. » souligna-t-il avec un rictus. « Nous continuons l'apprentissage du combat pour cette raison. Car même pour que notre peuple baisse les armes il aura fallu que l'un d'entre nous puisse lever haut et d'une main ferme la sienne. ». Alþjófr resta muet à cette morale.

Sans un mot, Ginarr dégaina à nouveau son arme, le frottement métallique du fer contre le fourreau résonnant autour d'eux et attirant l'attention d'Alþjófr. « Allez ! Assez bavarder, c'est reparti ! » clama le Forgeron en faisant signe à son élève de se lever qui obéit avec difficulté. Finalement, se poser fut une mauvaise idée. Ses muscles s'étaient refroidis et il avait l'impression que ses articulations étaient toutes rouillées. Toutefois il se mit à son tour en position et dégaina à son tour pour faire face à son maître. Alors qu'il allait engager le combat, Ginarr prit la parole. « Pense à cette conversation avant de te lancer. ». Alþjófr marqua une pause, revenant au début, à l'instant où il avait interrogé son maître, jusqu'à ses derniers mots, la réponse à sa question. Enfin il se lança à l'assaut de Ginarr. Néanmoins, après quelques échanges, il se vit contraint de reculer, incapable de trouver la moindre percée, encore. « Qu'est-ce que je viens de te dire ? Pense à ce dont on a parlé. ». Le Guerrier fronça des sourcils. Il y avait pensé. Mais assurément il n'avait pas pensé aux bonnes choses. Il prit alors le temps de la réflexion. Puis il comprit. Órdyn et Leiðrr. Le jeune Nain se remit en garde et s'avança d'un pas pour porter un coup de taille qui fût paré et immédiatement repoussé. Tout aussi immédiatement, Alþjófr enchaîna d'une attaque transversale. Une fois encore il fut contré. Alors l'apprenti se décala d'un pas pour laisser glisser son arme sur celle de son aîné. Il sentait la magie du Dnoûde qui circulait dans le métal de Nótt et y était plus attentif qu'auparavant. Un détail minime mais qui améliorait nettement sa célérité et sa capacité à enchaîner les coups. Le Forgeron répliqua, se positionnant pour parader, repoussant la lame de son élève et portant sa première attaque depuis le début de ce nouvel échange que le jeune Nain réussi à son tour à parer, avec moins d'aisance que son maître cependant. « Hé ! Un peu de concentration. Tu oublies que tu as quelqu'un en face de toi. ». Alþjófr opina du chef comme il prit ses distances avant de fendre l'air d'un nouveau coup, l'épée de Ginarr sifflant également pour aller violemment à la rencontre de celle de son élève dans le fracas métallique des lames qui s'entrechoquent. Il fut le premier à préparer la contre-attaque, lançant un coup d'estoc qui surprit l'apprenti. D'un écart il évita le fer comme il arma son épée pour une nouvelle attaque de taille. Ginarr changea son arme de main pour contrer plus efficacement, arrachant une moue agacée à Alþjófr qui crût un instant avoir réussi à percer les défenses de son maître. Dans un réflexe, comme guidé non plus par sa volonté mais par sa lame propre, le jeune Nain ne s'écarta pas. A la place, il changea son angle d'attaque et fit rapidement glisser le fil de l'épée sur celle de Ginarr avant qu'il ne le repousse. Un sourire glissa sur le visage du Forgeron alors qu'il fit de même pour écarter l'épée de son élève cependant. L'échange s'éternisa ainsi de nombreuses minutes jusqu'à ce qu'Alioth s'arrête devant le large sourire qu'affichait son maître. « Qu'est-ce qu'il y a ? » l'interrogea-t-il, curieux. C'est qu'il était plutôt d'un naturel sérieux pendant leurs passes d'armes. « Tu l'as pas vu, n'est-ce pas ? » fit le Nain en changeant son épée de main pour lever sa main libre devant lui. Le Guerrier ouvrit des yeux ronds. Non, il n'avait pas vu, en effet. Il baissa alors les yeux sur Nótt avant d'y glisser le pouce sur le plat. La couleur ténébreuse de l'épée de la nuit avait absorbée la teinte carmin du sang qui couvrait maintenant son doigt et ruisselait en un liserait rubicond le long de la main de son maître. « Ça ne me dérange pas de continuer, tu as l'air motivé pour pas voir ce genre de détail. Mais on fait rarement deux baptêmes. ». Le jeune Nain ancra son regard dans celui de son maître. C'était vrai. Il avait enfin réussi. Ginarr s'approcha de son élève et leva son épée pour en poser le plat sur l'épaule de celui-ci. « Te voici réellement Guerrier d'Estella. ». fit-il sur un ton solennel tandis qu'un sourire fleurit sur les lèvres du concerné. « Demain sera un jour nouveau pour toi maintenant. ».

Alþjófr descendit de son échelle avant de reculer de quelques pas pour observer le fronton mural et l'épée qui s'y trouvait, disposée aux côtés d'Orminum, un fier sourire trônant sur son visage. Même ainsi, hors de portée de main, en se concentrant un peu, il pouvait sentir la Dnoûde qui imbibait ces armes, comme le sang courait les vaines. Il comprenait maintenant. Il avait prit le temps de forger une unique arme qui lui aurait servi à défaire plus fort que lui, comme Leiðrr par le passé. Quoi que défaire était un bien grand mot dans son cas en comparaison de la Naine de la légende. Il tourna le visage vers la fenêtre, levant le regard vers les hauteurs et le monde extérieur. C'était peut-être ce qu'il manquait à ces peuples, Là-Haut. Une Leiðrr. Alors ils n'auraient plus à s'entraîner loin du monde. Ou peut-être pourraient-ils simplement à nouveau échanger, comme autrefois.