Yicali !
Objectifs :
- Daé suit les enseignements de son nouveau mentor
- Daé se confronte une nouvelle fois aux lois du destin et des Rehlas

Les couloirs de l’Université de Lua Eyael étaient déserts. Daé portait une robe ample qui flottait alors qu’il hâtait le pas aux côtés d’Elsa. Les deux Rehlas étaient parées des couleurs de la nuit, la cape de Daé qui lui tenait chaud lors des nuits de frimas comme celle-ci était brodée d’or à certains points qui formaient la constellation du sablier. Constellation qu’il portait également en broche sur sa robe sans ceinture qui le faisait paraître encore plus longiligne qu’il ne l’était. Les talons, à plateforme d’Elsa et aiguilles de Daé, claquaient dans les couloirs de l’Université au rythme de leur pas. Le vent s’engouffrait à l’intérieur du chemin par une fenêtre grande ouverte qu’une personne avait dû oublier et que Daé referma par magie sans même la regarder en passant. La tension entre l’élève et sa Mentore était palpable. Iels ne semblaient pas en mauvais terme ou en froid, mais il se tissait quelque chose au fur et à mesure que les pas dévoraient le peu de chemin qui leur restait. Daé avait mis deux traits de crayon blanc sur et sous ses yeux pour être présentable devant la personne qui leur avait demandé leur venue. Demande faite de la manière la plus étrange qui soit étant donné que lui et Elsa avaient eu la même vision au même moment et que lorsqu’iels s’étaient contactées pour en parler, iels avaient entendu la voix de leur hôte dans leur tête simplement confirmer cette vision et leur donner une heure de rendez-vous.

Ici, tout le monde savait où était le bureau de Geralt de Luhcil, à la fois parce qu’il inspirait un profond respect à ses congénères Rehla et à la fois parce que n’importe quel Somnae sensible un minimum à la magie avait une fois demandé à l’un·e·x ou l’autre de ses professeur·e·x·s l’origine de l’immense source de magie qui provenait du centre de l’Université - quoi qu’il fût monnaie courante que de très puissantes sources de magie soient constamment en action à l’intérieur de la capitale du peuple de Phoebe. Cette localisation étant connue par touxtes, elle l’était aussi par le duo qui grimpait la dernière volée de marche jusqu’au lieu de leur rendez-vous. Pour la première fois de sa vie, Daé était stressé à l’idée de rencontrer un adelphe. Il avait eu l’occasion de voir le Sin Luxinreis lors de cérémonie et évidemment de voir les Eloquis aussi, mais jamais n’avait-il reçu une demande aussi directe. Surtout qu’il n’était qu’un Caeli et qu’il n’était pas dit qu’il devienne Destaty de si vite. Elsa sentit son stress et alors que la porte en bois gravée du nom du Miroir du Destin se dressait devant eux, elle lui prit la main et la serra, affectueusement. Les deux Rehlas se sourirent, comme un·e·x parent·e·x sourit à son enfant ou comme deux ami·e·x·s s’apportent du soutien, Daé expira et il toqua.

De manière presque attendue, à peine eût-il la main levée que la barrière de bois séparant Elsa et Daé de Geralt s’ouvrit sans un bruit, révélant l’intérieur du bureau de la Couronne.

Le plus jeune Rehla des trois s’était imaginé rentrer dans un bureau rempli de mystères et de trésors, un bureau qui correspondait à ses fantasmes d’enfant lorsqu’on lui racontait comment le Sin Luxinreis parlait avec les Eloquis et avec Phoebe pour guider le monde et les peuples sur la Ligne du Temps. Mais ces fantasmes étaient le vestige de celleux qui les lui racontait : ses parents. Il s’y était accroché, sachant très bien que la réalité était toute autre et bien pire. Tous les appareillages compliqués et sophistiqués qu’il avait pu imaginer dans des étagères et sur des bureaux, les sabliers et cartes du ciel, les manuscrits et les prédictions, tout cela était dans la tête de ces Rehlas à la puissance immense. Ainsi, la salle était vide. A l’exception de quelques rouleaux de parchemin vierge posé négligemment dans un coin de la pièce. Les deux fenêtres étaient immenses et donnaient directement sur le temple de Phoebe au-dessus duquel cette dernière régnait en Maîtresse dans la nuit qui était sienne. Il y avait une table en ébène qui contrastait avec la paleur de la peau de l’Eloqui. Il regardait à l’extérieur la lune finir son lever et ses mains étaient croisées dans son dos. La jointure de ses doigts était encore blanche et le sang remontait lentement dans sa main, comme si, la seconde avant leur arrivée, il était en train de triturer ses doigts, de stress, de peur ou d’angoisse. La préservation des apparences, pour ne pas montrer au nouvellement proclamé Caeli à quel point la tâche était difficile, même si la possibilité que Phoebe l’appelle un jour à devenir Eloqui était infime. Sur la table trônait un astrolabe, grand pour un objet tel que lui, mais petit par rapport à la hauteur de plafond de la pièce - qui était bien plus haute que le couloir, mais Daé ne fut pas surpris au vu de l’architecture capricieuse des Tours de Zéphyr. L’astrolabe était sphérique, contrairement à la plupart qui étaient planes. Il était fait d’un métal qui aurait pu être du verre, mais qui était légèrement plus bleuté et qui semblait légèrement moins cassant. Il était posé sur un socle d’ébène lui aussi. Sur le bas de l’astrolabe, qui semblait magiquement chercher quelque chose dans le ciel et se réajuster en permanence. Il avait plus d’aiguilles que Daé n’en avait jamais vu et les cadrans avaient parfois l’air de ne pas être d’accord entre eux sur la position à adopter, rendant le tout étrangement vivant. Sur l’armature qui tenait les cadrans qui tournaient entre eux en s’affrontant sur la bonne position à adopter, il reconnut la griffe caractéristique des artisan·ne·x·s d’astrolabe les plus réputés de Lua Eyael, si ce n’était pas de toutes les Terres de Sympan : Les De Luhcil, la famille dont était issue Geralt.

Ce dernier se retourna. Daé dût se concentrer pour ne pas se laisser déborder par la magie qui était ambiante. Entre la puissance d’Elsa et celle, débordante de tous côtés de l’Eloqui, il se sentait terriblement petit et compressé et bénissait Phoebe et toutes ses étoiles que ses maître·sse·s n’aient pas de mauvaises intentions à son encontre ou entre elleux. Daé essayait de se contenir de se confondre en excuse pour une infinité de raison et tentait de se rappeler ce que lui avait dit Elsa avant qu’iels ne se mettent en route. Qu’il était légitime et à sa place à cette entrevue et que s’iels étaient convoqué·e·s par quelqu’un d’aussi proche de Phoebe que la Couronne, le Miroir du Destin, alors c’était simplement l’endroit où il devait être et qu’il était temps qu’il considère sa puissance pour ne plus s’excuser de faire ce qu’il faisait.

Geralt fit un geste de la main et le plafond sembla soudain devenir transparent. Ce soir, phénomène étrange, il neigeait, et les flocons se déposaient contre la vitre et fondaient, se transformant en goutelettes qui allaient rejoindre leurs amies dans les flaques qui devaient sûrement se former au sol. Tout l’entourage de l’Eloqui semblait être d’une douceur sans précédent et être fait de magie pure. Il s’inclina. Daé fut surpris l’espace d’un instant puis fit de même. La hiérarchie n’étant pas basée sur le mérite chez les Rehlas, le Caeli pensa qu’il devait être presque courant que cette scène se produise dans ce type d’entrevue. Il tâcha de le graver dans un coin de son esprit. “Je vous remercie d’avoir pris de votre temps au milieu d’une si belle nuit pour discuter avec votre serviteur.” La phrase aurait pu être ironique. Aucun·e·x Rehla sensé·e·x n’aurait refusé un entretien avec lui, même s’iel avait dû traverser des océans. Le sol en bois s’étendit et accoucha de deux chaises aux coussins de mousse et aux accoudoirs faits de branches nouées entre elles. Tout le monde s’assit et Geralt arrêta l’astrolabe d’un regard. Daé, qui avait appris à les lire et en utilisait régulièrement lors de ses propres séances d’observation, ne comprenait pas ce que ce dernier affichait. “Ce regard n’est pas dû à ton ignorace, Daé. Il est dû au ciel.” Le regard des deux Miirafae se remplit de questionnements “Vous avez sous vos yeux la raison pour laquelle je vous ai proposé de venir. Enfin...au-dessus de vous aussi.” Sa voix était douce, chaque son semblait découler naturellement du précédent et chaque mot était pesé, pondéré, comme s’il ne disait que ce qu’il devait exactement dire. Ses yeux avaient l’air à la fois de gérer d’autres informations et d’être concentrés sur absolument tout ce qui se passait dans la pièce. Le vent qui faisait infimement bouger une feuille de parchemin posée dans un coin, les yeux d’Elsa qui cherchaient à comprendre, les pas qui passaient dans le couloir, les flocons qui coulaient contre le toit, le mouvement perpétuel des astres, tout était matière. Il était magnifiquement impressionnant.

Invité·e·s par le regard de leur Maître, la grand-tante et son petit-neveu levèrent la tête en même temps et Daé eut un hoquet de surprise. Quelque chose qui ne lui était plus arrivé depuis longtemps. Il ne comprenait pas ce qu’il voyait. Une constellation qui lui était tout à fait inconnue était précisément au-dessus d’elleux. “On dirait…” commença Elsa “...une edelwyn.” termina Daé. En baissant les yeux, Geralt affichait un grand sourire. “Je vois que je ne me suis pas trompé. Oui, une edelwyn, c’est d’ailleurs comme ça qu’elle va être appelée. Et...vous entendez ?” Les deux se concentrèrent un instant, le déplacement de magie vers le ciel était presque visible tant il fut soudain et précis. Daé et Elsa acquiescèrent de la tête en même temps comprenant où l’Eloqui voulait en venir. “Muettes.” dirent-iels en choeur. “Totalement muettes.” Et c’était le cas. La constellation brillait dans les cieux, calme et tranquille, mais aucun son ne sortait de ses étoiles. Elles étaient muettes et toustes les Rehlas présent.e.x.s trouvaient cette situation, si clairement inhabituelle, relativement inquiétente.

Yicali !

“Ne demandez rien, je ne sais pas ce qu’on peut en faire. Je sais juste que cela va te concerner, jeune Miirafae. D’une manière ou d’une autre. Alors que mes co-disciples voyaient l’apparition de l’edelwyn et que le bureau du Sin Luxinreis s’affairait pour tenter de redessiner les cartes du Ciel afin d’inclure ces nouveaux paramètres, la Constellation du Sablier chantait ton nom. Un doux forte, mais d’une puissance nette, qui n’a apparemment sonné qu’aux oreilles de votre serviteur. Tout cela est arrivé il y a quelques heures, d’où le fait que je n’en sais pas plus, mais peut-être que je peux encore t’apporter quelques détails.”

Sans que Daé ne comprit pourquoi, Elsa sourit grandement et s’inclina avant de partir vers la porte. Elle savait ce qu’elle avait à savoir, le reste était spécialement destiné à son élève. Et même si celui-ci était inquiet à l’idée de rester seul ici, il ne dit rien. Il n’était pas inquiet parce qu’il se sentait en danger, mais parce qu’il ne savait pas encore ce que Phoebe lui avait prévu et même s’il essayait de se persuader de cette illusion de choix sur laquelle il avait eu le temps de méditer en présence de Varès dans cet étrange rêve, l’application concrète de toutes ses réflexions était encore chose compliquée.

L’Eloqui enchaîna. “Merci encore de m’accorder de ton temps, Martyr de la Lune. Je sais qu’il est précieux et que Phoebe te permet du repos après la période trouble que tu viens de traverse et je ne prends pas à la légère le fait que tu acceptes mon invitation au milieu de la nuit, je trouve important que cette chose soit dite. Nous allons nous voir de plus en plus, Daé. Tu penses bien que je ne sais pas pourquoi, mais je sais que cela va arriver. D’une manière ou d’une autre, je sens que la Couronne avec qui j’ai pu discuter pendant des années durant sans m’arrêter t’apprécie, elle a envie de te voir travailler avec nous et j’espère que tu accepteras cette offre. Ou du moins, que tu embrasseras ce virage du Destin qui arrivera...peut-être.” Ses derniers mots avaient été nimbés d’autant de doute qu’il était possible d’en avoir sur deux mots. Comme si l’espace d’un instant, dans ses yeux clairs et tranquilles, une immense tornade avait tout renversé et lui laissait entrevoir la possibilité d’un avenir tout autre. Il reprit très vite sa contenance. Daé ne disait rien, il profitait de ce moment comme d’un cadeau. Avoir accès à une telle sagesse, directement, sans autre filtre que celui de la parole était un évènement pour lequel il était infiniment reconnaissant auprès de Phoebe. “Que j’aime cette reconnaissance.” Daé écarquilla les yeux. “Je te prie de m’excuser, je ne suis pas capable de contrôler l’entier de ma magie après des journées comme celle-ci et je peux savoir tout ce que tu penses, plus que ça, je ne peux pas ne pas le savoir. Si cela te gêne, je peux tout à fait l’entendre et nous pouvons décaler notre entretien.” Le Caeli fit aller sa tête de gauche à droite une seule fois. Le ton de son pair l’apaisait. “Merci, merci encore.” Peut-être que si Daé voyait un premier défaut apparaître à l’intérieur de l’être de Lune qui se tenait face à lui, c’était cette manie apparente de s’excuser, de ne pas vouloir déranger, alors que son comportement, sa présence, n’était pas pour le moins du monde dérangeante. Le jeune Rehla pensa rapidement aux autres membres des gouvernements des peuples qu’il avait pu rencontrer ou même apercevoir et se dit qu’il y avait, à l’intérieur du Peuple de la Lune, une particularité qui devenait évidente. Il n’avait pour l’instant pas connu de Rehlas qui étaient profondément méchant.e.x.s envers les gens de son peuple sur leur territoire. Tout au plus étaient-iels résigné.e.x.s, étranges ou parfois désagréables, sûrement dû à leur fatigue, mais la méchanceté ne les traversait pas. Et c’était chose agréable au possible. “Si tu me permets de reprendre, j’ai beaucoup de choses à te dire. La Couronne et moi avons eu l’occasion de parler énormément comme je te le disais, et elle m’a raconté ce que tu vivais, tes doutes, tes angoisses, tes envies, tes rêves de bonheur, tes prières et tes égarements, sache que je n’ai rien à dire sur rien de cela. Toutes ces choses sont entièrement tiennes et rien, ni mon rang, ni mon savoir, ne peuvent me permettre de te critiquer pour cela. En revanche, si tu le veux bien, j’ai peut-être des choses à t’expliquer et un fragment de ma vie à te montrer.” Daé acquiesça d’un signe de tête léger, le renversement des rôles le faisant sourire. “Elsa est une Mentore d’immense qualité, et je sais que tu sais que c’est aussi le cas de Lyn. Mais aucun·e de ces deux ne peut t’enseigner ce que je cherche à te faire comprendre ce soir Daé. Je sais qu’on te l’a déjà dit peut-être un millier de fois, si ce n’est plus. Mais j’espère que ce que tu vas vivre t’aidera à mieux comprendre, non...pas à comprendre, à le vivre, à le sentir.” C’était la première fois qu’il s’était repris sur un mot, il semblait comme triste de ce qui allait arriver. “Tu es prêt ?” Daé ne comprit pas la question ou du moins pas ce qu’elle impliquait et acquiesça, cette fois infimement de la tête. Soudain, il sentit comme une barrière se rompre et la puissance de sa broche se diriger en direction de Geralt. Il n’avait pas eu à contrôler sa magie jusqu’ici étant donné que celle de Geralt protégeait son utilisateur de tout ce qui aurait pu lui arriver. Mais soudain, une brèche s’était créée, un accès direct aux pensées du Miroir du Destin et le Martyr de la Lune arriva dans un ensemble juxtaposé de visions chaotiques et d’un nombre infini. Il aurait voulu hurler, mais il ouvrit simplement les yeux et des larmes coulèrent immédiatement. Les pensées du de Luhcil qui lui faisait face étaient constamment en train de se réguler, de changer, de l’informer, tout se bousculait dans sa tête et il ne pouvait pas traiter nonante pourcents des informations qui passaient. Il était comme entouré de tableaux mouvants qui venaient, à chaque instant, se superposer les uns aux autres, en demande d’attention. Il était en train de voir le futur de plusieurs peuples, dont certains qu’il n’avait même jamais vu, et il se demanda pourquoi c’était à Geralt de recevoir cela. Il aperçut des foules en colères en train de se rebeller contre une créature faite d’une forme étrange de magie qui était à l’intérieur de leur propre âme et la créature se défendre, il aperçut des gens mourir par centaine dans un village proche d’Amestris et il se vit lui, en train de partir de ce village comme seul survivant, il vit des monstres informes et odieux descendre des étoiles pour venir peupler les Terres de Sympan et phagocyter les autres peuples, il réaperçut la lutte entre les créatures et leur magie et vit cette magie prendre le dessus jusqu’à les pousser au suicide, il vit une cité dans les étoiles, comme un reflet fugace, entre deux constellations, qu’il n’avait jamais vu dans le ciel, il vit des constellations entièrement nouvelles, des dessins différents et comme une carte du ciel d’un monde qu’il ne connaissait pas, il vit la mort, il vit la lutte, il vit un taureau décimer des villages de Réprouvé·e·x·s et il se vit en armure blanche en train de soulever un marteau plein de sang, il vit les personnes suicidées de sa vision précédente se relever et servir un Aether au visage et aux attributs masqués, il était parfois présent dans ses visions et parfois pas.

Le visage de Daé était comme tiré vers l’extérieur de chaque côté. La bouche ouverte d’effroi, les yeux ayant cessé de cligner se remplissaient de larmes tant à cause de la difficulté à supporter les visions et leurs bruits que de l’air qui rentrait dans les yeux et qui les faisaient pleurer à chaque instant un peu plus. Non content d’avoir dû assister aux images chaque vision avait un bruit immensément réel, le bruit des fracas de la guerre, des désespoirs des suicides, des os du taureau qui craquent sous les coups de marteau, les discussions entre Rehlas sur la carte du ciel. Et tous ces sont étaient orchestrés ensemble en plus du bruit de la neige qui s’était transformé en pluie et des feuilles qui bruissaient dehors avec le vent, des pas dans le couloir.

Lorsque Daé revint à lui, le visage encore façonné par l’étonnement, un thé aux odeurs d’épices et de sucre était posé devant lui. Geralt s’était assis à ses côtés. Il invita son pair à boire le liquide fumant qui était face à lui. Le Caeli tremblait de froid. “Voilà une fraction, une infime fraction de ce qui t’attend, Daé. Cela faisait un moment que j’hésitais à te montrer ça, mais tu n’étais pas prêt. Je sais que tu as déjà fait l’expérience de nos Destins et qu’elle était dure, je suis peut-être la meilleure personne de Lua Eyael pour te parler de ça, crois-moi.” Le regard de Geralt reprit cette teinte voilée que Daé comprit soudain mieux. Comme si l’espace d’un instant ce qui se passait dans sa tête était plus important, plus difficile à gérer, plus essentiel, que ce qui se passait en dehors de cette dernière. “Maintenant, Daé, j’ai besoin que tu comprennes, si tu ne comprends pas ça aujourd’hui, alors, tu ne le comprendras peut-être jamais et si Phoebe en a décidé ainsi, ce n’est pas une chose grave. Est-ce que tu comprends que ton avenir va être horrible, difficile et rempli de sang et de larmes ? Est-ce que tu comprends qu’il sera violent et déchirant et que ce que tu as dû faire à tes parents n’était qu’un aperçu de ce que t’avaient préparé les étoiles ?” Daé ne bougeait plus. “Je ne dis pas ça en méconnaissance de cause, Daé. Je te le promets. Est-ce que tu me permets de t’enlacer ?” Il acquiesça légèrement et l’Eloqui le serra tendrement dans ses bras. “Nous sommes des monstres éthiques, Daé. Les seul·e·x·s monstres qui savons pourquoi nous sommes monstrueu·se·x·s et si tu ne peux pas m’aider dans cette tâche, je t’en prie, ne le fais pas. Si en revanche ce que j’ai vu est juste, alors voilà ce qui t’attend. Et tu sais le pire dans tout cela, je sais que tu le sais. C’est que cette décision ne nous appartient pas, elle est déjà hors nos mains.” Le Rehla aux oreilles percées, le regard empli de larmes aussi lourdes que l’océan lui-même fit aller sa tête de gauche à droite plusieurs fois, à la grande surprise de Geralt et tenta d’articuler des mots entre ce qui devenait des sanglots : “Nous avons le choix, Geralt.” Il avait abandonné les formules de politesse, l’heure n’était plus à cela. “Evidemment que nous avons le choix, du moins il faut s’en convaincre, sinon nous nous tuerons touxtes demain ou dans quelques heures. Alors nous avons le choix, et je comprends bien nos Lois et nos Règles, je sais que ce que Phoebe nous inflige et crois-moi, je la hais certains jours de nous avoir créé pour servir ses desseins, aussi juste soient-ils. Mais je ne ferai rien qu’elle m’impose si je ne l’ai pas choisi avant. Même si tout cela n’est que mensonge, c’est tout ce qui nous reste les soirs où la neige elle-même arrête de s’agglomérer et se fait pluie.” Il s’arrêta, sortit un tissu de sa manche et tenta de s’essuyer les yeux et le nez. Une grande respiration. “Alors d’accord, Geralt, je choisis ce chemin là. Celui des larmes, du sang et de tout ce que tu as dit...d’accord.” Un temps. “D’accord…” et il repartit d’une crise de larmes sans précédent dans les bras accueillants et doux de l’Eloqui qui se voyait parfois un peu à l’intérieur de son nouveau protégé.

La neige pleuvait encore, l’astrolabe s’était arrêté pour offrir un moment de répit, la constellation de l’edelwyn ne chantait toujours rien et Elsa prenait la pluie en dehors de l’université en pleurant, les larmes de Phoene cachant les siennes. Elle avait peur pour son petit-neveu et même si elle ne le lui avouerait jamais si directement, elle était infiniment triste qu’il doive suivre ce chemin-là.

Ce soir, la Constellation de la Couronne chanta un Requiem splendide, dans un Oraédera aussi pur que les larmes de celleux qui n’ont pas d’autres choix que de pleurer.